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Noé
Dictionnaire encyclopédique de la Bible de Augustin Calmet
Westphal Bost

Fils de Lamech, naquit l’an du monde 1056, avant Jésus-Christ 2944, avant l’ère vulgaire 2948. Au milieu de la corruption générale de tous les hommes de ce temps-là, Noé trouva grâce aux yeux du Seigneur (Genèse 5.8) ; et Dieu, voyant que toute chair avait corrompu sa voie, dit à Noé (Genèse 8.1-2) : La fin de toute chair est résolue en ma présence ; la terre est remplie des iniquités des hommes, et je les exterminerai avec la terre. Faites une arche de bois taillé et poli ; vous y ferez de petites chambres, et vous l’enduirez de bitume dedans et dehors. Elle aura trois cents coudées de long, cinquante de large, et trente de haut. Elle aura trois étages de chambres, et vous ferez une porte à son côté. Car je vais faire venir les eaux du déluge, et je ferai périr tous les animaux qui sont sous le ciel et sur la terre. Je ferai alliance avec vous, et je vous garantirai de ce malheur général. Vous entrerez dans l’arche, vous, votre femme, vos trois fils, Sem, Cham et Japhet, et leurs trois femmes avec eux. Vous ferez entrer dans l’arche une couple d’animaux de chaque espèce, mâle et femelle, du nombre des animaux impurs ; et sept couples d’animaux purs, mâle et femelle ; et vous transporterez dans l’arche toutes les provisions nécessaires pour votre nourriture, et pour celle des animaux qui y seront avec vous.

Noé accomplit tout ce que le Seigneur lui avait ordonné ; et l’an du monde 1656, avant Jésus-Christ 2344., avant l’ère vulgaire 2348, Dieu fit venir tous les animaux vers Noé, afin qu’il pût les introduire dans l’arche ; après quoi il lui ordonna d’y entrer lui-même avec sa femme et ses trois fils, et leurs femmes ; et lorsqu’ils y furent entrés, il ferma la porte au dehors ; et dés ce moment ; les eaux du déluge commencèrent à tomber sur la terre. Noé était alors âgé de six cents ans. Le dix neuvième jour du second mois de cette même année, les sources du grand abîme des eaux furent rompues, et les cataractes du ciel furent ouvertes ; et la pluie tomba sur le terre pendant quarante jours et quarante nuits. Les eaux crurent de telle sorte ; qu’elles s’élevèrent de quinze coudées au-dessus du sommet des montagnes ; et elles demeurèrent sur toute la terre pendant cent cinquante jours, sans augmenter ni diminuer de manière que tout ce qui avait vie sur la terre et dans l’air, mourut, à l’exception des animaux qui étaient dans l’arche avec Noé.

Or le Seigneur s’étant souvenu de Noé (Genèse 8.1-2), envoya sur la terre un vent qui fit diminuer les eaux ; en sorte que le vingt-septième jour du septième mois l’arche s’arrêta sur les Montagnes d’Arménie ou d’Ararat, comme porte l’Hébreu. On croit que c’est le mont Ararát, près de la ville d’Erivan. [Voyez Arabat, Arménie]. ; Le dixième jour du dixième mois, les sommets des montagnes commencèrent à paraître ; et après quarante jours, Noé laissa aller le corbeau, qui sortit de l’arche, et revint, selon l’Hébreu (Genèse 8.7) ou ne revint pas, selon les Septante et la Vulgate ; ou il sortit, et allait et venait, volant autour de l’arche s’arrêtant sur son tiit. Il envoya ensuite la colombe, qui n’ayant pu trouver où asseoir son pied, revint dans l’arche. Sept jours après, il la renvoya de nouveau ; et elle revint sur le soir, portant dans son béc une branche d’olivier chargée de feuilles toutes vertes que cet arbre avait poussées depuis l’écoulement des eaux. Il attendit encore sept jours, et alors il découvrit le toit de l’arche et ayant remarqué que toute la surfaçe.de la terre était séchée, il reçut ordre du Seigneur de sortir de l’arche avec tous les animaux qui y étaient. Il sortit donc de l’arche l’an 601 de son âge et le vingt-septième jour du second mois.

Alors il offrit en holocauste au Seigneur un de tous les animaux purs qui étaient dans l’arche ; et le Seigneur eut son sacrifice pour agréable, et il lui dit : Je ne répandrai plus ma malédiction sur toute la terre, et je n’en exterminerai plus tous les animaux comme j’ai fait. Je vous donne l’empire sur toutes les bêtes (Genèse 9.1-2), et je vous les livre, pour en manger, comme vous mangez des légumes et des fruits de la terre. J’excepte seulement le sang dont je vous défends d’user. Croissez et multipliez-vous. Je vais faire alliance avec vous : je m’engage à ne plus envoyer sur la terre de déluge universel ; et, pour preuve de ma parole, je mettrai mon arc dans les nues ; et il sera comme le gage de ma promesse et de mon alliance avec vous. [Voyez alliance}

Or Noé, étant laboureur, commença à cultiver la vigne ; et ayant bu du vin, il s’enivra, et, en dormant, il se découvrit d’une manière indécente dans sa tente. Cham, père de Chanaan, l’ayant trouvé en cet état, s’en moqua et en donna avis à ses deux frères, qui étaient au dehors. Mais eux, au lieu de s’en railler, s’en détournèrent ; et marchant en arrière, ils couvrirent la nudité de leur père, en jetant sur lui un manteau. Noé, s’étant réveillé et ayant su ce que Cham lui avait fait, dit : Que Chanaan, fils de Cham, soit maudit ; qu’il soit l’esclave des esclaves à l’égard de ses frères. On croit qu’il voulait épargner la personne de Cham, son fils, de peur que la malédiction qu’il lui donnerait ne retombât sur les autres fils de Cham (Genèse 10.6), qui n’avaient point eu de part à son action. Il maudit Chanaan par un esprit prophétique, parce que les chananéens, ses descendants, devaient un jour être exterminés par les Israélites. Noé ajouta : Que le Seigneur, le Dieu de Sem, soit béni, et que Chanaan soit l’esclave de Sem. Il le fut en effet dans la personne des chananéens assujettis parles Hébreux. Enfin Noé dit : Que Dieu étende la possession de Japhet ; que Japhet demeure dans les tentes de Sem, et que Chanaan soit son esclave. Cette prophétie eut son accomplissement, lorsque les Grecs, et ensuite les Romains, descendus de Japhet, firent la conquête de l’Asie, qui était le partage de Sem.

Or Noé vécut encore, depuis le déluge, trois cent cinquante ans ; et tout le temps de sa vie ayant été de neuf cent cinquante ans, il mourut l’an du monde 2006, avant Jésus-Christ 1994, avant l’ère vulgaire 1998. Il laissa trois fils, Sem, Cham et Japhet, dont nous avons parlé ailleurs sous leurs articles, et il leur partagea, selon l’opinion commune, tout le monde pour le peupler. Il donna à Sem l’Asie, à Cham l’Afrique, et à Japhet l’Europe. Quelques-uns veulent qu’outre ces trois fils il en ait eu encore plusieurs autres. Le faux Bérose lui en donne trente, nommés Titans, du nom de leur mère Titoea. On veut que les Teutons ou Allemands soient sortis d’un fils de Noé, nommé Thuiscon. Le faux Méthodius fait aussi mention d’Ionithus ou Ioniens, prétendu fils de Noé. On peut voir l’Histoire scolastique de Pierre le Mangeur, et Tostat sur la Genèse. Nous avons parlé ci-devant, sous l’article Noachides, des préceptes que les rabbins croient avoir été donnés par Noé à ses fils et à leurs descendants.

Saint Pierre (2 Pierre 2.5) appelle Noé le prédicateur de la justice, parce qu’avant le déluge il ne cessa de prêcher aux hommes, par ses discours, par sa bonne vie, et par le bâtiment de l’arche, auquel il fut occupé pendant six vingts ans, que la colère de Dieu était prête de fondre sur eux. Mais ses prédications n’eurent aucun effet, puisque le déluge trouva les hommes plongés dans leurs anciens désordres et occupés de tout autre chose que du soin de satisfaire à la justice de Dieu (Matthieu 24.37). On trouve parmi les vers des prétendus sibylles une pièce intitulée : Description des hommes d’avant le déluge, et la prédication que Noé leur fit. Théophile d’Antioche semble croire que le nom de Deucalion, qui est le même que Noé, vient du grec deuté, et calcin, venez, et appeler parce que Noé parlant aux hommes d’avant le déluge leur disait : Venez : Dieu vous appelle à la pénitence.

Le même saint Pierre (1 Pierre 3.18-19, 20), dit que Jésus-Christ étant ressuscité par l’esprit, alla précher aux esprits qui étaient détenus en prison, qui autrefois avaient été incrédules, lorsqu’au temps de Noé ils s’attendaient à la patience et à la bonté de Dieu, pendant qu’on préparait l’arche dans laquelle peu de personnes, savoir, huit seulement, furent sauvées du milieu de l’eau. Plusieurs anciens Pères ont pris ces paroles à la lettre comme si Jésus-Christ, après sa résurrection, était allé réellement prêcher aux hommes qui avaient été incrédules avant le déluge, à la prédication de Noé ; qu’il en avait délivré quelques-uns des moins méchants, lesquels avaient cru en lui, et s’étaient convertis. D’autres sous le nom de prison entendent le corps, qui est comme la prison de l’âme. Ils veulent que Jésus-Christ par son esprit, dont il remplit Noé, prêcha par la bouche de ce patriarche aux incrédules d’avant le déluge, les âmes desquels étaient alors dans la prison du corps, mais qui du temps auquel écrivait saint Pierre étaient dans la prison de l’enfer. On peut voir les commentateurs pour les autres sens que l’on donne à ce passage.

Les Orientaux croient que Noé reçut ordre de Dieu de prendre le corps d’Adam, et de le mettre dans l’arche, pour le garantir des eaux du déluge ; et que se sentant près de sa mort, il fit venir Sem, son fils, lui confia ce dépôt et lui dit de le porter à Melchisédech, prêtre du Très-Haut, afin qu’ils l’enterrassent ensemble au lieu que l’ange du Seigneur lui marquerait. Sem alla donc trouver Melchisédech, et ils enterrèrent Adam sur le Calvaire, qui est le milieu de la terre. Voici une oraison que l’on dit que Noé récitait tous les jours pendant qu’il fut dans l’arche : Seigneur, vous êtes véritablement grand, et il n’y a rien de grand comparé à vous. Regardez-nous d’un œil de miséricorde. Délivrez-nous de ce déluge d’eaux. Je vous en conjure par les regrets d’Adam, votre premier homme, par le sang d’Abel, votre saint, par la justice de Seth, l’objet de votre complaisance. Ne nous mettez point au nombre de ceux qui ont violé vos commandements, mais étendez sur nous vos soins miséricordieux, parce que vous êtes notre libérateur, et toutes vos créatures publieront vos louanges. Ainsi soit-il.

Plusieurs savants ont remarqué que les païens ont confondu Saturne, Deucalion, Ogygès, le dieu Coelus ou Ouranus, Janus, Protée, Prométhée, Vertumnus, Bacchus, Osiris, Vadimon, Xisuthrus, avec Noé. On a aussi attribué quelques écrits à Noé. Quelques Hébreux ont cru que Moïse citait un ouvrage composé par Noé, lorsqu’il dit (Genèse 6.9) : Voici les généalogies de Noé, et ailleurs (Genèse 10.1) : Voici les généalogies des enfants de Noé. Le faux Bérose lui attribue de même un livre des secrets des choses naturelles, et les cabalistes soutiennent qùe ce livre fut dérobé à Noé par son fils Cham, et donné à Mizraïm. Guillaume Postel en parle dans le titre de son livre intitulé : De originibus, seu de varia ac polissimum orbi Latino ad hanc diem incognita, aut inconsiderata historia, etc. Exode libris Noachi et Hanachi, etc. Lambécius, dans le catalogue de la bibliothèque de l’empereur, parle d’un livre de Noé, intitulé : Méthode qui a été révélée au prophète Noé par l’ange du Seigneur, pour lui montrer seize figures propres à prédire l’avenir. Mais tout cela est justement mis au rang des fables et des superstitions. On n’a nulle preuve que Noé ait jamais rien écrit ; du moins, il n’est rien venu de lui jusqu’à nous.

La femme de Noé est appelée Noria par les gnostiques ; Barthenos ou Rathenos par saint Épiphane ; par quelques anciens rabbins, Noema ou Tethiri. Mais cela est tout aussi peu certain que ce que nous venons de dire des livres composés par Noé.

On trouve dans l’explication arabique de la Genèse, attribuée à saint Hippolyte et imprimée au second tome de ses œuvres, page 38, édition Fabricii, que la femme de Sem s’appelait Nahalath Mahnuk ; celle de Cham, Zetdkath nabu ; et celle de Japhet, Arathka.

Les musulmans donnent à Noé le titre de père et de chef de tous les envoyés de Dieu, de tous les prophètes ; ils le qualifient aussi Al-nogi, celui qui a été sauvé, et qui a sauvé les autres. Ils ajoutent qu’il fut envoyé de Dieu pour prêcher aux hommes la pénitence et l’unité d’un Dieu, et qu’il ne convertit que quatre-vingts personnes, qui furent sauvées avec lui dans l’arche. Que quand il commença à travailler à ce fameux vaisseau, tous ceux qui le voyaient se moquaient de lui, et lui disaient : Vous bâtissez un vaisseau, faites-y donc venir de l’eau ; et vous voilà enfin devenu de prophète charpentier. Mais il répondait à ces insultes : Vous vous moquez de moi maintenant : je me moquerai de vous à mon tour ; vous apprendrez un jour à vos dépens qu’il y a dans le ciel un Dieu qui punit les méchants.

Ebn-Abbas dit que Noé étant en peine de la figure qu’il devait donner à l’arche, Dieu lui révéla qu’elle devait être semblable au ventre d’un oiseau, et qu’il devait y employer le bois d’un arbre nommé en arabe Sag, qui est le platane des Indes ; qu’il le planta aussitôt, et qu’en vingt années il se trouva assez gros pour fournir de matière à tout ce grand vaisseau. Il fut construit en l’espace de deux ans ; il avait trois étages : le plus haut était destiné aux oiseaux, le plus bas aux animaux domestiques et sauvages, et celui du milieu à l’homme.

Le temps du déluge étant arrivé, le four commença à bouillir et à regorger ; car ils croient que Noé avait hérité du four dont Ève s’était servi pour cuire le pain, et qu’au temps de la vengeance de Dieu il commença à vomir de gros bouillons d’eau coulante. Ce four, nommé en hébreu tannour, est différent de nos fours ordinaires ; il a son ouverture par en haut, et est ordinairement de pierre ou d’argile. Les quatre-vingts fidèles entrèrent dans l’arche avec Noé ; il n’y eut que Chanaan, fils de Cham, qui n’y voulut pas entrer. Les uns croient que Noé s’embarqua à Coufah, près de l’embouchure du Tigre dans le golfe Persique, d’autres au lieu où l’on bâtit depuis Babylone.

Après que l’arche eut fait le tour du monde pendant l’espace de six mois, Dieu commanda à la terre, et lui dit : Terre, engloutis tes eaux ; ciel, puise celles que tu as versées. L’eau commença aussitôt à diminuer. L’ordre de Dieu fut exécuté ; s’arrêta sur la montagne de Girudi, et on entendit cette voix du ciel : Malheur aux impies !

Ils croient que Noé sortit de l’arche le dixième jour du premier mois de l’année arabique, nommée Méharram, et que ce patriarche institua ce jour-là un jeûne, qu’ils observent encore aujourd’hui, en mémoire de la délivrance des eaux du déluge. Alors Noé fut établi de Dieu comme un nouvel Adam pour repeupler tout le monde. Tous les peuples tirent leur origine de ses trois fils.

Sem fut le père des Hébreux, des Arabes, des Persans, des Syriens et des Grecs.

Japhet, des Scythes, des Mogols, des Gètes, des Tartares, des Chinois, des Turcs, des Hyperboréens, de Gog et Magog.

Cham est le père des Indiens, des Africains, des noirs et de tous les peuples Méridionaux.

Outre ces trois fils de Noé, les Orientaux lui en donnent un quatrième qui est Magheston, inconnu aux livres saints des Hébreux. Ils disent de plus, que Dieu envoya des livres à Noé : ce qui signifie, selon leur langage, qu’il laissa en mourant, dix volumes dans lesquels il écrivit les révélations et tous les ordres qu’il avait reçus de Dieu. Mais ces livres, supposé qu’ils aient jamais existé, se sont perdus. On dit qu’il y a un monastère en Mésopotamie, nommé Deir Abonna, le monastère de notre père, près duquel il y a un château, où l’on voit un grand sépulcre, que les gens du pays disent être celui du patriarche Noé ; et le géographe Persien marque un lieu de l’Arabie, dans la province la plus orientale de ce pays, qui porte le nom d’Ardh-North, terre de Noé, ce qui revient assez à l’opinion de ceux qui mettent la construction de l’arche à Coufah, dont nous avons parlé.

La fable de Deucalion et de Pyrrha, sa femme, est manifestement inventée de l’histoire de Noé. Deucalion, par le conseil de son père, fit une arche, ou vaisseau de bois, dans lequel il mit toutes les provisions nécessaires à la vie, et y entra avec Pyrrha, sa femme. C’était pour prévenir un déluge d’eau qui inonda presque toute la Grèce. Presque tous les peuples de ce pays y périrent. Il n’y eut que ceux qui se sauvèrent sur les plus hautes montagnes qui échappèrent. Dès que le déluge fut cessé, Deucalion sortit de son arche, et se trouva sur le mont Parnasse. Il y offrit ses sacrifices à Jupiter, qui lui envoya Mercure pour lui demander ce qu’il souhaitait. Il demanda d’être le réparateur du genre humain. Jupiter le lui accorda. Ils se mirent lui et Pyrrha à jeter des pierres derrière eux, et ces pierres se changèrent en autant d’hommes et de femmes.

Les païens ont frappé des médailles pour conserver la mémoire de ce fameux événement. On y voit sur l’une la tête de l’empereur Philippe, et sur l’autre celle de Septiurius Sévère Pertinax, et sur les revers de l’une et de l’autre une arche ou vaisseau carré oblong, dans lequel paraissent Deucalion et Pyrrha, ou, si l’on veut, Noé et sa femme ; au dehors on voit aussi un homme et une femme, et au-dessus de l’arche deux oiseaux, dont l’un apporte dans ses pattes une petite branche d’olivier. Ces médailles ont été frappées à Apamée de Phrygie, où l’on croyait que l’arche de Noé s’était arrêtée. Voyez ci-devant Apamée, et ce qu’on a remarqué sur l’Arche de Noé, et sur le déluge [Noé se retrouve dans les fables et dans les histoires. Dom Calmet n’en a dit qu’un mot ; nous allons y suppléer, et d’abord faire connaître le résultat des recherches de Delort de Lavaur touchant les métamorphoses que l’imagination des poètes a fait subir à Noé. Laisspns parler ce savant :

« Saturne eut de Rhée ou Cybèle, qui était aussi sa sœur, plusieurs enfants, dont les plus considérables furent Jupiter, Neptune et Pluton. Il les dévorait tous ou les enfermait, de crainte d’en être détrôné ; mais leur mère sauva ces trois-ci, en les cachant dans une caverne. Peu de temps après, les géants ou titans, c’est-à-dire, les enfants de la terre, déclarèrent la guerre à Jupiter et à tout le ciel, dans lequel ils voulaient monter ; mais, après s’être élevés bien haut, ils furent pécipités et liés par Jupiter.

C’est la copie des trois enfants que Noé conserva seuls, enfermés dans l’arche lors du déluge qui engloutit tout le genre humain descendu du preinier homme. Ces titans ne sont-ce pas les nouveaux et audacieux enfants de la terre qui entreprirent, après le déluge, d’élever la tour de Babel au-dessus des nues, dans le dessein de se soustraire au pouvoir de Dieu ?

Le rapport des trois enfants de Saturne qui furent sauvés, et du partage de l’univers entre eux, avec le partage du toute la terre entre les trois enfants de Noé, se montre de lui-même. [Voyez Cham].

Janus, souvent confondu dans les fables avec Saturne, est également reconnaissable dans Noé. Ovide fait sortir l’univers de ses mains (après le déluge), comme il était sorti du premier chaos. Ce poëte fait comparaître Janus, qui débite qu’il a fermé le premier monde que le déluge replongea dans le chaos (de même que Noé l’avait fermé quand il ferma l’arche) ; et comme il a ouvert et vu renaître par son ministère le nouveau monde (comme fit Noé, quand rouvrit l’arche et qu’il en sortit avec sa famille pour peupler de nouveau l’univers). Janus explique et s’attribue ce renouvellement, à-peu-près comme Hésiode en avait conté la première production.

C’est de là qu’on le peignait avec deux visages, dont l’un voyait derrière lui ce qui s’était passé dans l’ancien monde, et l’autre était tourné sur le nouveau qu’il avait vu renaître et rétablir. Ce qui convient uniquement à Noé, qui avait vu et prévu la fin de l’un et le rétablissement de l’autre. C’est aussi l’origine des noms de Clusius et de Patulcius, que l’on donnait à cette copie de Noé qui seul était désigné par ces noms, pour avoir fait la clôture du premier monde et l’ouverture du second. C’est pourquoi on le faisait présider aux portes, aux entrées et aux sorties, d’où vient son nom latin Janus, de janua, une porte ; et celui de januarius, janvier, donné au premier mois de l’année.

Son portrait tenait une clef dans une main, et par la disposition des doigts de l’autre main on représentait les 365 jours qui composent l’année, parce qu’on le regardait comme l’auteur et le dieu des années et du temps que l’on mesure par le mouvement des astres qu’il semblait avoir ramenés. Tout cela appartient à Adam et à Noé, premier et second chefs du genre humain, que la Fable a confondus, comme elle confond Janus avec Saturne, dont le nom grec Chronos signifie le temps. Le temps, qui commença avec Adam, parut recommencer avec Noé, pour qui Dieu renouvela sa loi et sa promesse pour l’ordre des temps, des années, du jour, de la nuit et des saisons.

Les poêtes ont fait de belles descriptions de l’âge d’or. Les uns, comme Virgile, l’ont mis sous Saturne ; les autres, sous Janus, comme Ovide, qui fait dire à ce dieu que sous son règne les dieux habitaient la terre pour y converser avec les hommes ; que la religion et la sainteté y régnaient ; que les crimes et l’impiété n’en avaient pas encore chassé la justice. Saturne vit finir cet heureux âge sous le règne de Jupiter, qui l’avait détrôné, et sous lequel la violence, l’usurpation, l’injustice et l’impiété établirent l’âge de fer. Dès lors les hommes fidèles et justes, avec lesquels les dieux prenaient plaisir d’entretenir commerce, furent fort rares.

Cette idée convient aux premiers jours d’Adam dans le paradis terrestre, et au premier siècle de Noé après le déluge ; elle ne peut avoir été prise d’ailleurs. Aussi ce prétendu beau règne de Saturne, avec son âge d’or, sont traités de fable par Platon. Adam ne fut pas longtemps dans ce jardin délicieux où tout lui était soumis ; et quand il en fut chassé, il vit finir cet âge heureux ; il fut obligé de travailler à la terre et se vit exposé à toutes les misères. Les hommes demeurèrent cependant sans servitude et sans domination jusqu’au temps de Noé. Alors même, pendant le premier siècle du monde renouvelé, ce fut un nouvel âge d’or ; liberté entière, société des biens, uniformité de langage dans une même famille, jusqu’à ce qu’elle fût divisée du temps de Phaleg. Noé vit terminer ces heureux temps parmi ses descendants, par Nemrod, petit-fils de son fils Chain. Celui-ci, non content du partage fait par Noé, son bisaïeul, entreprit d’usurper la portion de Sem, introduisit par son ambition les guerres et les conquêtes, s’assujettit par les armes le pays de Babylone et fonda le premier empire, soit que ce fût le Bélus Assyrien ou Ninus dont parle Justin, soit qu’il en ait été différent. L’injustice et l’impiété chassèrent alors la piété et la justice.

Eupolème, dans Eusèbe, rapporte que, suivant la tradition des Babyloniens, il y avait eu un premier Bélus, qu’on disait aussi être Saturne, qui avait pour enfants un autre Bélus, et Chanaan, père des Phéniciens. Ce second Bélus pourrait être Nemrod, petit-fils de Noé, ou, suivant eux, de Saturne, dont ils firent Bel ou Baal. C’était une tradition des Babyloniens, dans le pays desquels Noé avait fait son séjour.

Dans ce premier âge, Dieu avait entretenu un commerce familier avec les hommes, quelquefois par lui-même, et souvent par l’entremise de ses anges. Il le continua de temps en temps, mais rarement dans la suite, et avec un petit nombre, Abraham, Jacob, Moïse, qui lui demeurèrent fidèles.

Sur ce qu’il est dit dans l’histoire sainte, que Noé, par ses trois enfants, sema et répandit le genre humain sur toute la terre, qu’il s’appliqua à la cultiver, qu’il enseigna les moyens de la rendre féconde, qu’il planta la vigne, et qu’ayant bu du vin il s’enivra et s’endormit à demi nu dans sa tente, on a attribué à Saturne d’avoir enseigné aux hommes la méthode de cultiver et d’engraisser la terre pour la rendre féconde, après que ses trois enfants eurent partagé l’univers ; on l’a fait le dieu des fruits présidant à l’agriculture, et on lui donna à Rome le nom de Stereutius, c’est-à-dire celui qui a appris à fumer les terres. On lui a aussi attribué l’honneur d’avoir le premier planté la vigne et d’en avoir enseigné la culture ; et en mémoire de l’ivresse de Noé un célébrait la fête de Saturne, ces fameuses saturnales, dans la débauche et l’ivrognerie.

Parce que Noé, dans cet état, avait paru nu, et que son fils Cham lui manqua de respect, en découvrant avec une maligne raillerie sa nudité, ce qui fit que Noé porta la sentence que Cham et sa postérité seraient l’esclave de ses frères, on célébrait ces saturnales dans une extrême licence, les esclaves surtout, qui vivaient ces jours-là dans l’indépendance. C’est aussi ce qui fit attribuer à Saturne une loi qui portait qu’on ne verrait pas impunément les divinités nues.

La fable qui fait mutiler Saturne dans son ivresse par Jupiter, son fils, si répandue chez les poêtes, et qui a rapporté quelquefois cette entreprise à Saturne même contre Cœlus, a été rejetée comme indigne par son absurdité d’être écoutée ; les Romains ne souffraient pas de tels contes.

Bochart, dans son Phaleg, pense que cette fiction s’est introduite par la ressemblance de deux mots hébreux, à l’occasion de ce que Cham, ayant vu son père découvert, le publia ; ce que l’Hébreu exprime par ce mot, Vaiagget ; et en la même langue Vaiagod signifie, il le mutila. On a pris ce dernier mot pour le premier ; à quoi l’on a été porté par la malédiction que son père prononça contre lui et contre sa postérité. La cause de cette erreur est sensible.

Et parce que ce fut sur les monts Cordiens, autrement dits Corcyréens, en Arménie, que l’arche de Noé s’arrêta, et où il reçut cette insulte de son fils Cham, les poêtes, trompés par une autre ressemblance des noms, placèrent cette fable dans l’île de Corcyre, ou des Phéaciens, qu’ils appellent aussi Drépané, du nom grec Drépanon, qui veut dire une faux, par laquelle ils ont feint que Saturne y avait été mutilé. Bérose Chaldéen dit que de son temps on voyait encore des restes de cette arche sur la montagne des Gordiens en Arménie. Josèphe rapporte que plusieurs auteurs égyptiens et phéniciens en parlent de même. Saint Cyrille emploie les témoignages d’Alexandre Polyhistor et d’Abydène pour le même sujet (Voyez Ararát).

L’origine de la faux avec laquelle Saturne était représenté était venue, selon quelques-uns, de ce que le temps, dont Saturne était le dieu, abat et moissonne tout ; selon d’autres, de ce qu’il avait enseigné à cultiver et recueillir les fruits, et pour reconnaître qu’on lui devait les moissons.

C’était ainsi qu’il était particulièrement caractérisé dans les médailles qui le représentaient avec Janus, qui l’avait, disait-on, reçu en Italie, appelée, par cette raison, Saturnienne. Janus ou Saturne y était figuré avec la tête à deux faces, dans un côté (ce qui convient à Noé) ; et dans un autre côté, le navire ou l’arche, hiéroglyphe propre de Noé. Car ce symbole, s’il avait seulement marqué que Saturne était venu sur un vaisseau en Italie, ne serait ni assez éclatant, ni assez propre à Saturne pour le désigner ; et le seul véritable sens qu’il présente à la première vue se rapporte à l’arche merveilleuse de Noé. Aurélius Victor ajoute que ce fut quelque temps après que la terre eut été toute couverte par un déluge que quelques-uns qui s’en sauvèrent vinrent s’établir en Italie. Ce furent les enfants de Japhet qui reconnaissaient Noé pour l’auteur de leur race. De celui-ci on a fait Saturne, duquel Virgile a dit qu’il était le premier venu du ciel. Suivant le même historien, on appelait enfants du ciel et de la terre ceux dont on ignorait l’origine.

L’Italie fut appelée Latium, dans les fables, parce que Saturne dont elle prit le nom, s’y était caché pour se sauver de la colère de Jupiter. Ce qui vient des originaux sur lesquels Saturne a été copié, soit d’Adam qui se cacha après son péche, soit plus vraisemblablement de Noé caché et réfugié dans l’arche dans laquelle il se sauva du fléau de Dieu.

La fable et le culte de ce dieu avaient été portés par les Pélasges ou Grecs en Italie, suivant l’ancien poëte Accius ; ceux-ci les tenaient de l’Égypte. Mais ce qui prouve que ce culte avait été pris des Hébreux, c’est qu’on le célébrait, suivant le témoignage de Macrobe, avec la tête couverte, comme on l’avait, appris des Pélasges et ensuite d’Hercule. C’était une loi de Moïse, que le prêtre ne découvrirait pas sa tête.

Ce que Tacite dit, que la cessation du travail chez les Juifs au septième jour, appelé sabbat, est attribuée à Saturne et était instituée en son honneur, parce que les ancêtres des Juifs (dit-il) avaient suivi Saturne, fait voir clairement que Saturne n’est autre que Noé, dont le nom, en hébreu, veut dire cessation du travail, comme le signifie aussi le mot sabbat. Ainsi attribuer le sabbat à Saturne, c’est le prendre pour Noé »

Nous venons de voir que Noé est le Saturne et le Janus des mythologues ; quant à ce qu’il est dans les traditions historiques des peuples, nous nous bornerons à quelques témoignages : car si nous entreprenions de les rapporter tous, nous sortirions des bornes que la nature de cet ouvrage nous a tracées.

Noé est le Xisuthrus des Chaldéens. Comme le nom de Noé, celui de Xisuthrus veut dire repos, consolation. Bérose, Chaldéen de nation, a homme connu de tous les Grecs qui cultivent les lettres, dit Josèphe (contre Appion, livre 1 paragraphe 19), à cause des écrits qu’il a publiés en grec…, Bérose, compulsant et copiant les plus anciennes histoires, présente les mêmes récits que Moïse sur le déluge, sur l’arche dans laquelle Noé fut sauvé, et qui s’arrêta sur les montagnes d’Arménie etc. » Malheureusement il ne nous reste de Bérose que quelques fragments ; celui qui se rapporte à notre sujet a été conservé par Alexandre Polyhistor, puis par le Syncelle ; le voici tel que l’a traduit Volney, dans ses Recherches nouvelles sur l’histoire ancienne, chapitre 12 pages 130, in-8° ; Paris, 1822 :

« Xisuthrus fut le dixième roi (comme Noé fut le dixième patriarche) : sous lui arriva le déluge… Kronos (Saturne) lui ayant apparu en songe, l’avertit que le 15 du mois Doecius, les hommes périraient par un déluge : en conséquence, il lui ordonna de prendre les écrits qui traitaient du commencement, du milieu et de la fin de toutes choses ; de les enfouir en terre dans la ville du Soleil, appelée Sisparis ; de se construire un navire, d’y embarquer ses parents, ses amis, et de s’abandonner à la mer. Xisuthrus obéit ; il prépare toutes les provisions, rassemble les animaux quadrupèdes et volatiles ; puis il demande où il doit naviguer : Vers les dieux, dit Saturne, et il souhaite aux hommes toutes sortes de bénédictions. Xisuthrus fabriqua donc un navire long de cinq stades, et large de deux ; il y fit entrer sa femme, ses enfants, ses amis, et tout ce qu’il avait préparé. Le déluge vint, et bientôt ayant cessé, Xisuthrus lâcha quelques oiseaux qui, faute de trouver où se reposer, revinrent au vaisseau : quelques jours après, il les envoya encore à la découverte ; cette fois les oiseaux revinrent ayant de la boue aux pieds ; lâchés une troisième fois, ils ne revinrent plus : Xisuthrus, concevant que la terre se dégageait, fit une ouverture à son vaisseau, et, comme il se vit près d’une montagne, il y descendit avec sa femme, sa fille et le pilote ; il adora la terre, éleva un autel, fit un sacrifice, puis il disparut, etc. »

« Quant à nos antiquités, dit Moïse de Chorène, cité par Volney, ibid., chapitre 3 pages 143, les compilateurs ne sont pas d’accord sur tous les points entre eux, et ils diffèrent de la Genèse sur quelques autres : cependant Bérose et Abydène, d’accord avec Moïse, comptent dix générations avant le déluge… ; ils comptent aussi trois chefs illustres avant la tour de Babel ; ils exposent fidèlement la navigation de Xisulhrus en Arménie. La Sibylle bérosienne [que Volney pense être la tille de Bérose] dit : Avant la tour et avant que le langage des hommes fût devenu divers, après la navigation de Xisuthrus en Arménie, Zérouan, Titan et Yapetosthe gouvernaient la terre ; s’étant partagé le monde, etc. » « Ce fragment, dit Volney, a une analogie marquée avec le Sem, Cham et laphet de la Genèse. » Volney fait d’autres citations, notamment celle qui est tirée d’un « volume que le Syrien Mar I Bas trouva dans la bibliothèque d’Arskak, quatre-vingts ans après la mort d’Alexandre, et qui portait pour titre : Ce volume a été traduit du chaldéen en grec. Il contient l’histoire vraie des anciens personnages illustres, qu’il dit commencer à Zérouan, Titan et Yapetosth ; et il expose par ordre la série des hommes illustres nés de ces trois chefs. » Et, après avoir fait la citation, Volney les termine toutes en s’exprimant en ces termes, ibid., pages 148 : « Voilà donc un livre original chaldéen, qui, à raison de sa célébrité, excita la curiosité d’Alexandre, et qui, par ce léger fragment, nous prouve.

1° L’antiquité réelle des traditions recueillies par Bérose, par Abydène, par la Sibylle ;

2° L’analogie de ces traditions avec celles du livre juif appelé la Genèse. Cette analogie est sensible dans ce qui concerne le déluge, l’homme sauvé dans un navire, les trois princes ou chefs du genre humain issus de cet homme, la séparation de leurs enfants, l’entreprise de la tour de Babel, la confusion qui en résulte, etc. »

Volney, ibid., chapitre 15, pages 179, fait encore cette remarque : « Les lndous terminent cette durée (du monde depuis l’origine) par un déluge, et ils remplissent le temps antérieur par dix avatars ou apparitions de Vishnou, qui répondent aux dix rois antédiluviens [ou aux dix patriarches]. Ces analogies sont remarquables et mériteraient d’être approfondies. »

Sur quoi il est à propos de remarquer que les Égyptiens, dans l’histoire des Atlantides, comptent également dix générations avant le déluge ; que Sanchoniaton de Phrygie parle aussi de dix générations des dieux ou héros, qui remplissent le temps que dura la première race des mortels ; que les Tartares et les Arabes conservent de même le souvenir de dix générations, et s’accordent, quoique séparés par d’immenses distances, à marquer ces générations par les noms des patriarches de la Genèse.

Noé est le Satyavrata des Indous. Sir Willliam Jones nous a fait connaître beaucoup de traditions indoues ; en voici une qu’il a extraite et traduite du Bhâgaouata « Le démon Hayagriva ayant soustrait les védas à la vigilance de Bramah… toute la race des hommes devînt corrompue, hormis les sept riches et Satyavrata, qui régnait alors à Dravira. Un jour que ce prince s’acquittait de ses ablutions dans la rivière Critâmala ; Vichnou lui apparut sous la forme d’un petit poisson ; et, après avoir augmenté en stature dans divers fleuves, il fut placé par Satyavrata dans l’Océan ; où il adressa ces paroles à son adorateur surpris : Dans sept jours un déluge détruira toutes les créatures qui m’ont offensé ; mais tu seras mis en sûreté dans un vaisseau merveilleusement construit. Prends donc des herbes médicinales et des graines de toute espèce, et entre sans crainte dans l’arche avec les sept personnages recommandables par leur sainteté, vos femmes et de couples de tous les animaux. Tu verra alors Dieu face à face, et tu obtiendras des réponses à toutes les questions.

Il disparut à ces mots ; et, au bout de sept jours, l’Océan commença à submerger les côtes, et la terre fut inondée de pluies continuelles. Satyavrata, étant à méditer sur la divinité, aperçut un grand navire qui s’avançait sur les eaux. Il y entra, après s’être exactement conformé aux instructions, de Vichnou… Quand le déluge eut cessé, Vichnou tua le démon, recouvra les védas, instruisit Satyavrata dans la science divine, et le nomma le septième Menou, en lui donnant le nom de Vaivasaouata. » Recherches asiatiques, tome 2 pages 171, traduction de Paris. Le Mahabharata, poème sanscrit de plus de deux cent cinquante mille vers, récemment imprimé à Calcutta sous la direction de M. Wilson ; offre le même récit beaucoup plus développé. Cet épisode du déluge a été traduit en français par M. G. Pauthier, membre de la société asiatique.

Noé est le Coxcox des Mexicains. Passons de l’ancien monde dans le nouveau. « L’histoire commence par le déluge de Coxcox, dit M. de Humboldt, tome 2 pages 175. Ce cataclysme arriva, selon les deux systèmes chronologiques reçus, ou mille quatre cent dix-sept ans, ou dix-huit mille vingt-huit ans après le commencement de l’âge de la terre. L’énorme différence de ces nombres doit moins nous étonner quand nous nous rappelons les hypothèses que, de nos jours, Bailly, William Jones et Bentley (Rech asiat, tome 7) ont mises en avant sur la durée des quatre yougas des Hindous. Parmi les différents peuples qui habitent le Mexique, des peintures qui représentaient le déluge de Coxcox se sont trouvées chez les Aztèques, les Miztèques, les Zapothèques, les Tlascaltèques et les Méchoacaneses. Le Noé, Xistithrus ou Menou de ces peuples, s’appelle Coxcox, Teo Cipaetli ou Tezpi. Il se sauva, conjointement avec sa femme Xochiquetzal dans une barque, ou, selon d’autres traditions, dans un radeaù d’Ahuahuete (cupressus Distichia). La peinture représente Coxcox au milieu de l’eau, étendu dans une barque.

» La montagne dont le sommet couronné d’un arbre s’élève au-dessus des eaux est l’Ararát des Mexicains, le pic de Colhuacan. La corne qui est représentée à gauche, est l’hiéroglyphe phonétique de Colhuacan. Au pied de la montagne paraissent les têtes de Coxeox et de sa femme… Les hommes nés après le déluge étaient muets : Une colombe, du haut d’un arbre, leur distribue des langues représentées sous la forme de petites virgules. Il ne faut pas confondre cette colombe avec l’oiseau qui rapporte à Coxcox la nouvelle que les eaux se sont écoulées. Les peuples dé Méchoacan conservaient une tradition d’après laquelle Coxeox ; qu’ils appellent Tezpi, s’embarqua dans un acalli spacieux avec sa femme, ses enfants, plusieurs animaux, et des graines dont la conservation était chère au genre humain. Lorsque le grand esprit Tezcatlipoca ordonna que les eaux se retirassent, Tezpi fit sortir de sa barque un Vautour, le Zopilate (Vultur aura). L’oiseau, qui se nourrit de chair morte, ne revint pas, à cause du grand nombre de cadavres dont était jonchée la terre récemment desséchée. Tezpi envoya d’autres oiseaux, parmi lesquels le colibri seul revint en tenant dans son bec un rameau garni de feuilles ; alors Tezpi, voyant que le sol commençait à se couvrir d’une verdure nouvelle, quitta sa barque près de la montagne de Colhuacan.

» Ces traditions, nous le répétons ici, en rappellent d’autres d’une haute et vénérable antiquité. L’aspect des corps marins trouvés jusque sur les sommets les plus élevés, pourrait faire naître à des hommes, qui n’ont eu aucune communication l’idée de grandes inondations qui ont éteint pour quelque temps la vie organique sur la terre ; mais ne doit-on pas reconnaître les traces d’une origine commune, partout où les idées cosmogoniques et les premières traditions des peuples offrent des analogies frappantes jusque dans les moindres circonstances ? Le colibri de Tezpi ne rappelle-t-il pas la colombe de Noé, Celle de Deucalion, et les oiseaux que, d’après Bérose, Xisuthrus fit sortir de son arche pour reconnaître si les eaux étaient écoulées, et si déjà il pouvait ériger des autels aux dieux protecteurs de la Chaldée ? »

Nous pourrions citer bien d’autres traditions de l’ancien continent et même de l’Amérique et de l’Océanie ; mais il faut nous arrêter. Terminons en faisant connaître les applications que la hiéroglyphique chrétienne a su faire, d’après les interprètes, de l’histoire de Noé. « Noé, dit M. Cyprien Robert (Cours d’hiéroglyphique chrét., 5e article), Noé tendant de son arche les mains vers la colombe qui descend avec la branche d’olivier, figura l’attente des justes de l’antiquité, soupirant avec Tobie et Melchisédech vers le Messie pacificateur. Au milieu du déluge de sang des persécutions, il représenta la ferme espérance, et l’arche d’où il s’élançait figura, la cuve carrée ou octogone du baptistère ainsi que l’indique saint Cyprien Octo animoe in area salvoes factoe sunt per agitam, quod et vos similiter faciet baptisma. Enfermé dans son arche de bois, dit saint Justin, martyr ; Noé présageait le Christ sur la croix ; chacun d’eux contenant en soi les germes d’un monde futur, l’un périssable, l’autre éternel : de sorte que l’arche n’était dans un autre sens que l’image de l’Église : Quid per arcam nisi sancta Eclesïa figuratur].

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