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Fils de Manué, de la tribu de Dan, et d’une mère dont l’Écriture ne dit pas le nom (Juges 3.2-4). Cette femme était stérile, et l’ange du Seigneur lui apparut et lui dit qu’elle deviendrait mère d’un fils, mais qu’elle prît bien garde de ne boire ni vin, ni aucune autre liqueur capable d’enivrer, et de ne manger rien d’impur ; et que quand Dieu l’aurait rendue mère, elle observât la même chose envers son enfant ; qu’elle le consacrât à Dieu dès son enfance, qu’elle lui fit garder les règles du nazaréat, et que le rasoir ne passât point sur sa tête ; car, ajouta l’ange, ce sera lui qui commencera à délivrer Israël de la main des Philistins. Cette femme alla aussitôt trouver son mari, et lui raconta ce qui lui était arrivé, et ce qui lui avait été dit. Manué pria le Seigneur de lui faire la grâce d’envoyer une seconde fois son ange, afin d’apprendre de lui-mê ne ce qu’il devait faire du fils qui lui devait naître. Le Seigneur l’exauça ; l’ange apparut à la femme, et elle courut aussitôt en donner avis à Manué. Celui-ci vint et parla à l’ange, qui lui répéta ce qu’il avait déjà dit à sa femme. Voyez ci-devant l’article Manue.
Samson naquit l’année suivante (Juges 13.24-25), et l’esprit de Dieu commença à se faire remarquer dans lui par la force extraordinaire de son corps. Il demeurait dans un lieu nommé le camp de Dan, entre Saraa et Esthaol. Un jour Samson étant allé à Thatrinata, ville des Philistins (Juges 14.1-3), il y vit une fille qu’il souhaita d’épouser. Il pria son père et sa mère d’en faire la demande. Ils lui dirent : N’y a-t-il point de femmes parmi toutes les tilles de vos frères les Israélites, pour vouloir épouser une fille parmi les Philistins, qui sont incirconcis ? Samson leur dit : Donnez-la-moi, je vous prie, parce qu’elle a plu à mes yeux. Or ses parents ne savaient point que ceci se faisait par l’ordre de Dieu, et que c’était un moyen dont il voulait se servir pour perdre les Philistins, qui dominaient alors sur les enfants d’Israël. Il alla donc avec ses parents à Thamnata ; ils firent la demande de la fille, et elle fut accordée à Samson.
Comme ils y allaient, Samson se détourna du chemin ; et tout d’un coup il vint un jeune lion qui voulait se jeter sur lui ; mais Samson l’ayant saisi, le mit en pièces, comme il aurait fait à un jeune chevreau, quoiqu’il n’eût rien à la main. Ensuite il revint joindre son père et sa mère, et ne leur dit rien de ce qu’il venait de faire. Quelque temps après, étant retourné à Thamnata, pour célébrer son mariage, il passa par le même endroit, pour y voir le cadavre du lion ; mais il le trouva tout sec, et un essaim d’abeilles qui s’était mis dans sa gueule, et y avait formé un rayon de miel. Il en prit, en mangea, et en porta à son père et à sa mère, qui en mangèrent aussi ; mais il ne leur voulut rien dire de sa première aventure, ni de ce qui était arrivé depuis. Elant arrivés à Thamnata, on fit la cérémonie et le festin des noces, et les habitants du lieu donnèrent trente jeunes hommes à Samson, pour lui faire honneur.
Or Samson dit à ces jeunes hommes : Je m’en vais vous proposer une énigme, et si vous pouvez me l’expliquer pendant les sept jours-du festin, je vous donnerai trente robes et autant de tuniques ; que si vous ne pouvez pas me l’expliquer, vous me donnerez aussi trente robes et trente tuniques, ou trente tuniques et trente manteaux : en un mot, trente habits complets (Juges 14.13), qui consistaient en une tunique ou une robe, et un manteau. Ils lui répondirent : Proposez votre énigme, afin que nous sachions ce que c’est. Samson leur dit : La nourriture est sortie de celui qui dévore, et la douceur est sortie du fort. Ils furent jusqu’au septième jour à chercher inutilement le sens de ce problème. Alors ils s’adressèrent à la jeune femme de Samson, et la pressèrent d’abord par prières, et ensuite par menaces, de tirer le secret de son mari et de le leur découvrir. Elle pressa, elle sollicita Samson : Samson se défendit d’abord ; mais enfin, vaincu par ses importunités et ses larmes, il lui découvrit le sens de son énigme, et elle l’alla redire aussitôt à ceux de sa ville. Ceux-ci avant le soleil couché, vinrent dire à Samson : Qu’y a-t-il de plus doux que le miel, et de plus fort que le lion ? Alors Samson leur répondit : Si vous n’aviez pas labouré avec ma génisse, vous n’eussiez jamais trouvé ce que mon énigme voulait dire. Il voulait dire par là qu’ils ont abusé de sa femme et qu’elle lui a manqué de fidélité.
En même temps l’esprit de Dieu le saisit ; il alla à Ascalon ville des Philistins, et y ayant tué trente hommes, il donna leurs habits à ceux qui avaient expliqué son énigme ; il quitta sa femme, et s’en retourna chez son père. Quelque temps après cette femme épousa un des jeunes hommes qui avaient accompagné son mari durant les jours de sa noce. La colère de Samson étant passée, il revint pour voir sa femme (Juges 15.1-3), et lui apporta un chevreau ; et lorsqu’il voulut entrer dans sa chambre, le père de la femme l’empêcha et lui dit : J’ai cru que vous la haïssiez, et je l’ai donnée à un autre. Mais elle a une sœur, qui est plus jeune et plus belle qu’elle ; je vous la donnerai pour femme au lieu d’elle. Samson répondit : Ci-après les Philistins n’auront plus sujet ae se plaindre de moi, si je leur rends le mal qu’ils m’ont fait. Après cela, il alla prendre trois cents renards, qu’il lia l’un à l’autre par la queue, et y attacha des flambeaux ; et les ayant allumés, il lâcha les renards dans les champs des Philistins. Aussitôt le feu se prit aux blés qui étaient mûrs, et dont une partie était déjà ramassée dans les aires, prête à battre ; la flamme se communiqua même aux vignes et aux oliviers, et consuma tout. Les Philistins, ayant su que Samson avait fait cela pour se venger de l’insulte que lui avait fait son beau-père de Thamnata, allèrent chez cet homme, et le brûlèrent lui et la femme de Samson. Celui-ci ne se contenta pas encore de cela ; il leur dit qu’il voulait encore porter plus loin sa vengeance, et qu’après cela il demeurerait en repos.
En effet il en tua un grand nombre, et demeura dans la caverne d’Etham, dans la tribu de Juda. Les Philistins l’ayant su, vinrent en grand nombre sur les terres de Juda pour y faire le ravage ; et ceux de Juda étant venus leur demander pourquoi ils étaient venus en armes contre eux, les Philistins répondirent : Nous sommes venus pour lier Samson, et pour lui rendre le mal qu’il nous a fait. Alors trois mille hommes de la tribu de Juda vinrent à la caverne d’Etham, et dirent à Samson qu’ils étaient venus pour le lier, et pour le livrer aux Philistins. Il leur répondit : Promettez-moi avec serment que vous ne me tuerez point. Ils le lui jurèrent ; et l’ayant lié de deux grosses cordes neuves, ils le menèrent au lieu où étaient les Philistins. Dès qu’ils le virent, ils jetèrent do grands cris, et vinrent fondre sur lui. Mais l’esprit de Dieu ayant tout d’un coup saisi Samson, il rompit en pièces les cordes dont il était lié, et ayant trouvé à ses pieds une mâchoire d’âne, il la prit, et en tua mille Philistins. Alors il chanta ce cantique : Avec une mâchoire d’âne d’un fils d’une ânesse, avec une mâchoire d’âne j’ai défait mille hommes. Et ayant jeté là cette mâchoire, il donna à ce lieu-là le nom de Ramat-lechi, c’est-à-dire, l’élévation de la mâchoire. Il fut ensuite pressé d’une grande soif ; il cria au Seigneur, et le Seigneur ouvrit un rocher qui était en ce lieu-là, et qui s’appelait Machtès, c’est-à-dire, la dent mâchelière, d’où il sortit de l’eau pour le désaltérer. Il y a sur cela (Juges 15.19) quelque difficulté qu’on a examinée sur l’article Lechi et sur Machtes. Voyez aussi les commentateurs sur (Juges 15.19).
Après cela Samson alla à Gaze, ville des Philistins (Juges 16.1-3), et y ayant vu une courtisane, ou une cabaretière, il entra chez elle. Les Philistins l’ayant appris, mirent des gardes autour de la maison, et aux portes de la ville, pour le tuer le lendemain au matin, lorsqu’il voudrait sortir. Mais Samson s’étant levé sur le minuit, alla prendre les deux portes de la ville, avec les deux montants, la barre et les liens qui l’attachaient, et les porta sur la montagne qui est du côté d’Hébron.
Quelque temps après (Juges 16.4-6), il aima une femme nommée Dalila, qui demeurait dans la vallée de Sorec. Plusieurs anciens ont cru que Samson l’avait prise à titre de femme légitime ; mais la plupart prétendent que Dalila était une débauchée et qu’elle ne fut jamais mariée à Samson. Les Philistins vinrent donc trouver cette femme, et lui promirent une grande somme d’argent, si elle pouvait leur découvrir en quoi consistait cette force si extraordinaire de Samson. Elle le leur promit, et n’oublia rien pour tirer ce secret de son amant. Samson éluda pendant assez longtemps ses demandes, et lui fit accroire que sa force consistait tantôt dans une chose, et tantôt dans une autre ; et lorsque les Philistins étaient prêts de fondre sur lui, il rompait ses liens, et effrayait ses ennemis. Il se laissa lier pendant qu’il dormait, tantôt avec des cordes faites de nerfs encore tout frais, tantôt avec des cordes, qui n’avaient jamais servi ; puis on fit une tresse de ses cheveux avec le fil dont on fait la toile, et on la ficha fortement en terre avec un clou ; mais tout cela n’y fit rien. Enfin Dalila l’importuna tant, qu’il lui dit que sa force consistait dans ses cheveux, parce qu’il était nazaréen dès le ventre de sa mère ; et que si on lui coupait la chevelure, il deviendrait faible comme un autre homme. Dalila les lui coupa, comme il dormait sur ses genoux ; et les Philistins étant tombés sur lui, le lièrent, lui crevèrent les yeux, et le menèrent à Gaze, où ils l’enfermèrent dans une prison, lui faisant tourner la meule, comme à un vil esclave.
On demande si les cheveux de Samson étaient la cause physique et naturelle de sa force, ou s’ils en étaient seulement la cause morale, et comme un gage de la présence du Saint-Esprit, qui avait bien voulu lui donner cette force prodigieuse comme une qualité permanente, tandis qu’il observerait les lois du nazaréat, et qu’il porterait sans y toucher sa chevelure, qui en était la marque la plus apparente. La plupart des Pères et des interprètes soutiennent ce dernier sentiment, qui paraît, en effet le plus vraisemblable : car encore que la chevelure rude, épaisse et bien nourrie, puisse être une marque naturelle de force, celui qui est naturellement fort ne le sera pas moins quand ses cheveux seront coupés qu’auparavant ! Mais cela n’était pas dans Samson. Ses cheveux n’étaient donc ni la cause ni la marque naturelle de sa force ; cette force était surnaturelle et miraculeuse, et Dieu avait bien voulu l’attacher à la chevelure de Samson.
Samson demeura dans la prison à Gaze environ un an. Alors ses cheveux étant revenus (Juges 16.22), Dieu lui rendit sa première force et les princes des Philistins firent une grande assemblée de religion dans leur temple de Dagon pour lui rendre grâces de ce qu’il les avait délivrés de leur ennemi. Après avoir fait des festins de réjouissance, ils firent venir Samson, afin qu’il jouât devant eux pour les divertir. On l’amena donc de prison ; et après qu’il leur eut donné assez longtemps le divertissement qu’ils jugèrent à propos de prendre après un aveugle qui ne savait où il allait, ni ce qu’on lui faisait, Samson pria celui qui le conduisait, de lui laisser un peu toucher les colonnes qui soutenaient tout le temple, afin qu’il se reposât un moment. Or le temple était tout plein de monde, qui élait tant dessous que dessus les galeries. Nous croyons que le temple était rond, et environné peut-être d’un double péristyle. Alors Samson, invoquant le nom du Seigneur, lui dit : Ô Seigneur mon Dieu, souvenez-vous de moi : rendez-moi maintenant ma première force, afin que je me venge en une seule fois mes ennemis qui m’ont fait perdre mes deux yeux ; et prenant les deux colonnes sur lesquelles le temple était appuyé, tenant l’une de la main droite, et l’autre de la gauche, il dit : Que je meure avec les Philistins, et ayant fortement ébranlé les colonnes, le temple tomba sur tous les princes et sur tout le peuple qui était là, au nombre d’environ trois mille personnes, et il en tua beaucoup plus en mourant, qu’il n’avait fait pendant sa vie. Il vécut en tout environ trente-huit ans, et fut juge d’Israël pendant vingt ans (Juges 16.20), depuis l’an du monde 2867 jusqu’en 2887.
On forme quelque difficulté sur le salut de Samson. A-t-il pu se donner la mort et souhaiter en mourant de se venger de la perte de ses deux yeux ? Saint Bernard soutient que s’il n’avait eu pour cela une inspiration particulière du Saint-Esprit, il n’aurait pu sans péché se donner la mort. Saint Augustin ne l’excuse non plus que dans la supposition qu’il y a été poussé par le mouvement intérieur de celui qui est maître de notre vie et de notre mort. D’autres soutiennent que, sans recourir à cette voie surnaturelle, on peut justifier Samson sur sa qualité de juge et de défenseur d’Israël, qui, sans faire attention au danger auquel il s’exposait, pouvait n’envisager que la merl de ses ennemis et l’avantage de son peuple. Enfin, de quelque manière qu’on l’excuse, il faut avouer qu’il est au nombre des saints, puisque saint Paul (Hébreux 11.32) le met parmi ceux dont la foi est louée et récompensée.
L’histoire de Samson devait être, on le comprend sans peine, exploitée par les poètes. Delort de Lavaur s’est attaché à faire voir qu’Hercule n’est qu’une copie de Samson. Voici ce qu’il dit là-dessus dans sa Conférence de la Fable avec l’Histoire sainte, chapitre 18 intitulé Hercule, seconde édition, in-8°, Avignon, 1835.
Les poêtes, dit-il, pour former à leur manière un héros qui fût un prodige de force et de valeur, composèrent leur Hercule sur le fond et sur le modèle de la vérité des histoires saintes, qui étaient la source Commune où ils puisaient. Ils la défigurèrent par leurs fictions ; et comme par son origine et par ses exploits ce héros se trouva élevé au-dessus de la nature, il fut mis par ces mêmes poêtes, et reçu par les peuples, au rang de leurs dieux, même du premier ordre. Ils lui attribuèrent les merveilles de plusieurs illustres chef du peuple de Dieu, qu’ils trouvaient décrites dans nos histoires saintes, plus anciennes que leurs plus anciens ouvrages, ou qu’ils apprenaient par la tradition et par le commerce des Égyptiens et des Phéniciens, fort répandus en divers pays, et surtout dans la Grèce.
C’est aussi au temps de ces chefs et du gouvernement des israélites par les juges que les héros et les grands événements de la Fable doivent leur origine, et qu’ils sont rapportés par le sentiment commun des auteurs sacrés et profanes.
Chaque nation ancienne qui eut des écrivains et qui a laissé des monuments de sa gloire voulut avoir un Hercule de son pays, forgé sur ce même modèle. Varron en comptait plus de quarante. Cicéron en compte six, dont le second est Égyptien, sorti du Nil, un Phénicien, et un Grec, fils de Jupiter, non pas, dit-il, du plus ancien, mais du troisième Jupiter et d’Alcmène ; et il est en peine de savoir lequel de ces six on honorait à Rome comme un de leurs dieux.
Hérodote, en son second livre, ne.parle que de l’Égyptien et du Grec ; et ce père de l’histoire (comme Cicéron l’appelle), le plus voisin des temps qu’il décrit, nous apprend, tout Grec qu’il est, que la Grèce avait emprunté son Hercule de l’Égypte, et qu’Amphitryon, son père, et Alcmène, sa mère, étaient Égyptiens. Ainsi, malgré l’affectation des Grecs de faire passer Hercule pour leur compatriote, ils n ont pu effacer son origine égyptienne ou hébraïque ; car les Grecs et les Phéniciens traitaient d’Égyptiens les Israélites établis dans le pays de Chanaan ou de Phénicie, dont les ancêtres étaient effectivement venus d’Égypte, où ils avaient demeuré plusieurs siècles.
Diodore de Sicile parle au long de l’Hércule grec, et en a ramassé presque tout ce que les poêtes en avaient conté dans leurs différents ouvrages. Plusieurs de ceux qui ont examiné ce fantôme de l’imagination de tant de poêtes y Ont trouvé bien des traité sensibles de Moïse, de Josué et de quelques autres.
M. Jacquelot, dans son traité de l’Existence de Dieu, croit que l’Hercule tyrien, le plus ancien de tous (comme dit Arrien, dans son second livre), pourrait bien être Josué.
Mais saint Augustin a reconnu que c’était particulièrement d’après Samson (à cause de sa force prodigieuse et incomparable) qu’ils avaient forgé leur Hercule, premièrement en Égypte, de là dans la Phénicie ; et qu’enfin les écrivains et les peuples de la Grèce avaient ramassé dans le leur les exploits et les merveilles de tous les autres Hercule.
Il paraît en effet que Samson, juge des Hébreux, à-peu-près depuis l’an du monde 2867 jusqu’en 2887, célébré dans le livre des Juges de l’Écriture sainte, et dans le chapitre 10 du livre v de l’Histoire des Juifs de Josèphe, est l’original du fond et de l’essentiel de l’Hercule de la Fable ; et quoiqu’on y ait rassemblé bien des traits de Moïse et de Josué, et qu’on y en ait aussi ajouté de l’invention des poêtes, les traits principaux et les plus considérables appartiennent à Samson, et sont marqués par des caractères si particuliers, qu’il est impossible de ne l’y pas reconnaître.
Considérons le nom, la naissance et la mort si singulières de Samson, ses caractères les plus propres, particulièrement sa force et ses faiblesses, avec quelques-uns de ses plus considérables exploits et des merveilleux prodiges de son histoire.
Hérodote, dans son second livre, enseigne que les Grecs ont pris des Égyptiens le nom même de leur Hercule, qu’ils faisaient fils d’Amphitryon et d’Alcmène, et qu’ils lui en ont donné un de la même signification qu’avait chez les Égyptiens ou chananéens le nom du héros sur lequel ils ont copié leur Hercule : ce qui est conforme à la remarque de Platon dans le Critias, rapportée ailleurs.
Le nom de Samson, en hébreu, dire soleil, et en syriaque, subjection à quelqu’un, et service. Macrobe nous apprend que le nom d’Hercule ne veut dire que le soleil ; car, en grec, heraclés, dit-il, c’est la gloire de l’air, ou la clarté du soleil.
Les Grecs et les Égyptiens ont aussi exactement suivi la signification syriaque, par la nécessité qu’ils ont imposée à leur Hercule, de la part même des destins et par la loi de sa naissance, d’être toute sa vie et dans tous ses exploits soumis à Eurysthée, et d’en dépendre pour tous ses fameux travaux.
Il n’y a qu’à voir la naissance de Samson dans l’Histoire sainte (Juges 11) et dans l’Histoire des Juifs. Manué, qui était le premier homme de sa tribu, avait épousé une belle femme qu’il aimait fort. Comme ils demandaient à Dieu des enfants, un jour que cette femme était seule à la campagne, un ange lui apparut sous la figure d’un beau jeune homme, et lui promit de la part de Dieu un fils d’une force extraordinaire, qui relèverait la gloire de sa nation et en humilierait les ennemis. Lorsque son mari vint, elle lui fit part de cette ambassade et de ce discours ; il en prit de la jalousie, et, pour l’en guérir, l’ange revint lorsque ces deux époux étaient ensemble dans leur maison. Manué le vit de ses yeux, et pour calmer entièrement sa peine et ses soupçons, l’ange s’éleva à leur vue dans les cieux, après leur avoir confirmé les promesses qu’il avait faites à la femme, qui devint bientôt grosse et accoucha de Samson.
La naissance d’Hercule, singulière et prodigieuse dans la Fable, est la même, avec une petite altération prise de l’idée que les païens avaient de leurs dieux. Amphitryon, le plus considérable et le chef des Thébains, avait épousé Alcmène, qu’il aimait éperdument, et n’en avait point encore d’enfants. Jupiter, voulant en faire naître Hercule, se rendit durant la nuit chez Alcmène en l’absence et sous la figure du mari ; au retour d’Amphitryon, elle lui conta qu’elle l’avait déjà vu. Amphitryon, transporté de jalousie et de chagrin contre sa femme (quelque bonne opinion qu’il eût de sa vertu), ne put être apaisé et consolé que lorsque Jupiter revint pour la justifier, qu’il parut ce qu’il était, et s’éleva dans le ciel à la vue d’Amphitryon. Ce dieu l’assura que lui seul avait vu Alcmène ; il lui répondit de sa vertu, et lui promit un fils distingué par sa force, et dont la gloire honorerait sa maison et son pays, humilierait leurs ennemis, et serait immortelle.
On peut aussi remarquer dans cette figure de Samson comme Dieu a permis qu’on y conservât les traits de celui dont Samson était lui-même la figure. De saints personnages ont observé que par ces origines fabuleuses de quelques hommes extraordinaires qui n’avaient aucun homme pour père, comme Hercule, Persée, etc., Dieu a voulu accoutumer et disposer ceux qui avaient revu ces fables à croire la naissance de Jésus-Christ d’une vierge, sans avoir aucun homme pour son père.
L’esprit de Dieu, qui fut d’abord dans Samson, lui fit produire dès sa première jeunesse des prodiges de force. Il trouva sur son chemin un jeune lion furieux qui vint à lui ; Samson, sans se détourner et sans aucune arme dans ses mains, déchira ce lion (Juges 14) comme il aurait déchiré un agneau. Il prit la résolution de faire tout le mal qu’il pourrait aux Philistins, qui accablaient les Israélites sous le joug d’une dure domination (Juges 20) ; il en fit de grands carnages ; il les affaiblit prodigieusement, èt commença à délivrer Israël de leurs mains (Juges 13.5), comme l’ange l’avait prédit.
De même la Fable fait faire à Hercule des exploits d’une force prodigieuse ; mais comme elle exagère sans bornes, elle lui fait saisir,. étant encore enfant, deux serpents monstrueux qui se jetaient sur lui, et le premier et le plus illustre travail de sa jeunesse fut la défaite d’un lion affreux dans la forêt de Némée, qu’il abattit et déchira de ses mains, sans le secours d’aucune arme ; il en porta sur lui la dépouille toute sa vie. Il forma et exécuta le dessein de délivrer son pays de la domination tyrannique des Minyens ; il les vainquit et mit sa patrie en liberté.
On ne doit pas être surpris que la Fable, qui déguise et qui veut faire des ouvrages de sa façon, altère les autres aventures de Samson, et qu’elle y en ajoute de son invention ; qu’elle lui en attribue de plusieurs autres chefs, et en applique aussi de Samson à d’autres qu’à Hercule. Ainsi trouvons-nous dépaysée, mais conservée, l’histoire des trois cents renards que Samson prit et lia les uns aux autres par leurs queues, en y attachant des flambeaux allumés, et qu’il poussa ensuite dans les champs des Philistins, au milieu des blés, des vignes et des oliviers (Juges 15), qui furent entièrement consumés.
C’est l’origine de la cérémonie rapportée par Ovide, dans laquelle, tous les ans, à Rome, on faisait paraître et courir dans le cirque des renards liés ensemble avec des torclies attachées à leurs queues. Cela venait, dit ce poële, d’un pays où des renards attachés dans de la paille et du foin qu’on avait allumés, avaient porté le feu dans les moissons, et les avaient consumées ; de là s’était établi l’usage de faire périr, tous les ans, à la vue du peuple, des renards, de la même manière qu’ils avaient fait périr les blés de ce pays. Cette cérémonie avait été transportée à Rome avec les religions et les superstitions de tons les pays que les Romains avaient subjugués. Il ne restait d’autre preuve de cet événement que cette fête annuelle et une vieille tradition. Voilà ce qu’Ovide en conte, et ce qui attestait la vérité de l’histoire de Samson. Mais la Fable a aussi mêlé cette aventure de Samson déguisée parmi celles d’Hercule ; car elle a conté qu’à la considération d’Omphale, reine des Méoniens, il prit et lui amena attachés un grand nombre de certains brigands qui ravageaient ses terres, et qu’il brûla toutes leurs vignes. Elle appelle ces brigands, Cercopes, qui veut dire rusés et malins, et animtiux à longue queue, tels que sont les renards. C’est ainsi qu’on travestit les renards liés par Samson avec le dégât des fruits des champs et des vignes. La Fable, dans Ovide, fait métamorphoser ces Cercopes en singes.
Ensuite la Fable a emprunté en faveur d’Hercule la merveille que Dieu fit en faveur de Josué, lorsqu’il combattait pour les Gabaonites contre les cinq rois amorrhéens. Le ciel fit tomber sur ceux-ci de grosses pierres épaisses comme de la grêle, qui tuèrent tous ceux qui avaient échappé aux Israélites, en plus grand nombre qu’il n’en avait péri par l’épée.
Ainsi parmi les merveilles de la vie d’Hercule on a inséré que dans un combat contre les Liguriens, Jupiter lui envoya le secours d’une pluie de cailloux ; et la quantité de ces pierres qu’on voit encore dans la plaine de Crau en Provence a donné lieu aux poétes de regarder cette plaine comme le théâtre de ce prodige.
La fameuse mâchoire d’âne avec laquelle Samson défit mille Philistins a été changée en la célèbre massue d’Hercule, avec laquelle il abattit les géants et défit tant d’autres ennemis contre lesquels il avait à combattre. La ressemblance des noms grecs peut y avoir donné lieu : corré veut dire mâchoire, et cormos, massue ; le passage d’un de ces noms à l’autre n’a pas été difficile ; et l’on y a été porté par la liberté de la tradition et de la Fable, d’autant qu’il a paru plus convenable d’armer Hercule d’une massue que d’une mâchoire d’âne.
Mais la Fable a conservé plus clairement la merveille de la fontaine que Dieu fit sortir d’une dent de cette mâchoire pour empêcher Samson de périr de la soif qui le pressait après la défaite des Philistins. Quand Hercule eut défait le dragon qui gardait les pommes d’or du jardin des Hespérides, et qu’il se vit en danger de périr de soif dans les ardeurs de la Libye, les dieux firent sortir une fontaine d’un rocher qu’il frappa de son pied.
Le caractère de la force prodigieuse de Samson était accompagné d’une faiblesse surprenante et continuelle pour les femmes. Ces deux caractères composent son histoire et règnent également dans toute sa vie. Le dernier l’emporta ; et après l’avoir souvent exposé, il causa enfin sa chute et sa perte.
La Fable n’a pas oublié ce même caractère de faiblesse pour les femmes, dans son Hercule. Il en avait pour toutes celles qui se présentaient ; elle le porta à des bassesses indignes, et après l’avoir précipité en plusieurs occasions dangereuses, elle le fit enfin périr misérablement et dans la fureur.
Samson, de qui la force était attachée à ses cheveux (Juges 16.19-21) et qui devait la perdre si on les lui coupait, ayant confié ce secret à Dalila, sa maîtresse, elle le trahit, lui coupa les cheveux pendant qu’il dormait, et le mit, dépouillé de toute sa force, entre les mains des Philistins, qui lui ôtèrent la liberté et la vue, et le firent servir comme le plus vil et le plus misérable des esclaves.
La tradition, qui met en lambeaux les histoires anciennes et des pays éloignés, a transporté cette aventure à Nisus, roi de Mégare, et à Scylla, sa fille (Mégare était aussi le nom d’une des femmes d’Hercule, fille de Créon, roi de Thèbes) ; le nom de Scylla est pris du crime et de l’impiété de cette fille de Nisus, du verbe grec scylao, qui peut dire dépouiller avec impiété. La fortune de Nisus était attachée à un cheveu couleur de pourpre ; Scylla ayant pris de la passion pour Minos, qui assiègeait Nisus dans sa capitale, trahit son père, lui coupa ce cheveu fatal dans le temps de son sommeil, et le livra entre les mains de son ennemi. Nisus perdit la raison et la vie ; suivant les fables, il fut changé en oiseau.
Le trait de l’histoire de Samson le plus éclatant et le plus singulier est celui par lequel il finit sa vie : lorsque les Philistins, faisant des sacrifices solennels en l’honneur de leur dieu pour lui rendre grâces de leur avoir livré leur redoutable ennemi, le firent amener de la prison pour s’en divertir, Samson pria ceux qui le conduisaient de le laisser s’appuyer, pour prendre quelque repos, sur l’une des deux colonnes qui soutenaient l’édifice, rempli d’une grande multitude de peuple et des princes des Philistins. Alors ayant invoqué le Seigneur, et ramassant ses forces, qui lui étaient revenues avec ses cheveux, il prit ces colonnes de ses deux mains et les ébranla si vigoureusement, que l’édifice tomba sur toute la multitude qui y était assemblée. Samson fit mourir de ce seul coup beaucoup plus de Philistins qu’il n’en avait tué pendant toute sa vie.
La Fable ou la tradition n’avait pu effacer ce trait dans la copie de Samson qui est Hercule. Hérodote le rapporte comme une tradition fabuleuse de l’invention des Grecs, et le rejette comme n’ayant point de fondement dans l’histoire ni dans les mœurs des Égyptiens, chez qui les Grecs contaient qu’elle s’était passée. Ils rapportent, dit cet historien dans son second livre, qu’Hercule étant entre le mains des Égyptiens, ils l’avaient destiné à être sacrifié à Jupiter ; qu’ils l’avaient orné comme une victime, et fait amener avec pompe au pied de l’autel ; que s’étant laissé conduire jusque-là ; et s’y étant reposé un moment pour ramasser ses forces, il avait massacré tous ceux qui étaient assemblés, au nombre de plusieurs milliers, pour être les acteurs ou les spectateurs de la pompe et du sacrifice.
La ressemblance de ces aventures de Samson et d’Hercule est visible et fait sentir, à n’en pouvoir douter, que la fable de l’un a été composée d’après l’histoire de l’autre. Ce qu’Hérodote y remarque de l’impossibilité de cette dernière aventure, suivant la tradition des Grecs, et de la ridiculité de l’attribuer aux Égyptiens, confirme qu’elle est empruntée et qu’elle n’est qu’une copie défigurée dont il faut chercher ailleurs l’original.
L’histoire de Samson a fourni aussi plus d’un sujet à ce que M. Cyprieu Robert appelle la hiéroglyphique chrétienne.
Les apôtres, dit-il, terrassant les dieux sous la massue de la doctrine, sont quelquefois figurés par Samson, que des archéologues ont pris pour Hercule, et qui écrase sous sa massue les monstres et le lion : c’est ainsi qu’il est sculpté en ivoire à la chaire de bois de Saint-Pierre, conservée à la basilique vaticane. Les premiers chrétiens croyaient que les Grecs menteurs avaient emprunté à l’histoire du héros juif leur fable d’Alcide. Une autre fois, dans une peinture des catacombes, on voit cet Atlas juif emporter de nuit, sur ses épaules, au haut des montagnes, les portes de Gaza, la ville païenne, comme Jésus montant au Calvaire enleva, les portes de la mort. « Car, dit saint Grégoire, que signifie Samson, si ce n’est le Sauveur ? Que représente la ville de Gaza, si ce n’est l’enfer ? Et, ajoute saint Augustin, qu’est-ce qu’enlever les portes de l’enfer, si ce n’est reculer l’empire de la mort ? »
Samson exprimait encore la puissance de l’homme du peuple sur qui la grâce divine descend. Mais comme ses exploits réveillaient trop l’idée de luttes et de triomphes matériels, l’Église s’en servit peu jusqu’au moyen âge, ou l’esprit chevaleresque développa ce symbole en l’incarnant dans saint Christophe, le géant des cathédrales. Espèce d’Hercule chrétien, d’abord au service d’un simple seigneur féodal, Christophe le quitta pour l’empereur ; puis, dédaigneux du César même qui a peur de Dieu, il ne veut plus que Dieu, seul être à qui la frayeur est étrangère. Portant son Verbe enfant sur ses épaules, il traverse avec lui les monts neigeux, les fleuves, les mers, sans avoir de l’eau jusqu’aux genoux : énergique symbole que le peuple semble avoir d’un air railleur opposé, comme son image, à saint Georges et aux autres emblèmes aristocratiques. » M. Cyprien Robert, Cours d’hiéroglyphique chrétienne, dans l’Université catholique, tome 7, page 199.