A B
C D
E F
G H
I J
K L
M N
O P
Q R
S T
U V
W X
Y Z
Ce mot ne se trouve que très rarement dans la Bible. Certaines versions le donnent pour épreuve (cf. Romains 5.4) ou souffrance (2 Corinthiens 8.2). 1 Rois 3.7 (Segond) entend la sagesse que donne la vie, Hébreux 5.13 (Segond) la connaissance qu’on acquiert par l’obéissance.
Mais ce terme a pris aujourd’hui un sens précis qu’il tient des sciences. L’expérience scientifique est l’opération qui permet de constater et d’expliquer les faits. L’expérience est à la base de tout l’édifice de notre connaissance scientifique du monde. Or il y a aussi des faits religieux qui peuvent être observés, contrôlés, décrits. Ils le sont par l’histoire (celle des religions et celle de l’Église) et par la psychologie (cf. William James, L’expérience religieuse — en anglais, The Varieties of religions Expérience). Mais dans cette acception les mots « expérience religieuse » impliquent des distinctions importantes. Si des penseurs nombreux et des plus distingués (cf. Emile Boutroux) ont demandé que les faits religieux soient pris en considération comme des faits authentiques et dignes d’être étudiés à ce titre, l’expérience religieuse est d’une tout autre nature que l’expérience scientifique. Celle-ci est généralement provoquée par le savant. L’expérience religieuse peut être provoquée par les traditions et les institutions religieuses, par la parole et le témoignage ; mais il ne s’agit pas ici d’expérience au sens technique que ce mot revêt en sciences. C’est pourquoi l’on entend ordinairement par expériences religieuses les faits religieux eux-mêmes. En outre, si les observations scientifiques doivent être coordonnées en un système cohérent utile à notre intelligence du monde, l’expérience religieuse suppose et implique déjà en elle-même un jugement de valeur. Quand le croyant parle de ses expériences, il désigne ainsi toutes les circonstances, tous les faits (exaucements, protection, humiliation, apaisement intérieur, etc.) dans lesquels il voit la preuve de la présence et de l’action de Dieu dans sa vie. Cf. Segond 2 Corinthiens 9.13 et Version Synodale Galates 3.4.
L’expérience religieuse, dès lors, est-elle une source de connaissance quant au fond des choses, quant à l’existence de Dieu et à sa personne ? Autrement dit : quel est le fondement, et quelle est la nature de la foi ? Et d’où vient-elle ? Est-ce de l’expérience ? La foi peut naître de l’expérience, certainement. Mais l’expérience est presque nécessairement précédée par quelques éléments de la foi (ne serait-ce que cette foi inscrite au cœur des hommes comme une aspiration immortelle). Il semblerait donc que c’est l’expérience qui vient de la foi. D’autre part cette foi espérance et croyance qui précède l’expérience doit s’affermir sans cesse et se confirmer par l’expérience renouvelée qui seule peut rendre la foi personnelle et vivifiante. En fait, la foi et l’expérience sont étroitement solidaires. C’est pourquoi la foi vivante vient de l’expérience profonde qui, elle, garantit l’existence de son Dieu au croyant, et au croyant seulement.
Mais la certitude religieuse et chrétienne ne peut-elle pas se fonder sur l’Écriture ou sur les enseignements de l’Église ? L’histoire, et tout particulièrement les Réformateurs du XVIe siècle, nous ont mis en garde contre les dangers (le formalisme, le doctrinarisme) d’une foi non vécue par l’expérience. Et ils ont aussi souligné le rôle de l’expérience relativement à l’Écriture en formulant le principe du « témoignage du Saint-Esprit ». Mais d’autre part ils ont condamné vivement les abus de l’illuminisme, et les dangers de l’arbitraire qui menacent l’expérience. C’est assez dire combien il est nécessaire de préciser le rôle de l’expérience. Ce n’est qu’à partir de Schleiermacher (1768-1834) qu’on a entrepris de préciser dogmatiquement le rôle de l’expérience en tant que fondement de la certitude. Et ce penseur, en dépit des confusions qu’il a pu commettre par ailleurs, a inauguré un véritable renouveau de la pensée théologique. Après lui l’École d’Erlangen, avec Hofnaan (1810-1877) et Frank (1827-1894), a insisté sur le rôle de l’expérience et la nécessité de la nouvelle naissance. Parmi les théologiens de langue française, G. Frommel (1862-1906), disciple de Frank et de Malan, a consacré tout l’effort de sa pensée à établir une dogmatique chrétienne fondée sur l’expérience, en synthétisant le sentiment religieux mis en évidence par Schleiermacher et le principe de l’obligation morale formulé par Kant. Tous ces efforts étaient nécessaires. Cependant ils ne doivent pas nous égarer. Il est dangereux de faire dépendre la certitude religieuse du seul fait intérieur que ces penseurs ont décrit. Certes il y a un élément de parenté entre les expériences de tous les croyants et toutes celles d’un même croyant. « Frappez sur les consciences, elles rendent toutes le même son », a dit Alex. Vinet. Il ne faut pas confondre l’expérience fondamentale avec ses corrélatifs émotionnels variables. Mais toute expérience reste incomplète et doit se renouveler, se développer. Et ce n’est pas sur son expérience subjective que le croyant, à l’heure de la tribulation, fonde sa confiance, mais bien plutôt sur le message de la grâce divine. En sorte que, si toute certitude doit revêtir pour nous la forme de l’expérience, notre certitude a, outre l’expérience, plusieurs fondements, au premier rang desquels il faut placer l’Écriture sainte et le témoignage séculaire de l’Église chrétienne sans cesse réveillée par le Dieu souverain qui n’est « jamais resté sans témoignage ». Geo. F.