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Ou Rhazie, était un des plus considérables docteurs qui fussent à Jérusalem du temps de la persécution d’Antiochus Épiphane. Après la mort de ce prince et d’Antiochus Eupator, son fils, et sous le règne, de Démétrius Soter, fils de Séleucus (2 Machabées 14.37), Alcime, faux grand prêtre des Juifs, ayant obtenu la grande sacrificature en donnant de l’argent au roi Démétrius, fut envoyé en Judée avec Nicanor, qui avait ordre de le maintenir dans la possession de sa dignité. Mais Nicanor s’étant accommodé avec Judas Machabée, et vivant bien avec lui dans Jérusalem, Alcime en prit de l’ombrage, et alla accuser Nicanor de trahir les intérêts du roi, disant qu’il s’entendait avec Judas Machabée. Démétrius écrivit à Nicanor de se saisir de Judas Machabée et de le lui envoyer à Antioche. Nicaner se sépara donc de Judas, et commença à chercher les moyens de le prendre : mais Judas le prévint et se retira.
Nicanor ayant manqué son coup, voulut s’en prendre aux prêtres, et leur fit de grandes menaces. En ce même temps on accusa auprès de lui Razias, dont nous parlons ici, apparemment comme étant fort attaché au parti de Judas Machabée, et fort contraire à celui d’Alcime, à qui la grande sacrificature ne devait pas appartenir. L’Écriture ne dit pas précisément de quoi on l’accusa ; mais elle lui rend ce témoignage, qu’il était très-zélé pour les intérêts de la ville de Jérusalem et de toute sa nation ; en sorte qu’on l’appelait le père des Juifs. Sa vie était pure et irrépréhensible, et dans le temps de la persécution, il avait déjà donné des preuves publiques de son attachement au judaïsme (2 Machabées 14.38) par sa résistance à ceux qui voulaient introduire l’idolâtrie dans Israël. Nicanor donc envoya cinq cents hommes pour le prendre, croyant que s’il venait à bout de le réduire, cela ferait une grande impression sur les autres Juifs.
Lors donc que Razias vit que les soldats voulaient forcer sa maison et y mettre le feu, et qu’il ne pouvait éviter de tomber entre leurs mains, il se donna un coup d’épée, aimant mieux mourir courageusement que se voir assujetti aux pécheurs, et souffrir des outrages indignes de sa naissance. Mais parce que dans la précipitation où il était, il ne s’était pas donné un coup mortel, voyant tous les soldats entrer en foule dans sa maison, il courut avec fermeté sur la plate-forme de son logis, et s’étant jeté de haut en bas dans la rue, il tomba la tête la première sur la terre. Sa chute ne l’ayant pas encore achevé, il fit de nouveaux efforts, se releva, et courant au travers du peuple, il monta sur une pierre escarpée, tira ses entrailles hors de son corps, les jeta avec ses deux mains sur le peuple, invoquant le dominateur de la vie et de l’âme, afin qu’il les lui rendit un jour, et mourut de cette sorte.
Les Juifs mettent Razias entre leurs plus illustres martyrs, et prétendent montrer, par son exemple et par celui de Saül et de Samson, qu’il est de certains cas, où le meurtre volontaire de soi-même est non-seulement permis, mais même louable et méritoire. Ces cas sont premièrement la juste défiance de ses propres forces et la crainte de succomber à la persécution. Alors il est permis, selon eux, de la prévenir, en se donnant la mort. Le second cas est lorsque l’on prévoit que si l’on tombe entre les mains des ennemis, ils en prendront occasion d’insulter au Seigneur et de blasphémer son nom. Les circoncellions, célèbres hérétiques qui vivaient dans l’Afrique du temps de saint Augustin, se servaient de l’exemple de Razias pour s’autoriser dans les cruautés qu’ils exerçaient contre eux-mêmes, en se précipitant et se faisant mourir de mille manières diverses, pour procurer, disaient-ils, la gloire de Dieu. Quelques nouveaux théologiens prétendent aussi justifier Razias par l’exemple de certaines vierges chrétiennes qui, pour éviter la souillure de leurs corps, se jetèrent dans l’eau, où elles moururent. Ils ajoutent que Razias n’agit en cela que par l’inspiration du Saint-Esprit ; que la manière dont il avait vécu auparavant et les sentiments dans lesquels il mourut ne permettent presque pas de douter de son salut et de la bonté de son action.
Toutefois saint Augustin, saint Thomas et divers autres théologiens très-éclairés ont soutenu que l’exemple de Razias étant non pas approuvé, mais simplement rapporté dans l’Écriture, on n’en peut rien conclure pour justifier son action dans le moral. On convient qu’elle est généreuse, qu’elle est digne des plus grands héros du paganisme ; mais il s’agit de savoir si elle est conforme à la loi de Dieu et à l’ordre éternel que Dieu commande de conserver et qu’il défend de troubler. De quoi l’Écriture loue-t-elle Razias ? D’avoir été fort attaché au judaïsme, qui était la vraie religion : d’avoir été très-zélé pour sa patrie et pour ses frères, en sorte qu’il était regardé comme le père des Juifs ; d’avoir invoqué le Seigneur en mourant. Mais cela suffit-il pour justifier une action si notoirement contraire à la loi de Dieu ? Si Razias n’est ni juste ni innocent, pourquoi veut-on l’imiter, dit saint Augustin ? Et s’il est juste et innocent, pourquoi met-il à mort un juste ; c’est-à-dire, pourquoi se tue-t-il soi-même ? Est-ce ainsi que nos martyrs en ont usé ? Il est dit qu’il est mort généreusement : mais ne vaudrait-il pas mieux qu’il fût mort humblement et patiemment ? Dicturn est quod elegerit nobiliter mori, dit saint Augustin.