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Le sabbat était le septième jour de la semaine des Israélites et leur jour de repos. La nature de l’observation du sabbat a varié suivant les époques. Les textes législatifs les plus anciens (entre autres Ex 33.12 ; De 5.12-15) et, d’une manière générale, toutes les lois antérieures à l’exil considèrent le sabbat comme un jour consacré à Yahvé et marqué, comme toutes les fêtes religieuses (Am 8.5), par la cessation du labeur quotidien et en particulier des travaux agricoles, repos dont le caractère rituel ne voile nulle part, dans ces textes primitifs, la portée sociale et humaine : « Tu te reposeras afin que ton bœuf et ton âne aient du repos, afin que le fils de ton esclave et l’étranger aient du relâche » (Ex 23.12), « afin que ton serviteur et ta servante se reposent comme toi » (De 5.14). L’interruption du travail de la semaine n’était pas encore confondue avec la cessation de toute activité. L’Israélite pieux profitait volontiers du sabbat pour seller son âne et aller consulter « l’homme de Dieu » (2 Rois 4.23). On n’avait pas encore imaginé que toute course ou toute promenade fût en ce jour une offense à Yahvé.
Le caractère du sabbat se transforma après l’exil. Déjà, la législation deutéronomique du VIIe siècle, en abolissant tous les sanctuaires d’Israël, à l’exception de celui de Jérusalem, c’est-à-dire en extirpant de la vie religieuse du peuple des campagnes tous les rites, toutes les fêtes, réservées désormais à la capitale, avait singulièrement accru l’importance du sabbat. Pour le paysan ou le citadin éloigné de Jérusalem, le jour du repos hebdomadaire devenait le signe à peu près unique de sa fidélité au Dieu d’Israël. Cette importance nouvelle du sabbat permit à l’institution de survivre à la destruction du Temple et à la catastrophe de l’exil. L’Israélite déporté, comme le provincial des temps qui avaient précédé, s’attacha au sabbat avec d’autant plus de force qu’il ne possédait plus guère, dans le monde païen où il se trouvait perdu, que cette seule marque de son attachement à la religion de ses pères. C’est ainsi que le sabbat prit tout naturellement une importance très grande dans la vie religieuse de l’exil, et qu’à partir de cette époque il fut considéré comme le vrai signe de l’alliance entre Israël et Yahvé (Eze 20.12). Le caractère social et humain qu’avait le sabbat en Israël avant l’exil disparut alors dans la glorification de son caractère divin. Le sabbat n’est plus qu’un jour sanctifié par Yahvé et qui, par suite, doit lui appartenir fout entier. En consacrer la moindre partie au travail, c’est offenser Dieu : toute espèce de travail devient donc un péché extrêmement grave en ce jour. Les textes de loi postérieurs à l’exil ne donnent plus qu’un motif théologique au repos du sabbat c’est qu’après la création Dieu s’est r posé le septième jour. Il faut cesser travail parce que Dieu l’a ordonné ainsi La loi continuera donc d’interdire le travail sabbatique pendant les semailles et les moissons (Ex 34.21) ; mais elle interdira également les occupations normales du ménage : ramasser le bois, cueillir les légumes (Ex 16.22 ; No 15.32), allumer le feu pour la cuisson des aliments (Ex 35.3), etc.
A l’époque où vivait Jésus, le sabbat n’était pas réglementé seulement par ces textes de loi que nous retrouvons dans la Bible, mais par les innombrables commentaires qu’y avaient ajoutés les Docteurs de la Loi ou Scribes (voir ce dernier mot). Ces commentaires eurent bientôt plus d’autorité que la Loi elle-même. On les jugeait indispensables à qui voulait observer fidèlement le sabbat. Les interdictions de la loi paraissaient trop vagues. Une certaine activité était évidemment impossible à proscrire, même pendant le sabbat : on pouvait se lever, se vêtir, manger, aller à la Synagogue. Il fallait, pensait-on, savoir au juste ce qui était permis et ce qui était défendu, afin de ne pas rompre, sans le vouloir, l’alliance avec le Dieu d’Israël. Les docteurs de la Loi s’efforcèrent de dissiper les doutes et les indécisions des fidèles les plus scrupuleux. Ils formulèrent une réglementation d’une incroyable minutie. Trente-neuf espèces de travaux étaient interdits. Nous n’en citerons que quelques-uns, les moindres : faire deux points (un seul ne constituerait pas un péché), tisser deux fils, détacher deux fils, faire un nœud, le défaire, écrire deux lettres de l’alphabet, allumer ou éteindre le feu, porter un objet d’un endroit à un autre, etc.
On pourrait estimer qu’il était difficile d’être plus précis. Cependant, chacune de ces interdictions était encore entourée d’explications copieuses. Certain rabbin disait qu’il n’y avait pas péché si l’on pouvait défaire le noeud d’une seule main. Certains noeuds, d’ailleurs, devaient être permis, comme ceux des chaussures ou sandales. Vous pouvez également écrire deux lettres de l’alphabet, sans péché, à condition que ce soit sur deux feuilles d’un livre et qu’on ne puisse les lire ensemble ; mais si vous les écrivez sur deux pans de mur faisant un angle, il suffit qu’on puisse les lire ensemble pour que vous ayez enfreint le sabbat. On pourrait allonger démesurément la liste de ces exemples. Ceux qui viennent de passer sous les yeux suffisent à donner une idée du formalisme insensé et de la ridicule casuistique auxquels aboutissait, entre les mains des scribes, l’observation rigoriste du sabbat.
Ce rigorisme, que beaucoup de Pharisiens (voir ce mot) poussaient à l’extrême, conduisait tout naturellement à cette hypocrisie que Jésus condamnait avec sévérité chez ses adversaires. A côté des Pharisiens, intraitables observateurs du sabbat, se rencontraient des Pharisiens plus libéraux qui comprenaient la puérilité de certaines prescriptions. Mais ceux là même n’osaient pas les violer ouvertement : ils mettaient toute leur habileté à les tourner. Il était interdit de porter un objet d’une maison à une autre, ce qui pouvait être bien gênant entre amis voisins. On imaginait donc de faire communiquer les maisons entre elles par leurs cours intérieures pour qu’on pût considérer toutes les habitations ainsi reliées les unes aux autres comme une seule maison divisée en plusieurs logements.
Ce qui était également grave; c’est que la stricte observation du sabbat était. inhumaine. Le soin des malades était interdit (Mat 12.9-10 ; Marc 3.1-5 ; Luc 6.6-10 ; 13.10-17 ; 14.1-6 ; Jean 5.1-16 ; 9.14,16). On était plus pitoyable pour les animaux que pour les êtres humains (Luc 13.15 et suiv.).
Enfin, la conséquence de ce rigorisme était de dépasser la mesure du possible. Une grande partie du petit peuple de Galilée ou de Judée avait abandonné depuis longtemps toute prétention à être en règle avec la Loi des Scribes, et comme ils étaient, pour cette seule raison, profondément méprisés des Pharisiens, traités de « gens de mauvaise vie », ils vivaient eux-mêmes dans le sentiment déprimant d’être « hors la loi » ; séparés à jamais des chefs religieux de la nation. Et c’est à eux que va la pitié de Jésus, car ils sont « languissants et abattus, comme des brebis qui n’ont point de berger » (Mt 9.36).