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Fils d’Elcana et d’Anne (1 Samuel 1.1-3), de la tribu de Lévi, et de la famille de Caath (1 Chroniques 6.19), fut prophète et juge d’Israël pendant plusieurs années. La demeure de son père fut Ramatha de Zophim, ou la ville de Ramatha, habitée par les lévites de la famille de Zoph ou Zuph un des descendants de Caath (1 Chroniques 6.26). Samuel lui-même y demeura la plus grande partie de sa vie. Ramatha était dans les montagnes d’Éphraïm, entre Béthel et Gabaa. Voyez ci-devant Ramatha. On dispute si Samuel a été prêtre. Quelques anciens ont cru qu’il avait été de la race d’Aaron, et qu’il avait exercé les fonctions de grand prêtre. Il portait l’éphod (1 Samuel 2.18), il a sacré deux rois, Saül et David ; il a offert des sacrifices, même hors du tabernacle. Le Psalmiste le met au rang des prêtres (Psaumes 98.6) : Moïse et Aaron sont parmi ses prêtres, et Samuel parmi ceux qui invoquent son nom. Josèphe dit que Samuel apparut à Saül dans un habit sacerdotal. On ne voit personne dans la famille du grand prêtre Héli, après la mort d’Ophni et de Phinées, qui ait pu exercer les fonctions sacerdotales. Il est donc très-probable que ce fut Samuel qui en fit les fonctions jusqu’à la majorité des petits fils d’Héli.
Mais on répond que Samuel n’ayant point été de la race d’Aaron, il n’y a aucune apparence qu’il ait jamais été grand prêtre. S’il a porté l’éphod et sacré des rois, et même sacrifié en quelque cas extraordinaire, cela ne prouve pas qu’il ait été prêtre. David a bien porté l’éphod (2 Samuel 6.14), Gédéon et Saül ont aussi sacrifié (1 Samuel 13.9-10 Juges 6.18) ; quelques prophètes ont sacré des rois (1 Rois 19.15-16) ; Samuel est mis au nombre de ceux qui invoquent le Seigneur, c’est-à-dire, au nombre des lévites ; et si l’on veut qu’il soit mis au rang des prêtres, il faut prendre le nom de prêtres dans un sens général, pour marquer tous ceux qui sont employés au service du Seigneur, et qui font l’office de médiateurs entre Dieu et le peuple nnfin, dans cette question comme en beaucoup d’autres, on oppose autorité à autorité, et on cite des anciens et des modernes qui nient expressément qu’il ait été prêtre. Quant à l’âge des enfants d’Ophni et de Phinées, on n’a rien de certain sur cela ; et s’il fallut chercher un homme pour faire les fonctions de grand prêtre, on prit plutôt un prêtre qu’un simple lévite.
Venons maintenant à la vie de Samuel. Elchana, son père, avait deux femmes, dont l’une s’appelait Phénenna, et l’autre Anne. Phénenna avait des enfants, et Anne était stérile. Elchana aimait tendrement Anne, et souffrait impatiemment qu’elle n’eût point d’enfants. Un jour, étant allé avec toute sa famille à Silo, où était l’arche du Seigneur (1 Samuel 1.1-3), il y offrit des sacrifices pacifiques, et en fit un festin à ses femmes et à ses enfants. Anne, qui se voyait seule, pendant que Phénenna était au milieu d’une troupe d’enfants, se mit à pleurer, et s’étant levée de table, alla au tabernacle et répandit sou cœur devant le Seigneur. Le grand prêtre Héli l’entendant parler assez haut, crut qu’elle avait bu ; mais Anne lui découvrit la douleur dont elle était remplie, et fit vœu, si Dieu lui donnait un fils, de le consacrer à son service tous les jours de sa vie, de lui faire observer les lois du nazaréat, et de ne permettre pas que le rasoir passât jamais sur sa tête. Héli la bénit, et pria Dieu de lui accorder l’effet de sa prière.
Étant retournée à Ramatha, elle conçut et enfanta un fils, à qui elle donna le nom de Samuel (1 Samuel 1.19-20), disant : Je l’ai demandé au Seigneur. Quelques années après, l’enfant étant sevré, elle l’amena à Silo, en la maison du Seigneur, avec une offrande de trois veaux, de trois mesures de farine et de trois bathes de vin. Elle fit son offrande à Dieu, el dit au grand prêtre qu’elle était cette femme pour laquelle il avait prié le Seigneur quelques années auparavant. Voyez l’article d’Anne. Le jeune Samuel servait dans le tabernacle, autant que son âge le lui permettait (1 Samuel 2.18-20). Il était vêtu d’un éphod de lin, et sa mère lui faisait une petite tunique de lin, qu’elle lui apportait aux jours solennels, lorsqu’elle venait avec son mari pour offrir leurs sacrifices.
Or Héli était extrêmement vieux, et sa vue était tellement baissée, qu’il ne voyait plus. Ayant appris les dérèglements de ses deux fils Ophni et Phinées, il n’eut pas la foire de les réprimer, ni de leur faire réparer le scandale qu’ils donnaient à tout Israël. Un jour que Samuel était couché dans sa chambre, près du tabernacle du Seigneur (1 Samuel 3.1-3), il ouït une voix qui l’appela de très-grand matin, et avant qu’on eût éteint les lampes du chandelier d’or qui brûlait dans le saint, vis-à-vis de la porte du sanctuaire. Samuel, croyant que c’était la voix d’Héli, courut promptement vers lui, et lui dit : Me voici ; car vous m’avez appelé. Héli lui dit : Je ne vous ai point appelé, mon fils ; retournez et dormez. Samuel s’en alla et se rendormit. La même chose arriva jusqu’à trois fois ; et la troisième fois, Héli, jugeant qu’il y avait là quelque chose de surnaturel, renvoya Samuel et lui dit : Allez et dormez ; et si on vous appelle encore une fois, répondez : Parlez, Seigneur, parce que votre serviteur vous écoute.
Il s’en retourna ; et le Seigneur l’ayant encore appelé, il dit : Parlez, Seigneur, parce que votre serviteur vous écoute. Alors le Seigneur lui dit : Je vais faire une chose dans Israël, que nul ne pourra entendre que les oreilles ne lui en retentissent. J’accomplirai tout ce que j’ai résolu contre Héli et contre sa maison, parce que sachant l’iniquité de ses fils, il ne les en a pas repris. C’est pourquoi j’ai juré que l’iniquité de cette maison ne sera jamais expiée, ni par des victimes, ni par des offrandes. Lorsqu’il fut jour, Héli fit venir Samuel, et l’obligea de lui découvrir tout ce que le Seigneur lui avait dit. Samuel lui raconta tout, sans rien lui cacher ; et Héli répondit : Il est le Seigneur ; qu’il fasse tout ce qui est agréable à ses yeux. Alors tout Israël reconnut que Samuel était le fidèle prophète du Seigneur ; et tout ce qu’il annonça, tant à Héli qu’au peuple, fut toujours suivi de l’exécution.
Nous avons raconté ailleurs la manière dont l’arche du Seigneur fut prise par les Philistins, la mort du grand prêtre Héli, et celle de ses deux fils Ophni et Phinées, la manière dont l’arche du Seigneur fut renvoyée à Bethsamès, et de là placée à Cariathiarim. On peut voir cela raconté au long dans le premier livre des Rois, chapitre 4, 5 et 6.
Après la mort du grand prêtre Héli (1 Chroniques 7.3-4), Samuel fut reconnu par tout Israël pour juge et pour gouverneur du peuple. Ce fut apparemment dans l’assemblée qui se fit casion du transport de l’arche, de la ville de Bethsarnès à celle de Cariath-Iarim. Alors Samuel dit au peuple : Si vous revenez au Seigneur de tout votre cœur, ôtez du milieu de vous les dieux étrangers et préparez vos cœurs à ne servir que le Seigneur, et, il vous délivrera de tous vos ennemis. Les enfants d’Israël renoncèrent donc à tous les dieux étrangers, et s’attachèrent au service du seul dieu de leurs pères. Samuel convoqua ensuite une autre assemblée à Masphath, où tout le peuple se trouva en armes. Samuel pria pour eux, Ils jeûnèrent, ils prièrent, ils répandirent de l’eau devant le Seigneur, ils confessèrent leurs péchés, et Samuel les jugea au même endroit. Les Philistins, ayant appris qu’Israël était assemblé à Masphath, marchèrent contre eux. Samuel invoqua le Seigneur et offrit en sacrifice un agneau qui tetait encore. Le combat étant commencé, on entendit tin bruit effroyable de tonnerre, qui jeta le trouble parmi les Philistins. Ils prirent la fuite, et Israël les poursuivit jusqu’au-dessous de Bethcar. La défaite fut grande, et ils n’osèrent plus revenir de longtemps sur les terres d’Israël ; car l’a main du Seigneur fut sur eux, tant que Samuel gouverna le peuple, et les Philistins furent obligés de rendre les villes qu’ils avaient prises sur les Israélites.
Or Samuel avait environ quarante ans, lorsqu’il commença à juger Israël. Il le jugea tout le temps de sa vie (1 Samuel 7.15) ; car, sous le règne de Saül, il conservera beaucoup d’autorité à l’égard de tout le peuple, et à l’égard de Saül lui-même. Il allait tous les ans à Béthel, et de là à Galgal, et ensuite à Masphath, puis il retournait dans sa maison à Itainatha, et rendait ainsi la justice à Israël. Il bâtit même un autel à Raniatha, tant pour satisfaire à sa propre dévotion, que pour entretenir la religion du peuple, qui y venait de tous côtés pour le consulter et pour subir son jugement. Lorsqu’il fut devenu vieux, il établit ses fils pour juges sur Israël (1 Samuel 8.1-3), et ils exerçaient la charge de juges dans Bersabée, ville située à l’extrémité méridionale du pays de Chanaan ; mais, au lieu de marcher sur les traces de leur père, ils se laissèrent gagner par les présents et corrompre par l’avarice, et rendirent des jugements injustes.
Alors tous les anciens d’Israël vinrent trouver Samuel, et lui dirent (1 Samuel 8.4-6) : Vous voyez que vous êtes devenu vieux, et que vos enfants ne marchent pas dans vos voies ; établissez donc sur nous un roi, comme en ont toutes les nations, afin qu’il nous juge. Cette proposition déplut à Samuel, et il s’adressa à Dieu par la prière. Le Seigneur lui dit : Écoutez la voix de ce peuple, et donnez-leur ce qu’ils demandent ; car ce n’est pas vous, c’est moi qu’ils rejettent, afin que je ne règne point sur eux : mais déclarez-leur quel sera le droit du roi qui les dominera. Samuel répondit à ceux qui lui avaient parlé, que le Seigneur ne s’opposait point à ce qu’ils eussent un roi, mais que ce roi prendrait leurs enfants pour s’en servir dans la guerre et dans sa maison, qu’il exigerait d’eux des corvées et des travaux tant à la ville qu’à la campagne ; qu’il prendrait leurs filles pour en faire ses parfumeuses, ses cuisinières et ses boulangères ; qu’il leur ferait payer la dîme de leurs blés, de leurs vignes et de leurs troupeaux ; qu’alors ils crieraient au Seigneur, et que le Seigneur ne les écouterait point. Ces raisons ne louchèrent point les Israélites ; ils persistèrent à vouloir avoir un roi, et Dieu dit à Samuel qu’il leur en donnât un.
Peu de temps après (1 Samuel 9 1 Samuel 10), Saül, fils de Cis, étant allé chercher les ânesses de son père, vint pour consulter Samuel sur ces ânesses ; mais le prophète lui apprit que Dieu le destinait pour roi à son peuple, et lui donna l’onction royale, ainsi que nous le dirons plus amplement ci-après, sous l’article de Saül. Après cela, Samuel fit assembler tout le peuple à Masphath, afin de procéder à l’élection d’un roi. Il fit jeter le sort séparément sur toutes les douze tribus, et le sort tomba sur la tribu de Benjamin. Il le jeta ensuite sur les familles de cette tribu, et il tomba sur la famille de Métri ; enfin il tomba sur la personne de Saül, fils de Cis. On le chercha aussitôt, mais il no se trouva point. On courut au lieu où était le bagage, parce qu’il s’y était caché, et on l’amena au milieu du peuple ; et Samuel leur dit : Vous voyez quel est celui que le Seigneur a choisi, et qu’il n’y en a point dans tout le peuple qui lui soit semblable. Il écrivit ensuite la loi du royaume, en fit lecture à tout le peuple, et congédia l’assemblée.
À peine un mois s’était passé depuis l’élection de Saül, qu’arriva la guerre des Ammonites contre Jabès, ville du pays de Galaad (f). Saül, à la tête de tout Israël, marcha contre les Ammonites et délivra Jabès (Voyez Sam, et Jabès). Au retour de cette expédition, Samuel dit au peuple : Allons à Galgala, et y renouvelons l’élection du roi. On y alla, un reconnut de nouveau Saül pour roi, on y offrit des sacrifices pacifiques, et on y fit une très-grande réjouissance. Alors Samuel parla au peuple assemblé (1 Samuel 12.1-2), et lui demanda s’il avait quelque plainte à faire contre lui. Le peuple répondit qu’il n’avait rien à dire contre sa conduite. Samuel continua, et leur dit : Le Seigneur m’est donc témoin aujourd’hui, et son roi m’est témoin aussi, que vous n’avez rien trouvé dans mes mains. Ils en sont témoins, répondit le peuple. Samuel leur dit ensuite, que Dieu leur ayant accordé un roi ainsi qu’ils l’avaient demandé, c’était à eux à demeurer soumis et fidèles au Seigneur ; que s’ils le faisaient, Dieu les comblerait de bénédictions, eux et leur roi ; que si, au contraire, ils abandonnaient le Seigneur, la main de Dieu serait sur eux, comme elle avait été, sur leurs pères. Il ajouta : N’est-il pas à présent la moisson du froment, temps auquel rien n’est plus rare que de voir tomber la Pluie dans la Palestine ? Et cependant je vais invoquer le Seigneur, et il va faire éclater les tonnerres et tomber les pluies, afin que vous sachiez combien est grand devant le Seigneur le mal que vous vous êtes fait en demandant un roi.
En même temps il cria au Seigneur, et le seigneur fit éclater les tonnerres et tomber la pluie en abondance ; ce qui remplit le peuple de frayeur, lui fit demander pardon à Dieu de la faute qu’il venait de faire en lui demandant un roi. Samuel les exhorta à demeurer fidèles au Seigneur, et leur promit qu’il ne cesserait point de prier pour eux, et de leur enseigner la bonne et la droite voie. Après cela, chacun se retira dans sa maison ; et voilà ce qui se passa la première année du règne de Saül.
La seconde année qui suivit son élection, il choisit trois mille hommes de bonnes troupes (1 Samuel 13.1-3), dont il retint deux mille avec loi, pour chasser les garnisons que les Philistins avaient à Machmas et à Béthel, et il donna les autres mille hommes à Jonathas, son fils, afin qu’il chassât les Philistins qui occupaient le poste de Gaba. Jonathas leur fit quitter ce poste, et Saül, voulant profiter de ce premier avantage, convoqua tout le Peuple à Galgal. Les Philistins, de leur côté, s’assemblèrent en armes à Machmas au nombre de trente mille chariots, six mille chevaux et une multitude innombrable de gens de pied. Alors les Israélites, qui étaient à Galgal avec Saül, furent saisis de frayeur et se sauvèrent, qui d’un côté, qui d’un autre. Saül, après avoir attendu Samuel pendant six jours à Galgal, et voyant, le septième jour, qu’il ne venait point, il se fit apporter les victimes et offrit l’holocauste.
À peine avait-il achevé son sacrifice, que Samuel arriva. Saül alla au-devant de lui pour le saluer (1 Samuel 13.9-10) ; Samuel lui dit : Qu’avez-vous fait ? Saül lui dit que, s’étant vu pressé par les Philistins, et presque entièrement abandonné de ses troupes, il avait offert l’holocauste. Samuel lui répondit Vous avez fait une folie. Si vous eussiez observé le commandement du Seigneur, le Seigneur aurait affermi votre règne pour jamais sur Israël : mais votre règne ne subsistera pas ; le Seigneur a cherché un homme selon son cœur, pour le mettre à la téte de son peuple. De là Samuel alla à Gabaa, et Saül l’y suivit avec ses troupes qui n’étaient plus qu’au nombre de six cents hommes. Ce fut cependant avec ce petit nombre de soldats que Saül battit les Philistins, ainsi que nous l’avons dit sous l’article de Jonathas, et qu’on le verra sous le titre de Saul, et comme on le peut voir aux chapitres 14 du premier livre des Rois.
Après cela, Samuel vint, de la part de Dieu, dire à Saül d’aller faire la guerre aux Amalécites (1 Samuel 15) Taillez-les en pièces, lui dit-il ; n’épargnez personne, détruisez tout et dévouez tout à l’anathème, depuis l’homme jusqu’à la femme, et jusqu’aux enfants, même ceux qui sont à la mamelle, jusqu’aux bœufs, aux chameaux, aux brebis et aux ânes. Saül marcha donc contre Amalec, le tailla en pièces, et saccagea tout son pays ; mais il épargna tout ce qu’il y avait de plus beau et de meilleur, tant dans les meubles q ue dans les animaux. Alors Dieu dit à Samuel : Je me repens d’avoir fait Saül roi, parce qu’il m’a abandonné, et qu’il a violé mes ordres.
Samuel en fut attristé, et cria au Seigneur toute la nuit. Le lendemain, il vint trouver Saül à Galgal, où il offrait un sacrifice des prémices qu’il avait prises sur Amalec. Saül le salua, et lui dit : J’ai accompli la parole du Seigneur. D’où vient donc, dit Samuel, ce bruit de troupeaux de brebis et de bœufs qui retentit à mes’ oreilles ? Saül répondit : Le peuple a amené ce qu’il y a de meilleur, pour en faire des sacrifices au Seigneur son Dieu.
Samuel lui reprocha fortement sa désobéissance. Saül voulut s’excuser en rejetant la faute sur le peuple ; mais Samuel lui répondit : Sont-ce les holocaustes et les victimes que le Seigneur demande ? L’obéissance est meilleure que les sacrifices : mais c’est un crime égal à la magie que de lui désobéir, et lui résister est comme le péché d’idoldtrie. Comme donc vous avez rejeté la parole du Seigneur, le Seigneur aussi vous a rejeté, et ne veut plus que vous soyez roi.
Saül dit à Samuel : J’ai péché par ma trop grande complaisance pour le peuple ; mais portez, je vous prie, mon iniquité et revenez avec moi, afin que j’adore le Seigneur. Samuel lui répondit : Je n’irai point ; et en même temps il se tourna pour s’en aller : mais Saül le prit par le haut de son manteau, qui se déchira entre ses mains. Alors Samuel lui dit : C’est ainsi que le Seigneur arrachera le royaume d’entre vos mains pour le donner à un autre, qui vaut mieux que vous. Saül lui dit : J’ai péché ; mais honorez-moi devant les anciens de mon peuple et devant Israël, et revenez avec moi, afin que j’adore le Seigneur. Samuel le suivit et revint au camp de Galgal. Alors il se fit amener Agag, roi d’Amalec, à qui l’on avait conservé la vie, et que l’on avait conduit à Galgal avec le reste du butin. Samuel le coupa en pièces et lui dit : Comme votre épée a ravi les enfants à tant de mères, ainsi votre mère parmi les femmes sera sans enfant. Samuel s’en retourna ensuite à Ramatha, et Saül s’en alla à sa maison à Gabaa. Depuis ce jour, Samuel ne vit plus Saül ; mais il le pleurait sans cesse, parce que le Seigneur l’avait rejeté, et se repentait de l’avoir établi roi.
Quelques années après, le Seigneur dit à Samuel (1 Samuel 16.1-3) Jusqu’à quand pleurerez-vous Saül ? Allez à Bethléem, et donnez l’onction royale à un des fils d’Isaïe, que j’ai choisi pour étre roi de mon peuple. Samuel répondit : Comment irai-je ? Saül l’apprendra, et il me fera mourir. Le Seigneur lui dit : Allez-y comme pour sacrifier ; vous inviterez Isaie au festin de la victime, et je vous montrerai celui que vous devez sacrer. Samuel alla donc à Bethléem, et tous les anciens du lieu vinrent au-devant de lui par honneur. Il les invita au festin du sacrifice qu’il allait offrir. Lorsqu’il fut entré chez Isaïe, il fit venir tous les fils de ce bon vieillard, et lorsqu’ils furent arrivés, Samuel voyant Éliab, qui était l’aîné, dit intérieurement au Seigneur : Est-ce là celui que mon Seigneur a choisi pour être son oint ? Le Seigneur lui répondit : N’ayez égard ni à la bonne mine, ni à la taille avantageuse ; ce n’est pas celui-là que j’ai choisi je ne juge pas des choses par ce qui en paraît au dehors, j’en juge par le fond du cœur. Isaïe fit venir ensuite ses sept fils les uns après les autres ; mais Samuel lui dit : Le Seigneur n’en a choisi aucun de ceux-ci. Isaïe dit qu’il en avait encore un petit qui gardait les brebis. Faites-le venir, dit Samuel ; car nous ne nous mettrons point à table qu’il ne soit arrivé. Ce huitième fils d’Isaïe était David. On l’envoya donc querir à la campagne, et aussitôt qu’il fut venu, le Seigneur dit à Samuel : Sacrez-le présentement ; car c’est celui-là. Samuel versa sur sa tête l’huile qu’il avait apportée ; et dès ce jour-là l’Esprit du Seigneur se reposa sur David et se retira de Saül.
Samuel étant retourné à Ramatha y demeura le reste de sa vie avec les prophètes qui vivaient en communauté sous sa conduite. Plusieurs années après, David, ayant encouru la disgrâce de Saül et s’étant à peine tiré de ses mains, vint se réfugier auprès de Samuel à Ramatha (1 Samuel 19.18-20). Il lui raconta la manière dont Saül l’avait traité, et ils s’en allèrent ensemble à Najoth, où il demeurèrent quelque temps. On en vint donner avis à Saül, qui envoya incontinent de archers prendre David ; mais les archer ayant trouvé Samuel qui prophétisait au milieu d’une troupe de prophètes, ils furent saisis de l’Esprit de Dieu, et se mirent à prophétiser avec eux, c’est-à-dire, à faire certains mouvements extraordinaires, et à proférer certaines paroles, comme font les prophètes durant leur enthousiasme. Saül l’ayant appris, y en envoya encore une seconde et troisième troupe, qui se mirent de même à prophétiser. Enfin il y vint lui-même, et fui saisi de l’Esprit de Dieu, et prophétisa comme les autres ; Ce qui donna le temps à David de se sauver et de se retirer ailleurs.
Samuel mourut âgé de quatre-vingt-dix-huit ans, environ deux ans avant la mort de Saül. Tout Israël s’assembla pour faire son deuil, et il fut enterré dans sa maison à Ramatha (1 Samuel 15.1). Voici l’éloge que lui a consacré Jésus, fils de Sirach, auteur de l’Ecclésiastique (Ecli 46.16-17) « Samuel a été aimé de son Dieu ; il a établi un gouvernement nouveau, et a sacré les princes de son peuple, il a jugé l’assemblée d’Israel selon la loi du Seigneur, et Dieu a regardé favorablement Jacob. Il a paru en vrai prophète, et a été reconnu fidèle dans ses paroles, parce qu’il a vu le Dieu de lumière. Il a invoqué le Dieu tout-puissant, en lui offrant un agneau sans tache, lorsque ses ennemis l’attaquaient de tous côtés. Le Seigneur tonna du ciel et fit entendre sa voix avec un grand bruit. Il tailla en pièces les princes de Tyr (1sa 7.11-12) et tous les chefs des Philistins. Avant la fin de sa vie il prit à témoin le peuple et son christ ; en protestant qu’il n’avait jamais rien pris de personne, ni argent, ni quoi que ce soit, et il ne se trouva point d’homme qui pût l’accuser. Il dormit ensuite dans le tombeau. Il parla au roi et lui prédit la fin de sa vie. Il haussa sa voix sortant de la terre, pour prophétiser la ruine du peuple.et la peine due à son impiété.
Ce que l’auteur de l’Ecclésiastique vient de marquer arriva environ deux ans après la mort de Samuel. Voici ce qu’on en lit dans les livres des Rois (1 Samuel 28.1-3) : Les Philistins étant entrés avec une puissante armée sur les terres d’Israel, et s’étant campés à Sunam, dans la vallée d’Esdrelon, Saül avec ses troupes se saisit des hauteurs de Gelboé. Ce prince, étonné de la multitude des ennemis, et ne pouvant tirer aucune réponse ni par les songes, ni par les prêtres, ni par les prophètes, jugea à propos de consulter quelque magicienne, pour apprendre quel serait le succès de cette guerre. On lui dit qu’il y avait une devineresse à Endor, lieu situé à deux ou trois lieues du mont Gelboé. Il y alla déguisé avec peu de suite, craignant d’être reconnu par la magicienne ; car quelques années auparavant il avait chassé tous les devins du pays.
Étant arrivé chez cette femme, il lui dit de lui évoquer l’âme de Samuel. Elle fit ses conjurations, et ayant vu paraître Samuel, elle jeta un grand cri, et dit à Saül : Pourquoi m’avez-vous trompée ? car vous êtes Saiil. Saül la rassura, et lui dit : Qu’avez-vous vu ? J’ai vu, lui dit-elle, des dieux qui sortaient de la terre. Saül lui dit : Comment est-il fait ? C’est, dit-elle, un vieillard couvert d’un manteau. Saül reconnut que c’était Samuel, et il se baissa jusqu’à terre pour l’adorer. Samuel lui dit : Pourquoi avez-vous troublé mon repos en me faisant évoquer ? Saül lui répondit qu’étant dans une étrange extrémité, et ne sachant plus à qui s’adresser, parce que Dieu ne lui rendait aucune réponse, il s’était vu forcé de recourir à lui par l’art de la magicienne. Samuel lui dit que le Seigneur le traiterait comme il l’avait dit ; que le royaume lui serait ôté et donné à David, son gendre ; que Dieu livrerait Israël entre les mains des Philistins ; et il ajouta : Demain vous serez avec moi, vous et vos fils, et le Seigneur abandonnera aux Philistins le camp d’Israël.
On forme sur cette histoire une question importante qui partage les anciens et les modernes ; savoir si l’âme de Samuel a véritablement apparu à Saül, ou si tout ce qui est raconté ici n’est qu’un jeu et une friponnerie de la pythonisse ou de la magicienne qui parla à Saül, et qui feignit de voir Samuel. On demande si cela arriva par la puissance du démon et par les forces de l’art magique, ou si Dieu permit que Samuel apparût par un effet miraculeux de sa puissance, et non par aucun effet de la magie. Saint Justin le martyr, Origène, Anastase d’Antioche, ont cru que les démons avaient quelque pouvoir sur les âmes des saints, avant que Jésus-Christ descendit aux enfers et les tirât des mains de ce prince des ténèbres. Saint Augustin ne trouve aucun inconvénient à dire que le démon fit paraître l’âme de Samuel, comme nous n’en trouvons point à dire que le démon se trouva parmi les enfants de Dieu devant le Seigneur, et qu’il transporta Jésus-Christ sur le toit du temple.
Le rabbin Menassé-ben-Israël suivant les principes du livre Zohar, croit qu’il y a des démons qui ont tant de puissance sur les âmes pendant l’année qui suit leur mort, qu’ils en font presque tout ce qu’ils veulent, et qu’ils les obligent à prendre quel corps ils jugent à propos. On ne convient pas que ceci se soit passé l’année de la mort de Samuel ; nous croyons qu’il y avait environ deux ans que ce prophète était mort ; et les principes du rabbin ne nous paraissent pas soutenables. Mais il est malaisé de résister à l’évidence du récit de l’Écriture, qui dit si expressément que Samuel parut, qu’il parla, qu’il prédit la mort de Saül, la victoire des Philistins, la défaite des Israélites.
Ceux qui soutiennent que Samuel n’apparut point à Saül sont partagés entre eux. Les uns croient que le démon prit la forme de Samuel, et parla ainsi à Saül. Les autres tiennent que la magicienne ne vit rien, mais qu’elle feignit de voir le vrai Samuel, qu’elle parla en son nom, et trompa ainsi Saül et les assistants. D’autres enfin soutiennent que le démon ne parut point et ne prit point la forme de Samuel ; mais que Dieu, à l’occasion des évocations de la pythonisse, fit, par sa propre vertu et indépendamment de l’art magique, paraître aux yeux de Saül une figure de Samuel, qui prononça à ce prince l’arrêt de sa mort et de sa perte entière. Le rabbin Lévi-ben-Gerson veut que tout ceci se soit passé dans l’imagination de Saül. Ce prince, frappé des menaces que Dieu lui avait faites et troublé par la vue du danger présent, s’imagina, dit-il, voir Samuel qui lui réitérait ses menaces et qui lui annonçait sa mort prochaine.
De tous ces sentiments celui qui nous paraît le plus probable et le mieux fondé est que Samuel apparut véritablement à Saül ; mais nous n’avons garde de dire que ç’ait été par la force de la magie de la pythonisse, ni par la vertu du démon ; ce fut uniquement par la vertu toute-puissante de Dieu, qui, pour punir Saül de sa vaine curiosité, permit qu’à l’occasion des évocations de la magicienne le vrai Samuel lui apparût et lui découvrit son dernier malheur. On peut consulter sur cela Allatius, dans ses Notes sur le traité d’Eustathe, intitulé : da Engastrimytho ; et les commentateurs sur 1 Samuel 28 et notre dissertation sur ce sujet, imprimée à la tête du premier livre des Rois.
On attribue à Samuel le livre des Juges, celui de Ruth, et le premier des Rois. Il y a en effet assez d’apparence qu’il composa les vingt-quatre premiers chapitres du premier livre des Rois, puisqu’ils ne contiennent rien qu’il n’ait pu écrire et à quoi il n’ait eu grande part. Il y a toutefois dans ces vingt-quatre chapitres quelques petites additions qui paraissent y avoir été mises depuis sa mort. Nous lisons dans les Paralipomenes (1 Chroniques 9.22), qu’il travailla à régler la distribution que fit David des lévites pour le service du temple : ce qu’on peut expliquer, en disant que David suivit l’ordre que Samuel avait déjà établi, dans le temps qu’il était juge d’Israël, après la mort du grand prêtre Héli. On lit dans les mêmes livres (1 Chroniques 26.28) que Samuel avait enrichi le tabernacle du Seigneur de présents magnifiques et de riches dépouilles qu’on avait prises sur les ennemis d’Israël pendant le temps de sa judicature. Enfin on y lit (1 Chroniques 29.29) qu’il avait écrit l’histoire de David avec les prophètes Gad et Nathan. Il en écrivit apparemment les commencements, et les deux autres prophètes le progrès et la fin ; car Samuel était mort avant que David fût monté sur le trône. Les deux premiers livres des Rois portent le nom de Samuel ; mais on convient que ce prophète ne peut pas être auteur du second, qui comprend des choses arrivées longtemps après sa mort ; ni même de la fin du premier, puisque sa mort est marquée au commencement du chapitre 25 de ce livre.
Il est dit (1 Samuel 10.25), au premier livre de Samuel, que Samuel écrivit dans un livre le droit du roi, ou du royaume, qui n’était autre que les droits, prérogatives et revenu du roi, son pouvoir et son autorité sur les peuples, en un mot, la répétition de ce qu’il avait proposé verbalement à Israël un peu auparavant. Le rabbin Lévi-ben-Gerson dit qu’après l’avoir écrit, il le mit dans l’arche ; et Bodin assure, sur la foi des rabbins, que les rois, pour se mettre dans une plus grande liberté de faire à l’avenir ce qu’ils voudraient, avaient déchiré et supprimé ce livre.
Samuel commence la chaire des prophètes, qui n’a plus été interrompue depuis lui jusqu’à Zacharie et Malachie. Voyez (Actes 3.24). Le corps de Samuel fut transporté de la Palestine à Constantinople sous l’empereur Arcade. Saint Jérôme dit qu’on transporta les cendres de ce prophète dans un vase d’or et enveloppées dans la soie ; que les évêques et les peuples les reçurent partout en foule avec des honneurs infinis. Le Martyrologe romain marque sa fête au 20 d’août.
Outre l’histoire véritable de Samuel que nous avons ra pportée, on a conservé plusieurs traditions, la plupart très-peu certaines, touchant ce prophète. Les Orientaux racontent, à exemple, que Samuel ayant témoigné a Dieu la résolution où étaient les Hébreux d’avoir un roi, Dieu lui donna deux choses, un vase ou une corne pleine d’huile, et un bâton ; il lui révéla que celui en la présence duquel l’huile bouillirait dans le vase, et dont la taille serait égale à ce bâton, était celui que Dieu destinait pour être leur roi. Dès que la chose fut divulguée dans le pays, tous les principaux des tribus vinrent en foule pour se mesurer au bâton et pour éprouver si l’huile bouillirait en leur présence ; mais ce dernier signe ne se fit remarquer devant aucun d’eux, et nul ne se trouva égal au bâton fatal.
Saül, autrement Schareck, et surnommé Thalout, c’est-à-dire d’une haute stature, qui n’était qu’un simple porteur d’eau, ou un corroyeur de la tribu de Juda, vint aussi à tout événement chez le prophète, et aussitôt l’huile commença à bouillir dans le vase, et il se trouva précisément de la même hauteur que la verge miraculeuse. À ces marques Samuel le déclara roi ; mais les principaux des tribus, surtout ceux de Juda, à qui la royauté était promise, dirent : Comment celui-ci pourra-t-il être notre roi, lui qui n’a point de biens ? comment pourra-t-il soutenir la dépense et faire les honneurs de la royauté ? Mais Samuel leur répliqua : C’est le Seigneur qui l’a choisi, et c’est lui qui dispose absolument des royaumes en faveur de qui il lui plaît.
Les Israélites ne se rendirent pas encore ; ils demandèrent à Samuel un signe pour être assurés de la volonté de Dieu. Samuel leur répondit : Voici le miracle que Dieu vous donne pour confirmer sa royauté. L’arche du Seigneur, qui a été prise par les Philistins, reviendra à vous rapportée par les anges.
Cette arche, suivant la description qu’en font les musulmans, était un coffre composé de plusieurs métaux, autour duquel les portraits de tous les patriarches étaient gravés, et sur lequel la Sckinah ou la majesté de Dieu reposait. Cette Sckinah était le chérubin dont les yeux étaient semblables à deux lampes, dont l’éclat éblouissant jetait la terreur dans l’esprit de tous ceux qui les regardaient. Il avait la figure d’un léopard, et en temps de guerre il s’élevait et jetait un cri si épouvantable, qu’il renversait tous les ennemis d’Israël ; d’autres lui donnent la figure d’un homme, et disent que, quand on portait l’arche à l’armée, il s’élevait sur ses pieds et sortait comme un vent impétueux qui fondait sur les ennemis du peuple de Dieu, et les défaisait entièrement.
On gardait, disent-ils, dans cette arche, les tables de la loi, le bassin dans lequel les anges purifiaient le cœur des prophètes, la verge de Moïse, la tiare et les vêtements pontificaux d’Aaron, un vase plein de la manne, et un morceau du bois aluah, qui avait adouci les eaux de Mara.
Lors donc que l’élection de Saül fut publiée, les Philistins, fatigués des maux que la présence de l’arche avait causés dans leur pays, résolurent de la supprimer et la cachèrent dans un fumier. Mais ils furent tous frappés d’une maladie honteuse dans les parties qu’on cache avec plus de soin, de manière qu’enfin ils la renvoyèrent sur les confins des terres d’Israël ; elle ne fut pas plutôt arrivée en cet endroit, que les anges l’enlevèrent et la portèrent au tabernacle de Silo, et ce fut là le signe qui assura la royauté à Saül. Il est quelquefois utile de savoir meute les choses qui ne méritent ni estime ni croyance, quand ce ne serait que pour acquérir par là le droit de les mépriser.
Voici sur Samuel des considérations dues à un protestant, M. Coqueret J’espère que le lecteur ne me saura pas mauvais gré de les placer ici.
Ce prophète, dont la vie dans l’histoire des Juifs forme le passage du gouvernement aristocratique et républicain, qui durait depuis Hothniel, à la royauté, qui ne cessa qu’avec les calamités de la captivité de Babylone, subit le sort des personnages qui ont vécu en un temps de trouble et de révolution ; il est très-diversement jugé. Sa tâche a été triste et difficile ; elle commence au milieu des désastres de la maison d’Héli et finit au milieu de ceux de la maison de Saül. Successeur d’un pontife plus faible que méchant, il a été consécrateur d’un roi plus méchant que faible, sans avoir pu prévenir ou réparer leurs fautes et leurs malheurs ; entre ces deux époques d’iniquité, d’imprudence et d’infortune, le gouvernement et la vertu de Samuel apparaissent comme un jour de calme entre deux orages.
Sa première révélation offre une scène touchante et prévient en sa faveur. L’erreur naïve où il tombe de croire qu’Héti l’appelle quand Dieu lui parle est peut-étre l’exemple qui jette le plus de jour sur la manière dont l’Éternel se révélait à ses prophètes : ils entendaient une voix. Ce moyen, souvent employé, s’accorde parfaitement avec deux principes sur lesquels on ne saurait trop revenir : d’abord, qu’en toute révélation, si les pensées sont de Dieu, les paroles appartiennent au langage humain ; ensuite, qu’en tous les messages divins le plus grand soin est pris d’éviter tout ce qui pouvait donner lieu aux représentations et aux emblèmes de l’idolâtrie ; il était aussi impossible de peindre ou de sculpter la voix entendue par Samuel que les flammes du buisson d’Horeb, qui ne consumaient rien, ou la colonne de nuées qui conduisait Moïse. Cette vision d’ailleurs, qui commença la renommée de Samuel et lui annonçait la ruine de la famille d’Héli, tandis qu’il était attaché à la personne de ce pontife, le plaçait dans la position la plus délicate, et le jeune fils d’Anne y fit sans doute l’apprentissage de cette prudence, de cette modération, dont tout le reste de sa vie il devait tant avoir besoin.
On est en doute s’il a été pontife. Sans entrer dans l’aride détail des preuves alléguées en faveur des deux opinions, il nous semble plus probable qu’Ahimélec portait déjà la tiare ; l’éphod de lin dont Samuel est revétu, le haut lieu où il adorait, l’autel qu’il a bâti, les sacrifices qu’il a offerts eu fait offrir, les deux onctions royales, et une allusion des psaumes (Psaumes 99.6), ne prouvent pas, ce nous semble, la souveraine sacrificeture. C’est ici le lieu de rappeler que le culte à cette époque n’était pas célébré sous des formes parfaitement légales, quelque honorable que soit le témoignage rendu à Samuel dans l’histoire de Josias (2 Chroniques 35.18) ; tout, sous son gouvernement, était pour ainsi dire en état de passage ; l’autorité des juges allait se changer en celle des rois, et le culte de Moïse se compléter par les institutions de David et les magnificences de Salomon. Dans cet intervalle, comme nous l’avons déjà rappelé, l’arche resta déposée chez Abinadab, tandis que le tabernacle avec l’autel des holocaustes, sans que l’on sache comment ni pourquoi, passa de Silo, ville d’Éphraïm, située sur une montagne, à environ huit lieues au nord de Jérusalem, à Nob, ville lévitique et ensuite sacerdotale de Benjamin, et de Nob à Gabaon, où Salomon le trouva. Ce désordre, qu’il faut attribuer en partie à la négligence, en partie à la situation politique de la nation, qui ne permettait guère d’y remédier pour le moment, explique assez ce que l’on croit voir d’irrégulier dans les rites et les actes de culte célébrés par Samuel. Il paraît toutefois qu’il commença le rétablissement de l’ordre, fit diverses consécrations, dont on ne peut rien dire de certain, et prit quelques mesures dont David profita dans la suite (1 Chroniques 26.28 ; 9.22).
S’il n’est pas probable que Samuel ait exercé la souveraine sacrificature, il est certain qu’il a été juge. Mais le commencement et la durée de son administration offrent des difficultés que l’on doit désespérer de résoudre, et probablement une lacune considérable dans son histoire, qui a causé une grande confusion dans les faits. Une simple lecture du texte montre qu’on doit compter un interrègne de vingt années (1 Samuel 3.2) entre le retour de l’arche enlevée par les Philistins à la mort d’Héli, et l’assemblée du peuple tenue à Mitspa, où Samuel, pour la première fois, paraît comme chef d’Israël et détruit l’idolâtrie. Que faisait-il pendant ces vingt années ? Était-il trop jeune encore ? Attendait-il qu’un ordre du ciel ou que la voix du peuple l’appelât au maniement des affaires ? Mais déjà sa gloire, du vivant d’Héli, remplissait Israël ; personne ne songeait à lui disputer l’Autorité ; il est impossible de trouver inê.ue un prétexte qui rende vraisemblable un si étrange retard, et pour croire à ce long intervalle d’anarchie et d’idolâtrie il faut admettre que Samuel en a été l’impassible témoin ou l’impuissant adversaire : la première conjecture est injurieuse à son zèle, la se, conde à son génie ; et la Providence avait-elle donc préparé de si loin son ministère, pour le laisser oisif, quand Israël avait le plus besoin de lui ? C’est alors que le peuple aurait demandé un roi, plutôt que d’attendre la vieillesse du prophète. Ces doutes sont graves, et cependant le texte est formel. De ce tableau très-court du gouvernement de Samuel le récit passe immédiatement à la révolution qui y mit fin ; cette marche semble prouver que son histoire est incomplète, et que le rédacteur de ces annales l’a considérée comme le préambule de celle de David, à laquelle il se presse d’arriver.
La libation qui eut lieu à l’assemblée de Mitspa n’a pas manqué d’exciter la curiosité des interprètes, parce qu’elle est unique dans l’Écriture. C’est sans le moindre fondement qu’on l’a comparée à la générosité délicate de David, refusant de boire l’eau de la fontaine de Bethléem, que Jasobham, Eléazar et Samora ont puisée au péril de leur vie. Les conjectures, pour l’expliquer, sont nombreuses ; on l’a considérée comme une comparaison dont les poésies sacrées offrent des exemples nombreux (1 Samuel 1.15 Lamentations 2.19. Psaumes 42.4 ; 62.2 ; 142.3), comme un signe de jeûne, comme nu symbole de pureté (Job 9.30 ; 11.16. Psaumes 26.6 ; 73.13. Isaïe 12.3), comme le simple lavage de l’endroit où les sacrifices ont été offerts ; plusieurs y voient une cérémonie religieuse, imitation détournée d’une expiation des rites mosaïques (Deal. 21.6) ; d’autres encore une manifestation de joie publique, qui aurait fourni aux langues de l’Orient plusieurs expressions proverbiales ; enfin une formule de serment. La question est restée incertaine et nous semble offrir peu d’intérêt.
L’érection de la royauté est l’événement le plus grave de l’histoire de Samuel, et les conséquences en ont été immenses, tantôt heureuses, tantôt, funestes. Les désordres de ses fils, la guerre de Nahas, ne sont que le prétexte et l’occasion de ce grand changement, comme plus tard les derniers événements du règne de Salomon et les premiers de celui de Roboam ont fait éclater le schisme des dix tribus dont l’origine remonte aux commencements d’Israël ; un peuple, quel qu’il soit, sans avoir des raisons ou sans penser en avoir, ne demande pas unanimement un roi. L’administration des juges, incertaine et irrégulière, est ensanglantée par des dissensions civiles et plus souvent interrompue par des servitudes étrangères ; le peuple mit sur le compte de la forme du gouvernement, des malheurs, suite de la jalousie de ses tribus ou châtiments de ses infidélités et de ses idolâtries. Les principales familles, affaiblies par tant de discordes et de guerres, décréditées par les excès des fils d’Héli et de Samuel, d’un côté, n’osaient s’opposer au vœu général, de l’autre, semblaient offrir peu de sujets dignes de revêtir selon les occurrences l’autorité de juge ; Héli laissait Samuel à sa place, Samuel ne laissait personne pour lui succéder. La tiare même brillait d’un moindre éclat ; le temps des Eléazar et des Phinées était passé, et le tranquille Ahimélec, qui souffre en silence que Saül l’interrompe dans ses fonctions les plus saintes, n’en promettait pas le retour. Le souvenir de Moïse et de Josué, qui, sans être revêtus de la royauté, avaient exercé un pouvoir bien supérieur à celui des juges, plaidait en faveur du changement. Les tribus, si souvent divisées sous les juges, espéraient être plus unies sous des rois, et chacune se flattait, malgré l’oracle de Jacob (Genèse 49.10), que le monarque sortirait de son sein ; cet espoir devait Surtout entraîner les deux tribus prépondérantes, Éphraïm et Juda. Enfin l’exemple des peuples voisins aiguillonnait la vanité nationale ; ce motif a séduit la multitude ; les Amalécites, les Aammonites, les Iduméens peut-être et l’Égypte fleurissaient sous des rois ; à l’exception de Gabaon, au centre du pays, du temps de Josué, et de Laïs, du temps de Mica, on ne voit point de république ; les Philistins, dont le gouvernement était fédératif et républicain, alors affaiblis et tenus en respect, avaient même rendu leurs conquêtes. Quand on ajoute à ces puissants mobiles, l’attrait de la nouveauté et le plaisir d’un coup d’essai, les habitudes de peuple berger changées en celles de nation agricole, l’idée vague de la splendeur et de la gloire d’une cour, l’avantage enfin d’avoir toujours un chef à la tête des armées, la révolution est expliquée, et l’on n’y voit qu’une nouvelle preuve que l’Asie est la terre favorite du pouvoir absolu.
Il est essentiel de remarquer, quoi qu’en aient pensé quelques interprètes souvent réfutés, que la théocratie n’a point souffert de ce changement, et que Dieu continua d’être véritablement le souverain d’Israël, comme David lui-même l’a formellement reconnu (1 Chroniques 28.5). La forme changeait bien plus que le fond ; aussi c’est peut-être le seul exemple d’une révolution opérée sans révolte. Les Juifs veulent un roi, et ils le demandent, à qui ? À leur prophète ; c’était le demander à Dieu même par l’intermédiaire accoutumé, et c’est ce prophète qui choisit le nouveau prince, qui l’instruit et le sacre, qui ensuite le dépose et nomme son successeur ; la théocratie est là évidente ; elle l’est d’autant plus que les Juifs sans nul doute comptaient sur une royauté héréditaire, et qu’ils ne l’ont obtenue qu’avec Salomon, sous qui le royaume a été déchiré. Moïse lui-même, dont toutes les institutions et les lois sont si profondément théocratiques et dans leurs bases et dans leurs formes, avait bien compris que la royauté n’était pas incompatible avec la théocratie, puisqu’il avait tracé d’avance les devoirs des monarques futurs d’Israël (Deutéronome 17.15) et prévu que le peuple se donnerait un roi, lorsqu’il serait Inaître paisible de Chanaan. D’ailleurs l’histoire entière des douze tribus réunies sous un sceptre, et ensuite des deux, royaumes d’Israël et de Juda, atteste à chaque règne, et presque à chaque guerre, à chaque idolâtrie, à chaque repentance, que la théocratie a continué et n’a diminué que progressivement. D’après ces considérations, et surtout d’après les prévoyances de Moïse, on cherche le crime que les Israélites ont commis en demandant un roi, et comme d’ordi naire on l’a cherché où il n’est pas, on leur a reproché la bassesse de courir au-devant du despotisme, tandis qu’ils ne songeaient qu’à relever la gloire de leur nom et le mépris de la liberté républicaine, comme si cette idée moderne pouvait s’appliquer à des Orientaux contemporains de Samuel. Le crime consiste en deux points d’une égale gravité : d’abord dans l’atteinte portée, non au fond, pour ainsi dire, mais aux formes de la théocratie : elle devenait moins directe ; une autorité intermédiaire, non plus passagère, bornée, et créée pour les besoins du moment, comme celle des juges, mais stable, fixe, ne finissant que pour recommencer, sans intervalle et toujours active, s’établissait entre Dieu et son peuple ; c’était là une offense envers sa gloire, une ingratitude envers sa bonté. Gédéon l’avait bien senti (Juges 8.23), quand il refusait si noblement la couronne ce reproche est exprimé avec la plus grande force dans la réponse que Samuel a reçue (1 Samuel 8.7) : Obéis à la voix du peuple ; car ce n’est pas toi qu’ils ont rejeté ; c’est moi qu’ils ont rejeté, afin que je ne règne point sur eux ; et plus Israël témoignait le désir de ressembler aux nations étrangères, moins il montrait de respect et d’attachement pour ce titre auguste de peuple de l’Éternel que Moïse s’était tant efforcé de lui rendre précieux. Cependant, selon nous, sans que nous puissions nous arrêter à développer cette pensée, conforme aux prévisions du législateur, Israël ne pouvait remplir toute sa destinée et atteindre toute sa civilisation, sans la royauté qui tôt ou tard devait s’établir. Avec plus de sagesse, de piété et de foi, Israël aurait pu conserver une théocratie républicaine, et présenter au monde à travers tous les âges l’instructif exemple d’un peuple se gouvernant librement sous l’attentive protection de Dieu. Israël, il faut l’avouer, était au-dessus de tant de gloire, et la vraie religion aurait eu trop de risques à courir au milieu des constantes agitations d’un gouvernement républicain. Le temple de Jérusalem aurait trop souffert du voisinage d’un forum, et il est devenu nécessaire pour la conservation de la vérité religieuse que le peuple dépositaire eût pour chefs des rois et pour tribuns des prophètes. Le second tort qu’on doit imputer aux Hébreux, c’est qu’ils demandent impérieusement un roi, au lieu d’attendre avec confiance que Dieu leur en donne un. Que ne demandaient-ils simplement à celui qu’ils reconnaissaient pour prophète, et qui, en cette qualité, pouvait sans cesse consulter l’Éternel, si ce moment était venu ? Mais non ; l’orgueil, l’impatience et le mécontentement tiennent lieu d’oracles ; ils oublient que Dieu, depuis Moïse, leur a suscité tous les chefs dent ils ont eu besoin ; ils décident que le moment est venu ; ils exigent ce que Dieu retient ; ils hâtent ce que Dieu retarde ; ils imposent en quelque sorte à la Providence une dispensation qui leur plaît. Voilà leur crime et leur folie ; s’ils avaient su attendre, qui sait si le premier règne n’aurait pas été celui d’un Salomon ou d’un Josaphat, plutôt que d’un Saül ? Mais exaucer des vœux téméraires est une des voies les plus profondes et les plus équitables de la justice divine. En envisageant ce grand événement sous ces points de vue, on comprend que la royauté ait commencé sans que la théocratie ait fini, et au milieu des faits d’une révolution théocratique pour ainsi dire, et qui par conséquent est unique dans l’histoire, on découvre, malgré les différences que ce caractère particulier aux Juifs devait amener, des preuves incontestables de cette universelle vérité, que les peuples, comme les individus, se font leur fortune et deviennent ce qu’ils veulent devenir.
Le rôle de Samuel a été passif en ces moments difficiles. On l’a soupçonné de s’être opposé à l’établissement de la royauté dans son intérêt, dans le désir de garder le pouvoir ; toutes les circonstances, toutes les paroles de ces récits peuvent, a-t-on dit, être considérées comme des mesures de prudence, ou comme les réserves, les artifices, les délais d’un ambitieux qui espère encore ; on a mis beaucoup d’adresse à y voir partout cette arrière-pensée, et l’on ;est arrivé à soutenir que Samuel, forcé de plier, garde de l’autorité ce qu’il peut en conserver, jette la nouvelle couronne sur le front qui consent à s’humilier devant lui, choisit d’abord un guerrier rustique pour régner sous son nom, ensuite un jeune berger qui sera plus docile, et les oint tous deux pour sanctifier par la religion l’ascendant qu’il veut prendre ; dans ce système. Saül est rejeté, parce qu’il a le courage de ne plus obéir ; il n’y a pas un mot dans leurs entretiens qui ne trahisse ces desseins secrets, dont ils étaient tombés d’accord dans la conférence sur la terrasse de la maison de Rama ; le vénérable prophète disparaît, et il reste à sa place un politique astucieux et habile. Les faits répondent de toutes parts à ces accusations ingénieuses. Ce profond politique aurait mieux fait d’employer son art et son génie à prévenir cette révolution ; dont il ne paraît pas avoir eu le plus léger soupçon avant de la voir éclater ; tant de sécurité avant l’événement s’accorde mal avec l’adresse qu’on lui suppose après ; on oublie, en attribuant toute sa conduite a une ambition trompée, que Samuel, déjà vieux, avait partagé l’autorité avec ses fils ; on oublie que rien ne lui aurait été plus facile que de se mettre à la tête des mécontents qui refusent de reconnaître le nouveau roi, au lieu de renouveler son couronnement pour les apaiser ; on oublie qu’il lui restait l’autorité de prophète, plus douce pour un vieillard et souvent égale à celle du trône ; on oublie qu’après avoir prononcé sur Saül les deux condamnations qu’il s’est attirées, on ne trouve pas dans la suite des récits un seul mot, un seul fait, qu’on puisse contourner de manière à en conclure que Samuel ait gagné même une ombre d’autorité à ces tristes jugements. Ces preuves en sa faveur sont scripturaires ; en voici une qui l’est moins, et à ce titre elle aura la force que donne l’impartialité. Sans doute c’est le trait d’un politique habile de donner le sceptre à un homme incapable de régner, et qu’il pourra conduire à son gré ; certes alors Samuel était à la fois très-habile et très-peu habile ; il connaissait bien mal les hommes : car s’il avait cherché par tout Israël un caractère moins flexible, un esprit plus rude, plus impatient, plus rétif que celui de Saül, on peut douter qu’il en eût trouvé ; et doué du talent nécessaire pour méditer et préparer ce choix qu’on lui impute, aurait-il choisi si mal ? Enfin, dans le système que nous combattons, le sacre de David est absolument inexplicable ; que, dans un âge très-avancé, Samuel, par intérêt, par intrigue et dans l’espoir d’en tirer parti, ait été, seul et sans amis, oindre, au milieu des terreurs des anciens de Bethléem, le fils cadet de l’un d’eux, sans songer à la jalousie des six frères ; qu’il ait voulu opposer ce jeune homme à Saül, vainqueur des Philistins et des Amalécites, encore au faîte de sa puissance, dont rien n’annonçait le déclin ; que cette élection, communiquée peut-être à Isaï, ait été tenue secrète et se soit lentement ébruitée ; qu’après cette cérémonie, Samuel retourne dans sa retraite et laisse les événements suivre leur cours sans y prendre part : certes il faut que ce monde ait bien changé pour que ces faits aient été des menées ambitieuses en leur temps ; il est absurde d’y voir de la politique, mais il est facile d’y voir de la foi.
Samuel a été nommé, avec plus d’esprit que de justesse, l’inventeur du sacre des rois. On a pensé qu’il empruntait cette cérémonie des nations voisines ; il est plus probable qu’il l’a imitée de l’onction des prêtres ; à un pontife hébreu, l’idée s’offrait d’elle-même ; il y avait ce rapport sensible entre la sacrificature et la royauté en Israël, que toutes deux émanaient directement de Dieu. Un signe d’ailleurs était nécessaire chez un peuple qui essayait pour la première fois du pouvoir monarchique, il importait de parler aux yeux et d’attacher un symbole connu et respecté à une autorité nouvelle, dépourvue de ces souvenirs qui recommandent une autorité antique. On serait injuste, en accusant Samuel du parti que les usurpations sacerdotales ont pu tirer de son exemple ; les imitations ne sont pas la faute du modèle. Le système de faire dépendre une légitimité royale d’une consécration pontificale, le dogme du droit divin dans tous ses principes et toutes ses applications, sont des idées modernes étrangères à la théocratie juive, et dont Samuel n’est ni auteur ni complice. Les faits le prouvent : l’onction n’est point devenue une cérémonie nécessaire à l’avénement des monarques hébreux ; elle n’avait lieu que lorsque les circonstances exigeaient une intervention plus positive de la Providence, une manifestation plus évidente de la théocratie ; aussi Saül et David, Salomon et Joas, seuls de tous les rois hébreux, ont été sacrés par l’onction religieuse en montant sur le trône. Il faut remarquer aussi que les deux consécrations faites par Samuel, et tous les détails, tous les discours de l’érection de la royauté sont remarquables par un caractère de rudesse et de simplicité qui ne peut être controuvé ; c’est bien là le langage et les mœurs du temps où les rois labourent et quittent la charrue pour régner. Il faut remarquer aussi que Samuel ne dit pas un mot de sa fortune, et ne se réserve rien pour son avenir. L’entretien avec Saül à Rama doit avoir offert un immense intérêt, et l’on regrette de n’en rien connaître ; ce serait un thème digne d’un homme de génie, que de nous rendre la conversation du dernier juge et du premier roi des Hébreux. Enfin l’abdication de Samuel est aussi un des tableaux les plus sublimes de ce livre, où il y en a tant ; il faut être bien sûr de son intégrité, pour interroger tout un peuple, comme Samuel l’a fait, avant que le tonnerre eût grondé ; dans le témoignage qu’Israël lui a rendu on reconnaît cette sincérité populaire, qui n’est pas injuste, même quand elle est ingrate, et quand les éclats de la foudre ont confirmé les dernières paroles publiques du vieillard, il n’avait plus rien à désirer ; Dieu s’était déclaré pour lui. Aussi comme ce tonnerre a dû retentir au fond du cœur de Saül Quelle leçon, au premier jour de son règne, que cette scène solennelle ! Quelle gloire, s’il finit comme Samuel vient de finir ! Mais, hélas ! que le mont de Guilboé ressemble peu pour Saül aux plaines de Mitspal !
Dans les circonstances du célèbre sacrifice qui servit d’épreuve à la foi de Saül, le ministère de Samuel se borne à prononcer les arrêts divins et à déclarer au nouveau roi qu’il est rejeté de Dieu, en d’autres termes, que le sceptre ne resterait point dans sa maison, et que sa dynastie commencerait et finirait avec lui ; jugement qui fut confirmé au retour de la guerre contre les Amalécites. Evidemment les torts de Saül doivent, dans les deux cas, expliquer et justifier la conduite de Samuel.
L’extermination des Amalécites, commandée par Samuel, n’offre, comme les guerres de Josué, que les difficultés ordinaires de cette question. Ce peuple, l’un des plus anciens de ces contrées, et qui paraît avoir été longtemps l’un des plus civiiisés et des plus puissants, mais aussi des plus cruels, fut le premier ennemi qui attaqua les Hébreux au sortir de l’Égypte (Exode 17.8). C’était braver tous les prodiges de cette délivrance, à peine accomplis, et prendre parti pour les oppresseurs ; c’était, selon la belle expression de Moïse, lever la main contre le trône de l’Éternel. La sentence de condamnation fut alors divinement prononcée, renouvelée vers la fin du pèlerinage (Deutéronome 25.17), et remise au temps où Israël, en paix avec ses voisins, serait maître en Chanaan. Depuis lors, la haine contre Israël était devenue héréditaire, et les Amalécites avaient saisi toutes les occasions propices de faire des incursions sanglantes sur le territoire hébreu, sous Ehud (Juges 3.13), sous Gédéon (Juges 6.3 ; 7.12 ; 10.12). Samuel, corame prophète, a simplement déclaré que le jour était venu d’exécuter le jugement divin, qu’un antique oracle (Nombres 24.20) appuyait. On a dit, contre la justice de la sentence, qu’elle n’a été remplie qu’environ 400 ans après avoir été rendue ; étrange objection de trouver mauvais que Dieu accorde un long répit à un peuple qu’il a proscrit pour s’être opposé, dès le principe et sans relâche, à ses desseins hautement proclamés par une foule de prodiges ! Le supplice d’Agag, que l’on a tant reproché à Samuel, en s’efforçant de faire croire qu’il l’avait mis à mort de ses propres mains, rentre dans la condamnation générale, et loin de présenter, quelque difficulté particulière, est assez justifié par le peu que l’on sait de ce prince. Enfin il est tellement évident que tome la conduite de Samuel se borne ici à remplir un message divin, qu’il est impossible d’imaginer par quel motif d’intérêt, de vengeance ou de haine, un vieillard sort de sa retraite et vient commander l’extermination d’un peuple avec lequel il n’avait eu ni relation ni querelle. Il y a dune ici un oracle ou bien un trait de férocité gratuite étrangère au cœur de l’homme. Nous croirons à l’oracle, ne fût-ce que par respect humain.
Samuel est le premier prophète que l’on trouve placé à la tête d’une école de prophètes (1 Samuel 19.20). Il est probable qu’après la guerre des Amalécites, lorsqu’il se retira entièrement des affaires publiques, il a consacré ses dernières années à diriger cet établissement ; peut-être même a-t-il été le fondateur de ces institutions dont l’Écriture fait mention si souvent sous les rois et pour la première fois lors de l’élection de Saül (1 Samuel 10.5). Ces écoles se multiplièrent dans la suite ; il s’en forma en diverses villes de Juda et d’Israël, et le système théocratique de la religion et de la royauté israélite les rendait indispensables. La foi y trouvait un asile dans les temps d’idolâtrie, la loi des interprètes, le gouvernement des conseillers, et Dieu des prophètes toujours prêts à rendre ses oracles. Tel était l’avantage de ces séminaires, que l’impiété même paraît avoir voulu les imiter ; surtout sous Achab, et opposer école à école. Dans ces réunions, dont les règles d’admission et les habitudes intérieures sont incertaines, on se livrait à l’étude de la loi, des rites et de l’histoire d’Israël ; on cultivait la poésie et la musique sacrée ; on faisait des prières en commun ; divers exercices de piété étaient en usage, et les pures traditions se conservaient. Il est probable que dans ces écoles les personnes pieuses se réunissaient, les jours de sabbat et de nouvelle lune (2 Rois 4.23), pour entendre lire et expliquer la loi. Du temps de la captivité, on s’assemblait ainsi auprès d’un prophète pour l’écouter et recevoir ses instructions (Ézéchiel 14.1 ; Ézéchiel 20.1 ; Daniel 6.11), et c’est probablement dans ces réunions qu’il faut chercher l’origine des synagogues. Il est permis de croire que la Providence avait un autre but, digne de sa sagesse et de sa bonté, dans la fondation de ces colléges dès le commencement de la royauté. Après le schisme des dix tribus, les lévites, pour la plupart, passèrent dans le royaume de Juda, et la vraie religion serait restée sans défenseurs dans le royaume d’Israël, si ces écoles, répandues dans le pays, n’avaient gardé le dépot de la vérité aussi c’est vers le temps de l’impiété la plus effrénée, sous les Élie et les Élisée, qu’on les voit le plus fleurir, en dépit des persécutions d’Achab et de Jézabel. Dieu seul peut ainsi préparer d’avance des ressources contre les erreurs dos peuples et des rois.
Le caractère de Samuel nous semble facile à décrire ; deux traits y dominent : le calme et l’intégrité. Il fait tout, il dit tout avec tranquillité, avec circonspection ; dès sa jeunesse, accoutumé à cette contrainte continuelle à laquelle oblige le service d’un vieillard, on ne remarque aucune imprudence, aucune précipitation dans sa conduite ; ii reste maître de ses actions et de ses paroles lorsqu’il dirige les plus graves événements comme lorsqu’il préside les assemblées d’Israël, et sans avoir l’enthousiasme qui distingue plusieurs prophètes après’lui, il a autant de zèle, autant de majesté. Ce calme habituel, nécessaire à sa mission, ne venait point d’un manque de sensibi.ité ; il évite d’humilier devant les anciens du peuple (1 Samuel 15.30) le prince rejeté de Dieu, et il pleure le premier des condamnations qu’il prononce (1 Samuel 15.35 ; 16.17). Son intégrité a fait surtout sa gloire ; il a traversé sans faillir un temps difficile. On croirait que la Providence l’a placé si près du trône de Saül, dont le règne a commencé la corruption d’Israël, pour être le modèle d’un véritable israélite à la naissance de la monarchie, tel que Jérémie s’est montré au temps de sa fin. Il est à nos yeux, malgré l’extrême adresse que l’on a mise à le dénigrer, le Nalhanael de l’ancienne alliance dans le cœur duquel il n’y a point eu de fraude (Jean 1.47). Aussi, quoique instrument presque passif de la Providence envers Héli, Saül et David, Samuel a trouvé moyeu d’être un grand homme voilà le privilége de la vertu ; la vie du juste, quelle qu’elle soit, suffit à sa gloire.
Samuel mit par écrit le droit du royaume (1 Samuel 10.25), et déposa ce livre devant l’Éternel, c’est-à-dire, dans le sanctuaire, à côté de l’arche. On a pensé que cet ouvrage était un résumé des discours qu’il prononça pour détourner le peuple de persister à demander un roi. Certes ce n’était pas là le droit du royaume, mais les abus du pouvoir royal, et il est juste de croire que ce code était un développement des principes posés par Moïse sur la royauté (Deutéronome 17.18). Il paraît même qu’à son avènement le roi prêtait serment de se conformer à ces institutions, et traitait ainsi alliance avec le peuple (1 Samuel 5.3 ; 1 Chroniques 11.3 ; 2 Rois 11.12 ; 2 Chroniques 23.11). Samuel avait composé sur les commencements de David des mémoires (1 Chroniques 29.29) qui ont servi peut-être à la rédaction des livres connus sous son nom et dont on convient qu’il n’est pas l’auteur.
Jérémie lui rend le plus beau témoignage (Jérémie 15.1) ; il le cite à l’égal de Moïse. Saint Pierre (Actes 3.24) et saint Paul (Actes 13.20) se servent de son nom comme marquant une des grandes époques de l’histoire, et ce dernier ne l’a pas oublié dans la liste des grands hommes d’Israël (Hébreux 11.32)].
qu’on fait fils du prophète Urie, Jérémie (Jérémie 26.23), parle du prophète Urie, mais il ne dit rien de Samuel. L’Écriture n’en parle en aucun endroit, et ce que les Espagnols en racontent ne mérite aucune attention. Ils disent qu’étant venu en Espagne il y mourut, et que six cents ans après, saint Jacques le Mineur le ressuscita, le baptisa, le nomma Pierre, et le fit évêque de Brague, où il finit sa vie par le martyre.