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La secte des pharisiens était une des plus anciennes et des plus considérables qui fussent parmi les Juifs. On n’en sait pas exactement l’origine. L’auteur du quatrième livre des Machabées, chapitre 6 dit que du temps du grand prêtre Jean Hircan, il y avait trois sectes parmi les Juifs ; savoir, celles des pharisiens, des saducéens et des esséniens. Josèphe, après avoir rapporté la lettre de Jonathas aux Lacédémoniens, parle des trois sectes que nous venons de nommer. Cette lettre est de l’an du monde 3860. Jouathas mourut l’année suivante. Simon lui succéda, et gouverna huit ans. À Simon succéda Hircan, qui gouverna pendant vingt-neuf ans. Ainsi on peut mettre l’origine des pharisiens vers l’an du monde 3820, avant Jésus-Christ 180, avant l’ère vulgaire 184.
Saint Jérôme met l’origine des Pharisiens assez tard, puisqu’il dit que les Scribes et les pharisiens sont sortis du partage des deux écoles fameuses d’Hillel et de Sammaï. À Billet succéda Akiba, maître d’Aquila de Pont, qui vivait au deuxième siècle de l’Église, et qui traduisit d’hébreu en grec les saintes Écritures de l’Ancien Testament. On sait par Josèphe que Samuraï ou Saméas vivait du temps d’Hérode le Grand, et par conséquent peu avant la naissance de Notre-Seigneur. Les rabbins reconnaissent aussi Hillel pour auteur des pharisiens, ou du moins comme le principal ornement de leur secte. Mais nous ne doutons point qu’elle ne soit plus ancienne. On voit par plusieurs endroits de Josèphe qu’ils étaient en crédit longtemps avant Hérode, sous les règnes d’Hircan, d’Alexandre Jannée et de Salomé, sa femme.
Les pharisiens tirent leur nom d’un mot hébreu qui signifie division ou séparation, parce qu’ils se distinguaient des autres Israélites par une manière de vie plus exacte, dont ils faisaient profession. Ils donnaient beaucoup au destin ou à la fatalité, et aux décrets éternels de Dieu, qui a ordonné toutes choses avant tous les temps. Josèphe, qui était pharisien, nous apprend que les sentiments decette secte approchaient assez de ceux des stoïciens ; qu’ils ne donnaient pas tout au destin, mais qu’ils laissaient à l’homme la liberté de faire ou de ne pas faire le bien ; de manière que leur sentiment sur la fatalité ne ruinait pas le libre arbitre, comme saint Épiphane semble l’avoir cru. Il ajoute qu’ils étaient fort adonnés à l’astrologie, comme si par la considération des astres ils eussent cru pouvoir parvenir à la connaissance des secrets de la Providence.
La secte des pharisiens était très-nombreuse et très-étendue. La réputation qu’ils s’acquirent par leur savoir et par la régulas rité de leur vie, les rendit d’assez bonne heure redoutables aux rois mêmes. Alexandre Jannée, roi des Juifs, avait été toute sa vie fort mal avec les pharisiens, et souvent il eut lieu de s’en repentir. En mourant il dit à son épouse que, si elle voulait régner heureuse, il fallait qu’elle gagnât les pharisiens. Elle suivit cet avis ; et les pharisiens, profitant de l’occasion, se rendirent maîtres du gouvernement, et la reine les laissa disposer de tout à leur fantaisie [Voyez le Calendrier des Juifs, au 28 de thebet et au 2 de sebath].
Lorsque Jésus-Christ parut dans la Judée, les pharisiens y étaient dans un grand crédit parmi le peuple, à cause de l’opinion que l’on avait de leurs lumières, de leur bonne vie, et de leur exactitude dans l’observance de la Loi, Ils panaient beaucoup, faisaient de longues prières, payaient exactement la dîme, distribuaient de grandes aumônes.
Mais tout cela était corrompu par l’esprit d’orgueil et d’ostentation, d’hypocrisie et d’amour-propre. Semblables à des sépulcres blanchis, ils paraissaient beaux au dehors pendant qu’au dedans ils étaient pleins de corruption et de laideur (Matthieu 23.27). Ils portaient sur le front et sur le poignet de larges bandes de parchemin où étaient écrites certaines paroles de la Loi, et affectaient de mettre aux coins et aux bords de leurs manteaux des houppes et des franges plus longues que celles du commun des Juifs, pour se faire distinguer par là comme plus grands observateurs des lois que les autres.
Il y en avait certains, dit saint Jérôme, qui attachaient des épines au bas de leurs robes, et qui, en marchant, s’ensanglantaient les jambes, afin de s’accoutumer à la mortification, et à penser continuellement à Dieu. Ils lavaient souvent leurs mains, et affectaient une grande pureté extérieure, ne rentrant jamais dans la maison et ne se mettant jamais à table sans laverleurs mains. Quand ils avaient été dans les rues ou dans le marché, de peur qu’ils n’eussent touché quelque chose d’impur, ils lavaient leurs mains depuis le coude jusqu’aux extrémités des doigts (Marc 7.4). Ils n’auraient pas voulu toucher un publicain ou un homme qu’ils croyaient de mauvaise vie, ni boire, ni manger, ni prier avec lui (Matthieu 9.11 Luc 7.39). Toute la vaisselle dont ils se servaient, les meubles qui étaient à leur usage, leurs lits de table, étaient souvent plongés dans l’eau. Eux-mêmes se baignaient soutient dans l’eau froide pour se purifier.
Ils faisaient plusieurs jeûnes de surérogation. Le pharisien de l’Évangile (Luc 18.2) se vante de jeûner deux fois chaque semaine, c’est-à-dire, le lundi et le jeudi, selon saint Épiphane ; et ils le faisaient avec plus de rigueur que les autres Juifs. C’est à eux que Jésus-Christ en voulait, lorsqu’il disait (Matthieu 15.5) : Lorsque vous jeûnez, n’imitez point les hypocrites, qui marchent avec un visage pale et défait, pour paraître grands jeûneurs. Pour vous, quand vous jeûnez, lavez votre visage, parfumez-vous d’huile, afin que votre Père, qui voit dans le cœur, voie votre action, et vous en donne la récompense. Les pharisiens se plaignaient qu’eux elles disciples de Jean-Baptiste jeûnaient beaucoup, au lieu que Jésus et ses disciples buvaient et mangeaient comme les autres hommes (Marc 7.11). Et Josèphe raconte qu’il se mit, étant jeune, sous la conduite d’un nommé Bannéus, homme fort sévère, qui ne mangeait rien de cuit ni d’apprêté, et se contentait de ce que la terre produit d’elle-même.
La tradition des anciens en fait de religion était le principal objet de leurs études ; et, ajoutant à ces traditions ce qu’ils jugeaient à propos, ils faisaient passer leurs propres sentiments pour ceux des anciens. Par ce moyen, ils avaient surchargé la Loi d’une infinité de pratiques frivoles, inutiles et gênantes, qui en rendaient le joug insupportable. Ils l’avaient même altérée par leurs dangereuses interprétations dans des articles importants, comme Jésus-Christ le leur reproche dans l’Évangile. Par exemple, la Loi ordonne d’honorer son père et sa mère. Les pharisiens enseignaient qu’en disant à leurs parents qui étaient dans le besoin : Mon père, ou ma mère, la chose que vous me demandez est vouée à Dieu ; elle n’est plus en mon pouvoir ; mais vous aurez part à mon offrande (Marc 7.10-12) ; ils étaient dispensés de l’obligation de secourir leurs parents. Voyez Corban.
L’observance du sabbat est un des points sur lesquels ils ont le plus raffiné, et le Sauveur a souvent eu des prises avec eux sur cela. Ils soutenaient que ce jour-là il ne lui était pas permis de guérir un malade (Luc 6.7 Jean 9.16), quoique Jésus-Christ le fit par sa seule parole. Ils trouvaient mauvais que les peuples amenassent ce jour-là leurs malades pour demander la santé. Ils se scandalisaient de ce qu’un paralytique, étant guéri, emportât son lit un jour du sabbat (Marc 9.12 Jean 5.8-9). Ils inféraient de tout cela que Jésus-Christ ne pouvait être un homme envoyé de Dieu, puisqu’il observait si mal ce saint jour (Jean 9.16). Saint Épiphane raconte des effets étonnants de leurs austérités pour conserver la pureté du corps. Il y en avait qui se privaient presque entièrement du sommeil ; d’autres ne se couchaient que sur un ais large d’un pied, afin que, s’ils s’endormaient trop profondément, ils tombassent par terre, et se réveillassent pour vaquer à l’oraison ; d’autres se couchaient sur des pierres pointues et inégales ; d’autres sur des épines, afin que, jusque dans le sommeil, ils ne cessassent de pratiquer la mortification.
Le Sauveur leur reproche de faire de longues prières, se tenant debout dans les synagogues ou au coin des rues, et, sous prétexte d’oraison, de consumer les maisons des veuves (Matthieu 23.14). Il leur reproche aussi (Matthieu 23.15) de courir la mer et la terre pour convertir un gentil, et pour faire un prosélyte, et, après cela, de le rendre plus grand pécheur qu’il n’était, en lui enseignant une pernicieuse doctrine, au lieu de lui montrer le vrai chemin de la vertu. Il dit qu’ils affectent de bâtir les tombeaux des anciens prophètes (Luc 11.47-48 Matthieu 23.29), et de publier hautement qu’ils désapprouvent la conduite de leurs pères, qui les ont persécutés, pendant qu’eux-mêmes, remplis du même esprit, font la guerre à ceux qui veulent les retirer de leurs désordres. Ceux de cettesecte ne condamnaient que l’action consommée du péché, et se croyaient permis les mauvais désirs, les pensées, les desseins qui n’avaient pas été suivis dereffet. Josèphe se raille de Polybe, qui s’imaginait que les dieux avaient puni Antiochus du dessein qu’il avait formé, mais non pas exécuté, de piller le temple de la déesse Diane.
Les pharisiens croyaient l’âme immortelle et l’existence des esprits et des anges (Actes 23.8), et admettaient une espèce de métempsycose des âmes des gens de bien, lesquelles pouvaient passer d’un corps dans un autre, au lieu que celles des méchants étaient condamnées à demeurer éternellement dans des cachots ténébreux. C’est par une suite de ces principes que quelques-uns des pharisiens disaient que Jésus-Christ était Jean-Baptiste, on Élie, ou quelqu’un des anciens prophètes (Matthieu 6.1-4) ; c’est-à-dire que l’âme d’un de ces grands hommes était passée dans le corps du Sauveur lis croyaient aussi la résurrection des morts (Matthieu 22.23), et en admettaient toutes les suites, contre les sadducéens, qui la niaient. Enfin Josèphe, qui était pharisien, croyait que les démons qui obsèdent les hommes ne sont autres que les âmes des méchants, qui entrent dans les corps d’autres hommes, et en sont quelquefois chassées par les exorcismes, On voit quelques vestiges de ce sentiment dans l’Évangile. Voyez le Commentaire sur saint Matthieu, 8.29-30, 31.
La secte des pharisiens n’a pas été éteinte par la chute du temple de Jérusalem et par la dispersion des Israélites : La plupart des Juifs qui vivent aujourd’hui sont de cette secte, attachés, comme les anciens, aux traditions, qu’ils appellent la loi orale. Celui qui rejette la loi orale est un apostat ; il mérite la mort, disent les nouveaux pharisiens ou rabanistes ; car c’est le nom qu’on leur donne communément. Benjamin de Tudèle, qui vivait sur la fin du douzième siècle, dit qu’il trouva dans son voyage des pharisiens qui déploraient sans cesse la désolation de Sion et de Jérusalem, qui s’abstenaient de chair, et allaient ordinairement vêtus de noir, jeûnant tous les jours, à l’exception du jour du sabbat, et priant sans cesse pour la délivrance d’Israël.
Les sentiments des pharisiens modernes sont les mêmes que ceux des anciens. Ils soumettent au destin toutes les choses qui ne dépendent point de la liberté. Ils disent que toutes choses sont en la main du ciel, excepté la crainte de Dieu ; c’est-à-dire que, l’exercice des actions de piété, ils ont le libre arbitre, et peuvent se déterminer librement au bien ou au mal. M. Basnage dit qu’ils ne sont pas éloignés de ceux que l’on appelle remontrants en Hollande. Ceux d’aujourd’hui sont moins rigides que les anciens sur la nourriture et les autres austérités du corps ; mais ils n’ont rien relâché de leur vanité et de leur entêtement pour les prétendues traditions de leurs pères. Ils tiennent aussi une manière de métempsycose et de révolution des âmes. Les Pères qui ont écrit sur les hérésies ont fait une hérésie des pharisiens, comme si ceux qui faisaient profession de cette secte, eussent été séparés du corps des autres Juifs, comme parmi nous les hérétiques sont rejetés et excommuniés par les orthodoxes. Mais il n’en était pas ainsi des sectes des Juifs. Quelques abus et quelques corruptions qui y régnassent, soit dans les mœurs, ou dans les sentiments, ils étaient unis de communion avec les autres Israélites. Les pharisiens et les saducéens même remplissaient les premières charges de la religion et de l’État. On peut voir notre dissertation sur les sectes des Juifs, imprimée à la tête du Commentaire sur saint Marc, et Serrarins et Basnage sur le même sujet.