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Il est indubitable que les anciens Hébreux avaient des poêtes ; et il nous reste encore dans la Bible un bon nombre de cantiques et d’autres pièces de poésie. Ce qui m’y paraît de plus remarquable, c’est que leur poésie est toute sanctifiée par l’usage qu’on en a fait pour publier les grandeurs de Dieu et la magnificence de ses ouvrages.
Les poêtes des Hébreux dont les ouvrages sont venus jusqu’à nous étaient tous des hommes inspirés de Dieu ; on y voit des rois, des législateurs, des prophètes. Moïse, Baruch, David, Salomon, Ézéchias, Job, Isaïe, Jérémie et la plupart des prophètes ont composé des pièces en vers : et quelle poésie ? la plus grande, la plus majestueuse, et la plus sublime que l’on puisse imaginer : les expressions, les sentiments, les figures, la variété, l’action, tout y surprend. Mais pour les règles de cette poésie elles nous sont entièrement inconnues, comme on l’a montré ailleurs.
Saint Paul donne aux poêtes païens le nom de prophètes (Tite 1.12) : Dixit quidam illorum proprius ipsorum propheta, parce que les poêtes étaient chez les païens ce qu’étaient les prophètes chez les Hébreux ; ils passaient pour inspirés et pour remplis de l’esprit d’Apollon. Ils parlaient par enthousiasme ; les oracles se rendaient ordinairement en vers ; les poêtes étaient les interprètes des volontés des dieux.
Le poëte dont parle saint Paul est Epiménides. Les anciens en racontent plusieurs particularités qui font voir qu’ils le tenaient pour un homme inspiré et favorisé des dieux. Aristote dit qu’à la vérité il n’a pas prédit les choses futures, mais qu’il a découvert des choses passées et inconnues. Diogénes de Laërce et Plutarque racontent que voyant le fort de Munichie, qui est le port d’Athènes, il s’écria : Ô aveuglement des hommes ! Si les Athéniens prévoyaient les maux que ce fort leur causera, ils le démoliraient avec les dents. On éprouva la vérité de cette parole quelques années après, lorsque le roi Antigone y mit garnison pour contenir les Athéniens dans le devoir. Une autre fois il rassura les Athéniens qui craignaient la venue des Perses. Il leur dit qu’ils ne viendraient que dans dix ans, et qu’ils seraient obligés de s’en retourner après avoir souffert de grandes pertes. Il prédit aussi aux Lacédémoniens et aux Crétois la captivité où les Arcadiens devaient un jour les séduire. Ce sont apparemment ces prédictions vraies ou fausses qui faisaient considérer parmi les Grecs Epiménides comme un prophète, et qui lui ont fait donner le même nom par saint Paul, par ironie, ou autrement.
Le même apôtre (Actes 17.28) cite le poëte Aratus, qui était natif de Cilicie comme lui ; il en cite ces mots : Nous sommes les enfants et la race de Dieu. Ce n’est qu’un fragment d’un plus long passage que voici : Nous devons commencer par Jitpiler, qu’il ne nous est pas permis d’oublier. Tout est plein de Jupiter. Il remplit les rues, les places et les assemblées d’hommes. Toute la mer et les ports sont remplis de ce dieu, et en tout lieu nous avons tous besoin de Jupiter. Ce n’est pas sans doute pour relever le mérite et l’existence de Jupiter, ni pour concilier du crédit au poëte Aratus, que l’Apôtre l’a cité ; mais il a, pour ainsi dire, tiré d’esclavage une vérité que ce poëte avait dite sans en pénétrer le sens ; il s’en est servi pour prouver l’existence du vrai Dieu à des gens qui, ne connaissant pas l’autorité des divines Écritures, auraient méprisé les preuves que l’Apôtre en aurait pu tirer.