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En latin, mundus ; en grec, kosmos ; en hébreu, tebel.
Le nom de monde a, dans l’Écriture, plusieurs significations.
1° Quelquefois il se prend pour tout l’univers qui comprend le ciel, la terre, la mer, les éléments, les anges, les hommes, les animaux ; en un mot, tous les êtres créés.
2° Il se prend seulement pour le globe de la terre et des eaux, et tout ce qu’il contient.
3° Pour tous les hommes. Ainsi Jésus-Christ dit à ses apôtres (Jean 8.12) : Je suis la lumière du monde. Et ailleurs (Jean 17.25) : Le monde ne vous connait point. Et (Jean 15.18) : Ne vous étonnez point, si le monde vous hait ; sachez qu’il m’a haï avant vous.
4° Le monde se met aussi pour les amateurs du monde, les biens du monde (Jean 15.19) : Si vous étiez du monde, le monde vous aimerait, parce qu’il aime ce qui lui appartient. Et saint Paul (Galates 6.14) : Le monde m’est crucifié, comme je le suis au monde. Et saint Jean (1 Jean 2.15) : N’aimez point le monde, ni tout ce qui lui appartient.
On forme sur la création du monde différentes questions que nous ne toucherons ici qu’en passant. On demande si toute la matière a été créée à la fois, et si tous les êtres corporels ont été arrangés tout d’un coup, ou seulement dans l’espace de six jours, ainsi que Moïse le dit dans les premiers chapitres de la Genèse. Les interprètes croient que Dieu tira du néant toute la matière de l’univers, dans un moment et par un seul acte très-simple de sa volonté toute-puissante ; mais ils ne conviennent pas sur l’autre question. Les uns soutiennent que les êtres sensibles ne furent mis en leur perfection que dans l’espace de sept jours consécutifs. C’est le sentiment de la plupart des Pères et des interprètes, et il est fondé sur le récit de Moïse, qui le marque très-distinctement. D’ailleurs on conçoit aisément que le chaos n’a pu se débrouiller que par une suite d’une infinité de mouvements divers, qui ont séparé les parties de la matière, qui étaient d’une forme et d’une qualité différentes et incompatibles, et qui ont réuni celles qui étaient de même forme et de même nature ; que tous ces mouvements n’ont pu se faire que dans un assez long espace de temps.
D’autres, comme Philon, Origène, saint Augustin et quelques autres, craignant que l’on ne tirât de l’opinion qui tient la création successive, des conséquences contraires à l’immutabilité et à la toute-puissance du Créateur, ont cru que l’on ne devait reconnaître, dans le récit de Moïse, qu’une succession d’ordre et de raison, et qu’il n’a marqué la création successive que pour se proportionner à la portée du peuple, et pour lui donner une idée plus distincte de la création. Le Sage (Ecclésiaste 8.11) dit que Dieu a créé toutes choses à la fois : Creavit omnia simul.
La matière, toujours souple aux ordres du Tout-Puissant, n’avait que faire de préparation pour obéir. Voilà ce que l’on dit de plus plausible pour ce dernier sentiment ; mais le premier nous paraît beaucoup plus probable, et il est certainement beaucoup plus suivi. [Voyez Sabbatum].
On demande aussi en quel temps le monde a été créé. La plupart des Pères croient qu’il a été créé au printemps. Un concile, que l’on dit avoir été tenu en Palestine par Théophile d’Antioche, par l’ordre du pape Victor, l’a décidé ainsi. Les poêtes nous représentent les premiers jours du monde comme un beau printemps. D’autres, en grand nombre, soutiennent que le monde fut créé en automne. Ils disent :
1° Que les Hébreux, les Égyptiens et la plupart des Orientaux commençaient leur année en automne ; coutume qu’ils avaient reçue de leurs ancêtres et des premiers hommes, qui naturellement ont commencé à compter les années du temps où le monde commença.
2° Il fallut que Dieu, en créant Adam et Ève, et les autres animaux, leur fournit les aliments nécessaires.
3° Enfin il y avait du fruit sur les arbres du jardin. Nous mangeons de tous les fruits du jardin, dit Ève au serpent (Genèse 3.2-3) ; il n’y a que cet arbre dont Dieu nous a dit de ne pas manger, de peur que nous ne mourions. C’était donc l’automne, en quelque lieu que l’on suppose qu’Adam fut créé ; et ce sentiment a été suivi par la plupart de nos plus savants chronologistes ; comme le P. Petau, Scaliger, Ussérius et plusieurs autres.
Les anciens Hébreux avaient sur la disposition de l’univers un système assez différent de celui de nos philosophes modernes. Ce système était fort simple et fort populaire ; et l’Écriture le propose plutôt comme un sentiment établi, auquel elle est obligée de se proportionner, pour se faire entendre du peuple, qu’elle ne l’établit et ne l’approuve, comme un dogme sur lequel elle exige notre créance et notre soumission. Elle laisse ces disputes aux recherches des philosophes ; et ses expressions sur cela ne doivent point tirer à conséquence. Les Hébreux croyaient qu’au commencement de la création, Dieu avait partagé les eaux en deux parties (Genèse 1.6), dont les unes furent mises dans les abîmes, et formèrent la mer ; et les autres furent placées au-dessus du firmament, où elles fournissent la matière des pluies qui tombent sur la terre. Ils croyaient que la terre était très-vaste, plate, immobile (1 Chroniques 16.30 Psaumes 92.1 ; 95.10 ; 103.5 Jérémie 10.12 ; 51.15 Ecclésiaste 1.4), environnée par la mer de tous côtés, et fondée sur les eaux (Psaumes 33 ; 1 Samuel 2.8 Psaumes 17.16 Jonas 2.7 Psaumes 135.6).
Ils croyaient que la terre était tout imbibée, toute pénétrée par les eaux ; que toutes les fontaines et tous les fleuves entrent dans la mer, d’où ils sont sortis (Ecclésiaste 1.7). Ils croyaient qu’il y avait trois cieux. Le premier, où se forment les nues et où volent les oiseaux. Le second, dans lequel sont comme enchâssés les astres. Le troisième, où réside la Majesté du Très-Haut, et où saint. Paul fut ravi, et dans lequel il entendit des choses qu’il n’est pas permis à l’homme de publier (1 Corinthiens 12.4). Ils ne croyaient pas qu’il y eût des antipodes, ni que les cieux enveloppassent la terre par-dessous, ni par conséquent que le soleil, la lune et les autres astres fissent le tour autour de la terre, ou que la terre fit un mouvement qui produisit à notre égard le même effet que si toute la machine du ciel tournait autour de la terre. On peut voir cette matière qui regarde le système des anciens Hébreux sur la forme et la disposition de l’univers, dans notre dissertation sur ce sujet, imprimée à la tête du Commentaire sur l’Ecclésiastique.
On forme aussi plusieurs difficultés sur la durée du monde. On peut considérer cette durée, ou par rapport au passé, ou par rapport au futur. La plupart des nations anciennes, dont on a quelques monuments, diffèrent entre elles sur la durée du monde. Les Chaldéens, les Égyptiens, les Chinois, les Grecs, les Hébreux, suivent différentes manières de supputer les années du monde. Je ne parle pas de ceux qui croient qu’il y a eu plusieurs mondes ou plusieurs créations successives d’hommes sur la terre, ou que le monde est éternel : Les chronologistes même qui suivent le texte hébreu et la Vulgate, ne conviennent pas entre eux. On sait que l’Hébreu des Juifs et celui des Samaritains sont différents, et que les exemplaires des Septante, qui sont des interprétations du texte hébreu, sont encore éloignés de ces deux textes. De manière qu’il est impossible de concilier ensemble toutes ces variétés. On peut voir notre dissertation sur la chronologie, à la tête du Commentaire sur la Genèse. Suivant la supputation d’Ussérius, qui paraît aujourd’hui la plus à la mode, nous comptons, depuis le commencement du monde jusqu’à la naissance de Jésus-Christ, quatre mille ans juste et depuis Jésus-Christ jusqu’à cette année, nous comptons mille sept cent trente ans. Mais les plus habiles chronologistes croyant que l’on a mis la naissance de Jésus-Christ trois ans trop lard, il faut compter aujourd’hui mille sept cent trentet ans, au lieu de mille sept cent trente. Ainsi depuis la création du monde jusqu’aujourd’hui, il y a justement cinq mille sept cent trente-trois ans [Suivant l’Art de vérifier les dates, depuis le commencement du monde jusqu’à l’ère vulgaire, qui a commencé cinq ans et huit jours après la naissance de Jésus-Christ, il s’est écoulé 4963 ans, et depuis l’ère vulgaire, 1846 ans ; ce qui fait que, depuis la création du monde jusqu’aujourd’hui. Il y a justement six mille hait cent neuf ans].
Quant à la durée du monde depuis le temps où nous vivons, jusqu’à la fin des siècles, la chose est encore plus incertaine et plus douteuse. Les Égyptiens croyaient qu’après une révolution de trente-six mille cinq cent vingt-cinq ans, tous les astres se rencontreraient au même point, et qu’alors le monde se renouvellerait ou par un déluge, ou par un incendie universel. Ils croyaient que le monde avait déjà été renouvelé plusieurs fois de cette sorte ; et ce sentiment était commun même parmi les Grecs ; mais ils n’étaient pas d’accord sur le nombre des années que devait comprendre cette grande année, ou cette grande révolution. Les uns, comme Aristarque, lui donnaient deux mille quatre cent quatre-vingt-quatre ans ; d’autres, comme Arétès de Dynachium, cinq mille cinq cent cinquante-deux ; Héraclite et Linus, dix mille huit cent ; ou, selon d’autres, dix-huit mille ; Dion, dix mille huit cent quatre-vingt-un ; Orphée, cent mille vingt ans ; Cassandre, trois millions six cent mille ans. Platon et toute son école, aussi bien qu’Origène, étaient persuadés qu’après un certain nombre d’années, divers mondes se succéderaient l’un à l’autre. Sentiment que saint Augustin a solidement réfuté.
Les Juifs avaient une ancienne tradition, qu’ils prétendaient tenir d’Élie, non du grand prophète de ce nom, mais d’un autre qui a vécu après la captivité de Babylone, et cent cinquante-quatre ans après le rétablissement du second temple. Suivant cette tradition, le monde doit durer six mille ans ; savoir, deux mille ans sous l’état de nature, et avant la loi ; deux mille ans sous la loi, et deux mille ans sous le Messie. Cette tradition a été adoptée par quelques anciens Pères, comme saint Cyprien, Lactance, saint Ambroise, saint Irénée, saint Hilaire, saint Gaudence de Bresse, l’auteur des Questions aux Orthodoxes, sous le nom de saint Justin, saint Jérôme, Victurin sur l’Apocalypse, Raban Maur sur le Deutéronome, saint Isidore de Séville ; et un très-grand nombre d’auteurs plus nouveaux. Saint Augustin paraît assez favorable à cette opinion, dans le vingtième livre de la Cité de Dieu, chapitre 7 ; mais ailleurs il s’élève avec force contre ceux qui osaient assurer que le monde ne durerait que six mille ans, quoiqu’ils sussent que Jésus-Christ, dans l’Évangile, a prononcé que le Père seul s’est réservé la connaissance des temps et des moments de ce dernier jour. Nous nous sommes étendus sur cette matière dans la dissertation sur la fin du monde, qui est imprimée à la tête de notre Commentaire sur le second volume des Épîtres de saint Paul. Mais en suivant ce sentiment, le monde ne devrait plus durer, selon notre système chronologique, qui compte aujourd’hui cinq mille sept cent trente ans depuis le commencement du monde, que deux cent soixante et dix ans. [Voyez feu].
Plusieurs ont cru que le monde était éternel, qu’il avait toujours existé et qu’il ne finirait jamais ; mais ils sont fort partagés entre eux ; les uns soutiennent qu’il y a eu plusieurs mondes qui se sont succédé les uns aux autres ;, que le monde s’est renouvelé plusieurs fois ; que la matière est éternelle : mais que Dieu lui a donné dans l’étendue de l’éternité une infinité de formes différentes, que nous appelons création ; que Moïse nous a donné l’histoire de la dernière de ces créations, laquelle avait été précédée de plusieurs autres. Que Dieu n’a pas existé avant son ouvrage ; qu’étant éternel et toujours agissant, il n’a pu demeurer sans action, ni laisser la matière sans forme et sans mouvement. Ce sentiment a été suivi par un bon nombre de Juifs et de Mahométans, comme Avouas, Avicennes, Alfarabe, et autres qui ont fait profession de suivre la philosophie d’Aristote. Il y a même quelques commentateurs chrétiens qui ont cru que ces paroles de Moïse, Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre, peuvent marquer, en suivant l’hébreu : Avant que Dieu format le ciel et la terre, tout était dans le chaos ; ce qui insinue la préexistence de la matière et même son éternité, avant que Dieu lui et donné la forme qu’elle a eue depuis.
Je ne parle pas ici des Préadamites ; on en a parlé sous leur article. On peut les mettre au rang de ceux qui tiennent l’éternité 4u monde, ou du moins qui admettent plusieurs mondes qui se sont succédé les uns aux autres.
Cette question sur l’antiquité du monde se renouvela au temps de Maimonides c’est-à-dire, au douzième siècle ; mais il semble que dès le temps de Salomon il y avait déjà des esprits forts qui la soutenaient (Ecclésiaste 1.9-11). Qu’est-ce qui a été ce qui sera, et qu’est-ce qui s’est fait ce qui se fera ? Rien n’est nouveau sous le soleil, et nul ne peut dire : Voilà qui est nouveau ; car il a déjà précédé dans les siècles passés ; on n’a nulle mémoire de ce qui est passé, comme on ne se souviendra point de ce qui doit arriver parmi ceux qui viendront après nous. Les partisans de l’éternité du monde ne manquaient pas de citer ce prince si éclairé. Maimonides écrivit exprès pour les réfuter, et les Hébreux rejettent, comme hérétiques chassés du sein d’Israël ou excommuniés, ceux qui disent que la matière est co-éternelle à Dieu. Il est vrai que ceux des Juifs qui tiennent ce sentiment tâchent de se mettre à couvert de la censure par l’autorité même de Maimonides, qui n’a pas mis, disent-ils, la création entre les articles fondamentaux.
Mais il est aisé de justifier ce docteur de cette accusation ; car on lit ces paroles dans la confession de foi qu’il a dressée : Si le monde est créé, il y a un créateur ; car personne ne se peut créer soi-même. Il y a donc un Dieu. Il ajoute : Dieu seul est éternel, et toutes choses ont eu commencement. De plus il déclare que la création est un des fondernents de la foi qu’on est obligé de croire, et sur lesquels on ne doit pas se laisser ébranler, sinon par une démonstration que l’on ne trouvera jamais. Enfin, ce qui est plus fort que tout cela, c’est que ce docteur a rejeté formellement l’opinion de l’éternité du monde, et a écrit contre ceux qui la soutenaient.
Au quinzième siècle un rabbin, nommé Samuel Sarsa, entreprit de concilier les philosophes païens avec Moïse ait sujet de la création du monde. Il soutint que le monde n’avait point été tiré du néant ; mais qu’il s’était formé d’une matière préexistante dans une succession de plusieurs jours, comme on le lit dans l’histoire de la Genèse. Mais Sarsa fut condamné à être brillé vif.
Capantou, rabbin espagnol, sollicita fortement sa condamnation, et il fut soutenu par un grand nombre de docteurs de son temps et de sa nation. Cela est décisif pour montrer le sentiment commun de la Synagogue sur cet important article.
Elle tolère toutefois dans son sein ceux qui tiennent qu’avant le monde que nous habitons il y en a eu un premier, lequel a fini dans le septième millénaire après sa création ; que celui qui lui a succédé finira de même. Ils fondent ce sentiment sur une preuve peu solide : c’est que Moïse a commencé la Genèse par la lettre Beth, qui vaut deux. On sent bien que cela vient de l’école des cabalistes. D’autres docteurs enseignent que Dieu a créé sept choses avant l’univers ; savoir :
1° La loi ou la sagesse ;
2° L’enfer ;
3° Le paradis ;
4° Le trône de sa gloire ;
5° Le sanctuaire ;
6° Le nom du Messie ;
7° Et la repentance.
Tout cela fondé sur des passages de l’Écriture pris de travers et dans un sens éloigné.
Spinosa, nourri dans la Synagogue, enseigne qu’il n’y a dans l’univers qu’une substance unique ; que Dieu est cette substance ; et que tous les autres êtres qui subsistent n’en sont que les modifications. Son principe est que rien ne peut être engendré de rien ; et qu’une substance ne peut agir sur le néant ; et que le néant ne peut être le sujet et la matière sur lesquels Dieu travaille. D’où il conclut que, puisque le monde existe, il a donc toujours existé, et que Dieu ne l’a pu tirer du néant. Il ajoute qu’il n’y a qu’une substance, et que cette substance est Dieu, nulle autre chose ne subsistant par soi-même indépendamment et nécessairement. Cette substance unique étant revêtue d’une infinité d’attributs et de perfections, elle se modifie d’une manière très-différente. Le corps, en tant qu’il occupe un espace et un lieu, est la modification de cette substance, en tant qu’elle est étendue et l’âme est une modification de cette même substance, en tant qu’elle pense.
Le système de Spinosa est également rejeté par les juifs, par les chrétiens et par les bons philosophes. C’est un renouvellement des erreurs d’Epicure, de Démocrite et de Lucrèce ; il n’est fondé que sur des paralogismes continuels : en voulant que tout soit Dieu dans la nature il détruit la vraie idée de Dieu, et il fait voir qu’il a une fausse notion de la création du monde, en soutenant que le néant ne peut être le sujet de l’opération de Dieu. Quand on dit que Dieu tire les êtres du néant, on n’entend pas que le sujet de la création soit le néant ; c’est la substance qu’il crée et qu’il forme, à qui il donne à la fois l’être, l’existence et la forme.