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Sorte de secte parmi les Juifs. Ce nom vient de l’Hébreu Caraï ou Caraïm (Keraïm) ; qui veut dire gens consommés dans l’étude de l’Écriture, gens attachés au texte et à la lettre de l’Écriture. C’est là en effet le vrai caractère des caraïtes. Ils sont opposés aux rabbanistes, en ce que les rabbanistes admettent toutes les traditions des anciens ; au lieu que les caraïtes sont plus attachés au texte et à la lettre des livres saints, et qu’ils n’admettent pas légèrement ce que l’on veut faire passer pour tradition. Ils ne reçoivent les traditions qu’après les avoir bien examinées et après s’être assurés qu’elles sont véritablement venues des anciens, et qu’elles n’ont rien de contraire au texte et à l’esprit de l’Écriture.
On dit que les caraïtes se vantent de descendre d’Esdras, et qu’ils prouvent la succession de leurs Églises par un catalogue exact de toutes les personnes qui ont enseigné ou combattu le caraïsme. Il y en a même qui, se donnent encore une plus haute antiquité, puisque ceux qui vivent aujourd’hui dans la Pologne et dans la Lithuanie prétendent être descendus des dix tribus qui furent emmenées en captivité par Salmanasar. Les rabbanistes, toujours contrepointés contre les caraïtes, enseignent que la secte des caraïtes subsistait à Jérusalem’ dès le temps d’Alexandre le Grand ; que Jaddus, chef des rabbanistes, fit un miracle en présence de ce prince : ce qu’Ananus et Crescanaius, chefs des caraïtes, ne purent faire. Tout cela ne mérite aucune attention. On croit plus vraisemblablement que les caraïtes ne parurent que vers le huitième siècle, ou du moins que leur secte fut alors rétablie par Ananus, lorsque les thalmudistes voulurent autoriser leurs traditions et les mettre an’ rang des vérites et des pratiques les plus sacrées de la religion. Alors un nombre de Juifs zélés pour la loi s’y opposa et fut nommé caraïte, comme uniquement attaché au texte de l’Écriture. [Voyez le Calendrier des Juifs, au 23 du mois jiar).
Les rabbanistes ont voulu imputer aux caraïtes la plupart des erreurs des saducéens, comme de nier l’immortalité de l’âme et l’existence des esprits. Mais les caraïtes rejettent ces accusations et montrent la pureté de leur foi et de leur sentiment sur ces articles. Il y a d’assez bons auteurs caraïtes que l’on pourrait consulter utilement sur le sens de l’Écriture, mais il y en a peu d’imprimés ; les autres sont manuscrits et cachés dans les grandes bibliothèques. Ils attendent le Messie, qu’ils regardent, avec les autres, Juifs, comme un roi temporel ; ils défendent de calculer les années auxquelles il doit paraître. Ils rejettent tous les livres qui ne sont point dans l’ancien canon des Juifs ; ils exigent une foi aveugle pour l’Écriture sainte, et ne permettent pas d’examiner si un article de la Loi est vrai ou faux, Ils n’ont ni phylactères ni parchemins aux portes de leurs maisons, ni ces fronteaux que les Juifs portent sur leur front. Ils appellent les autres Juifs des ânes bridés, lorsqu’ils les voient ainsi avec ces parchemins sur leur front dans leurs synagogues. Ils expliquent figurement les passages où il est parlé de ces phylactères, que les autres Juifs entendent à la lettre. On trouve des caraïtes non-seulement à Constantinople, en Syrie, en Pales-fine et au delà de l’Euphrate, mais aussi dans la Pologne et dans la Lithuanie.
Volfius, dans sa Notice des caraïtes, décrit aussi l’origine, le progrès et la décadence des caraïtes, sur les mémoires du caraïte Mardochée. Alexandre Jannée, roi des Juifs, ayant fait mourir tous les docteurs de la Loi et presque tous les savants de la nation, donna occasion au schisme qui divisa les Juifs. Siméon, fils de Sétah et frère de la reine, ayant été soustrait, par sa sœur à la fureur du roi, s’enfuit en Égypte, où il imagina le système des prétendues traditions. Étant de retour à Jérusalem il débita ses visions et interpréta la loi à sa mode, se vantant d’être le dépositaire des connaissances que Dieu avait communiquées à Moïse. Il eut plusieurs disciples et contradicteurs. Ces derniers soutenaient que tout ce que Dieu avait dit à Moïse était écrit. Cette division produisit deux sectes : celle des caraïtes, qui s’attachaient uniquement au texte, et celle des traditionnaires, qui soutenait les traditions. Hillel se ne distingua parmi ces derniers, et Judas, fils de Sabbaï, parmi les premiers.
Volfius met au nombre des caraïtes les Saducéens et les Scribes dont il est parlé dans l’Évangile ; mais tes traditionnaires, nommés autrement rabbanistes ou pharisiens, furent les plus forts et l’emportèrent sur les caraïtes. Ils seraient même entièrement tombés dès le huitième siècle, s’ils n’eussent été soutenus par quelques-uns de leur secte, et en particulier par le rabbin Anan. Au neuvième siècle, le rabbin Salomon, fils de Jérucham, imita le zèle d’Anan et attaqua le fameux Saadias Gaon. Les siècles suivants ne furent pas moins heureux pour les caraïtes et produisirent plusieurs écrivains célèbres. Depuis le quatorzième siècle, leur secte s’est un peu affaiblie.
Trigland, qui alait imprimer un traité sur les caraïtes à Delf, en 1703, explique l’origine des caraïtes d’une manière un peu différente de Volfius. Peu après la mort des prophètes, les Juifs se partagèrent touchant les œuvres de surérogation ; les uns soutenant qu’elles étaient nécessaires selon les traditions, et les autres s’en tenant à ce qui est écrit par la loi : ceux-ci donnèrent naissance à la Secte des caraïtes, qui se vantent de venir des prophètes Aggée, Zacharie, Malachie et Esdras. Un de leurs principaux auteurs dit qu’après bien des recherches, il a trouvé qu’au temps de Jean. Hircan et Alexandre, son fils, roi des Juifs, Rabi Juda, fils de Thaddaï, s’opposa à Rabi Simon, fils de-Sérach, qui s’efforçait d’introduire une loi nouvelle : ce Juda est donc un des premiers auteurs des caraïtes. La Misne fait mention de cette secte en parlant des Théphilinas ; ce qui fait voir leur antiquité.
M. Prideau nous donne encore une autre histoire de leur origine. La compilation du Thalmud ayant paru au commencement du sixième siècle de Jésus-Christ, tous les gens de bon sens furent si choqués des bagatelles, du galimatias et des fables ridicules et incroyables dont il est plein, et de voir en même temps qu’on osât soutenir que tout cela venait de Dieu, qu’ils l’abandonnèrent et ne voulurent fonder leur foi que sur la parole de Dieu contenue dans les Écritures, ne regardant le Thalmud que comme un ouvrage humain qui ne devait être reçu qu’avec examen. Ce refus d’admettre le Thalmud comme une règle irréfragable de créance ne causa toutefois aucun schisme parmi eux pendant assez longtemps.
Mais vers l’an 750, Anan, Juif Babylonien de la race de David, et Saül, son fils, se déclarèrent ouvertement pour la seule parole de Dieu écrite, à l’exclusion des traditions qui n’y étaient pas conformes. Leur déclaration produisit un schisme : ceux qui soutenaient le Thalmud avec toutes les traditions, étant presque tous rabins ou elèves des rabbins, furent nommés Rabbinistes ; les autres qui rejetèrent les traditions humaines, ne recevant pour règle que l’Écriture, furent appelés Caraites, comme qui dirait Scripturaires, du nom Cara, qui en langage babylonien signifie l’Écriture.
Les Juifs prétendent que la vraie cause de ce schisme vint de l’ambition d’Anan, qui, piqué de ce qu’on lui avait refusé le degré de Gaon, c’est-à-dire d’Excellent, c’est ainsi qu’ils appelaient certains docteurs ; chagrin aussi d’avoir échoué dans la poursuite de la charge de chef de la captivité, à laquelle il avait prétendu comme descendant de David, fit naître le schisme dont nous parlons.
Les caraïtes passent pour les plus habiles des docteurs juifs ; il y en a peu dans l’Occident : la plupart sont dans la Pologne, dans la Moscovie et dans l’Orient. Vers le milieu du dernier siècle, on en fit un dénombrement : il y en avait en Pologne deux mille ; à Caffa, dans la Tartarie Crimée, douze cents ; au Caire trois cents ; à Damas deux cents ; à Jérusalem trente ; en Babylonie cent ; en Perse six cents ; en tout quatre mille quatre cent trente. Tout cela joint ensemble ne fait qu’un fort petit nombre, comparé au gros de la nation qui est dans le parti des rabbinistes.
Les rabbinistes ou traditionnaires ont une si grande aversion des caraïtes qu’ils ne veulent point s’allier, ni même converser avec eux ; ils les traitent de Mamzerim ou bâtards, à cause qu’ils n’observent aucune des constitutions des rabbins dans les mariages, répudiations et purifications des femmes. Cette aversion est telle, que si un caraïte voulait se faire rabbiniste, les autres Juifs ne le voudraient pas recevoir.
Pour donner un exemple de la méthode des caraïtes, on peut prendre ce qui est dit dans Moïse (Deutéronome 6.8) : Vous lierez mes paroles sur vos mains, elles seront comme un bandeau entre vos yeux ; vous les écrirez sur les poteaux de vos maisons. Les rabbinistes entendent tout cela à la lettre et le pratiquent de même ; les caraïtes, au contraire, croient que Dieu, par ces paroles, n’a voulu marquer autre chose, sinon que la Loi de Dieu doit toujours être présente à l’esprit des Israélites, soit qu’ils entrent ou qu’ils sortent, etc. De même Moïse (Exode 23.19 ; 34.26 Deutéronome 14.21) défend de cuire le chevreau dans le lait de sa mère ; ce que les rabbinistes entendent à la lettre, ou en disant qu’il est défendu de manger en un même repas de la chair et du lait ; les caraïtes, au contraire, l’expliquent par cet autre passage du Deutéronome (Deutéronome 22.6) : Vous ne prendrez pas la mère avec ses petits, etc. C’est un précepte d’humanité que Dieu donne à son peuple.
« Quelque aversion que les Juifs aient témoignée contre les caraïtes, dit un auteur, les plus habiles rabbins des derniers temps, comme Rimchi, Aben-Ezra, ont suivi à-peu-près leur méthode, en s’attachant dans leurs commentaires à expliquer avec le plus d’exactitude possible le sens de la lettre, et en marquant la signification de chaque mot et le sens naturel de chaque passage. C’est aussi à l’interprétation du sens littéral de l’Écriture que les phis habiles interprètes des derniers temps se sont attachés dans leurs commentaires, en expliquant les termes du texte selon la signification qu’ils ont dans l’Hébreu et dans le Grec ; en examinant, quand il y a quelque différence entre le texte et les versions, quel est le sens qu’on doit suivre et qui convient mieux à ce qui précède et à ce qui suit ; en comparant un passage avec d’autres passages semblables ; en cherchant le vrai sens du texte par la suite du discours et par le but que l’auteur s’est proposé ; en éclaircissant les doutes que peut faire naître la construction du discours ; en faisant connaître les hébraïsmes et les manières de parler propres et particuhères aux auteurs sacrés ; en levant les difficultés qui se trouvent, soit dans la doctrine, soit dans l’histoire, la chronologie et la géographie, soit dans les ternies des arts, des sciences, des plantes, des animaux, etc. ; et enfin en n’oubliant rien de ce qui peut contribuer à l’intelligence du sens propre et naturel du texte sacré. »
Rabbi Caleb, caraïte, réduit à trois points ce en quoi les rabbinistes diffèrent des caraïtes :
1° Les caraïtes nient que la loi orale vienne de Moïse, et rejettent la cabale ou la tradition ;
2° Ils ont horreur du Thalmud ;
3° Ils observent le sabbat beaucoup plus rigoureusement en plusieurs choses que les rabbinistes.
De plus, ils étendent presque à l’infini les degrés défendus du mariage ; et quant à leurs exemplaires de la Loi, ils les ont comme les rabbinistes, mais se mettent peu en peine des dictions pleines ou défectives ; ils croient néanmoins, selon Péringer, que les points voyelles viennent de Moïse.