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Traduction habituelle, dans les versions de Matthieu 6.11 et Luc 11.3 de l’Oraison dominicale (voir article), de l’adjectif grec épiousios, dont le sens précis a toujours été fort discuté. La constatation d’Origène, d’après laquelle ce mot ne se trouvait dans aucun autre texte grec connu, est restée vraie pour les savants jusqu’à notre époque, ce qui laissa la porte ouverte à des interprétations assez diverses.
Il n’y a pas très longtemps qu’épiousios a été trouvé ailleurs, dans un papyrus du Ve siècle environ, liste des dépenses d’un particulier un certain jour : tant d’oboles pour du pain, tant pour des pois, tant pour des roseaux, et une demi-obole pour épiousia. Ce texte en grec populaire prouve d’abord que l’adjectif en question n’a pas été forgé par la source de Matthieu et Luc pour traduire un mot araméen difficile, et ensuite qu’il exprime une notion non de substance, mais de temps, vu qu’il s’agit de prévisions de dépenses soit pour la fin du jour en cours soit pour le jour suivant. Saint Jérôme écrit quelque part qu’il est dit « dans l’Évangile hébreu selon Matthieu » : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de demain » (crastinum) ; il prend d’ailleurs cette épithète au sens eschatologique : « le pain qui doit nous être donné dans ton royaume », comme il interprète l’épithète supersubstantialem de sa Vulgate par : « le pain qui est de ta propre substance ». La prière pour le pain du lendemain ne contredirait qu’en apparence la défense de Jésus dans Matthieu 6.34, qui interdit le souci pour le lendemain, mais non pas la prière confiante pour le lendemain (comparez Matthieu 6.32 ; Matthieu 7.11).
Il s’agit donc d’une requête typique, de celle qui représente nos besoins matériels, et d’une requête modérée, dans un sens analogue à celui de Proverbes 30.8 : « Nourris-moi du pain qui m’est nécessaire » (celui de ma portion régulière), et de Jacques 2.15 : « … la nourriture de chaque jour » (grec éphêméros, qui désigne aussi la ration quotidienne).
L’Ancien Testament mentionnait en effet de telles « portions » ou « parts », normales ou par exception anormales, soit pour les particuliers (Genèse 43.34 ; 1 Samuel 9.23 ; Néhémie 8.12, cf. Ecclésiaste 11.2, à propos de parts de pain), soit pour le sacerdoce (Lévitique 7.35 ; Néhémie 12.47 etc.). L’expression hébraïque traduite : « double portion », dans Deutéronome 21.17 ; 2 Rois 2.9, signifie littéralement : « bouchée pour deux ». Dans le second de ces passages il s’agit, au figuré, d’une portion de l’Esprit de Dieu ; c’est ainsi que, suivant une image familière aux psalmistes, l’Éternel lui-même est la part, la portion du croyant (Psaumes 16.5 et suivant Psaumes 73.26 ; Psaumes 119.57 ; Psaumes 142.6) ; et c’est dans le même sens spirituel qu’à propos d’aliments Jésus parle de la « bonne part » choisie par Marie (Luc 10.42). Il n’est donc pas étonnant que la requête pour le pain quotidien ait été appliquée aussi par les chrétiens à la nourriture de l’âme et non pas exclusivement à celle du corps (cf. Jean 6.27). Voir Pain, Oraison dominicale.
Jean Laroche