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Safad
Dictionnaire encyclopédique de la Bible de Augustin Calmet

Ancienne ville de Béthulie. M. Gilot de Kerhardène a donné sur Safad des renseignements utiles pour l’histoire de Judith, de cette héroïne d’Israël qui sauva Béthulie et sa patrie. Ces renseignements déterminent du moins la position de la cité de Judith. Ils sont consignés dans la Correspondance d’Orient, lettr. 183, tome 7 pages 359 et suivantes. Son récit renferme des détails utiles sous d’autres rapports.

M. Gilot, accompagné d’Aucher-Éloi, autrefois libraire, et alors botaniste, partit le 9 juin 1831 du champ de bataille de Tibériade, et fit halte près de la fontaine de Hittin (Voyez béatitudes (Montagne des). C’était l’heure, dit-il, où les jeunes filles du village venaient en foule puiser de l’eau à cette source qui abreuva Gui de Lusignan sous la tente de Saladin. Après nous être désaltérés aux urnes qu’on nous présentait, nous descendîmes lentement au fond de la vallée. Ayant laissé derrière nous les délicieux jardins qui forment le territoire de Bit-tin, nous passâmes le paisible ruisseau qui coule entre deux rives fleuries. Un peu plus loin, au pied des hauteurs qui conduisent à la position de Nephtali, un second ruisseau assez abondant perte le nom de Nahr-El-Limoun, ou ruisseau des Limons ; il serpente au milieu d’un bosquet de lauriers roses, puis, avant de se perdre dans le lac, au-dessous des restes de Bethsaïde, il forme une petite île verdoyante ; nous passâmes à gué les deux bras de ce ruisseau qui descend en murmurant, des montagnes de Tyr, au delà de Safad. Ce site délicieux fut, dit-on, habité par Locman, ce sage pasteur qu’on confond avec Esope, et le souvenir de ce mystérieux personnage nie fut rappelé par la vue d’un berger qui descendait avec son troupeau des hauteurs de Dothaïm, où fut vendu Joseph. Au delà du ruisseau des Limons, nous nous séparâmes pour quelques heures. M. Auchel. Eloi alla, avec un guide, explorer les bords du lac de Tibériade, et la petite caravane, continuant sa marche, commença à gravir les montagnes rocailleuses qui, comme autant de gradins, s’élèvent vers le ciel, et qui couronnent la ville de Safad. À mi-chemin on laisse à gauche le petit fort de Chenir, et on domine à droite le village de Robati. Des Plantations d’oliviers embellissent la route, et des rochers de mille formes diverses étonnent le regard. M. Aucher-Eloi.,., après avoir herborisé au pied des ruines de Magalon, aujourd’hui El Magdel, où la Madeleine habitait une villa délicieuse ; après avoir dépouillé de fleurs sauvages les débris de Beth saïde, patrie de saint Pierre, il nous rejoignit avec une belle collection de plantes auprès des rochers où s’élevait Nephtali ; grâce à ce retard, j’avais eu tout le temps d’en examiner l’emplacement balayé par les orages du lac.

Après avoir escaladé en haletant les derniers rochers qui nous dérobaient la vue de la forteresse, nous arrivâmes enfin sur les trois heures aux portes de la cité. On ne compte que six lieues depuis Hittin, mais l’ascension est si pénible, qu’il faut plus de sept heures pour atteindre Safad. La route passe entre la forteresse à gauche et un vieil édifice dégradé, qui forme sur la droite une enceinte carrée. Cette ruine, sans forme bien distincte, a dû être un second château ou plutôt un kan établi pour les caravanes, Safad n’ayant plus, comme Naplouse et Nazareth, de kan public depuis que les caravanes s’arrêtent, à deux heures de la ville, au kan de la citerne de Joseph.

On est surpris que cet édifice, plus moderne que la forteresse, soit en débris, tandis qu’elle-même élève fièrement ses créneaux intacts. Pour pénétrer dans la ville, il faut longer les fossés dont la culture a pris possession. Après avoir admiré cette citadelle assise sur le roc, nous descendîmes par la route des caravanes, traversant du midi au nord la vallée qui forme le centre de la ville actuelle. On nous donna d’abord l’hospitalité sur la gauche de la vallée, au-dessous du quartier juif ; mais comme nous ne pouvions être seuls dans l’unique chambre dont l’hôte pût disposer, comme on nous assura même que nous n’y serions point en sûreté, et qu’il était plus prudent d’habiter le quartier turc que de rester dans mie chambre mal fermée, nous délogeâmes avant la nuit, et on nous établit en face de la route, de l’autre côté, au milieu du grand village musulman : qui s’élève en amphithéâtre dans toute la longueur de la vallée…

Ne pouvant tirer aucun parti des Turcs, nous nous mimes en relation avec les Juifs. Le quartier israélite occupe le revers occidental de la montagne qui porte la forteresse. Il est bâti en amphithéâtre, mais un tiers se composa de ruines et de masures. Nous visitâmes les deux synagogues, pareilles à celles de Tibériade ; l’une est le lieu d’assemblée des Juifs qui ont quitté l’Europe pour revoir le pays de leurs aïeux, l’autre n’est fréquentée que par les indigènes. Nous les rimes à la fin du jour ; elles étaient désertes ; des sièges de bois, une natte égyptienne, deux misérables lampes où l’on fait brûler de l’huile verte qu’on n’a pas soin de purifier, l’armoire mystérieuse où se dépose la Bible, voilà tout le mobilier. Les murs sont nus, et il n’y a point de galeries pour les femmes, pas même de tribunes ; et cependant les synagogues de Safad ont une haute renommée. Avant la destruction de la ville, causée par le tremblement de terre de 1759, on y voyait une académie aussi célèbre que le fut celle de Tibériade sous les empereurs grecs. C’était une école normale où l’on formait des rabbins pour les diverses synagogues de la Syrie. On y a même imprimé le rituel que Moïse Galand, chef de l’académie, y composa en 1750. L’imprimerie juive de Safad n’a pu avoir la longue durée de l’imprimerie maronite du Liban, cependant c’est un fait curieux que cette importation des arts d’Europe dans le pays à qui nous devons l’écriture. La Haute-Galilée imprimait des livres avant qu’on eût songé à les introduire à Constantinople ou au Caire, et je crois bon de consigner ici cette singularité.

Les Juifs ont Safad en vénération, parce qu’ils croient que le Messie y régnera quarante ans, avant d’établir à Jérusalem le siège de sa puissance. En attendant que le Messie les délivre, ils se résignent à la plus cruelle oppression. Ils sont comme prisonniers dans leur quartier, et ne peuvent approcher des maisons turques sans être assaillis à coups de pierres. Les femmes mêmes, si respectées en Orient, sont exposées aux mêmes insultes ; et plusieurs fois, soit auprès des fontaines, soit dans la vallée qui sépare les deux quartiers, j’ai eu occasion de protéger de pauvres Juives que les enfants turcs prenaient pour but dans de cruels jeux ; ces tristes victimes me remerciaient avec tant de reconnaissance que j’en étais ému de pitié.

Après la retraite des Français en 1799, le quartier juif fut saccagé par les Turcs, et depuis lors on les vexait à tout propos, sous mille prétextes ; mais leur sort s’est un peu amélioré depuis quelque temps. Il y a deux ans que les Turcs pillèrent la maison et dépouillèrent les enfants d’un riche marchand juif qui venait de mourir. Pour prévenir de telles spoliations, le consul anglais de Beirout prit dès lors les Juifs sous sa protection ; il entretient à Safad un agent européen dont la présence contient un peu les Turcs. Toutefois, en proie aux vexations du mutselim, les Juifs ne pourraient subsister sans le commerce avec la côte et avec Damas, où ils sont puissants. Le caratch ou impôt personnel qu’ils acquittent dès l’âge de seize ans n’est pas excessif, mais il est imposé prbitrairement. Souvent il faut payer deux fois pour échapper à la bastonnade. Pour les aider dans leur misère, il leur vient des aumônes d’Europe, et les deniers se partagent entre Jérusalem, Tibériade et Safad, les trois séjours qu’affectionnent aujourd’hui les enfants d’Israël. C’est à Safad qu’habile le grand rabbin des Juifs ; supérieur au rabbin de Tibériade qui préside aussi deux synagogues, il décide en dernier ressort tous les points de culte ou de loi qui sont contestés. Au commencement du quatrième siècle, les Juifs avaient des établissements dans quatre villes de Galilée, Séphorie, Nazareth, Tibériade et Capharnaüm. Ils s’étaient peu à peu tellement approprié ces villes, qu’ils n’y voulaient souffrir aucun étranger. Leur révolte, sous Constance, amena la ruine de Séphorie et celle de Capharnaüm, qui ne s’est plus relevée. Ils sont exclus de Nazareth, et il ne leur reste à cette heure que Tibériade et Safad.

Après avoir vu les pauvres demeures des Juifs indigènes, nous parcourûmes le village des Juifs occidentaux : tout était morne et solitaire. Nous ne vîmes point d’enfants jouant dans la rue, ni de mère assise sur le seuil ; cependant nous rencontrâmes quelques femmes qui allaient, comme à la dérobée, d’une maison à l’autre. Leur ayant fait une question en arabe, nous nous aperçumes qu’elles n’entendaient que l’allemand, leur langue maternelle. Etaient-elles Prussiennes ou Autrichiennes, je ne sais : leur costume était celui des femmes du peuple au moyen âge, et on reste étonné de rencontrer ainsi en Asie une colonie européenne qui a gardé ses mœurs et ses vêtements de l’Occident. Un béguin leur couvrait la tête et ne laissait voir que peu de cheveux blonds ; une longue robe, de couleur brune, qui montait jusqu’au menton, dessinait leurs formes : point d’art, aucun ornement ne relevait cette naïve simplicité. Les Juives allemandes ont un air doux et modeste, et semblent plutôt des nonnes que des bourgeoises. Rien d’oriental ne se montrait dans leur ajustement : elles n’avaient fait aucun sacrifice aux usages du pays, qui se rapprochent de ceux de la Perse dans le costume des femmes. Une timidité enfantine, un air délicat, de beaux yeux où se lit l’habitude de la résignation : voilà ce qui fes caractérise. Elles ont toutes la taille un peu courbée et la démarche lente ; à les voir, on sent qu’elles sont douées d’une grande patience à-force d’avoir appris à souffrir.

Tel est l’état des Juifs aujourd’hui ; et j’ai insisté sur ce sujet afin qu’on puisse juger de leur triste avilissement dans ce pays de prodiges qu’ils ont illustré pendant deux mille ans.

Safad n’a ni murs ni enceinte déterminée, ni centre, ni unité. Protée à mille formes, avec chaque siècle elle prend une nouvelle face, s’étendant, se resserrant, montant, descendant sans fin, telle qu’une fie à laquelle l’alluvion ôte d’un côté et ajoute de l’autre : elle étonne par ce disloquement de parties, n’ayant rien de ce qui constitue une ville. Il semble que les Juifs et les Turcs aient voulu tout à la fois habiter la même ville et se séquestrer mutuellement : la vallée est entre eux une espèce de place neutre laissée à dessein d’empêcher tout contact immédiat. Safad ressemble donc à une ville dont on aurait tracé le plan, mais dont on n’aurait bâti que les faubourgs. C’est moins une cité que la réunion, de cinq villages placés, avec des intervalles, à l’ombre de la même forteresse. Isolée sur des hauteurs où l’on n’arrive que par une sorte d’escalier naturel, n’ayant pas des abords plus faciles que Jérusalem, à cause des défilés qu’il faut franchir, elle offre une physionomie originale et qui plaît par la nouveauté. Ses communications continuelles avec l’Occident, au moyen des Juifs, avec Damas, au moyen des caravanes, lui donnent tout à la fois quelque chose d’européen, sans lui ôter son caractère asiatique et quelque chose de musulman ; où l’on sent qu’a pénétré à demi la civilisation occidentale. Notre admission dans le quartier turc en est la preuve. Safad est une sorte d’étape franque placée en avant au milieu des Turcs de la Syrie… [Voyez Béthulie].

Au dix-huitième siècle, sous le cheik Daher, Safad était la capitale de la Galilée, comme elle l’avait été du temps de l’émir Fakardin : c’est l’époque la plus brillante de cette ville. Acre n’était alors qu’un village ouvert, où commandait un aga ; mais, quand Daller s’en fut emparé et en eut fait une ville forte, Safad commença à déchoir, parce que le commerce de la Galilée se déplaçant, comme le cheik, se porta a Acre, devenu l’entrepôt des négociants européens. Renversée par un de ces tremblements de terre si communs en Syrie, Safad est sortie de ses ruines, et me semble aussi florissante que le comporte la situation toujours incertaine dupays. L’art de bâtir n’a point éprouvé de révolution depuis plusieurs mille ans. Or songe à la solidité plutôt qu’a la conamodi U et à l’agrément. Toutes les maisons, isolées les unes des autres, sont en terrasses comme à Acre. Comme elles n’ont point d’âtre, il faut faire la cuisine dans la petite cour qui précède chaque demeure. La ville n’a pas un monument remarquable ; les bains publics y sont grossiers et les mosquées petites, coinmunes et même sans minaret. Safad obéit à un mutselim qui dépend immédiatement du pacha d’Acre ; mais elle n’est pas, comme Nazareth, la ville d’affection d’Abdallah. Aujourd’hui la Galilée, partagée entre les deux mutselims de Safad et de Nazareth d’une part, et de l’autre entre les deux agas de Genin et de Tibériade, n’a plus de ville principale : toutefois, la plus importante par son commerce et sa forteresse, Safad, mériterait bien dès à présent le titre de capitale.

Le croiriez-vous ? Dans une ville peuplée et commerçante on ne trouve rien à acheter, excepté le jour du grand bazar, pas même du pain. Pour renouveler nos provisions de route, il nous fallut recourir aux Juifs indigènes : seuls ils font du pain comme en Europe. Les Turcs et le mutselim lui-même se contentent de la galette à demi cuite des Arabes, ou font provision de biscuit de Damas. Les Juifs font aussi de l’eau-de-vie assez médiocre et du vin aussi bon que le vin d’or du Liban ; mais, comme ils mettent de la térébenthine dans les jarres de terre où ils le conservent, ce vin contracte un goût résineux auquel on a de la peine à s’habituer.

Dans un siècle où les intérêts matériels l’emportent sur les sublimes besoins de l’intelligence, il faut bien se résigner à vous dire un mot de l’industrie obscure de Safad. Les hommes positifs veulent qu’un voyageur, fût-il poète, leur parle d’autre chose que de sites et de ruines : la poésie n’est pour eux que de brillantes bulles de savon soufflées innocemment vers le ciel.

Toute l’industrie de Safad consiste en teintureries d’indigo, dont l’art est héréditaire dans certaines familles israélites, en filatures de coton et en fabriques de belles toiles, aussi blanches que les lis. Les Damasquins, et surtout les Druses de l’Anti-Liban, font, de ces toiles de coton, des usses et des ceintures. Sans doute que ces tissus, d’un éclat éblouissant, sont le bysse oriental célèbre dans l’antiquité, et dont les lévites se paraient dans les solennités. Les tisserands turcs de Safad sont en réputation dans toute la Syrie ; mais les métiers sont peu actifs, car presque tout le coton s’exporte brut en Europe par la voie d’Acre, où le pacha s’en est réservé le monopole : Jadis Safad fabriquait aussi des étoffes de soie ; les métiers sont tombés peu à peu au milieu des révolutions politiques, et le Liban seul, plus abrité, a conservé la fabrique des soieries, et des tissus mêlés.

Il se tient tous les vendredis à Safad un grand bazar, semblable à celui qui a lieu tous les lundis au pied du mont Thabor. C’est un bizarre pêle-mêle des costumes les plus divers, dont la vue est tout à fait curieuse pour un européen : des Motualis des confins de Sour, les Bédouins du Ghor, et même les Druses de l’Anti-Liban, y viennent en foule. Là, un Juif est à côté d’un cavalier arabe, un Turc brillant heurte un sauvage motuali, moucre nazaréen fume le chibouk à côté d’un okal druse, et un riche marchand d’Acre près d’un fellah du Djolan. Les étoffes, les comestibles, les tentes, les cafés, les chevaux, les lances, les vendeurs ; les acheteurs, les cris divers, la confusion des races, les nuages de poussière, l’effet du soleil sur cette foule en mouvement, tout cela forme un ensemble étrange, spectacle aussi neuf que surprenant. Le champ de la foire est le penchant occidental de l’antique montagne de Béthulie, que couvre du même côté, mais vers le sommet, le quartier juif. Le bazar s’étend au-dessous du bois d’oliviers jusqu’aux fossés de la forteresse, dans une étendue d’un demi-mille. Je ne puis omettre ici ces oliviers, plantés régulièrement sur une esplanade qui rappelle les promenades en terrasses qu’on voit dans les villes d’Europe. Excepté les oliviers de Gethsémani, je n’ai rencontré nulle part en Orient d’aussi beaux arbres. Ces oliviers, dont la circonférence égale celle des vieux chênes, ont vu sans doute l’époque des croisades : ce sont les nobles témoins du passé, et j’aime à me rafraîchir le cœur sous cette ombre mystérieuse, qui abrita les templiers et les preux pèlerins du douzième siècle.

Quel spectacle offre à l’observateur une ville turque où deux races ennemies vivent ensemble en se maudissant I Ici la race tartare opprime à son aise la race d’Israël. Le vainqueur et le vaincu sont à chaque pas en présence ; et si le vêtement était le même, il suffirait, pour les reconnaître, de voir l’un lever le front, l’autre courber la tête. Le Juif n’a qu’un méchant tarbouch entouré d’un sale mouchoir brun ; le Turc étale aux yeux un énorme turban, dont la usse, d’une éclatante blancheur, se roule en vastes contours.

Pour le moment, je ne chercherai point à prouver que Safad est Béthulie, quoique la tâche soit d’autant plus facile que j’ai retrouvé la fontaine de Judith dans le ravin qui touche Safad au midi ; je ne veux que vous dire quelques mots de la forteresse, et passant de l’antiquité au moyen âge, vous ramener à nos iliades d’outre-mer. La forteresse sarrasine me semble un des plus curieux ouvrages de l’Orient : des murailles épaisses, construites en belles pierres de taille, et ayant plus de cent pieds d’élévation ; un fossé large et profond, creusé dans le roc vif ; la beauté des créneaux, qui dominent toute la contrée ; la porte, qui forme une ogive élégante ; le pont étroit qui traverse le fossé, et donne ainsi dans la place du côté du midi, et tout cela d’une conservation rare, d’un fini d’exécution admirable, voilà la forteresse de Safad. Elle a là forme ovale et semble une immense tour, comme celle de Galata. Le style en est mauresque, et elle nie paraît être l’ouvrage des califes de Damas. Je serais assez porté à croire que la forteresse a été réparée par l’émir Fakardin, qui avait amené d’Italie d’habiles ouvriers. Il est facile de voir que la difficulté de transporter jusque là des machines de guerre rendait, du ternps des croisades, cette place imprenable. Baudouin III s’y réfugia après la déroute de son armée, près du pont des Filles de Jacob ; et le comte de Tripoli, après le désastre de Tibériade, y trouva un asile. Mais le fait le plus intéressant dont l’histoire des croisades ait gardé le souvenir, est le martyre de la garnison chrétienne. Voici eu abrégé ce que rapporte Sanuti : Bibars ayant soumis par capitulation la forteresse de Safad, en 1206, immola la garnison contre la foi jurée, car il avait promis de la faire conduire saine et sauve à Ptolémaïs. L’apostasie ou la mort, telle fut l’alternative à laquelle il réduisit les chrétiens. La nuit qui précéda l’exécution, le prieur des templiers et deux frères mineurs exhortèrent les soldats au martyre. Le sultan les fit d’abord écorcher vifs, puis décapiter. Six cents chrétiens tombèrent ensuite sous le glaive, et leur sang, dit la chronique, coulait comme un ruisseau sur le penchant de la montagne. Le féroce vainqueur n’épargna que le châtelain. Ce penchant de la montagne, arrosé da sang des martyrs, est aujourd’hui le champ de foire de Safad. J’aimais à venir rêver seul sur ce sol sacré où les cadavres, laissés sans sépulture, jetaient des clartés miraculeuses. J’ai recueilli là un peu de cette terre sacrée ;, et si j’avais la facilité de me charger de reliques, je voudrais l’emporter en Occident.

La même année, Hugues de Lusignan, ayant fait à la tête de trois garnisons garnitiennes une excursion vers Tibériade, la garnison turq ne de Safad lui dressa une embuscade. Comme il revenait sans précaution à travers-la Galilée, son avant-garde ayant devancé de trois lieues le gros de l’armée, il fut surpris dans un défilé du pays de Safad et mis en déroute. Les montagnes qui entourent la forteresse sont si favorables à un coup de main, que les roisés doivent en avoir été souvent victimes, d’autant mieux que cette manière d’attaquer l’ennemi à l’improviste est tout à fait dans le génie turc. Pendant le siège d’Acre. Murat vint s’emparer de là forteresse de Safad. Il a suffi de treize cavaliers français, me disaient hier les Juifs indigènes, pour épouvanter et faire fuir la garnison de Djézar et tous les Turcs de la ville. Aujourd’hui la forteresse sert de sérail au mutselim ; les cavaliers qu’il entretient y logent aussi, et forment la garnison. » Voyez Asor.

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