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Les Hébreux ont toujours eu un grand soin de la sépulture des morts. La plupart de leurs sépulcres étaient creusés dans le roc, par exemple, celui qu’Abraham acheta pour y mettre Sara (Genèse 23.4-6), ceux des rois de Juda et d’Israël, et celui ou notre Sauveur fut mis au mont Calvaire. Quelquefois aussi ils étaient en pleine terre et ordinairement hors des villes, dans des cimetières destinés pour cela. Pour l’ordinaire, on mettait quelque pierre taillée ou autre chose par-dessus le tombeau, pour avertir qu’il avait là une sépulture, afin d’avertir les passants de n’en point approcher, de peur de se souiller.
Jésus-Christ, dans l’Évangile (Marc 23.27), dit qui les pharisiens étaient semblables à des sépulcres blanchis, qui paraissent beaux au dehors, et qui sont remplis de pourriture au dedans. Lightfoot montre que tous les ans, au 15 février, on avait soin de les reblanchir de nouveau. Dans un autre endroit (Luc 11.44), le Sauveur compare les pharisiens à des sépulcre ; cachés, sur lesquels on passe sans savoir que ce sont des endroits impurs ; ce qui fait qu’on contracte une souillure inconnue et involontaire. Nous avons parlé des sépulcres des Juifs dans notre Dissertation sur leurs funérailles. On peut voir aussi le livre de Jean Nicolaï, de Sepulcris Judœorum ; et pour les modernes, Léon de Modène, Cérémonies des Juifs, et Buatorf, Synagog. Judceorum, chapitre 35.
Sépulcres de concupiscence. Voyez ci-devant Kibroth-hattaavah ou Kibrothaba.
Sépulcre de Rachel. Nous en avons donné la description sous l’article de Rachel.
Sépulcre D’Absalon, ou la main d’Absalon, ou le monument d’Absalon. On le montre aujourd’hui à l’orient de Jérusalem. Voyez l’article Absalon.
Sépulcre de Sara. Abraham ne possédant pas un pouce de terre dans la terre de Chanaan, s’adressa aux enfants de Heth, qui habitaient à Hébron, et les pria de lui vendre le sépulcre qui était dans le champ d’Ephron, fils de Séhor (Genèse 23). Il l’acheta quatre cents sicles de bon argent, et y enterra Sara. La Vulgate appelle le lieu où elle fut enterrée sine caverne double, soit à cause qu’elle comprenait deux chambres creusées dans le roc, ou parce qu’il y avait deux tombeaux dans la même caverne. Le texte hébreu la nomme caverne de Macphela. On peut voir Macphela.
Sépulcre de Moïse. Après la mort de ce fameux législateur, l’archange saint Michel eut une dispute avec le démon, au sujet de son corps (Jude 1.9). Mais quel était le sujet de cette contestation ? C’est de quoi on dispute depuis longtemps. Les uns ont cru que le démon s’opposait à la sépulture de Moïse, soutenant qu’il n’était pas digne de cet honneur, ayant injustement tué un Égyptien dans l’Égypte. D’autres ont soutenu que Moïse avait été enterré par la main des anges, et cela à l’insu des Hébreux, de peur que ceux-ci ne voulussent, après sa mort, lui rendre des honneurs divins.
D’autres enfin prétendent que le démon voulait qu’on l’enterrât en public et en solennité, afin que le peuple en prit occasion de fréquenter son tombeau comme celui d’un Dieu. Il y en a qui croient qu’il n’est pas mort comme les autres hommes, mais qu’il a été enlevé du monde et transporté dans le paradis terrestre. Saint Clément d’Alexandrie et Evode, dans saint Augustin, disent qu’après la mort de Moïse, on vit deux corps de ce législateur, l’un qui devait être mis dans le tombeau, et l’autre qui devait demeurer avec l’ange qui le conduisait.
Cédren raconte que le tombeau de Moïse est toujours couvert d’un nuage éclatant qui le cache aux yeux des hommes et qui empêche qu’on n’en puisse approcher. Le texte du Deutéronome (Deutéronome 24.6) dit précisément que nul homme jusqu’ici n’a connu le lieu de sa sépulture. Toutefois on raconte qu’en 1655, au mois d’octobre, des pasteurs maronites, paissant leurs chèvres dans les montagnes de Nébo et d’Abarim, s’aperçurent que de temps en temps quelques-unes de leurs chèvres s’éloignaient du troupeau de deux ou trois jours de chemin, et qu’à leur retour elles étaient comme embaumées d’une odeur excellente. Pour approfondir la cause d’un effet si extraordinaire, ils suivirent leurs chèvres, et arrivèrent à des précipices d’une profondeur prodigieuse, au milieu desquels ils aperçurent une petite vallée, mais fort agréable, à laquelle on ne pouvait arriver qu’à travers quantité de rochers que des tremblements de terre avaient apparemment détachés des montagnes voisines.
Ils s’y rendirent avec assez de peine, et y trouvèrent un caveau creusé dans la roche vive, avec une inscription assez courte qu’ils ne purent déchiffrer. Toute la caverne exhalait une odeur admirable ; les pasteurs en rapportèrent leurs habits tout parfumés. La chose fut bientôt rapportée à Mataxat, patriarche des Maronites, qui demeurait au mont Liban, dans le monastère de Canobéen Kadischa Mariam. L’odeur de leurs habits donnait un grand poids à tout ce qu’ils racontaient.
Le patriarche y envoya deux de ses prêtres, gens d’une sagesse et d’une prudence éprouvées, et en particulier Aben-Useph, recommandable par sa grande capacité. Ils trouvèrent le monument comme on le leur avait annoncé, et y lurent cette inscription :
Moïse, serviteur de Dieu. Le patriarche, transporté de joie, va trouver Morat, bacha de Damas, et lui demande la garde du tombeau. Les Grecs, les Arméniens, les Juifs, les Franciscains, informés de cette aventure, se remuèrent et répandirent beaucoup d’argent pour avoir, à l’exclusion les uns des autres, la garde de ce précieux tombeau ; les Juifs surtout mirent tout en œuvre pour se la faire adjuger. Ils remontraient que cela les regardait plus qu’aucun autre, puisque Moïse était leur législateur. On flattait déjà les Ottomans de la gloire qu’ils avaient d’être les dépositaires des sépulcres de Jésus-Christ à Jérusalem, de Moïse au mont Nébo, et de Mahomet à la Mecque.
Hornius ajoute que les jésuites, pour éluder les espérances et pour rendre inutiles les poursuites de tous les prétendants, obtinrent des Turcs que le tombeau et les avenues qui y conduisaient seraient fermées, et qu’on ferait défense, sous peine de la vie, à qui que ce fût, d’y aller. Ainsi le bacha Morat envoya ordre au saniac de Jérusalem et de Saphet de faire boucher le tombeau et la caverne. Mais ce n’était pas là la vue de ceux qui avaient sollicité cet ordre. Leur dessein était d’enlever eux-mêmes le corps du tombeau, et de le transporter en Europe. En effet ils prirent avec eux les Druses du mont Liban, et allèrent clandestinement ouvrir le sépulcre ; mais ils n’y trouvèrent rien. Toutefois, comme ils voulaient au moins arracher quelques pierres de ce tombeau le saniac de Jérusalem, averti de leur entreprise, envoya du monde qui les dissipa et les maltraita.
Cet événement fit grand bruit à la cour de Constantinople, et les savants furent partagés sur le jugement qu’on devait porter de cette découverte. Un savant Juif, nommé Jéchonias, fils de Gad, demeurant à Saphet, composa un livre pour faire voir que ce n’était point le sépulcre de Moïse législateur des Hébreux, mats d’un autre Moïse plus récent de plusieurs siècles. Ainsi s’évanouit l’espérance dont on s’était flatté à cette occasion. C’est ce que nous raconte Hornius. Mais Barlolocci, qui a examiné de près toute cette histoire, en fait voir la fausseté, ou du moins la rend fort suspecte par trois remarques. La première : le Juif Jéchonias, fils de Gad, est inconnu et paraît inventé à plaisir ; 2° le patriarche des Maronites qui vivait en 1655 ne s’appelait pas Mataxat, mais Jean, auquel succéda Georges Besbebel ; 3° le bacha de Damas d’alors s’appelait Beschis, et non pas Morat.
Sépulcre d’Élisée. Il nous est connu par une circonstance très-remarquable. L’année même de la mort et de la sépulture de ce prophète (2 Rois 13.20-21), quelques coureurs moabites étant venus faire des courses sur les terres d’Israël, il arriva que les Israélites, qui portaient en terre un homme, le jetèrent précipitamment dans le tombeau du prophète, pour s’enfuir ; mais le cadavre n’eut pas plutôt touché le corps mort d’Élisée, qu’il ressuscita et se leva sur ses pieds. On n’est pas d’accord sur le lieu où était le tombeau de ce prophète. Saint Jérôme et plusieurs autres après lui ont écrit qu’il était à Samarie ou aux environs ; et on fonde ce sentiment sur ce que probablement il mourut à Samarie, et on présume qu’il y fut aussi enterré. D’autres veulent qu’il ait été enterré à Abel-Meula, sa patrie ; d’autres, au mont Carmel. Voyez l’article d’Élisée.
Sépulcre de David. Nous en avons déjà parlé sous le nom, de David, comme aussi des richesses qu’on dit y avoir été enfermées.
Voici la description qu’en donnent des voyageurs exacts. C’est un édifice superbe qui est aujourd’hui hors des murs de Jérusalem, mais qui apparemment était autrefois enfermé dans l’enceinte de la ville. On entre premièrement dans une grande cour d’environ six vingts pieds en carré, taillée et aplanie dans le rocher, qui est de marbre. À main gauche est une galerie taillée de même dans le roc, aussi bien que les colonnes qui la soutiennent ; au bout de la galerie il y a une petite ouverture par où l’on passe le ventre à terre pour entrer dans une grande chambre d’environ vingt-quatre pieds en carré, autour de laquelle il y a d’autres chambres plus petites qui vont de l’une dans l’autre avec des portes de pierre qui y donnent entrée. Le toit, les portes comme le reste, leurs pivots, leurs montants, leurs montures, leur chambranle, sont du même rocher, ce qu’on regarde à bon droit comme une merveille ; car les portes n’ont jamais été déplacées ni apportées d’ailleurs ; elles ont été travaillées avant les chambres, et elles tiennent encore au même rocher dans lequel elles ont éte travaillées. Aux côtés des petites chambres dont on a parlé, il y a plusieurs niches dans lesquelles les corps des rois étaient déposés dans des cercueils de pierre. Cet ouvrage est peut-être l’unique vrai reste de l’ancienne Jérusalem.
Sépulcre de Daniel, d’Ézéchiel, etc. Voyez les titres de ces personnes.
Sépulcre des Machabées, à Modin. Voyez la fin de l’article de Jonathas Asmonéen.
Sépulcre des Rois de Juda. Voyez l’article de David, et ci-devant Sépulcre de David. Voyez aussi Rois (Sépulcres des).
« Trois tombeaux sont placés dans la vallée de Josaphat, dit M. le duc de Raguse (Voyage, etc., tome 3) ; ce sont ceux d’Absalom,
Fils de David, de Josaphat, roi de Juda, et de Zacharie. Ces monuments, d’une construction singulière, sont taillés dans le roc avec tous leurs ornements, colonnes, pilastres et architraves. Le style en est grave et digne de leur destination. Ils décorent convenablement cette triste vallée, et reçoivent des lieux environnants un encadrement qui les embellit. »
« Le sépulcre des rois est situé à cinquante pas des murs de la ville. L’excavation par laquelle on y entre ressemble à l’ouverture d’une ancienne carrière abandonnée ; des constructions en ont régularisé la surface. La porte, d’ordre dorique, est taillée dans le roc. Une frise, d’une exécution très-soignée, et d’une composition bizarre, qui semblerait représenter un triomphe de Bacchus, l’orne dans sa partie supérieure et dans celles latérales. Un corridor en pente, où l’on ne pénètre plus aujourd’hui qu’en rampant et avec difficulté, conduit à trois grandes salles taillées aussi dans le roc. Trente chambres sépulcrales, disposées symétriquement, ont été l’objet d’un grand travail. Elles étaient toutes fermées par des portes en pierre, roulant sur des pivots également en pierre ; on en voit encore plusieurs qui sont renversées, mais à-peu-près intactes, et on reconnaît la manière dont elles étaient placées. Ce genre de monument appartient-à l’antiquité la plus reculée ll rappelle ceux de la haute Égypte et de la Nubie ; mais la nature des ornements démontre que celui-ci est de l’époque romaine : c’est une imitation d’ouvrages beaucoup plus anciens, quant à l’idée principale, mais qui porte le cachet du temps où elle a été exécutée. »
C’est une grande question que de savoir qui a occupé ces tombeaux et à qui ils ont été destinés. M. de Chateaubriand l’a traitée dans son Itinéraire. Il démontre qu’ils furent construits par Hérode le Tétrarque pour lui et sa famille, et que la plupart de ces chambres sépulcrales ne furent jamais remplies. Alors, comme à présent, il y avait des grandeurs passagères ; et des tombeaux promis et élevés ne recevaient pas.les cendres qui devaient les occuper. » Page 53-55. Voyez sépulture.
Jésus-Christ, sur le mont Calvaire, au nord et au couchant de Jérusalem, est creusé dans le roc vif, comme l’Évangile (Jean 19.41) nous l’apprend. C’est u ne espèce de petite chambre presque carrée par dedans, haute de huit pieds un pouce depuis le bas jusqu’à la voûte, longue de six pieds un pouce, et de quinze pieds dix pouces de large. La porte qui regarde l’orient n’a que quatre pieds de haut sur deux pieds et quatre pouces de large. Cette porte se fermait par une pierre du même roc que celle du tombeau ; et c’est sur cette pierre que les princes des prêtres appliquèrent leur sceau, et queles saintes femmes craignaient de ne pouvoir remuer (Marc 16.3). Enfin c’est sur cette même pierre que l’ange s’assit après que Jésus-Christ fut sorti du tombeau (Matthieu 28.2). Le lieu où le corps de notre Sauveur fut placé occupe tout un côté de cette grotte : c’est une pierre élevée de terre de deux pieds quatre pouces, longue de cinq pieds onze ponces, et large de deux pieds huit pouces, posée en long d’orient en occident. Elle subsiste encore aujourd’hui, mais toute incrustée d’un marbre blanc. On peut voir le Voyage de Paul Lucas dans l’Asie Mineure, tome 2 pages 12 et suivants Il a visité plusieurs fois ce saint lieu, et en fait une description exacte, tel qu’il est aujourd’hui. Voyez l’article suivant, et la Correspondance d’Orient, tome 4.
« Les prophéties étaient accomplies : il ne restait plus à Jérusalem pierre sur pierre. Mais dans l’enceinte déserte on visitait encore un tombeau creusé dans le roc, tombeau d’un Dieu sauveur, resté vide par le miracle de la résurrection. Il y avait là une montagne où le sang du Christ avait coulé, où le mystère de la rédemption s’était consommé.Le sépulcre de Jésus et le Calvaire devaient naturellement devenir les principaux objets de la vénération et de l’amour des chrétiens ; la Judée était, à leurs yeux, la terre la plus sainte de l’univers. Aussi, dès les premiers temps de l’Église, les fidèles y venaient adorer les traces du Sauveur. Les faux dieux s’étaient montrés à la suite de l’empereur Élie-Adrien, dans la cité où leur puissance avait été vaincue : Jupiter avait pris possession du Golgotha ; Adonis et Vénus étaient adorés à Bethléem.Mais le règne profanateur de cette mythologie expirante devait bientôt passer ; la piété de Constantin fit disparaître ces images qui attristaient l’œil des chrétiens ; la ville sacrée, qui, tour à tour détruite et rebâtie par Élie-Adrien, avait porté le nom d’Ælia Capitolina, reprit son premier nom de Jérusalem ; un temple enferma le tombeau du Rédempteur et quelques-uns des principaux lieux de la passion ; Constantin célébra la trente et unième année de son règne par l’inauguration de cette église, et des milliers de chrétiens se rendirent à cette solennité, où le savant évêque Eusèbe prononça un discours rempli de la gloire de Jésus-Christ.
Lorsque l’empereur Julien, pour affaiblir l’autorité des prophéties, entreprit de rebâtir le temple des Juifs, on raconta les prodiges par lesquels Dieu avait confondu ses desseins, et Jérusalem, devenue plus chère encore aux disciples de Jésus-Christ, voyait accourir tous les ans de nouveaux fidèles pour y adorer la divinité de l’Évangile. Parmi les pèlerins de ces temps reculés l’histoire ne peut oublier les noms de saint Porphyre et de saint Jérôme. Le premier abandonna, à l’âge de vingt ans, Thessalonique, sa patrie, passa plusieurs années dans les solitudes de la Thébaïde, et se rendit dans la Palestine ; après s’être longtemps condamné à la vie la plus humble et la plus grossière, il devint évêque de Gaza. Le second, accompagné de son ami Eusèbe de Crémone, quitta l’Italie, parcourut l’Égypte visita plusieurs fois Jérusalem, et résolut de terminer ses jours à Bethléem. Paula et sa fille Eustochie, de l’illustre famille des Gracques, unies à Jérôme par une sainte amitié, renoncèrent à Rome, aux joies de la vie, aux grandeurs humaines pour embrasser la pauvreté de Jésus-Christ, et pour vivre et mourir à côté de la crèche. Saint Jérôme nous apprend que les pèlerins arrivaient alors en foule dans la Judée, et qu’autour du saint tombeau on entendait célébrer, dans des langues diverses, les louanges du fils de Dieu. En ce temps-là le monde était plein de révolutions et de malheurs : le vieil empire romain croulait sous les coups des barbares, l’ancien monde tombait comme tombe toute chose dont le destin est achevé ; un grand malaise avait saisi les âmes au milieu de ces calamités et de ces ruines ; on se dirigeait vers le lieu où s’était levée une foi nouvelle ; l’espérance était alors au désert, et c’est là qu’on allait la chercher. Ainsi avaient fait Jérôme et d’autres enfants de l’Occident. Jérôme ne se borna point à un simple pèlerinage, car Rome, avec sa civilisation corrompue et son éternité qui allait finir, n’avait rien qui pût remplir son cœur ; il se fit habitant de la Judée ; il resta là pour veiller au besoin des pieux voyageurs et des pauvres chrétiens du pays ; il resta dans sa chère Bethléem pour se livrer à une étude profonde des livres saints et pour composer, sous le cilice et la robe grossière, tant d’admirables commentaires, oracles de l’Église latine ; et aujourd’hui le voyageur qui descend dans l’étable de Bethléem salue, en passant, les trois tombeaux de saint Jérôme, de Paula et d’Eustochie…
Vers la fin du quatrième siècle, les pèlerinages à Jérusalem se multipliaient sans cesse ; mais la piété n’était pas toujours leur invariable règle… Dans les premières années du cinquième siècle, nous trouvons sur les chemins de Jérusalem l’impératrice Eudoxie, épouse de Théodose le Jeune. L’histoire a vanté son esprit et sa piété. À son retour à Constantinople, des chagrins et des inimitiés domestiques lui firent sentir le néant des grandeurs humaines ; elle reprit alors le chemin de la Palestine, où elle termina sa vie au milieu des exercices de la dévotion. Vers le même temps, le barbare Genséric s’empara de Carthage et des villes chrétiennes de l’Afrique. La plupart des habitants, chassés de leurs demeures, se dispersèrent en différentes contrées de l’Asie et de l’Occident ; un grand nombre alla chercher un asile dans la terre sainte. Lorsque l’Afrique fut reconquise par Bélisaire, on trouva parmi les dépouilles des barbares les ornements du temple de Salomon enlevés par Titus. Ces précieuses dépouilles, que les destinées de la guerre avaient transportées à Rome, puis à Carthage, furent portées à Constantinople, ensuite à Jérusalem, où elles ajoutèrent à la splendeur de l’église du Saint Sépulcre. Ainsi les guerres, les révolutions, les revers du monde chrétien contribuaient à augmenter l’éclat de la ville de Jésus-Christ.
Au milieu des premières conquêtes des Sarrasins, leurs regards s’étaient d’abord portés sur Jérusalern.Selon la foi des musulmans, Mahomet avait honoré de sa présence la ville de David et de Salomon ; c’est de là qu’il était parti pour monter au ciel dans son voyage nocturne. Les Sarrasins regardaient Jérusalem comme la maison de Dieu, comme la ville des saints et des miracles. Deux lieutenants d’Omar, Amrou et Serdjyl ; assiégèrent la ville sacrée, qui se défendit courageusement pendant quatre mois ; chaque jour les Sarrasins livraient des assauts, en répétant ces paroles du Coran : Entrons dans la terre sainte que Dieu nous a promise. Les chrétiens, dans leur longue résistance, espéraient des secours d’Héraclius ; mais l’empereur de Byzance n’osa rien entreprendre pour sauver Jérusalem. Le calife Omar vint lui-même dans la Palestine pour recevoir les clefs et la soumission de la ville conquise. Les chrétiens eurent la douleur de voir l’église du Saint-Sépulcre profanée par la présence du chel des infidèles. Le patriarche Sophronius, qui accompagna le calife, ne put s’empêcher de répéter ces mots de Daniel : L’abomination de la désolation est dans le saint lieu. Omar avait laissé aux habitants une sorte de liberté religieuse, mais la pompe des cérémonies leur avait été interdite : les fidèles cachaient leurs croix et leurs livres sacrés, la cloche n’appelait plus à la prière. Jérusalem était remplie de deuil. Une grande et magnifique mosquée, que le voyageur retrouve encore aujourd’hui, fut bâtie par le calife à la place où s’était élevé le temple de Salomon. L’aspect de l’édifice consacré au culte des infidèles ajoutait à l’affliction des chrétiens. L’histoire rapporte que le patriarche Sophronius ne put supporter la vue de ces profanations, et qu’il mourut de désespoir.
L’invasion musulmane n’avait point arrêté les pèlerinages. Vers le commencement du huitième siècle, un évêque des Gaules, saint Arculphe, passa les mers et resta neuf mois à Jérusalem ; le récit de son pèlerinage, redigé par l’abbé d’un monastère des îles Britanniques, renferme beaucoup de détails sur les lieux saints…
Vingt ou trente ans après le pèlerinage d’Arculphe, nous voyons arriver en Syrie un autre évêque, Guillebaut, du pays saxon, dont les courses aux lieux saints nous ont été racontées par une religieuse de sa famille.
Arculphe avait vu douze lampes veillant dans l’intérieur du saint tombeau ; Guillebaut en trouva quinze. Au temps d’Arculphe, un pont jeté sur le Jourdain, à l’endroit où le Christ fut baptisé, aidait les pèlerins qui se baignaient dans les eaux sacrées ; Guillebaut ne mentionne point le pont, mais il parle d’une corde placée sur les deux rives du Jourdain. Une grande croix de bois était plantée au milieu du fleuve à l’époque du passage des deux pèlerins…
Les Abbassides établis dans la ville de Bagdad, qu’ils avaient fondée, éprouvèrent plusieurs vicissitudes dont les effets se faisaient sentir parmi les chrétiens. Au milieu des changements qu’amenaient les caprices de la fortune ou ceux du despotisme, le peuple fidèle était semblable, dit Guillaume de Tyr (livre 1, chapitres 3), à un malade dont les douleurs s’apaisent ou s’augmentent selon que le ciel est serein ou chargé d’orage. Les chrétiens, toujours placés entre la rigueur de la persécution et la joie d’une tranquillité passagère, virent enfin naître des jours plus calmes sous le règne d’Aaron-al-Réchid, le plus grand des califes de la dynastie d’Abbas. À cette époque, la gloire de Charlemagne, qui s’était étendue jusqu’en Asie, protégea les églises d’Orient. Ses pieuses libéralités soulagèrent l’indigence des chrétiens d’Alexandrie, de Carthage et de Jérusalem. Les deux plus grands princes de leur siècle se témoignèrent une estime mutuelle par de fréquentes ambassades ; ils s’envoyèrent de magnifiques présents.
La politique ne fut pas sans doute étrangère aux témoignages d’estime qu’Aaron prodiguait à l’empereur d’Occident le calife faisait la guerre aux maîtres de Constantinople, et pouvait craindre avec raison que les Grecs n’intéressassent à leur cause les plus braves d’entre les peuples chrétiens. Les traditions populaires de Byzance représentaient les Latins comme les futurs libérateurs de la Grèce ; dans un des premiers sièges de Constantinople par les Sarrasins, le bruit seul de l’arrivée des Francs avait ranimé le courage des assiégés et jeté l’effroi dans les rangs musulmans. Au temps d’Aaron, le nom de Jérusalem exerçait déjà une si puissante influence sur les chrétiens de l’Occident, qu’il suffisait de prononcer ce nom révéré pour réveiller leur enthousiasme belliqueux. Afin d’ôter aux Francs tout prétexte d’une guerre religieuse, qui aurait pu leur faire embrasser la cause des Grecs et les attirer en Asie, le calife ne négligea aucune occasion d’obtenir l’amitié de Charlemagne, et lui fit présenter les clefs du Saint-Sépulcre et de la ville sainte…
Avant que le neuvième siècle se ferme, nous devons citer une importante pièce historique, datée de 881, qui va nous retracer l’état de l’Église latine de Jérusalem à cette époque, et nous montrer que déjà des rapports de fraternité s’étaient solennellement établis entre les chrétiens d’Orient et les chrétiens d’Europe. Cette pièce est une lettre d’Hélie, patriarche de Jérusalem, adressée à Charles le Jeune, à tous les princes très-magnifiques, très-pieux et très-glorieux de l’illustre race du grand empereur Charles, aux rois de tous les pays des Gaules, aux comtes, aux très-saints archevêques, métropolitains, évêques, abbés, prêtres, diacres, sous-diacres et ministres de la sainte Église, aux saintes sœurs, à tous les adorateurs de Jésus-Christ, aux femmes illustres, aux princes, aux ducs, à tous les catholiques et orthodoxes de tout l’univers chrétien. Après avoir parlé des nombreuses tribulations que les chrétiens de Jérusalem ont eu à souffrir, et dont les pèlerins ont pu faire en Europe un fidèle récit, le patriarche dit que, par la miséricorde de la divine providence, le prince de Jérusalem s’étant fait chrétien, a permis aux fidèles de reprendre leurs saints édifices, et de rebâtir leurs sanctuaires détruits. N’ayant point d’argent pour suffire aux dépenses de sa restauration des lieux saints, les fidèles ont été obligés d’avoir recours aux musulmans. Comme ceux-ci n’ont point voulu prêter sans garantie, les chrétiens leur ont livré leurs oliviers, leurs vignes, leurs vases sacrés ; mais, faute d’argent, ils ne peuvent reprendre les biens donnés en gage ; dans cet état-, les pauvres et les moines sont menacés de mourir de faim, les chrétiens esclaves ne sont point rachetés, et l’huile manque aux lampes des sanctuaires, comme, selon la parole du divin Apôtre, lorsqu’un membre souffre, tous les membres souffrent aussi, les chrétiens de Jérusalem ont songé à implorer la pitié de leurs frères d’Europe. Jadis les enfants d’Israël offrirent eux-mêmes leurs deniers pour relever le tabernacle ; on fut obligé de faire annoncer par un crieur public que les dons offerts suffisaient, et cet avertissement n’arrêtait point l’empressement généreux du peuple de Dieu : le patriarche demande si les fidèles occidentaux, appelés au secours de l’Église de Jésus-Christ, se montreront moins zélés que les Israélites. Tels sont les principaux traits de cette lettre patriarcale. Nous ignorons ce que répondit l’Europe chrétienne, mais il est à croire que les deux moines chargés de la lettre d’Hélie ne retournèrent point les mains vides
Les califes de Bagdad, énerves par le luxe et corrompus par une longue prosperité, abandonnèrent les soins de l’empire… Les Arabes étaient amollis comme leurs chefs… L’empire gigantesque des À bassides s’écroula de toutes parts, et le monde, selon l’expression d’un auteur arabe, demeura à celui qui put s’en emparer… Les Grecs parurent alors se réveiller. Nicéphore Phocas reprit Antioche sur les musulmans… Cette victoire ne servit qu’à faire persécuter les chrétiens de la Palestine… Zimiscès, successeur de Nicéphore, se mit en campagne et porta la guerre sur le territoire des Sarrasins. Il régnait alors une si grande confusion parmi les puissances musulmanes, les dynasties se succédaient avec tant de rapidité, que l’histoire peut à peine connaître quel prince exerçait sa domination sur Jérusalem. Après avoir vaincu les musulmans sur les bords du Tigre, et forcé le calife de Bagdad à payer un tribut aux successeurs de Constantin, Zimiscès s’avança dans la Syrie, s’empara de Damas, et soumit toutes les villes de la Judée… Zimiscès mourut empoisonné : cette mort fut le salut de l’islamisme, qui reprit partout son empire. Les Grecs, portant ailleurs leur attention, oublièrent leurs conquêtes ; Jérusalem et tous les pays arrachés au joug des Sarrasins, tombèrent alors au pouvoir des califes fatimites, qui venaient de s’établir sur les bords du Nil, et qui profitaient du désordre jeté parmi les puissances de l’Orient pour étendre leur domination.
Les nouveaux maîtres de la Judée traitèrent d’abord les chrétiens comme des alliés et des auxiliaires ; ils favorisèrent le commerce des Européens et les pèlerinages dans les saints lieux. Les marchés des Francs furent rétablis dans la ville de Jérusalem ; les chrétiens rebâtirent les hospices des pèlerins et les églises tombées en ruines… Ils durent croire que leurs maux allaient fiu : r, lorsqu’ils virent monter sur le trône d’Égypto le calife Hakem, qui avait pour mère une chrétienne, et dont l’oncle maternel était patriarche de la ville sainte…
Hakem, le troisième des califes fatimites, signala son règne par tous les excès du fanatisme et de la démence… ; il poussa le délire jusqu’à se croire un dieu. On lui éleva des autels dans le voisinage de Fostat (le vieux Caire). Seize mille de ses sujets se prosternèrent devant lui, et l’implorèrent comme le souverain des vivants et des morts.
Hakem méprisait Mahomet ; mais il n’osa persécuter les musulmans, trop nombreux dans ses États. Le dieu trembla pour l’autorité du prince, et fit tomber toute sa colère sur les chrétiens, qu’il livra à la fureur de leurs ennemis (les musulmans)… Le sang des chrétiens coula dans toutes les villes de l’Égypte etdc la Syrie ; leur courage, au milieu des tourments, ne faisait qu’accroître la haine de leurs persécuteurs. Les plaintes qui leur échappaient dans leur misère, les prières même qu’ils adressaient à Jésus-Christ pour obtenir la fin de leurs maux, étaient regardées comme une révolte, et punies comme le plus coupable des attentats… Dans la Palestine, toutes les cérémonies de la religion furent interdites ; la plupart des églises converties en étables ; celle du Saint-Sépulcre fut renversée de fond en comble. Les chrétiens, chassés de Jérusalem, se dispersèrent dans toutes les contrées de l’Orient…
L’affliction des chrétiens de Jérusalem se trouva tout à coup adoucie par la mort du calife Hakem, leur oppresseur ; le méchant calife Hakem, dit Guillaume de Tyr (livre 1), sortit (le ce monde. Daher, qui lui succéda, permit aux fidèles de rebâtir l’église du Saint-Sépulcre. L’empereur de Constantinople fournit de son propre trésor les sommes nécessaires à cette reconstruction. Trente-sept années après que le temple de la Résurrection eut été renversé, il se releva tout à coup : image de Jésus-Christ lui-même, qui, vainqueur de la mort, sortit glorieux de la nuit du tombeau. » (Michaud, Histoire des croisades, tome 1 pages 1-35, passim). Ces derniers faits sont du dixième siècle.
Les Turcs ayant conquis la Perse, trente ans à peine s’étaient écoulés que leurs colonies militaires et pastorales s’étendaient de l’Oxus jusqu’à l’Euphrate, et de l’Indus jusqu’à l’Hellespont. « Un lieutenant de Maleck Schah porta la terreur de ses armes sur les bords du Nil, et sempara de la Syrie, soumise aux califes fatimites. La Palestine tomba au pouvoir des Turcs ; le drapeau noir des Abassides fut arboré sur les murs de Jérusalem. Les vainqueurs n’épargnèrent ni les chrétiens ni les enfants d’Ali, que le calife de Bagdad représentait comme des ennemis de Dieu. La garnison égyptienne fut massacrée, les mosquées et les églises furent livrées au pillage. La ville sainte nagea dans le sang des chrétiens et des musulmans. C’est ici que l’histoire peut dire avec l’Écriture que Dieu avait livré ses enfants à ceux qui les haïssaient.
Comme la domination des nouveaux conquérants de la Syrie et de la Judée était récente et mal affermie, elle se montra inquiète, jalouse et violente. Les chrétiens eurent à souffrir des calamités que leurs pères n’avaient point connues sous les règnes des califes de Bagdad et du Caire. » Id., pages 52. Ce fut pour arracher le tombeau de Jésus-Christ et ses adorateurs persécutés à la tyrannie de ces barbares qu’eurent lieu enfin les croisades, à partir de la fin du onzième siècle (1095).
M. de Lamartine, au mois d’octobre 1832, était à Jérusalem et-visitait l’église du Saint-Sépulcre. Nous nous trouvâmes, dit-il (Voyage en Orient, tome 1 pages 415 et suivants), sur une petite place ouverte au nord sur un coin du ciel et de la colline des Oliviers ; à notre gauche, quelques marches à descendre nous conduisirent sur un parvis découvert. La façade de l’église du Saint-Sépulcre donnait sur ce parvis. L’église du Saint-Sépulcre a été tant et si bien décrite, que je ne la décrirai pas de nouveau. C’est, à l’extérieur Surtout, un vaste et beau monument de l’époque byzantine ; l’architecture en est grave, solennelle, grandiose et riche, pour le temps où elle fut construite ; c’est un digne pavillon jeté par la piété des hommes sur le tombeau du Fils de l’homme. À comparer cette église avec ce que le même temps a produit, on la trouve supérieure à tout. Sainte-Sophie, bien plus colossale, est bien plus barbare dans sa forme ; ce n’est au dehors qu’une montagne de pierres flanquée de collines de pierres ; le Saint-Sépulcre, au contraire, est une coupole aérienne et ciselée, où la taille savante et gracieuse des portes, des fenêtres, des chapiteaux et des corniches à joute à la masse l’inestimable prix d’un travail habile, où la pierre est devenue dentelle pour être digne d’entrer dans ce monument élevé à la plus grande pensée humaine ; où la pensée même qui l’a élevé est écrite dans les détails comme dans l’ensemble de l’édifice. Il est vrai que l’église du Saint-Sépulcre n’est pas telle aujourd’hui que sainte Hélène, mère de Constantin, la construisit ; les rois de Jérusalem la retouchèrent et l’embellirent des ornements de cette aréhitecture semi-occidentale, semi-moresque, dont ils avaient trouvé le goût et les modèles en Orient. Mais telle qu’elle est maintenant à l’extérieur, avec sa masse byzantine et ses décorations grecques, gothiques et arabesques, avec les déchirures mêmes, stigmates du temps et des barbares, qui restent imprimées sur sa façade, elle ne fait point contraste avec la pensée qu’on y apporte, avec la pensée qu’elle exprime ; on n’éprouve pas à son aspect cette pénible impression d’une grande idée mal rendue, d’un grand souvenir profané par la main des hommes ; au contraire on se dit involontairement : Voilà ce que j’attendais. L’homme a fait ce qu’il a pu de mieux. Le monument n’est pas digne du tombeau, mais il est digne de cette race humaine qui a voulu honorer ce grand sépulcre, et l’on entre dans le vestibule voûté et sombre de la nef sous le coup de cette première et grave impression.
À gauche, en entrant sous ce vestibule qui ouvre sur le parvis même de la nef, dans l’enfoncement d’une large et profonde niche qui portait jadis des statues, les Turcs ont établi leur divan ; ils sont les gardiens du Saint-Sépulcre, qu’eux seuls ont le droit de fermer ou d’ouvrir. Quand je passai, cinq ou six figures vénérables de Turcs, à longues barbes blanches, étaient accroupies sur ce divan, recouvert de riches tapis d’Alep ; des tasses à café et des pipes étaient autour d’eux sur ces tapis ; ils nous saluèrent avec dignité et grâce, et donnèrent ordre à un des surveillants de nous accompagner dans toutes les parties de l’église…
Au bout de ce vestibule, nous nous trouvâmes sous la large coupole de l’église. Le centre de cette coupole, que les traditions locales donnent pour le centre de la terre, est occupé par un petit monument renfermé dans le grand, comme une pierre précieuse enchâssée dans une autre. Ce monument intérieur est un carré long orné de quelques pilastres, d’une corniche et d’une coupole de marbre ; le tout de mauvais goût et d’un dessin tourmenté et bizarre ; il a été reconstruit en 1817, par un architecte européen, aux frais de l’Église grecque, qui le posséda maintenant. Tout autour de ce pavillon intérieur du sépulcre régne le vide de la grande coupole extérieure ; on y circule librement, et on trouve de piliers én piliers des chapelles vastes et profondes qui sont affectées chacune à un des mystères de là passion du Christ ; elles renferment toutes quelques témoignages réels du supposés des scènes de lar édemption ; la partie de l’église du Saint-Sépulcre qui n’est pas sous la coupole est exclusivement réservée aux Grecs schismatiques ; une séparation en bois peint et couverte de tableaux de l’école grecqué divise cette nef de l’autre. Malgré la bizarre profusion de mauvaises peintures et d’ornements de tous genres dont les murs et l’autel sont surchargés, son ensemble est d’un effet grave et religieux ; on sent que la prière, sous toutes les formes, a envahi ce sanctuaire et accumulé tout ce que des générations superstitieuses, mais ferventes, ont cru avoir de précieux devant Dieu ; un escalier taillé dans le roc conduit de là au sommet du Calvaire où les trois croix furent plantées : le Calvaire, le tombeau et plusieurs autres sites du drame d’e la rédemption se trouvent ainsi accumulés sous le toit d’un seul édifice d’une médiocre étendue ; cela semble peu conforme aux récits des Évangiles, et l’on est loin de s’attendre à trouver le tombeau de Joseph d’Arimathie taillé dans le roc hors des murs de Sion, à cinquante pas du Calvaire, lieu des exécutions, renfermé dans l’enceinte des murailles modernes ; mais les tradbions sont telles et elles ont prévalut. L’esprit ne conteste pas sur une pareille scène pour quelques pas de différence entre les vraisemblances historiques et les traditions ; que ce fût ici ou là, toujours est-il que ce ne fut pas loin des sites qu’on nous désigne. Après un moment de méditation profonde et silencieuse donné, dans chacun de ces lieux sacrés, au souvenir qu’il retraçait, nous redescendîmes dans l’enceinte de l’église, et nous pénétrâmes dans le monument intérieur qui sert de rideau de pierre ou d’enveloppe au tombeau même ; il est divisé en deux petits sanctuaires : dans le premier se trouve la pierre où les ange s’étaient assis quand ils répondirent aux saintes femmes : Il n’est plus là, il est ressuscité ; le second et dernier sanctuaire renferme le sépulcre, recouvert encore d’une espèce de sarcophage de marbre blanc qui entoure et cache entièrement à l’œil la substance même du rocher primitif dans lequel lesénulcre était creusé.
Des lampes d’or et d’argent, alimentées éternellement, éclairent cette chapelle, et des parfums y brûlent nuit et jour ; l’air qu’on y respire est tiède et embaumé ; nous y entrâmes un à un, séparément, sans permettre à aucun des desservants du toupie, d’y pénétrer avec nous, et séparés par un rideau de soie cramoisie du premier sanctuaire. Nous ne voulions pas qu’aucun regard troublât la solennité du lieu ni l’intimité des impressions qu’il pourrait inspirer à chacun selon sa pensée et selon la mesuré et la nature de sa foi dans le grand événement que ce tombeaù rappelle ; chacun de nous y resta environ un quart d’heure, et nul n’en sortit les yeux secs. Quelle que soit la forme que les méditations intérieures, la lecture de l’histoire, les années, les vicissitudes du cœur et de l’esprit de l’homme, aient donnée au sentiment religieux dans son âme, soit qu’il ait gardé la lettre du christianisme, les dogmes de sa mère, soit qu’il n’ait qu’un christianisme philosophique et selon l’esprit, sont que le Christ pour lui soit un dieu crucifié, soit qu’il ne voie en lui que le plus saint des hommes divinisé par la vertu, inspiré par la vérité suprême et mourant pour rendre témoignage à son père ; que Jésus soit à ses yeux le Fils de Dieu ou le fils de l’homme, la divinité faite homme ou l’humanité divinisée, toujours est-il que le christianisme est la religion de ses souvenirs, de son cœur et de son imagination ; qu’il ne s’est pas tellement évaporé au vent du siècle et de la vie, que l’urne où on le versa n’en conserve la première odeur, et que l’aspect des lieux et des monuments visibles de son premier culte ne rajeunisse en lui ses impressions, et ne l’ébranle d’un solennel frémissement. Pour le chrétien ou pour le philosophe, pour le moraliste ou pour l’historien, ce tombeau est la borne qui sépare deux mondes, le monde ancien et le monde nouveau ; c’est le point de départ d’une idée qui a renouvelé l’univers, d’une civilisation qui a tout transformé, d’une parole qui a retenti sur tout le globe : ce tombeau est le sépulcre du vieux monde et le berceau du monde nouveau ; aucune pierre ici-bas n’a été le fondement d’un si vaste édifice, aucune tombe n’a été aussi féconde, aucune doctrine ensevelie trois jours ou trois siècles n’a brisé d’une manière aussi victorieuse le rocher que l’homme avait scellé sur elle, et n’a donné un démenti à la Mort par une si éclatante et si perpétuelle résurrection !
J’entrai à mon tour et le dernier dans le saint sépulcre, l’esprit assiégé de ces idées immenses, le cœur ému d’impressions plus intimes, qui restent mystère entre l’homme et son âme, entre l’insecte pensant et le Créateur : ces impressions ne s’écrivent point ; elles s’exhalent avec la fumée des lampes pieuses, avec les parfums des encensoirs, avec le murmuré vague et confus des soupirs ; elles tombent avec les larmes qui viennent aux yeux au souvenir des premiers noms que nous avons balbutiés dans notre enfance, du père et de la mère qui nous les ont enseignés, des frères, des sœurs, des amis avec lesquels nous les avons murmurés ; toutes les impressions pieuses qui ont remué notre âme à toutes les époques de la vie, toutes les prières qui sont sorties de notre cœur et.de nos lèvres au nom de celui qui nous apprit à pria son père et le nôtre ; toutes les joies, toutes les tristesses de la pensée dont ces prières furent le langage se réveillent au fond de l’âme, et produisent, par leur retentissement, par leur confusion, cet éblouissement de l’intelligence, cet attendrissement du cœur, qui ne cherchent point de paroles, mais qui se résolvent dans des yeux mouillés, dans une poitrine oppressée, dans un front qui s’incline et dans une bouche qui se colle silencieusement sur la pierre d’un sépulcre. Je restai longtemps ainsi, priant le ciel, le père, là dans le lieu même où la plus belle des prières monta pour la première fois vers le ciel ; priant pour mon père ici-bas, pour ma mère dans un autre monde, pour tous ceux qui sont ou qui ne sont plus, mais avec qui le lien invisible n’est jamais rompu ;la communion de l’amour existe toujours ; le nom de tous les êtres que j’ai connus, aimés, dont j’ai été aimé, passa de mes lèvres sur la pierre du saint sépulcre. Je ne priai qu’après pour moi-même ; ma prière fut ardente et forte ; je demandai de la vérité et du courage devant le tombeau de celui qui jeta le plus de vérité dans ce monde, et mourut avec le plus de dévouement à cette véritédont Dieu l’avait fait Verbe ; je me souviendrai à jamais des paroles que je murmurai dans cette heure de crise pour ma vie morale. Peut-être fus-je exaucé : une grande lumière de raison et de conviction se répandit dans mon intelligence et sépara plus clairement le jour des ténèbres, les erreurs des vérités ; il y a des moments dans la vie où les pensées de l’homme, longtemps vagues et douteuses, et flottantes comme des flots sans lit, finissent par toucher un rivage où elles se brisent et reviennent sur elles-mêmes avec des formes nouvelles et un courant contraire à celui qui les a poussées jusque-là. Ce fut là pour moi un de ces moments : celui qui sonde les pensées et les cœurs le sait, et je le comprendrai peut-être moi-même un jour. Ce fut un mystère dans ma vie qui se révélera plus tard. »
Sépulcre de La sainte Vierge. Il y a deux traditions sur la sépulture de la sainte Vierge comme il y en a deux sur le lieu de sa mort. Ceux qui tiennent qu’elle suivit saint Jean l’Évangéliste à Éphèse et qu’elle y mourut, prétendent qu’on voyait encore son tombeau en lors du concile d’Éphèse ; et ce sentiment est bien marqué dans une lettre de ce concile. L’autre sentiment, qui la fait mourir à Jérusalem et qui y fait voir son tombeau, n’est pas moins suivi. Juvénal, évêque de Jérusalem, et qui ne pouvait ignorer ce qui s’était passé au concile d’Éphèse, puisqu’il y assistait, écrivit à l’impératrice Pulchérie et à l’empereur Marcien, qui lui demandaient des reliques de la sainte Vierge, que l’on montrait son tombeau à Gethsémani, près de Jérusalem, mais qu’il était vide. On ajoute que l’empereur, ayant appris cela, fit apporter ce tombeau à Constantinople avec un suaire que l’on avait mis dedans, et qu’il le fit poser, vers l’an 455, dans la nouvelle église de Notre Dame-des-Blaquernes.
On ne laissa pas depuis ce temps de montrer le tombeau de la Vierge à Jérusalem. Adamnan dit qu’on le voyait dans la vallée de Josaphat, près de cette ville. Bède témoigne qu’on le voyait de son temps à Jérusalem, mais vide. On le mit dans la basilique que l’impératrice Hélène y avait fait bâtir. Les voyageurs assurent qu’on le voit encore dans la vallée de Josaphat, où passe le torrent de Cédron, mais de l’autre côté de ce torrent, et vis-à-vis de Gethsémani et de la montagne des Oliviers ; que le monument qui en paraît hors de terre est fart peu élevé ; qu’on descend dans ce sépulcre par cinquante degrés ; est fait en forme de cellule ou de petite grotte, où l’on voit comme un autel de pierre sur lequel le cercueil ou le corps pouvait être posé ; que tant la cellule que l’autel sont taillés dans le roc. Voilà ce qu’ils en disent ; mais cela n’est pas suffisant pour persuader que c’est là le vrai tombeau de la sainte Vierge. [Voyez la figure dans l’Atlas du. Cours complet d’Écriture sainte].
Dans le fond du vallon, dit M. le duc de Raguse (Voyage, tome Ill, pages 4.8-4.9), soit qu’il y eût antérieurement une grotte, ou qu’on l’y ait creusée à main d’homme, on a construit une église souterraine dédiée à la sainte Vierge, et l’on y a mis un tombeau qui porte son nom. Aucune tradition ne fait mourir Marie à Jérusalem ; c’est à Éphèse et dans l’île de Samos qu’il semble qu’après la mort de son Fils elle passa le reste de sa vie. Mais, que ce tombeau soit réel ou qu’il soit une simple image, il n’en est pas moins l’objet d’une piété universelle. Marie est tin être sacré pour toutes les religions en Orient ; et j’eus le spectacle touchant de femmes turques et de chrétiennes, réunies au pied de ce tombeau par le même sentiment, et qui priaient ensemble avec une égale ferveur. Les musulmans ont un oratoire, les diverses communions chrétiennes ont des chapelles, et les catholiques sont en possession du tombeau. On y arrive par un large et magnifique escalier de cinquante marches.
L’église souterraine contient également le tombeau de saint Joseph et ceux de-saint Joachim et de sainte Anne, père et mère de la sainte Vierge. Cette réunion donne trop l’idée d’un caveau de famille. Les souvenirs religieux n’ont pas besoin de cette symétrie pour arriver d’une manière digne et convenable à la postérité, et ce qui a été fait avec maladresse dans la vue de les embellir, leur ôte une partie de leur éclat.