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Israélite de la tribu de Dan, et juge d’Israël pendant vingt ans (Juges 13 à 16), apparaît dans l’histoire comme un homme à part. Sa naissance miraculeuse est presque la moindre des merveilles de sa vie. Nazaréen, et béni de Dieu, il fut la Providence des tribus méridionales, qu’il protégea par divers exploits contre les brigandages des Philistins ; mais elles lui surent si peu gré d’être l’ennemi de leurs ennemis, qu’elles essayèrent une fois de le livrer entre leurs mains. Vif et bouillant de caractère, emporté, mais gai, ironique, presque bouffon, il se fait un jeu des travaux les plus gigantesques, et dépense parfois ses forces en pure perte, pour étonner plutôt que pour nuire, avec ironie et malice.
C’est presque toujours à l’improviste, d’une manière inattendue qu’il apparaît, et ses vengeances particulières servent souvent la vengeance nationale. Sans armes il tue un lion, et n’en tire d’autre profit que de proposer une énigme à ses amis de noce, et de manger le miel que les abeilles ont déposé dans la carcasse. Trompé au jeu, il tue trente Philistins pour avoir les trente robes de rechange qu’il doit payer. Trompé par son beau-père, qui donne sa femme à un autre, il prend trois cents chacals qu’il attache deux à deux avec un flambeau entre les deux queues, les lâche au milieu des blés et des plantations des Philistins et détruit en un jour les récoltes de l’année. Livré aux Philistins par les hommes de Juda qui trouvent qu’il les défend trop bien (fidèle image de ces protestants relâchés qui marchent plutôt contre leurs conducteurs avec leurs ennemis, que contre leurs ennemis avec leurs conducteurs), il se laisse conduire par 3000 hommes jusqu’en présence de l’ennemi ; les cordes neuves qui l’enchaînent tombent alors de ses bras, et d’une mâchoire d’âne il abat mille Philistins qui ne s’y attendaient pas ; il célèbre sa victoire par ses chants, mais il oublie que sa force lui vient de Dieu ; Dieu doit lui rappeler sa faiblesse.
Enfermé à Gaza, il n’essaie point de fuir en cachette ; il sort par la porte de la ville, qu’il enlève en passant et qu’il va placer, à quelque distance de là, sur une colline qui se trouve sur la route de Hébron. Il plaisante Délila sur sa curiosité, mais finit par céder à la persistance de ses intrigues féminines ; il lui livre son secret, il est nazarénien, et la marque de son nazaréat, son énorme chevelure, tombe sous les ciseaux philistins ; à son réveil, sentant sa tête dégarnie, il sent qu’il n’est plus nazaréen, il comprend que Dieu s’est retiré de lui, et il va faire dans la prison de Gaza de sérieuses réflexions sur sa coupable et malheureuse légèreté. Mais pendant que ses ennemis s’affaiblissent par leur orgueil, il se fortifie par son humiliation ; privé de la vue et tournant la meule, il sent flotter de nouveau sur ses épaules le symbole du nazaréat ; la paix est rentrée dans son cœur et avec elle le sentiment de sa force. Les Philistins, en un jour de fête, le font venir pour se réjouir de sa honte ; ils dansent, mais ils ne savent pas que c’est sur un volcan ; Samson aveugle les amuse, mais quel jeu ! Ses bras puissants saisissent les piliers sur lesquels la maison est appuyée, et trois mille Philistins périssent ensevelis avec lui sous les décombres de ce vaste bâtiment. Sa mort fut pour ses ennemis un coup fatal qui les affaiblit considérablement, et permit à sa famille de venir sans crainte réclamer son corps ; il fut enseveli dans le sépulcre de son père, entre Eshtaol et Tsorha.
De nombreuses difficultés sont à résoudre dans cette vie ; de nombreuses réflexions se pressent dans l’esprit lorsqu’on la lit avec sérieux, et en se rappelant que Samson fut un juge choisi de Dieu ; on a vu ailleurs la solution de quelques difficultés, la réponse à quelques questions, voir Lékhi, Nazaréen, Manoah, Lion, Abeilles, etc. Nous résumerons ce qui reste à dire sur ce sujet.
1°. Samson, dont le nom signifie petit soleil, était le type du soleil de justice ; il n’a pas été le libérateur d’Israël, il n’a fait que préparer, commencer sa délivrance et sa restauration, que Samuel au point de vue juif, Jésus-Christ au point de vue chrétien, ont achevée entièrement.
2°. Comment a-t-il pu, malgré son vœu de nazaréat, s’approcher du cadavre du lion, et manger le miel qu’il y a trouvé ? On peut répondre de deux manières. Il est presque sûr, d’abord, que ce cadavre n’était plus un cadavre, mais un squelette désinfecté ; autrement les abeilles n’y seraient pas venues ; or un squelette ne pouvait pas le rendre impur. Puis, il faut le dire, et plusieurs détails de la vie du héros nous y autorisent, Samson n’y regardait pas de très près, et après avoir avalé le chameau il avait du moins la droiture et le bon esprit de ne pas couler le moucheron.
3°. Le mariage de Samson avec une Philistine, ses désordres à Gaza, ses relations illicites avec Délila, sont une preuve évidente des passions voluptueuses du juge d’Israël, et pèsent sur lui beaucoup plus que le contact du lion décharné. Il est impossible de l’absoudre, car Dieu lui-même l’a condamné ; des tromperies, la prison, le supplice, la mort ont été la suite de son péché, et il a pu comprendre que les pieds de la femme débauchée conduisent à la mort (Proverbes 5.5 ; 7.27). Mais nous ne devons pas non plus nous montrer plus sévère que Dieu même ; Samson, comme notre Seigneur, a été seul à fouler au pressoir ; seul pendant toute sa carrière, sans secours, sans sympathie chez ses compatriotes, isolé comme un prophète, combattant pour la vérité, mais abandonné de ceux qui l’auraient dû défendre, il a souffert en son âme de son isolement, et ses faiblesses s’expliquent sans l’excuser. Si Dieu ne lui a jamais fait défaut, c’est que le juge d’Israël n’a jamais manqué ; l’homme a péri, le juge a triomphé. La foi de Samson brille en quelque sorte d’un éclat d’autant plus vif que ses fautes comme individu ont été plus grandes, et si l’auteur de l’épître le compte au nombre des héros de la foi (Hébreux 11.32), ce n’est bien sûrement pas à cause de ses fautes, mais parce que malgré ses fautes il n’a jamais désespéré des promesses et de la fidélité divines. La foi du chrétien, c’est de croire que Dieu est toujours fidèle, alors même que nous cessons de l’être.
4°. La chute si prompte et si complète du temple de Dagon, occasionnée par le seul ébranlement de deux piliers, peut à juste titre causer une surprise mêlée de doute, lorsqu’on se représente ce bâtiment construit dans les conditions ordinaires de l’architecture moderne. Mais il est facile de se représenter une construction et une architecture différente ; le voyageur Shaw raconte qu’il a vu, à Alger et ailleurs, des maisons et même de grands édifices construits de telle sorte que le tout croulait si les colonnes du centre étaient enlevées ; l’architecte Christophe Wren a décrit la manière dont une pareille construction pouvait se faire, et Pline mentionne un théâtre immense construit à Rome par Curion partisan de César, et dont toute la solidité dépendait de celle d’une simple charnière.
5°. Les cheveux de Samson ne faisaient pas sa force ; ils en étaient l’emblème naturel, car la force de l’homme est presque toujours accompagnée d’un grand développement chevelu ; ils en étaient en outre le sceau divin, car ils étaient le signe de son nazaréat, de la mission dont il était revêtu, et de l’assistance que Dieu devait lui prêter ; en perdant ses cheveux, Samson n’a perdu ses forces que parce qu’il sentait qu’il avait mérité d’être abandonné de Dieu ; il n’avait plus de foi en Dieu.
6°. Il est dit, à plusieurs reprises, que l’Esprit de Dieu fut sur Samson quand il s’apprêtait à faire le mal, ou que ses inclinations vicieuses venaient de l’Éternel ; la réponse à cette difficulté est du ressort de la dogmatique ; disons seulement que si l’Éternel dirige le cœur de l’homme comme des ruisseaux d’eau, il ne lui enlève point sa liberté. L’homme, esclave naturel du péché, suivait les désirs de la chair, et Dieu le laissait faire, sachant qu’il tirerait le bien du mal.
7°. La force miraculeuse du fils de Manoah, a été regardée par plusieurs comme une force fabuleuse, et peu s’en faut que les rationalistes n’aient fait de Samson un être imaginaire, un héros fantastique, un mythe, comme on dit de nos jours. De ce que presque toutes les nations ont conservé le souvenir d’un homme aux exploits prodigieux, on a failli conclure qu’il n’y a jamais eu de Samson, ou tout au moins, et c’est alors une critique et une exégèse à part (on pourrait dire rétroactive), que le Samson des Juges a été emprunté à l’Ovide des Romains, aux traditions grecques sur Hercule, ou au Rama des Indiens.
Le lion de Némée, en effet, la biche de Diane, le taureau crétois, la défaite de l’armée d’Ergine par Hercule et sa massue, la naissance miraculeuse d’Hercule, Hercule aux pieds d’Ompliale, le Crotoniate Milon, les exploits de Thésée qui charge sur ses épaules un taureau vivant et le porte à Athènes, l’histoire du roi Nisus de Mégare qui perd ses forces avec les boucles rouges de son éclatante chevelure, la source d’Aganippe qui jaillit sous les pieds de Pégase, les énigmes que Rama propose à ses amis de noce, la source miraculeuse qui jaillit à ses côtés pour apaiser son ardente soif, les renards sauvages qu’on avait l’habitude de lâcher à Rome, au milieu du théâtre, avec des brandons attachés à la queue pour célébrer la fête d’Hercule, tous ces détails, et d’autres encore que nous racontent les anciens poètes, rappellent à divers titres l’histoire de Samson, et quant aux usages dont Ovide dit qu’il n’en connaît pas l’origine, il aurait pu la trouver dans les livres sacrés des Hébreux. Si l’on veut nier absolument la possibilité des faits, à la bonne heure ; c’est un système, et Vatke a pu démontrer comme quoi Samson n’avait jamais existé, comme quoi Samson est une allégorie, un type du soleil, comme Napoléon. Mais si l’on admet la possibilité de la chose, qu’on en laisse au moins, avec l’histoire, l’initiative au peuple hébreu ; qu’on reconnaisse que ce ne sont pas les plus anciens qui ont emprunté leurs traditions aux plus modernes, les Juifs aux Romains, les Juges à Diodore de Sicile.