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Melchisédec
Dictionnaire Biblique Westphal
Bost

Roi de Salem, fit apporter du pain et du vin à Abraham et à ses gens revenant victorieux de leur combat contre Kedor-Laomer. Prêtre du Dieu Très-Haut (El-Elyôn), il bénit aussi Abraham au nom de son Dieu, et en retour Abraham lui remit la dîme de son butin (Genèse 14.18 ; Genèse 14.20). C’est tout ce que nous savons de ce personnage énigmatique qui joua un très grand rôle dans la spéculation juive et chrétienne.

I

Melchisédec, hébreu Malki-Tsédeq, peut se traduire « mon roi Tsédeq », c’est-à-dire « mon roi est Tsédeq » ou « Tsédeq est mon roi », le nom Tsédeq étant vraisemblablement celui d’une divinité phénicienne ou cananéenne. Ce nom est tout à fait analogue à celui d’Adoni-Tsédeq — mon Seigneur est Tsédeq : (Josué 10.1) une inscription phénicienne nous donne le nom propre Tsidki-Mélek (Tsidki = Tsédeq avec suffixe), qui est celui de Melchisédec retourné, et une inscription cunéiforme présente le nom propre Sidki-ilu (ilu est l’équivalent de l’hébreu El, nom de Dieu). Le nom de ce dieu, oublié, devint un substantif rendant l’idée de correction, de droit, de justice (hébreu tsèdèq ). C’est pourquoi le nom de Melchisédec est traduit « Roi juste » ou « Roi de justice » par l’historien juif Josèphe (Antiquités judaïques, I, 10.27) et l’épître aux Hébreux (Hébreux 7.2).

La ville de Salem dont Melchisédec est roi ne peut être que Jérusalem, appelée Ourousalim dans les tablettes de Tell el-Amarna. C’est vraisemblablement une abréviation poétique de cet antique nom, ainsi que le montre le Psaumes 76.4, qui le met en parallèle avec celui de Sion. Josèphe et les Targums affirment cette identification, que la notice elle-même impose. Le « Dieu Très-Haut », El-Elyôn, dont Melchisédec est le prêtre, nous ramène à la religion primitive des Sémites. El est, en effet, le nom par lequel toutes les populations sémitiques désignaient primitivement la divinité. Quant à la qualification Elyôri, elle rappelle les anciens noms de El-Chadddi (Dieu Tout-puissant) et de El-Olam (Dieu d’éternité) ; et si nous en croyons Philon de Byblos reproduit par Eusèbe (Proep. Évangile, I, 10-12), le panthéon phénicien connaissait un « Elioun nommé Très-Haut », père du ciel et de la terre.

Quant à sa double qualité de roi et de prêtre, elle est conforme aux antiques usages phéniciens et probablement cananéens, comme à l’antique tradition israélite qui nous montre Gédéon, Saül, David, Salomon, remplir les fonctions de prêtre parce que chefs du peuple. C’est bien comme prêtres (hébreu kohèn) que sont même désignés les fils de David (2 Samuel 8.18) et deux autres princes (Ira, 2 Samuel 20.26 ; Zabud, 1 Rois 4.5), alors que nos versions interprètent : ministres d’État (Segond), conseillers intimes (Version Synodale), principaux officiers (Ostervald).

Quel que soit donc le jugement que l’on porte sur la valeur historique, vivement débattue, de Genèse 14, il est incontestable que rien dans la notice consacrée à Melchisédec n’est contraire à la vraisemblance historique. Le fait même que cette notice paraît avoir été introduite après coup, car elle interrompt visiblement le récit relatif au roi de Sodome, peut être un argument en faveur de sa provenance d’une source historique inconnue, peut-être une tradition locale de Jérusalem. Il ne faut jamais oublier, en effet, que nous sommes loin de connaître toutes les anciennes traditions israélites et cananéennes. Après la conquête, on a dû prendre soin de faire disparaître tout ce qui pouvait attester de bons rapports, et surtout une communauté religieuse, entre les ancêtres des conquérants et la population cananéenne.

II

Le mystère enveloppant la personne de Melchisédec, ce très ancien roi de Jérusalem dont les origines, la vie et la fin sont totalement ignorées, qui apparaît un instant pour disparaître tout aussitôt, la majesté de ce prêtre du Dieu Très-Haut devant lequel un Abraham se prosterne, ont vivement frappé l’imagination des lecteurs et auditeurs de la Genèse. L’auteur du Psaume 110 fait dire par Jéhovah à son héros : « Tu es prêtre pour toujours selon l’ordre (ou à la manière) de Melchisédec » (verset 4). Qu’a-t-il voulu dire ? Vraisemblablement que le roi élu réunira en sa personne la double dignité de roi et de prêtre (cf. Zacharie 6.13). Or, à l’époque de Jésus, le Psaume 110 était devenu l’une des plus populaires prophéties messianiques, comme le montre sa fréquente utilisation dans le Nouveau Testament (Matthieu 22.41-46 et parallèle, Actes 2.34 ; Actes 5.31 ; 1 Corinthiens 15.25-28 ; Éphésiens 1.20-22 ; Hébreux 1.13). Par l’intermédiaire de ce psaume, Melchisédec devint pour les milieux chrétiens le prototype du Messie, donc de Jésus-Christ.

Dans cet ordre d’idées, l’auteur de l’épître aux Hébreux établit un parallèle très fouillé entre le Christ et Melchisédec (Hébreux 5.6-10 ; Hébreux 6.20 ; Hébreux 7.1-17) pour démontrer la supériorité de la nouvelle alliance sur l’ancienne. Melchisédec n’est pour lui qu’un personnage purement allégorique, préfigurant Christ. Son sacerdoce est supérieur au sacerdoce lévitique puisqu’il bénit Abraham et que celui-ci lui paie la dîme ; il n’a ni commencement ni fin, puisqu’on ne lui connaît ni père, ni mère, et qu’il n’est pas question de sa mort, tandis que les Lévites naissent et meurent ; le nom de sa ville est Paix ou Salut ; roi de justice, il est donc aussi roi de paix ou du salut. La conclusion s’impose d’elle-même : il ne peut s’agir d’un personnage historique ; Melchisédec est la préfiguration du Christ.

Le philosophe juif Philon d’Alexandrie, contemporain de Jésus, avait été autrement fantaisiste dans son interprétation allégorique. Melchisédec était pour lui une image du Logos divin fonctionnant comme prêtre de l’âme humaine et lui fournissant une nourriture spirituelle délicieuse.

La voie était ouverte aux spéculations les plus hasardeuses. Pour Origène, Melchisédec était un ange parce qu’il n’avait ni père, ni mère ; une secte dénommée les Melchisédikites prétendait qu’il était l’incarnation d’une puissance très supérieure au Christ. Un Pseudépigraphe éthiopien, intitulé la Vie d’Adam, raconte que Melchisédec, fils de Kénan (Genèse 5.10), fut placé par Dieu comme prêtre éternel auprès du cadavre d’Adam et qu’il donna la communion (pain et vin) à Abraham. Le cadavre d’Adam reposait au milieu de la terre, soit sous le rocher de Golgotha (Actuellement encore, on montre à Jérusalem un autel de Melchisédec, érigé dans l’église des Apôtres, qui fait partie des édifices construits autour de l’église du Saint-Sépulcre.).

Parmi les Réformateurs, Luther et Mélanchton pensaient que Melchisédec n’était autre que le patriarche Sem, que la chronologie biblique fait vivre 135 ans après l’émigration d’Abraham en Palestine. Ce faisant, ils suivaient les Targums et la plupart des rabbins qui, en réaction contre le christianisme, avaient abandonné toute interprétation allégorique. Calvin, dans son commentaire sur l’épître aux Hébreux, suit fermement l’interprétation figurative de cette épître. « Ce qui a été figuré en Melchisédec a été vraiment manifesté en Christ… Melchisédec n’est point ici considéré en sa qualité privée, mais comme une figure sacrée de Christ. Et il ne faut pas penser que cela ait été omis par cas fortuit ou par inadvertance, à savoir qu’il n’est point parlé de sa généalogie, et n’est fait aucune mention de sa mort, mais plutôt le Saint-Esprit a fait ceci tout à propos, afin de nous élever par-dessus l’ordre commun des hommes. À cette cause, la conjoncture de ceux qui disent que Melchisédec a été l’un des enfants de Noé, à savoir Sem, n’est point vraisemblable, car si on vient à parler d’un homme certain et connu, cette troisième similitude entre Melchisédec et Christ ne sera point ferme. Ceci doit être rapporté à la qualité que soutenait Melchisédec, à savoir représentant la personne du Fils de Dieu ». La plupart des théologiens modernes protestants ont abandonné toute interprétation allégorique et s’en tiennent à l’explication historique. A. S.


Dictionnaire Encyclopédique de la Bible par Alexandre WESTPHAL, Pasteur, Docteur en Théologie, et professeur honoraire de l'Université de Toulouse (Faculté de Théologie protestante de Montauban).
Edition originale publiée en 1932 par les Editions et Imprimeries « Je Sers », Issy-les-Moulineaux. Imprimeries Réunies Ducros et Lombard, Aberlen et Cie. Valence sur Rhone.
Numérisation Yves PETRAKIAN – 2005 France.

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