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Ce terme est employé par Josèphe pour marquer la forme du gouvernement des Juifs. Entre les différents peuples, dit-il, les uns ont choisi le gouvernement monarchique, les autres le gouvernement populaire ; mais notre législateur a établi une manière de gouverner toute différente de celle des autres, c’est-à-dire une théocratie, s’il est permis de parler ainsi, qui donne à Dieu le pouvoir et la conduite de toute la nation, en nous inspirant cette maxime que Dieu voit tout, et qu’il est la cause de tous les biens qui nous arrivent.
Le gouvernement des Juifs, que Josèphe nomme une théocratie, a souvent varié. On a vu dans, cette nation successivement le législateur Moïse, Josué, son successeur, les juges, les rois, les grands prêtres, la gouverner. Dans toutes ces révolutions, Dieu était à la vérité toujours regardé comme le monarque d’Israël, mais il s’en faut bien qu’il exerçât toujours son autorité et son domaine de la même sorte.
Sous Moïse, il gouvernait, pour ainsi dire, immédiatement. Il révélait à ce législateur, dans chaque circonstance, ce qu’il voulait qu’il fit ; il habitait au milieu de son peuple comme un roi dans son palais et au milieu de son camp, toujours prêt à répondre à ceux qui le consultaient, à réprimer ceux qui violaient ses lois, à instruire ceux qui avaient quelques doutes sur le sens de ses ordonnances, à déterminer ceux qui étaient en suspens sur quelque entreprise importante. C’est là proprement le temps de la théocratie prise dans toute son étendue et toute sa rigueur.
Elle parut à-peu-près de même sous le gouvernement de Josué. Ce grand homme, rempli de l’esprit de Moïse, ne faisait rien sans le consulter. Du moins il le consultait dans toutes les affaires de conséquence, et quelquefois il lui est arrivé de suivre son propre esprit, comme dans l’affaire des Gabaonites et dans celle de Hai. On sait de quelle manière Dieu a fait éclater son courroux, et a rappelé le chef et le peuple à l’obéissance. Dans ces heureux temps où toutes les démarches du commandant et des soldats étaient réglées par l’ordre du Seigneur, la victoire et les heureux succès les accompagnaient partout. Dieu récompensait leur fidélité et leur obéissance par une suite de prodiges, gages assurés de sa protection et de sa bienveillance. [Voyez Achan, addition].
Les juges qui succédèrent à Josué étaient des héros que Dieu suscitait de temps en temps pour délivrer son peuple ; il les revêtait d’une force extraordinaire, les remplissait de son esprit, et opérait d’ordinaire par leur moyen des merveilles en faveur des Hébreux. Tantôt on voyait couler une génération entière sans juges, comme cela arriva après Josué ; tantôt ces interruptions étaient plus courtes ; tantôt c’était une héroïne, comme Débora, que Dieu faisait paraître pour juger et pour délivrer son peuple : tantôt leur valeur se bornait à tirer de servitude une tribu, et tantôt elle mettait tout Israël en liberté. Les servitudes, qui furent fréquentes dans ces temps-là, ne s’étendaient pas toujours sur tout ce pays : les unes se bornaient au delà du Jourdain, comme celle dont Jephté délivra ses compatriotes ; les autres ne s’étendaient qu’au deçà de ce fleuve. D’autres étaient plus générales et plus étendues ; mais toutes étaient les justes peines des iniquités d’Israël, à qui Dieu faisait sentir la différence qu’il y a entre la douceur d’un père et d’un Dieu miséricordieux qui nous domine, et la cruelle sévérité d’un conquérant qui nous mattrise.
La première démarche que firent les Israélites, lorsque plusieurs années après la mort de Josué (Juges 2.7-10) ils se virent réduits dans l’oppression par les chananéens, montre parfaitement quelle était alors la forme de leur gouvernement. Ils consultèrent le Seignoar et lui dirent : Qui marchera à notre tête contre le Chananéen ? Ce sera le chef de la guerre. Le Seigneur leur répondit : Judas marchera à votre tête ; je lui ai livré le pays entre les mains (Josué 1.2). Voilà encore la vraie théocratie, et l’exercice du pouvoir de Dieu dans la désignation des chefs qui devaient, en son nom, gouverner et commander le peuple. Tous les juges à proportion ont de même reçu de lui leur mission et leur autorité. Lorsque les Israélites voulurent déférer à Gédéon la royauté pour lui et pour ses successeurs, il répondit : Je ne vous dominerai point (Juges 8.22-23), ni moi, ni mon fils ; mais le Seigneur vous dominera.
Quand les Israélites demandèrent à Samuel qu’il leur donnât un roi comme en avaient toutes les autres nations qui étaient autour d’eux (1 Samuel 8.5-7), ce prophète en fut sensiblement affligé comme d’une espèce d’outrage et de mépris qu’on faisait à la majesté de Dieu, qui était leur chef et leur roi. Samuel fit sa prière à Dieu dans l’amertume de son cœur, et le Seigneur lui répondit : Écoutez les demandes de ce peuple ; car ce n’est pas vous qu’ils ont rejeté, c’est moi-même. Dieu leur accorda donc un roi dans son indignation, et il le leur ôta dans sa fureur (Osée 12.11).
En même temps il dit à Samuel de proposer au peuple le droit du roi (1 Samuel 8.11-13) : Il prendra vos fils pour en faire ses gardes, ses coureurs, ses officiers, ses laboureurs et ses fourbisseurs ; il prendra vos filles pour en faire ses cuisinières, ses parfumeuses et ses boulangères. Il s’emparera de vos champs, de vos vignes et de vos plants d’oliviers et les donnera à ses serviteurs ; il prendra la dîme de vos champs, de vos vignes et de vos animaux pour les donner à ses eunuques et aux domestiques de sa maison. Alors vous crierez vers moi, mais je ne vous écouterai point, parce que c’est vous-mêmes qui avez demandé un roi. Dans tout cela on voit toujours la souveraine autorité de Dieu. C’est lui qui donne le roi, c’est lui qui règle son droit, c’est lui qui le dépose et qui le réprouve dans son indignation, dès qu’il manque à l’obéissance qu’il lui doit.
Dans le Deutéronome (Deutéronome 17.14-15), Moïse, prévoyant que les Israélites voudraient avoir un roi, leur dit : Vous prendrez pour roi celui que le Seigneur votre Dieu aura choisi du nombre de vos frères ; vous ne pourrez prendre pour roi un homme d’une antre nation et qui ne soit pas votre frère. Lorsqu’il sera établi, il ne fera pas amas de chevaux pour ramener le peuple en Égypte, le Seigneur vous ayant expressément défendu de retourner dans ce pays. Il n’aura ni plusieurs femmes, ni grande quantité d’or et d’argent. Et lorsqu’il aura pris possession du royaume, et qu’il se sera assis sur son trône, il recevra de la main des prêtres un exemplaire de cette loi qu’il conservera, et qu’il lira tous les jours de sa vie, afin qu’il apprenne à craindre le Seigneur, et à observer ses lois et ses cérémonies.
Tel devait être le gouvernement des Hébreux sous les rois. Ils devaient être choisis du choix de Dieu, instruits par ses prêtres, soumis à ses ordres, n’entreprenant rien de conséquence sans le consulter, et dans une telle dépendance de sa volonté, qu’il pût les rejeter, comme il fit Saül, dès qu’ils s’oubliaient de leur devoir. Si Dieu promet à David de rendre en sa faveur la royauté successive, c’est une dérogation aux premières maximes de la monarchie, qui voulaient que les rois fussent électifs, et donnés au peuple de la main de Dieu même.
Il faut avouer que depuis David les rois de Juda et ceux d’Israël ont souvent voulu gouverner par leur propre esprit, et que depuis le schisme arrivé sous Roboam, peu de princes ont suivi les règles de la théocratie dont on a parlé. Ils voulurent se mettre en liberté, et s’affranchir de l’heureux assujettissement où avaient été les juges et les premiers rois des Hébreux. Mais ils éprouvèrent à leur malheur combien il est dur de se révolter contre Dieu, et de vouloir se soustraire à sa main. Tous les maux fondirent sur eux et sur leurs États. Ils furent en proie à leurs ennemis, ils n’eurent ni paix ni bonheur, ni au dedans ni au dehors, Dieu leur suscita une infinité de traverses, et à la fin les dispersa dans des terres éloignées.
En même temps pour leur faire sentir leur dépendance et les rappeler à leur devoir, le Seigneur fit paraître un grand nombre de prophètes remplis de zèle, de force et de courage, qui les reprirent hardiment de leurs prévarications et de leurs impiétés, et qui s’opposèrent comme un mur d’airain aux entreprises qu’ils faisaient contre les droits de Dieu. Ces hommes divins ne parurent pas seulement dans le royaume de Juda, où le culte public s’était maintenu, mais aussi dans le royaume d’Israël, tout schismatique et tout souillé qu’il était par le culte des veaux d’or. Ainsi on peut avancer que malgré la dépravation presque générale de ces deux royaumes, Dieu sut y maintenir sa(théocratie, tant par la vengeance qu’il exerça contre les rois impies, que par un petit nombre de bons princes et soumis à ses ordres, comme Ézéchias et Josias, et par les prophètes qu’il suscita de temps en temps dans le pays, jusqu’à la grande captivité de Babylone.
Tout le temps que dura cette captivité, on ne doit pas chercher dans Israël une forme certaine de gouvernement, ni une police réglée. C’est en vain que les Juifs prétendent en trouver au delà de l’Euphrate, ni avant, ni après Cyrus. On n’en vit pas même une bien soutenue après le retour de la captivité, pendant que les Hébreux de la Palestine furent soumis aux rois de Perse et aux Grecs successeurs d’Alexandre. Si l’on me demande quelle était alors la forme du gouvernement de la nation juive, je dirai que c’était une espèce d’aristocratie, dépendante de la monarchie des Perses ou des Grecs. À la tête des principaux de la nation était le grand prêtre, dont le pouvoir, limité par l’autorité souveraine, ne s’étendait que sur les choses qui regardaient la loi et la religion ; c’était une juridiction comme volontaire qu’il exerçait sur le peuple, autant qu’il plaisait au peuple et que les rois dominants voulaient bien le souffrir. Le grand prêtre Iaddus reçut Alexandre à Jérusalem, à la tête du peuple ; mais c’est que dans cette circonstance la ville était abandonnée des gouverneurs du roi de Perse, et que la terreur des armes d’Alexandre leur faisait dissimuler une démarche qu’ils n’auraient pas sans doute soufferte dans toute autre occasion.
Les princes asmonéens forment une cinquième période, qui nous offre une nouvelle forme de gouvernement. Les Machabées, après avoir défendu la religion dans leur pays au péril de leur vie, et avoir résisté avec une valeur extraordinaire aux ordres impies d’Antiochus Épiphane, secouèrent enfin le joug des rois de Syrie et, s’étant mis en liberté, prirent le titre de princes des Juifs et de rois ; et réunirent, du consentement du peuple, la souveraine sacrificature, avec la suprême autorité.
Dans leur gouvernement on voit encore des traces sensibles de la théocratie dont nous parlons ici, puisque celui qui gouvernait souverainement était revêtu du caractère sacerdotal, en sorte que le règne était proprement ce que Moïse avait appelé un royaume sacerdotal (Exode 19.6), ou, comme parle saint Pierre (1 Pierre 2.9) : Vos autem genus electum regale sacerdotium. La puissance royale et la sacerdotale réunies formaient une police d’un ordre singulier, sous des princes tout dévoués au service de Dieu, instruits, dès la jeunesse, de ses lois, intéressés même par les règles de la politique à les soutenir et à les faire observer. On ne pouvait manquer de voir bannir de l’État l’idolâtrie, l’ignorance, l’impiété et les désordres grossiers, qui avaient régné sous les rois. Aussi la république des Juifs ne fut jamais plus fidèle à pratiquer les lois de Dieu, ni plus exempte des crimes que les prophètes leur reprochent si souvent, que sous les princes asmonéens.
Ce fut sous leur règne que les Romains se rendirent maîtres de la Judée, et qu’ils y établirent leur domination. Ils ne touchèrent point à la religion, et laissèrent même aux derniers princes Asmonéens une autorité assez étendue. Hérode, qui leur succéda, sacrifia tout à son ambition et à sa politique et quoiqu’il fît profession de la religion des Juifs, il se mettait peu en peine de la pratiquer ; il la viola en cent manières ; mais les prêtres et le peuple y demeurèrent fortement attachés, et lorsque Jésus-Christ parut dans la Palestine, la religion y était très florissante. Quand il commença sa prédication, il déclara principalement la guerre aux pharisiens, qui, à force de vouloir subtiliser et raffiner sur l’observation de la loi, en avaient détruit le vrai sens et ruiné la véritable observation. Le Sauveur découvrit leurs erreurs, déconcerta leur hypocrisie, rappela toutes choses à la vérité primitive, et donna aux Juifs les règles d’un culte pur et sincère en esprit et en vérité.