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Dans les nations de civilisation avancée, la loi ne laisse aucune place à l’exercice de la vengeance.
C’est à la justice, qui est entre les mains de l’État, qu’incombe le devoir de châtier les coupables. Chez les peuples plus arriérés, au contraire, le châtiment est infligé par celui qui a eu à souffrir de la part du criminel ; en cas d’homicide, le plus proche parent de la victime, ou sa famille entière, ou même son clan, suivant les cas, out le devoir sacré, en même temps que le droit, de tuer le meurtrier. Ce devoir est de ceux auxquels ni l’honneur ni la religion ne permettent de renoncer : il est voulu par la coutume, et la coutume est une loi divine.
Telles sont les mœurs qui régnaient en Israël et dont témoignent une foule de récits de l’Ancien Testament : vengeance de Gédéon (Juges 8.18-21), vengeance d’Absalom (2Sa 13.1-34), vengeance de Joab (2Sa 3.27), vengeances de David, exécutées par Salomon (1Ro 2.5-6, 8-9, 23-25, 28-35, 36-46), etc. Le parent chargé d’exercer les représailles était le « vengeur du sang » (2Sa 14, en particulier 2Sa 14.11).
Dans les temps les plus anciens, rien ne paraît avoir limité l’étendue que pouvait prendre la vengeance: Sous l’impulsion de la colère, dé la rancune ou de la haine, le vengeur pouvait frapper non seulement le meurtrier, mais un nombre indéterminé de ses proches : Lemek se vante de se venger soixante-dix-sept fois (Genèse 4.24) ; l’acte de vengeance peut être hors de proportion avec l’offense : le même Lemek tue un homme qui l’a blessé (Genèse 4.23) ; l’homicide accidentel, suscitait les mêmes représailles que le crime prémédité : le sang répandu appelait toujours une nouvelle effusion de sang, si bien que la bête de somme, elle-même, devait être abattue si elle avait tué un homme (Ex 21.28).
Cependant, à mesure que se développait l’esprit de justice, les lois, qui codifiaient la coutume, entreprenaient aussi de la modifier. Le plus ancien des codes israélites (celui qu’on appelle « le Livre de l’Alliance », Ex 21-23), spécifie qu’un homicide entraînera la mort du meurtrier seul (Ex 21.12) ; il veille, en même temps, à ce que le châtiment soit proportionné au crime : on ne se vengera pas d’une blessure en tuant le coupable, « vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, meurtrissure pour meurtrissure » (Ex 21.23-25), c’est ce qu’un appelle aujourd’hui, d’après les termes du droit romain, la loi du Talion. Le Livre de l’Alliance protège contre le vengeur du sang tout homme qui aura tué involontairement et lui ménage un lieu d’asile où il pourra se réfugier (Ex 21.13-14 ; voir le mot asile) ; enfin, il prévoit des cas où, une amende, payée devant les Juges pourra servir de compensation à certains délits (Ex 21.22,30.).
Mais la justice ne parvint jamais, en Israël, à se substituer entièrement à la coutume de la vengeance en assumant à elle seule le châtiment des coupables : les lois les plus récentes, celles qui datent d’après l’exil (et qu’on appelle « le Code Sacerdotal »), continuent à légitimer le rôle du vengeur du sang. Après avoir énuméré les cas où l’homicide doit être tenu pour un meurtre, ce code déclare, après chaque cas envisagé : « Le meurtrier sera puni de mort. » Mais on se tromperait en imaginant que la justice va étendre sa main sur le criminel et exécuter la sentence ; le texte continue, en effet, par ces mots : « Le vengeur du sang fera mourir le meurtrier ; quand il le rencontrera, il le tuera » (Nombres 35.16-21).
Plus tard encore, lorsque la justice sera rendue par les Sanhédrins (voyez ce mot) et que la peine de mort sera le plus souvent la lapidation, la sentence du tribunal continuera à être exécutée par l’accusateur : c’est lui qui devra jeter la première pierre sur la tête du condamné afin de le tuer le plus rapidement possible (Talmud de Babylone ; voyez aussi Deutéronome 13.9-10 ; 17.7 ; Jean 8.7 ; Ac 7.58).
Il ne faut pas s’étonner qu’au sein d’un peuple qui ne réussit jamais à séparer complètement le sentiment de la justice du sentiment de la vengeance, ce dernier ait toujours été, comme le premier, étroitement associé à la religion. Si quelques esprits, après l’Exil, ont su s’élever au-dessus de cette conception primitive comme le prouve, par exemple, cette prescription du Lévitique : « Tu ne te vengeras point..., tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Le 19.18), on voit partout, dans les écrits des prophètes comme dans ceux des psalmistes, qu’on fait appel indifféremment à la justice ou à la vengeance de Yahvé (Esa 34.8 ; 61.2 ; Jer 50.15 ; 51.6 ; Eze 25.14 ; Psaumes 58.11 ; 79.10 ; etc.). La religion justifiait donc, chez le pieux Israélite, le désir des justes représailles et pouvait inspirer les sauvages accents du Psaume 137 : « Fille de Babylone, la dévastée, heureux qui te rendra la pareille..., heureux qui saisira tes enfants et les écrasera sur le roc ! »
Il faudra attendre l’Evangile pour que la justice et l’amour condamnent à tout jamais le sentiment de la vengeance et proclament la bienveillance même pour les ennemis (Mt 5.21-26, 38-48). Et cette condamnation sera complète et définitive, en dépit du fait que de séculaires habitudes de langage ramènent parfois sur les lèvres des mots qui ne s’accordent plus avec le Message que l’on prêche (Luc 21.22 ; 18.7 ; 1Th 4.6).