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Cette pratique extrêmement ancienne date peut-être des temps préhistoriques, car les anciens Hébreux avaient conservé la tradition qu’on devait y employer des couteaux de pierre (Josué 5.2 ; Ex 4.5). Elle paraît avoir été, à l’origine, le rite d’initiation qui faisait de l’enfant mâle un homme véritable, digne de faire partie du clan et apte au mariage. Plus tard, l’usage se transforma et les garçons furent circoncis dès leur plus tendre enfance.
Mais la circoncision n’eut pas d’abord le caractère d’un signe distinctif du clan ou de la nation, car elle était commune à bien des peuples (Jer 9.25-26). Les anciens Israélites n’ont connu qu’un peuple d’incirconcis : les Philistins.
Il est difficile de dire si eux-mêmes ont toujours pratiqué ce rite. En effet,. on doit remarquer d’abord que toutes les vieilles traditions s’accordent à parler de son introduction en Israël ; elles ne. diffèrent que sur la date de cette introduction : l’une la place lors de l’arrivée du peuple en Canaan (Josué 5, où tout un développement du rédacteur du livre a pour but de mettre ce récit en harmonie avec ceux que nous allons encore citer) ; une seconde tradition fait remonter le rite à l’époque de Moïse, Moïse lui-même étant représenté comme incirconcis (Ex 4.24-26) ; plus tard enfin on le fit remonter jusqu’au temps d’Abraham (Genèse 34).
Il faut remarquer encore, dans le même ordre d’idées, que les lois les plus anciennes d’Israël ne font aucune mention de la circoncision, sans qu’on sache exactement s’il faut conclure de ce silence que la coutume n’avait pas encore été adoptée à cette époque, ou simplement qu’elle n’intéressait pas le législateur. Il semble bien, en tous cas, qu’elle était loin d’être alors, comme elle le fut plus tard, le symbole national et religieux du peuple. Elle pouvait, du fait de son caractère purement social et peut-être aussi du fait de son universelle application, ne pas figurer dans des codes de lois dont le but essentiel fut toujours d’acclimater au sein du peuple des pratiques nouvelles ou de rendre générales et incontestées des pratiques en voie d’acclimatation. La loi est réformatrice et ne s’occupe pas de ce qui a cause gagnée.
Il importe de remarquer enfin que les prophètes ne reconnaissent à la circoncision aucun caractère religieux. Jérémie n’établit aucune différence entre la circoncision d’Israël et celle des autres peuples : « Voici, les jours viennent, dit Yahvé, où je châtierai tous les circoncis qui ne le sont pas de cœur, l’Egypte, Juda, Edom, les enfants d’Ammon et Moab » (Jer 9.25-26). Il dit : « Circoncisez-vous à Yahvé » (Jer 4.4), comme si le rite pratiqué en Israël n’avait aucun rapport avec le culte. Et l’on sait ce que Jérémie entendait par la vraie circoncision : en opposition avec le rite tout extérieur, le prophète réclame la pureté morale : « Circoncisez vos cœurs, hommes de Juda et habitants de Jérusalem » (Jer 4.4). Et la même pensée se retrouve dans d’autres textes d’inspiration prophétique (Deutéronome 10.16 ; 30.6).
Toutes ces remarques semblent bien nous amener à la conclusion que la circoncision eut d’abord un caractère plus social que religieux.
Ce caractère social était destiné à s’effacer par la suite. C’est ce qui se produisit au temps de l’exil, quand les Juifs se trouvèrent en contact journalier avec des peuples incirconcis, Assyriens, Babyloniens et Perses, au milieu desquels leur pratique de la circoncision, comme celle du sabbat (voyez ce mot) constitua leur marque distinctive essentielle, le signe particulier, gravé dans la chair, de leur alliance avec Yahvé. Et la loi de ces temps nouveaux fera de la circoncision et du sabbat les deux exigences capitales du Dieu d’Israël. Il sera interdit, par exemple, de participer effectivement à la Pâque si l’on n’a pas reçu la circoncision, interdiction qui vise particulièrement l’esclave (Ex 12.44) et l’étranger (Ex 12.48 : voyez ces deux mots).
A l’époque gréco-romaine — et par conséquent au temps de Jésus et des apôtres — la circoncision était exigée des prosélytes (voyez ce mot). Et ce fait est à l’origine de la crise si grave qui menaça de compromettre l’oeuvre de l’apôtre Paul et à laquelle, par suite, furent suspendues, pendant un temps, les destinées mêmes du christianisme. Deux doctrines, passionnément soutenues l’une et l’autre, s’affrontaient : pour l’apôtre Paul, un païen devenait chrétien par le seul fait de sa foi au Christ et il ne pouvait être question d’exiger de lui aucune autre condition à son admission dans l’Eglise ; pour les adversaires de l’apôtre, juifs convertis à l’Evangile comme Paul mais non pas libérés comme lui de la Loi, le christianisme demeurait comme une secte ou un parti à l’intérieur du judaïsme. Ces judéo-chrétiens, comme on les a appelés, ne concevaient donc pas qu’un païen pût se convertir à l’Evangile sans devenir juif, ou, plus exactement, sans faire acte de prosélyte et sans s’assujettir par là à observer la Loi et d’abord à accepter la circoncision.
C’est ainsi qu’aux environs de l’an 50 l’Eglise de Jérusalem n’est guère autre chose qu’une secte de messianistes juifs, alors même que se développe hors d’elle, avec une extraordinaire puissance, la mission de l’apôtre Paul parmi les païens. Des Eglises nouvelles naissent partout, ardentes et pleines de foi, qui grandissent et qui essaiment sans se soucier du judaïsme, inconscientes de la crise qui va éclater. Mais les judéo-chrétiens de Jérusalem apprennent l’existence de ces étranges sociétés de chrétiens qui ignorent la religion d’Israël et sont des incirconcis ! Evidemment, ils hésitent à entrer en lutte contre les Eglises de Paul, car enfin ces Eglises se réclament, elles aussi, de Jésus, et l’on ne peut contester qu’elles soient zélées et, conquérantes. On ne sait exactement, à Jérusalem, quelle attitude il convient de prendre à leur égard. On discute : il y a des hésitants et il y a des intransigeants. Mais ce sont finalement les intransigeants qui l’emportent.
La conférence de Jérusalem, où Paul rend compte de sa mission et expose ses principes (Galates 2.1-10) semble aboutir à un accord et mettre fin à la crise. Il n’en est rien cependant, car les intransigeants n’ont pas désarmé. Et c’est alors, précisément, qu’ils commencent les hostilités. Leur action fut facilitée par le fait que la plupart des Eglises fondées par l’apôtre en pays païens contenaient un élément plus ou moins important de juifs convertis à l’Evangile. Circoncis et incirconcis y vivaient en paix parce que la question de la Loi n’était posée par personne. Mais que quelqu’un vint à la poser, et la paix, en même temps que la vie même des Eglises, pouvait être sérieusement menacée. C’est précisément ce qui arriva : les intransigeants de Jérusalem envoyèrent des délégués aux Eglises de Galatie, réussirent à les diviser et furent bien près de les arracher à l’influence de Paul. Paul ne remporta sans doute la victoire définitive que par l’arme merveilleusement acérée que fut entre ses mains la lettre qu’il écrivit aux Galates. Il suffit de la lire pour se convaincre qu’elle tourne tout entière autour de la question de la circoncision.
Une lutte analogue recommença un peu plus tard à Corinthe, mais il semble que les adversaires de Paul, instruits par leur défaite en Galatie, n’aient pas osé porter tout de suite leurs polémiques sur la question de la circoncision ; il serait temps pour eux d’aborder ce point capital une fois la victoire remportée ; et c’est sans doute parce qu’il a deviné cette tactique que l’apôtre les accuse de fausseté et de dissimulation (2Co 11.13). Ici encore, la victoire fut à l’apôtre. Et ce fut la victoire définitive. La question de la circoncision ne fut plus jamais posée. L’Evangile de la foi et de la liberté était sauvé.