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Job 19
Vigouroux


Intervention n° 6 de Job

1 Alors Job prit la parole et dit :
[19.1 VIe discours de Job : IIe réponse à Baldad, chapitre 19. C’est le discours le plus important de Job, et, à certains égards, du livre. Comme il ne peut plus compter sur ses amis, Job cherche à se consoler sans leur secours et se tourne plus que jamais vers Dieu. ― 1° Reproches à ses amis, versets 2 à 5. ― 2° Ils doivent songer que c’est Dieu lui-même qui le tourmente d’une manière si terrible, versets 6 à 12. ― 3° C’est pourquoi il lui a retiré l’appui de tous ceux qui l’avaient autrefois soutenu, versets 13 à 20. ― 4° Ils n’en devraient avoir que plus de compassion pour lui, car son droit demeure inébranlable ; aussi, il en est certain, il sera vengé dans une autre vie et le dernier jugement lui rendra justice, versets 21 à 29. C’est là le point culminant de la discussion. La vue de son Rédempteur attendrit le saint patriarche ; désormais sa fougue est tombée ; il n’a plus la même impétuosité et ne se plaint qu’avec calme ; mettant toute sa confiance en Dieu, il cherche moins à se défendre lui-même et se préoccupe plutôt de réfuter la thèse de ses adversaires.]
2 Jusques à quand affligerez-vous mon âme, et m’écraserez-vous par vos discours ?
3 Voilà déjà dix fois que vous m’insultez (cherchez à me confondre), et que vous ne rougissez pas de m’accabler.
4 Quand je serais dans l’ignorance, mon ignorance ne regarde que moi.
5 Mais vous vous élevez contre moi, et vous tirez de mes humiliations une preuve contre moi.
[19.5 Vous m’accusez, etc. Vous prétendez que je suis coupable, parce que je souffre des opprobres.]
6 Comprenez au moins maintenant que ce n’est pas par un jugement de justice que Dieu m’a affligé et m’a entouré de ses fléaux (châtiments).
[19.6 Ce n’est pas en vertu d’un jugement de cette justice qui punit le crime et récompense la vertu que Dieu m’a affligé ; car je ne suis nullement coupable, comme vous l’entendez ; mais c’est en sa qualité de créateur tout-puissant et infiniment sage, qui traite ses créatures selon les desseins impénétrables de son infinie sagesse, et par conséquent sans qu’elles puissent comprendre ses desseins.]
7 Voici, je crie, souffrant violence, et personne ne m’écoute ; j’élève la voix, et on ne me rend pas justice.
8 Il a fermé de toutes parts mon sentier, et je ne puis plus passer ; et il a répandu des ténèbres sur mon chemin.
9 Il m’a dépouillé de ma gloire, et il m’a ôté la couronne de la tête.
10 Il m’a détruit de tous côtés, et je péris ; et comme à un arbre arraché, il m’a ôté toute espérance.
11 Sa fureur s’est allumée contre moi, et il m’a traité comme son ennemi.
12 Ses brigands (soldats) sont venus tous ensemble ; ils se sont frayé une route jusqu’à (au travers de) moi, et ils ont mis le siège autour de ma tente (mon tabernacle).
[19.12 Ils se sont faits un chemin au travers de moi ; c’est le sens littéral de la Vulgate qu’on explique généralement par ils m’ont foulé aux pieds, en disant que tel est le sens de l’hébreu et du grec ; mais on semble oublier que la préposition hébraïque et grecque qu’on traduit par sur, au-dessus de, signifie également contre, et que ce dernier sens convient beaucoup mieux ici. Ainsi le sens de la phrase qui paraît le plus naturel est : Ils se sont frayé un chemin contre moi.]
13 Il a éloigné de moi mes frères, et mes amis se sont détournés de moi comme des étrangers.
14 Mes proches m’ont abandonné, et ceux qui me connaissaient m’ont oublié.
15 Ceux qui demeuraient dans ma maison et mes servantes m’ont regardé comme un étranger (hôte passager).
16 J’ai appelé mon serviteur, et il ne m’a pas répondu ; je le suppliais (priais) de ma propre bouche.
17 Ma femme a eu horreur de mon haleine, et je priais les fils sortis de mon sein.
[19.17 Les enfants, etc. La plupart des interprètes pensent, d’après les Septante, qu’il s’agit ici des enfants que Job avait eus de ses femmes du second rang.]
18 Les (Des) insensés eux-mêmes me méprisaient, et à peine les avais-je quittés, qu’ils médisaient de moi.
19 Mes confidents d’autrefois m’ont eu en exécration, et celui que j’aimais le plus s’est détourné de moi.
20 Mes chairs étant consumées, mes os se sont collés à ma peau, et il ne me reste que les lèvres autour des dents.
21 Ayez pitié de moi, ayez pitié de moi, vous du moins, mes amis, car la main du Seigneur m’a frappé.
[19.21 Saint Grégoire dit que Job appelle encore ses amis ceux qui l’accablent par leurs injures, soit afin de les obliger par ce terme de tendresse à user d’une meilleure conduite à son égard ; soit pour s’exciter lui-même à regarder leurs injures comme utiles à son salut (Greg. Moral., LXIV, c. 23).]
22 Pourquoi me persécutez-vous comme Dieu, et vous rassasiez-vous de ma chair ?
[19.22 Pourquoi… vous rassasiez-vous de ma chair ? Pourquoi me calomniez-vous ou dites-vous du mal de moi ? Cette image se retrouve, sous des formes plus ou moins différentes, dans toutes les langues, quoique nous ne soyons pas habitués à la forme hébraïque. Un passage d’une lettre de Machiavel à Julien de Médicis permet de se rendre bien compte de cette figure de langage. « Je vous envoie, Julien, quelques grives… Si vous avez autour de vous quelqu’un qui se plaise à me mordre, vous pourrez lui en jeter une aux dents : en mangeant cet oiseau il oubliera de déchirer son prochain… De ma pauvre chair, mes ennemis tirent de bonnes bouchées. »]
23 Qui m’accordera que mes paroles soient écrites ? Qui me donnera qu’elles soient tracées dans un livre ;
[19.23 Un livre. C’est ainsi que porte la version grecque. A la vérité, l’hébreu lit le livre dans ce passage ; mais dans un des endroits parallèles, comme Isaïe, 30, 8 ; Jérémie, 30, 2, il n’a pas l’article déterminatif.]
24 qu’elles soient gravées sur une lame de plomb avec un style de fer, ou sur la pierre avec un ciseau (burin) ?
[19.24 On gravait des inscriptions sur le métal et sur la pierre dès une haute antiquité dans le pays que Job habitait.]
25 Car je sais que mon Rédempteur est vivant, et que je ressusciterai de la terre au dernier jour,
[19.25-27 Presque tous les Pères ont reconnu dans ces paroles de Job une profession de foi très claire à la résurrection des corps, et dans les premiers siècles de l’Eglise, après les persécutions, de pieux chrétiens ont fait graver sur leurs tombeaux cet acte de foi comme une expression de leur propre croyance.] [19.25 Mon Rédempteur. Ce Rédempteur est, selon le sentiment commun des Pères et des interprètes, le Fils de Dieu, qui doit juger tous les hommes à la fin du monde.]
26 et que je serai de nouveau revêtu de ma peau, et que dans ma chair je verrai mon Dieu.
27 Je le verrai (dois le voir) moi-même, et non un autre, et mes yeux le contempleront. Cette espérance repose dans mon sein.
28 Pourquoi donc dites-vous maintenant : Persécutons-le, et cherchons contre lui des prétextes pour le décrier ?
[19.28 Une parole fondamentale ; littéralement une racine, un fondement de parole, une parole radicale.]
29 Fuyez donc de devant le glaive, car il y a un glaive vengeur des iniquités, et sachez qu’il y a un jugement.

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