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Voltaire a osé dire que les descendants d’Abraham étaient anthropophages ; mais c’est à tort, dit M.Victor Hennequin, qui ajoute : Les exemples de cannibalisme qui se trouvent dans l’histoire israélite sont toujours occasionnés par un long blocus et par la famine. Il est vrai que ces horreurs sont fréquentes. La mère qui mange son fils, au siège de Jérusalem, n’est pas un individu, mais un type. M. Hennequin dit cela dans un livre intitulé : Introduction historique à l’étude de la législation française (2 vol in-8° ; Paris, 1841), et qui ne traite que des Juifs. S’il y a de bonnes choses dans cet ouvrage, il y en a beaucoup plus de mauvaises. L’auteur s’y distingue par de fausses appréciations nombreuses, et par des traits d’ignorance fréquents et visibles : Le cannibalisme des Hébreux, dit-il, fut accidentel ; c’est une calamité qu’ils subirent par intervalles, comme presque toutes les nations. Quoi donc ! parce que chez un peuple, placé accidentellement dans une circonstance violente, quelques individus sont réduits, pressés par la faim, à manger de la chair humaine, ce peuple tout entier est accidentellement anthropophage ! Mais, d’abord, jamais aucun peuple, pas même le peuple hébreu, ne s’est trouvé tout entier dans une telle circonstance ; on n’y voit que quelques villes assiégées. Ensuite, dans ces villes, dont le nombre ne va peut-être pas à quatre, dans l’ancien monde, une ou deux personnes seulement furent poussées à une si déplorable extrémité. Au lieu de deux personnes, supposez-en dix ; qu’en pouvez-vous conclure de manière à pouvoir dire que tous les habitants bloqués dans ces villes furent accidentellement anthropophages ?
M. Hennequin rappelle les exemples de cannibalisme qui furent donnés aux sièges de Jérusalem et de Samarie ; il cite ensuite plusieurs passages empruntés des prophètes Jérémie, Baruch et Ézéchiel ; le tout pour prouver que dans l’histoire israélite ces horreurs sont fréquentes. Examinons ces preuyes, procédant par ordre chronologique.
Le premier exemple de cannibalisme dont on accuse en masse les Hébreux, eut lieu 768 ans après leur sortie d’Égypte, qui fut effectuée l’an 1645 avant Jésus-Christ Voici dans quelle circonstance.
Vers l’an 877 avant Jésus-Christ, il y avait sept ans que Dieu, pour punir l’infidélité des Israélites, tombés du schisme dans l’idolâtrie, leur refusait de la pluie. Les habitants de Samarie, capitale du royaume d’Israël, confondu avec celui de Juda, bloqués par Ben Hadad, roi de Syrie, étaient, par suite de la famine et du blocus, réduits à la plus dure extrémité ; à une extrémité telle, dit l’historien, qu’une tête d’âne se vendait quatre-vingts pièces ou sicles d’argent, c’est-à-dire plus de cent vingts francs de notre monnaie. On peut juger par là combien cher se vendait la plus misérable nourriture, ou ce qui pouvait en servir. Un jour, le roi d’Israël (Joram) passait sur le rempart ; une femme crie vers lui, le priant de l’assister. Il lui dit qu’il ne peut la secourir et comme elle se lamentait d’une manière étrange : Qu’as-tu ? lui demande le roi. Elle lui répond : Cette femme m’a dit : Donne-moi ton fils, nous le mangerons aujourd’hui ; demain nous mangerons le mien. J’ai fait cuire mon fils ; nous l’avons mangé. Le lendemain je lui ai dit : À ton tour, donne-moi ton enfant ; mais elle l’a caché. M. Hennequin rapporte ces horribles paroles telles qu’on vient de les lire ; mais l’historien sacré ajoute : Dès que le roi eut entendu cette femme parler de la sorte, il déchira ses vêtements, exprimant ainsi avec énergie sa douloureuse surprise. Ainsi, malgré la plus affreuse disette où se soient trouvés les assiégés de Samarie, le roi est très-étonné d’apprendre que deux femmes aient mangé un enfant ; c’est que sans doute elles furent les seules. Ce fait déplorable eut lieu à la fin du siège, qui fut levé quelques heures après le moment où le roi en avait été instruit (2 Rois 6.25 ; 7.5).
Environ 300 ans après, c’est-à-dire vers l’an 593 avant Jésus-Christ, Ézéchiel, emmené captif à Babylone, en même temps que Jéchonias, roi de Juda, prophétisait les calamités qui fondraient sur Jérusalem lorsqu’elle serait assiégée par Nabuchodonosor, en punition des prévarications dont le peuple juif s’était rendu coupable, et de son entêtement à persévérer dans une politique humaine, fausse et périlleuse. Parmi ces calamités, le prophète annonce, avec le blocus, une famine dans laquelle les pères mangeront leurs enfants, et les enfants leurs pères (Ézéchiel 5.10). Jérémie, vers le même temps, prédisait la même chose (Jérémie 9.9 ; Lamentations 2.20). Cette prophétie s’accomplit comme toutes les autres (Lamentations 4.10 ; Baruch 2.3). Mais, dans tout cela, il ne s’agit que d’un seul et même fait, savoir : Pendant que les Chaldéens tenaient le blocus devant Jérusalem, des Juifs, dévorés par la faim, mangèrent des cadavres humains. Conf avec (Lamentations 2.11-12, 21 ; 4.4-5).
Enfin, sept cent soixante ans environ se passent, et Titus, l’an 170 après Jésus-Christ, met le siège devant Jérusalem. Dans le blocus de cette ville, qui subissait alors toutes les calamités possibles, une mère arrache de sa mamelle désséchée l’enfant qui n’y trouve plus sa nourriture ; elle le tue, le fait cuire et le mange. Cette mère n’est pas un individu, dit M. Hennequin, mais un type, c’est-à-dire qu’en cette femme on a particularisé un fait, même un usage, qui doit s’entendre, non-seulement de la population assiégée, mais encore du peuple tout entier. Dans cette circonstance surtout, le cannibalisme des Hébreux fut accidentel, il est vrai, mais il fut réel et général. Voilà, ce me semble, ce que signifient les paroles qu’emploie M. Hennequin ; et maintenant, de deux choses l’une : ou il trompe sciemment ses lecteurs, ou il ne sait ce qu’il dit. Écoutons Flavius Josèphe, témoin et historien du siège de Jérusalem, qui seul rapporte le fait.
Il présente la malheureuse mère dans l’alternative de voir son fils mourir dans les tourments de la faim, ou de le voir égorger par quelques-uns des factieux qui ont fait venir tous ces maux sur Jérusalem. Elle se décide à le tuer elle-même, afin de lui épargner des souffrances plus cruelles, et à lui servir de tombeau, afin qu’elle puisse braver quelques jours de plus les tyrans qui l’en vironnent. Après donc avoir mangé une partie du fruit de ses entrailles, elle cache l’autre, dit l’historien ; aussitôt ces impies entrent dans sa maison : l’odeur de cette viande abominable leur donne l’espoir d’un repas ; ils lui demandent ce qu’elle a préparé, et menacent de la tuer si elle le leur refuse. Elle leur montre alors le reste du corps de son fils. Quoiqu’ils eussent des cœurs de bronze, un tel aspect leur inspira tant d’horreur, qu’ils semblaient être hors d’eux-mêmes… Ces gens, qui jusqu’à ce moment n’avaient su ce que c’était que l’humanité, s’en allérent tout tremblants, et quelque grande que fût leur avidité de trouver de quoi se fourrir, ils ne touchèrent point à cette détestable viande. Le bruit d’une action si funeste se répandit aussitôt par toute la ville ; l’horreur que tous en conçurent ne fut pas, moins grande que si chacun en particulier eût commis un semblable crime ; les plus pressés de la faim ne souhaitaient rien tant que d’être promptement délivrés de la vie, et estimaient heureux ceux qui étaient morts avant d’avoir pu voir ou entendre raconter une chose si exécrable. Voilà ce que dit Josèphe, le seul historien, je le répète, qui rapporte le fait. Qu’on juge maintenant de la bonne foi et de la science de M. Hennequin.
Je n’excuserai pas cette malheureuse mère, en disant qu’elle était en démence, quoique le récit me fournisse plus d’un trait qui servirait de base à mon argument ; mais je dirai qu’il se passa dans ce siège des choses encore plus horribles et plus incroyables. Si on se fait une idée du tourment de la faim et de la position d’une mère qui l’éprouve, qui voit son enfant l’éprouver comme elle, qui ne peut le soustraire à la mort, et qui souffre cruellement et dans son corps et dans son âme, on comprendra qu’elle ait pu, en proie à tant de douleurs, se livrer à une action si extraordinaire ; mais que dire de ces Romains, qu’on n’accuse pas d’être des barbares quand on considère les Juifs comme des sauvages, qui éventraient les Juifs pour voler l’or qu’ils supposaient avoir avalé ? Il y a cependant encore quelque chose de plus monstrueux : c’est de corrompre le cœur et de pervertir l’intelligence par le mensonge érigé en système, et c’est ce qu’on fait dans le pays qui se targue d’être le plus civilisé du monde.