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(nom propre hébreu qui signifie : mis à la place ; cf. l’ail. Ersatz). L’histoire sainte (J), qui raconte l’origine du premier couple humain, sa désobéissance, son exil loin de la face divine et la naissance de ses enfants, donne pour fils aîné à Adam, Caïn, meurtrier de son frère Abel, et elle explique comment ce fils aîné, obligé de s’enfuir encore plus loin de la présence de Dieu, devint, par Noé, le père du genre humain (Genèse 2.7-4.23). L’écrit sacerdotal (P), qui se donne pour tâche d’établir l’arbre généalogique du peuple hébreu depuis ses origines et de prouver que le Juif remonte directement jusqu’à Adam par ordre de primogéniture, qu’il est ainsi l’héritier légitime des promesses faites par Dieu à l’homme, évite, dans son histoire schématique conçue très rationnellement, tout ce qui pourrait mettre une tache à l’écusson ou introduire dans la pensée les idées d’élection ou de grâce. Il ne parle ni de la chute, ni de Caïn et d’Abel, et donne à Adam pour héritier un fils aîné qu’il nomme Seth. Le raisonnement est ici fort clair : Adam est fait à la ressemblance de Dieu (Genèse 5.1), Seth est fait à la ressemblance d’Adam (Genèse 5.3), et ainsi de suite jusqu’à Abraham et aux fils de Jacob. Israël est donc de filiation divine. Cette conception est née dans le milieu judéen où se forma la conviction que, pour être enfant de Dieu (les judéo-chrétiens diront plus tard : pour avoir part aux promesses de Christ), il faut d’abord se faire juif ; pour avoir une âme, il faut être un circoncis. Quant à Seth, nous ne le retrouvons nulle part dans l’histoire sainte, sinon dans les deux généalogies issues des chronologies juives : 1 Chroniques 1.1; Luc 3.38.
Quand un rédacteur juif a voulu mettre ensemble les sources du Pentateuque, il s’est trouvé en face de ces deux traditions de J et P, donnant pour fils à Adam, l’une Caïn et Abel, l’autre Seth. Il fallait raccorder et faire comprendre aussi comment il se fait que le nom de Jéhovah intervient dans le texte dès avant le déluge. C’est la nécessité de ce double raccord qui nous explique la présence de Genèse 4.25 ; Genèse 4.26, versets que la critique n’attribue ni à J ni à P. On peut les concevoir aussi comme une note marginale intégrée après coup. Mais l’hypothèse d’un raccord est ici la plus plausible, car le souci d’harmonistique s’est déjà manifesté chez le rédacteur, notamment dans le premier verset du chapitre 2 et peut-être aussi par l’expression Jéhovah-Élohim, l’Éternel Dieu, rarement employée ailleurs et généralement dans les textes tardifs. Elle se trouve visiblement destinée ici à unir dans une même formule le nom de Dieu employé par P (Genèse 1) et le nom de Dieu employé par J (Genèse 4). L’hypothèse qui considère ces versets 25 et 26 comme des éléments d’une seconde source jéhoviste (Bible du Centenaire) est assez précaire. En effet, l’allusion qu’ils font à la naissance d’un frère pour remplacer Caïn et Abel a tous les caractères de l’invraisemblance, puisqu’elle fait naître Seth comme suite au drame qui prive Eve d’Abel ; or, quand ce drame se produisit, Caïn et Abel étaient déjà des hommes faits, exerçant des professions ; l’ordonnance du texte ferait même croire que Seth ne serait né qu’après que Caïn, chassé de la présence de Jéhovah, se serait marié, aurait bâti une ville, engendré des fils et des filles, etc. Le nom Seth et le mot hébreu sath [= accordé en remplacement] (Genèse 4.25) sont de même assonance et font penser ici à un jeu de mots. Quant à l’allusion que certains traducteurs (cf. Segond) suivant la Vulgate (omnes filios Seth) ont cru trouver à Seth et à sa prétendue lignée de Séthites dans la prédication de Balaam (Nombres 24.17), elle est illusoire : bené-seth signifie en hébreu « enfants du tumulte », et le parallélisme exige que l’on voie dans cette expression un qualificatif de la race turbulente et guerrière de Moab (cf. Jérémie 48.45) l’Ecclésiastique (Siracide 49.16), dont l’auteur est un Juif fervent admirateur des prêtres et de leur école, glorifie Seth en compagnie du père des Sémites (le manuscrit hébreu ajoute Énos). Ce rapprochement est suggestif. L’imagination poursuivant son œuvre, Seth fut regardé comme le chef de la race des fils de Dieu par opposition aux enfants de malédiction : les Caïnites. On mit au compte de Seth les découvertes attribuées d’abord à Hénoc : Seth aurait inventé l’alphabet hébraïque, donné les premiers éléments de l’astronomie et du calendrier ; on raconte qu’il avait pris en mariage sa sœur Azura (Liv. Jubilés, 4 ; comparez Épiphane, Adv. Hoer., 30.6), appelée Horaïa (transcrit Noréa par Irénée) chez les gnostiques ophites, lesquels comptent la secte des Séthiens, qui tenaient Seth pour l’incarnation du Verbe éternel et prétendaient posséder sept livres écrits par lui. Seth aurait été enlevé au ciel, où les anges lui auraient révélé une première édition des commandements noachiques et l’existence de l’étoile qui devait annoncer la venue du Messie (cf. Flavius Josèphe, Antiquités judaïques I, 2.3 ; et Fabricius, Pseudépig., I, 135ss ; II, 40ss). On en vint à rapprocher la science de Seth de celle du dieu égyptien Thot… et c’est ainsi que, tant chez les Juifs que chez les Sémites, les chrétiens et les mahométans, le mythe finit par recouvrir entièrement cette figure sur le compte de laquelle l’histoire reste muette.
Quand Jésus parle du meurtre des prophètes dont les ancêtres des Juifs se sont rendus coupables, il fait remonter la série de leurs crimes jusqu’au « sang d’Abel » (Luc 11.51). Ailleurs, il dit à ses contradicteurs : « Le père dont vous êtes issus est le diable, meurtrier dès le commencement » (Jean 8.44). Dans un cas comme dans l’autre, il oriente les regards d’Israël non pas vers la généalogie divino-humaine de Seth, mais vers celle moins glorieuse de Caïn, le meurtrier, qui, en tuant son frère, inaugure sur la terre la série tragique des martyrs innocents.
Alexandre Westphal