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Âme
Dictionnaire encyclopédique de la Bible de Augustin Calmet
Westphal Bost

Le nom d’âme est fort équivoque dans le style des Hébreux. Il se prend pour l’âme qui anime l’homme, pour ce qui anime les bêtes, pour une personne vivante : Donnez-moi les âmes (Genèse 14.21), dit le roi de Sodome à Abraham, et je vous abandonne tout le reste ; et ailleurs (Genèse 12.5) : Abraham et Loth prirent toutes les âmes qu’ils avaient faites à Haran, et vinrent au pays de Chanaan ; c’est-à-dire, les esclaves qu’ils avaient achetés, ou les enfants qui leur étaient nés.

Âme se prend aussi pour la vie (Genèse 32.30) : Mon âme a été sauvée. Et (Genèse 37.22), ne tuez point son âme, ne le faites point mourir. Mon âme vivra, vous me conserverez la vie, etc. Ceux qui cherchaient mon âme, qui en voulaient à ma vie. Ne prendre pas son âme en vain, ne pas jurer faussement par sa vie.

Elle se prend quelquefois pour la mort (Nombres 9.6). Celui qui se sera souillé sur l’âme d’un homme. Et (Nombres 19.30) : Le corps mort d’une âme humaine.

On la met aussi souvent pour le désir, l’amour, l’inclination : S’il plaît à votre âme (Genèse 23.8). Et (Nombres 11.6) : Notre âme est aride et desséchée, dégoûtée de ne voir que de la manne (1 Samuel 2.33). Votre âme séchera de douleur, en voyant votre émule dans le temple en votre place. Mon âme s’est endormie de dégoût, de douleur. Et : J’enivrerai l’âme les prêtres de toutes sortes de biens, etc.

Enfin, l’âme se prend pour la vie de la bête (Deutéronome 12.23). Prenez garde de ne pas manger le sang des animaux ; car leur sang est leur âme, ou, leur sang leur tient lieu d’âme (Genèse 14.10). Je ferai alliance avec vous et avec toute votre postérité, et avec toute âme vivante qui est avec vous, tant les oiseaux que les autres animaux qui sont sortis de l’arche. Et : Le juste connaît l’âme des bêtes (Proverbes 12.10) ; il compatit à leurs travaux, il les soulage ; mais les entrailles du méchant sont cruelles.

On trouvera ci-après un article particulier sur les bêtes, où l’on parlera du sentiment que les Hébreux et les autres Orientaux avaient de leurs âmes.

On peut former un grand nombre de questions sur l’âme de l’homme, sur sa nature, ou son essence et sa création : si toutes les âmes ont été créées au commencement du monde, ou si Dieu les crée chaque jour ; si l’âme est immortelle, si elle passe d’un corps dans un autre par la métempsycose, si toutes les âmes sont également éclairées et parfaites. Il faut dire un mot sur chacune de ces questions. Nous avons déjà traité cette matière plus au long dans une dissertation particulière que l’on peut consulter dans le nouveau recueil de nos Dissertations en trois volumes, tome 1 page 460 et suivantes.

Lorsque Dieu eut formé le corps de l’homme de la poussière, ou du limon de la terre (Genèse 2.7), il inspira sur sa face un souffle de Vie, et il devint une âme vivante, ou un homme vivant. Ce souffle de vie a été considéré par les uns comme le principe de la vie animale de l’homme, qui en cela, selon eux, ne diffère en rien de la bête. Dieu donne à l’homme et à la bête un souffle de vie, ou un esprit vivifiant (Genèse 6.17) ; c’est-à-dire, tous les animaux qui devaient être consumés et mis à mort par les eaux du déluge. C’est cet esprit de vie que Dieu retire quand il lui plaît, et qui fait périr toute chair (Job 34.14) ; c’est que dit Job, et le Psalmiste, parlant des animaux, à qui Dieu donne la substance, dit (Psaumes 101.28-30) : Vous retirerez d’eux votre esprit, et ils mourront, et ils rentreront dans la poussière d’où ils sont tirés. Et Salomon (Ecclésiaste 12.7) : Souvenez-vous du Seigneur aux jours de votre jeunesse, et avant que le temps vienne, auquel la poussière retourne dans la terre dont elle est sortie, et que l’esprit retourne au Seigneur qui l’a donné. Et saint Paul parlant aux philosophes d’Athènes (Actes 17.25) : Dieu ne demande pas un culte corporel comme ayant besoin de quelque chose, puisque c’est lui qui donne à tous la vie, l’inspiration et toutes choses.

Mais outre cet esprit, ce souffle, qui est en nous le principe de la vie animale, qui est commun à l’homme et aux animaux et qui se dissipe après la mort, on doit reconnaître dans l’homme une substance spirituelle, une âme raisonnable et immortelle, source de nos pensées, de nos désirs, de nos raisonnements ; qui nous distingue des bêtes, et en quoi consiste principalement notre ressemblance avec Dieu (Genèse 1.26). Cette substance est spirituelle, puisqu’elle pense ; elle est immortelle, puisqu’elle est spirituelle. Quelques philosophes (Platon…) ont cru qu’elle était une portion de la Divinité. Mais comment la Divinité pourrait-elle être sujette aux maux et aux faiblesses de notre âme, au péché, à l’envie, à la douleur ?

L’Écriture, il est vrai, donne à l’homme et à la bête l’âme, l’esprit, la respiration, la vie ; mais elle n’accorde qu’à l’homme l’intelligence, la connaissance de Dieu, la sagesse, l’immortalité, l’espérance des biens futurs et de la vie éternelle ; elle ne menace que l’homme des maux de l’autre vie et des peines de l’enfer.

Mais les âmes sont-elles purement spirituelles, sans aucun mélange de matière, même la plus fine et la plus subtile ? C’est le sentiment des philosophes et des théologiens chrétiens. Les anciens n’ont pas été persuadés de ce principe. L’ancien auteur du livre d’Énoch a cru les anges corporels, et, par conséquent, les âmes, puisqu’il suppose que les âmes sont de même nature que les anges les anciens pères grecs et latins, qui lisaient dans la Genèse, que (Genèse 6.2) les anges de Dieu voyant que les filles des hommes étaient belles, prirent pour femmes toutes celles d’entre elles qu’ils trouvèrent à leur gré, et en engendrèrent les géants, ne doutaient point qu’ils n’eussent des corps et qu’ils ne fussent sensibles à toutes les passions qui sont des suites de la nature corporelle et matérielle qu’ils leur attribuaient.

Mais, comme il était malaisé de concilier ce sentiment de la corporéité de l’âme avec ses autres qualités, qui ne peuvent convenir qu’à un pur esprit, ils se persuadèrent que l’âme était composée de deux parties : l’une purement spirituelle, qui est la substance pensante, et tenant de la nature de Dieu ; et l’autre subtile, pénétrante, et tenant de la nature d’un air délié. L’auteur du livre d’Énoch, dont nous avons déjà parlé, dit que les esprits des âmes des hommes qui sont morts poussent leurs soupirs jusqu’aux Cieux. L’esprit ou l’entendement est renfermé dans l’âme comme dans son étui ; l’âme séparée du corps ressemble au corps qu’elle a animé, elle en est comme l’image ; mais l’esprit, la partie intellectuelle, n’a rien de sensible ni de corporel. Lorsque les âmes apparaissent aux hommes après la mort, c’est l’âme, et non l’esprit qui revient. L’âme de Patrocle apparaît à Achille, elle ressemble au héros qu’elle a animé, elle a sa taille, ses yeux, sa voix et jusqu’à ses habits. Ulysse étant descendu aux enfers y vit le divin Hector ; C’est-à-dire son image, son âme ; car pour lui, son esprit, il est avec les dieux immortels et assiste à leurs festins.

Les rabbins donnent aussi aux âmes, après la séparation du corps un autre corps, subtil, qu’ils appellent le vase ou le fourreau de l’âme. Ils tiennent qu’aussitôt après la mort, les âmes des méchants sont revêtues d’une espèce d’habit dans lequel elles s’accoutument à souffrir ; que celles des Saints, au contraire, sont revêtues d’un habit magnifique et d’un corps resplendissant à la faveur duquel elles s’accoutument à l’éclat et à la félicité dont on jouit dans la béatitude. Les apôtres ne doutaient point de l’apparition des esprits, et ils croyaient que ces esprits avaient la forme et l’apparence, la voix et tout l’extérieur des personnes à qui ils appartenaient. Les anciens géants qui gémissent sous les eaux (Job 26.5 ; Proverbes 9.18), et les rois des nations qui sont sous la terre (Isaïe 14.9 ; Ézéchiel 31.32), nous sont représentés comme ayant les mêmes marques d’honneur, la même forme qu’ils avaient sur la terre. Lorsque Jésus-Christ apparut à ses apôtres après sa résurrection, saint Thomas craignant que ce ne fût un simple fantôme, ou un esprit, comme il en apparaît quelquefois, selon l’opinion du peuple, sans qu’on en puisse conclure que les corps sont ressuscités ; le Sauveur, pour le rassurer et pour lever tous ses doutes, lui dit de le toucher, et de mettre sa main dans l’ouverture de ses plaies (Jean 20.25-27), pour se persuader qu’il était vraiment ressuscité. Et, lorsque tout d’un coup, il se présenta au milieu de ses disciples, il leur dit (Luc 24.38-40) : Pourquoi vous troublez-vous, et pourquoi des pensées s’élèvent-elles dans vos cœurs ? Voyez mes mains et mes pieds ; touchez, et voyez qu’un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai.

On dira, si l’on veut, que ces sentiments des apôtres sont des restes de préjugés qu’ils avaient pris dans le judaïsme, et dont ils se défirent après la descente du Saint-Esprit ; on prétendra que les opinions des rabbins sont des erreurs puisées dans la philosophie des païens, qui, n’étant pas éclairés des lumières de la foi et de la révélation, se sont formé des systèmes plausibles pour expliquer ce qu’on disait des âmes. Je ne m’arrête ici qu’à expliquer ce que les anciens Juifs ont cru sur cet article, sans même me mettre en peine de le réfuter.

Nous croyons communément que Dieu crée les âmes à mesure que les corps sont engendrés. Les Juifs (Joseph de Bello Jud tome 2 chapitre 12, page 787. Manassé Ben-Israël Concil in Genes., qu. 6, page 19, et de Creatione problem page 61), au contraire, croyaient que Dieu les avait toutes créées au commencement, et qu’elles venaient se joindre aux corps, attirées par un certain attrait auquel elles ne résistaient que difficilement. Les anges, les démons et les âmes sont des substances de même nature, dit Philon, elles ne diffèrent que de nom. Comme il y a de bons et de mauvais anges, il y a aussi de bonnes et de mauvaises âmes. Les anges et les âmes demeurent dans la plus pure et la plus haute région de l’air d’où elles descendent dans les corps qu’elles animent, et y apportent leurs bonnes ou mauvaises qualités. Les Esséniens, dit Josèphe, tiennent les âmes immortelles, et qu’attirées par un certain attrait naturel, elles viennent se renfermer dans les corps humains comme dans des prisons ; qu’après la mort, celles qui ont bien vécu se retirent dans des lieux de délices au delà de l’Océan ; et que celles qui ont mal vécu sont reléguées dans des lieux ténébreux pour y souffrir la peine de leurs crimes. Et en parlant des pharisiens, il dit que ceux de cette secte sont persuadés que les âmes qui ont bien vécu retournent après la mort au lieu d’où elles sont venues, avec faculté de retourner encore dans d’autres corps ; mais que les âmes des méchants sont condamnées à des supplices éternels.

Les apôtres, voyant un aveugle de naissance (Jean 9.2), demandent à Jésus-Christ si c’est par la faute de cet homme ou par celle de ses parents qu’il est né aveugle. Ils croyaient donc que cet homme avant sa naissance aurait pu mériter ce châtiment par quelque péché et par le mauvais usage qu’il avait fait de sa liberté. Le Sauveur leur répondit que ce n’était ni pour punir ses péchés, ni pour ceux de ses parents, mais que Dieu l’avait ainsi permis pour manifester ses œuvres en la personne de ce pauvre aveugle ; réprimant ainsi leur vaine curiosité et leur insinuant qu’il devait lui rendre la vue pour la gloire de son Père céleste.

Les rabbins enseignent que les âmes des morts qui n’ont pas été enterrés, ne peuvent entrer dans le lieu où sont les âmes des trépassés ; mais qu’elles sont errantes jusqu’à ce que leur corps soit mis dans le tombeau. Ce sentiment se remarque dans les anciens Grecs et dans les Latins. Homère raconte que Patrocle apparut à Achille, et lui dit : Enterrez-moi promptement, afin que j’entre dans les portes du royaume de Pluton, parce que les âmes, ces fantômes des morts, m’en éloignent et ne permettent pas que je passe le fleuve ; mais je suis errant autour des portes, du vaste palais du dieu des enfers. Et Virgile : Nec ripas dater horrendas et rauca fluenta transportare prius quant seilihus ossa quierint.

Ils croient de plus que les âmes de la plupart des Juifs demeurent un an dans une espèce de purgatoire et dans un état qui n’est point fixe ; que pendant ce temps elles visitent souvent le corps qu’elles ont animé, qu’elles apparaissent et peuvent recevoir du secours des prières et des aumônes que l’on fait pour elles ; que l’apparition de Samuel à Saül se fit pendant cette année qui suivit son décès ; mais qu’après cette année écoulée, les esprits ou démons n’ont plus de pouvoir sur les âmes des morts. Saint Justin le martyr et Origène ont cru que les âmes, même des justes, étaient après la mort sous la puissance du démon qui les faisait quelquefois paraître par les prières et évocations des magiciens. Anastase d’Antioche appuie fortement le sentiment d’Origène, et soutient que les âmes des justes étaient dans la puissance du démon dans l’enfer avant que Jésus-Christ y descendît et les en tirât, par sa puissance.

Les thalmudistes croient que les âmes séparées des corps savent tout ce qui se passe sur la terre, parce qu’elles sont ordinairement un an entier avant que d’entrer dans le ciel. Pendant tout ce temps, elles vont et viennent par le monde, et y apprennent tout ce qui s’y dit et tout ce qui s’y fait ; elles n’entrent au ciel qu’après que le corps est réduit en poussière, selon cette parole de Salomon (Ecclésiaste 12.7) : Jusqu’à ce que le corps retourne en la poussière d’où il est tiré, et que l’esprit retourne au Seigneur qui l’a donné. On accusa les Juifs, dans une conférence en présence du pape, en 1412, d’allumer des cierges au pied ou à la tête du mort, afin d’éclairer l’âme qui vient rechercher son cadavre. Il est certain qu’encore à présent ils allument une lampe au chevet du lit du mort, après que le corps est porté au cimetière, et que cette lampe y brûle pendant sept jours ; mais ils ne conviennent pas que ce soit pour éclairer l’âme qui y revient [On ne peut assigner l’époque de l’introduction de la croyance à l’immortalité de l’âme et à un état futur ; c’est déjà une présomption que cette croyance est antérieure aux plus anciens monuments de l’histoire. Si elle était d’invention humaine, on pourrait dire chez quel peuple elle a été imaginée ; il faudrait ensuite expliquer comment elle a puêtre reçue par tout ce peuple, et comment elle a passé chez tous les autres et a été universellement adoptée. Mais toutes les recherches faites à ce sujet ont été inutiles ; et c’est une présomption que cette croyance est antérieure à l’origine des peuples. Tout annonce qu’elle remonte à l’origine de l’homme, et elle fournit une preuve de l’unité de l’espèce humaine ; tous les peuples venant de la même source, on comprend, en effet, comment il se fait que tous aient cette croyance, transmise de génération en génération, tandis que si on admet plusieurs espèces d’hommes, on se pose en face d’une question insoluble : je soutiens que s’il y avait plusieurs espèces d’hommes, il y en aurait qui ne sauraient rien de l’âme. Comment une même croyance se trouverait-elle chez desêtres, chez des peuples entre lesquels il n’aurait existé aucune relation ? Le dogme de l’immortalité de l’âme et d’un état futur n’a point été inventé par les hommes, et n’a point été introduit parmi eux. Il a été révélé par Dieu au premier homme et s’est transmis chez ses descendants.

Que cette croyance ait existé à l’origine des peuples, c’est un fait qui n’est point contesté par des philosophes mêmes qui, d’ailleurs, ne paraissent pas fort convaincus de la vérité du dogme en lui-même. Le lord Bolingbroke avoue que la doctrine de l’immortalité de l’âme et d’un état futur de récompenses et de châtiments paraît se perdre dans les ténèbres de l’antiquité : elle précède tout ce que nous savons de certain. Dès que nous commençons à débrouiller le chaos de l’histoire ancienne, nous trouvons cette croyance établie de la manière la plus solide dans l’esprit des premières nations que nous connaissions. Elle se trouve également chez les Barbares et chez les peuples les plus policés. Les Scythes, les Indiens, les Gaulois, les Germains et les Bretons, aussi bien que les Grecs et les Romains, croyaient que les âmes étaient immortelles, et que les hommes passaient de cette vie à une autre, quoique leurs idées sur la vie future fussent, bien obscures. La doctrine indienne, connue sous le nom de védanta, enseigne que l’âme possède l’intelligence en elle-même ; qu’elle est immuable, immortelle, douée d’une indestructible félicité ; quand elle se dégage des organes, elle retourne à l’Être suprême, dans le sein duquel elle retrouve le repos de la félicité. Les Bouddhistes, chez qui, comme chez les Indiens, se retrouvent les croyances primitives, tiennent que l’âme, lorsqu’elle quitte le corps, se rend dans l’une des six régions qui lui sont ouvertes pour être récompensée ou punie. On avait surabondamment établi que les Égyptiens croyaient aussi à l’immortalité de l’âme et à la vie future ; cependant des auteurs ont essayé de nier ce fait. Ils ont voulu effacer de l’histoire écrite ce qui ne leur plaisait pas ; mais voici que l’histoire sculptée, qu’ils ne savaient pas lire, vient leur donner un démenti et confirmer les traditions écrites. Je voudrais rapporter ici la description que Champollion le jeune a faite du tombeau de Ramsès V pharaon qui régnait dans le quinzième siècle avant Jésus-Christ ; mais cette description est trop longue et ne peut être placée ici. Je ne puis que renvoyer à la mer des Lettres écrites d’Égypte, ou à l’analyse qui en a été donnée dans les Annales de philos chrét., tome 5 pages 260 et suivants Je citerai cependant quelques lignes. Dans les scènes symboliques relatives à la marche du dieu Phré dans les deux hémisphères, on voit, à la première heure du jour (hémisphère supérieur), le dieu Atneou, assis sur son tribunal, pesant à sa balance les âmes humaines, qui se présentent successivement ; l’une d’elles vient d’être condamnée ; on la voit ramenée sur terre dans une bari (barque), qui s’avance vers la porte gardée par Anubis, et conduite à grands coups de verges par des cynocéphales, emblèmes de la justice céleste. Le dieu visite, à la cinquième heure, les Champs-Elysées de la mythologie égyptienne, habités par les âmes bienheureuses se reposant des peines de leurs transmigrations sur la terre ; elles portent sur leur tête la plaine d’autruche, emblème de leur conduite juste et vertueuse. On les voit présenter des offrandes aux dieux ; ou bien, sous l’inspection du Seigneur de la joie du cœur, elles cueillent les fruits des arbres célestes de ce paradis… Dans l’hémisphère inférieur, celui des ténèbres, pendant les douce heures de nuit…, le dieu parcourt les 75 cercles ou zones auxquels président autant de personnages divins de toute forme et armés de glaives. Ces cercles sont habités par les âmes coupables, qui subissent divers supplices… À chaque son, et auprès des suppliciés, on lit toujours leur condamnation et la peine qu’ils subissent. Ces âmes ennemies, y est-il dit, ne voient point notre dieu lorsqu’il lance les rayons de son disque ; elles n’habitent plus dans le monde terrestre, et elles n’entendent point la voix du Dieu grand lorsqu’il traverse leurs zones. Tandis qu’on lit, au contraire, à côté de la représentation des rimes heureuses, sur les parois opposées : Elles ont trouvé grâce aux yeux du Dieu grand ; elles habitent les demeures de gloire, celles où l’on vit de la vie céleste ; les corps qu’elles ont abandonnés reposeront à toujours dans leurs tombeaux, tandis qu’elles jouiront de la présence du Dieu suprême.

Cette double série de tableaux (c’est encore M. Champollion qui parle) nous donne donc le système psychologique égyptien dans ses deux points les plus importants et les plus Moraux : les récompses et les Peines. Ainsi se trouve complètement démontré tout ce que les anciens ont dit de la doctrine égyptienne sur l’immortalité de L’âme et le but positif de la vie humaine.

« Il est certain, dit un critique, que la croyance au dogme de l’immortalité de l’âme, base nécessaire de tout système religieux, était commune à toutes les nations d’origine celtique ou germanique. M. Michelet (qui semble en faire une doctrine particulière aux Druides, un système à part, une invention qu’ils apportèrent avec eux dans la Gaule) en reconnaît l’existence chez les Suèves, les Goths, les Saxons et tous les adorateurs d’Odin. On la retrouve chez les Thraces, les Gètes, les Germains, les Sarmates, les Scythes, les Bretons, les Ibères, les Scandinaves. Cette chaîne de peuples vient rattacher nos vieux ancêtres, qui ont pu sembler isolés aux extrémités du monde, avec les races orientales dont la civilisation était plus avancée. Mille autres relations, plus frappantes peut-être par leur spécialité, se font remarquer dans le langage comme dans les détails du culte religieux : Ils avaient conservé l’antique horreur du serpent ; le feu céleste, l’arbre au Fruit, merveilleux, la consécration de la virginité, l’expiation par le sang, l’attente d’un médiateur.

Le christianisme, ici comme ailleurs, n’eut qu’à compléter, développer, purifier, consacrer les croyances universelles, qui ne sont, dans leur principe, que la religion primitivement révélée. »

Lorsque les voyageurs européens ont découvert l’Amérique, à peine ont-ils trouvé quelque nation qui n’eût pas une idée d’un état à venir.

« Les Nouveaux-Zélandais (qui peuplent une des îles de l’Océanie) ont des idées bien plus positives touchant l’immortalité de l’âme et son existence future, dit M. Dumont-d’Urville, qu’on ne l’attendait de leur état de civilisation. L’âme ou esprit qu’ils nomment Waidoua, est un souffle intérieur parfaitement distinct de la substance ou enveloppe matérielle qui forme le corps. Au moment de la mort, ces deux substances, jusqu’alors étroitement unies, se séparent par un déchirement violent ; le Waidoua reste encore trois jours après la mort à planer autour du corps, puis il se rend directement vers une route fictive qui s’étend d’un bout à l’autre de l’île Ika-Na-Mawi et qui aboutit au rocher Reinga (départ), vrai Ténare de ces peuples. Là, un Aloua emporte dans les régions supérieures du ciel ou le séjour de la gloire, rangui, la partie la plus pure du Waidoua, tandis que la partie impure est précipitée dans les ténèbres, po-nouï ou po-kino… Du reste, les Zélandais n’ont qu’une idée très-vague du genre de bonheur dont ils jouiront dans cette existence future. Il parait cependant qu’ils le font principalement consister dans de grands festins en poissons et en patates, etc… Les Waidouas des morts peuvent communiquer accidentellement avec les vivants : le plus souvent ils le font sous la forme d’ombres légères, etc. »

On trouve de même chez les Nouveaux-Zélandais, au rapport du savant voyageur que je viens de citer, diverses traditions primitives que la Bible nous présente comme aussi anciennes que l’homme.

Leland, après avoir cité des témoignages qui prouvent que la croyance à l’immortalité de l’âme et à la vie future, où chacun sera puni ou récompensé, était universellement répandue et remontait à une époque qui se perd dans la nuit des temps, réfute les écrivains qui prétendent néanmoins en assigner l’origine. Il conclut que cette doctrine, loin d’avoir été découverte par la raison ou inventée par la politique, a été révélée par Dieu lui-même. Ensuite, il établit qu’elle était connue des Hébreux. Voici ses paroles :

« Je ne vois point de conclusion plus légitime à tirer de la grande antiquité de cette doctrine, que celle-ci, savoir : qu’elle faisait partie de la religion primitive communiquée, par une révélation expresse de Dieu, aux premiers pères du genre humain, afin qu’ils la transmissent à leur postérité. C’est la pensée de Grotius, qui dit que la tradition de l’immortalité de l’âme passa de nos premiers pères aux nations les plus civilisées. Il est en effet difficile de concevoir que dans ces premiers âges où les hommes, grossiers et ignorants, étaient incapables de faire des raisonnements abstraits et subtils, ils fussent parvenus eux-mêmes à se former des notions de la nature d’un être immatériel qui devait survivre à la mort du corps et continuer de penser après la destruction des organes corporels. Comment purent-ils alors s’élever aux spéculations sublimes et pénibles de la nature et des qualités de l’âme, qui ont embarrassé depuis les philosophes, les plus grands génies, dans le bel âge de la science ? Toutes les connaissances des hommes se bornaient à ce qu’ils pouvaient apprendre par l’observation et l’expérience, ou par la voie de l’instruction. Ils voyaient leurs semblables mourir après avoir vécu un certain nombre d’années. Voilà à quoi se réduisait l’expérience sur la fin de l’homme : elle n’était guère, propre à leur donner l’idée d’une vie future où chacun serait puni ou récompensé selon qu’il aurait bien ou mal vécu dans celle-ci. Ce ne fut donc ni par un raisonnement scientifique, dont ils n’étaient pas capables, ni par l’expérience et l’observation que les hommes parvinrent à la connaissance de l’immortalité de l’âme et d’un état futur. Il ne reste plus qu’un moyen, celui de l’instruction divine, ou de la révélation. C’est à la révélation qu’il faut rapporter l’origine de cette tradition universelle. Plusieurs auteurs païens lui donnent une origine divine, et l’Écriture sainte ne nous permet pas d’en douter. »

« Cependant, dit un auteur moderne qui ne veut pas que les païens doivent aucune de leurs connaissances religieuses à la tradition des Juifs, il ne paraît pas que ni Adam ni Noé aient reçu de Dieu aucune connaissance touchant l’immortalité de l’âme, ou un état de récompenses et de peines. Si l’on assure que quelques-unes de ces idées viennent de Dieu, il doitêtre aisé de produire un ou plusieurs passages qui contiennent cette révélation. Mais puisque l’on ne peut alléguer aucun passage ni rien qui prouve que la révélation de ces notions ait été faite ou à l’un ou à l’autre, il en faut conclure qu’il n’y a eu aucune révélation pareille. Ce raisonnement n’est pas tout à fait concluant : car il parait, par l’Épître de saint Paul aux Hébreux (Hébreux 11)qu’Abraham et les autres patriarches, qui vécurent peu de temps après le déluge, attendaient une autre vie après celle-ci. L’Apôtre nous les représente, eux et quelques autres de ceux qui précédèrent le déluge, comme ayant reçu et marché dans la foi, qui est la ferme attente des choses désirables, et l’évidence des choses invisibles : Cette foi devait avoir pour fondement une révélation ou promesse de la part de Dieu. Comme d’ailleurs il est évident par les écrits de Moïse que Dieu révéla aux premiers pères de l’espèce humaine plusieurs points de religion et de morale, il est raisonnable de conclure que l’immortalité de l’âme et la vie à venir furent de ce nombre. Il semble que la promesse d’une vie immortelle après celle-ci dut suivre la sentence de mort prononcée contre l’homme pécheur et sa coupable postérité. La mort d’Abel, qui fut probablement le premier homme qui mourut, et qui malgré son innocence, succomba sous les coups d’un frère barbare, rendait la connaissance de ce dogme nécessaire pour justifier la providence divine. L’enlèvement d’Énoch ne fut-il pas une preuve éclatante d’une vie future destinée à ceux qui auraient observé fidèlement la loi du Seigneur dans celle-ci ? Il est à croire que Noé n’ignorait pas qu’il y avait une vie à venir : et il eut soin sans doute de transmettre à ses descendants une connaissance si importante. Ce que saint Paul fait entendre à l’égard des patriarches antédiluviens, il le dit d’une manière plus claire et plus expresse d’Abraham et des autres qui vécurent après le déluge (Hébreux 11.9-16). C’est dans l’espérance de l’immortalité et d’une autre vie que ces patriarches ont reçu les promesses du Seigneur. Le même apôtre dit encore que Dieu avait promis la vie éternelle avant les anciens temps, c’est-à-dire dès le commencement des âges (Tite 1.2), ainsi que l’expliquent saint Jean Chrysostome et Théodoret. »

À ces observations, Leland a joint, fort à propos, les réflexions suivantes de D. Calmet :]

L’immortalité de l’âme est un dogme fondamental de la religion juive et chrétienne. Les anciens patriarches ont vécu et sont morts dans la persuasion de cette vérité. Moïse l’a marquée en disant que (Genèse 2.7) Dieu avait inspiré sur le visage d’Adam un souffle de vie ; qu’il avait (Genèse 1.26) créé l’homme à son image et à sa ressemblance. Et lorsque Dieu résolut de faire mourir tous les hommes par les eaux du déluge (Genèse 6.5) : Mon esprit ne résidera pas plus longtemps dans l’homme, parce qu’il est chair. C’est dans l’espérance de l’immortalité et d’une autre vie, que les patriarches ont reçu les promesses du Seigneur. Car quelle récompense a reçue Abraham en cette vie de tant d’actions de vertu qu’il a pratiquées, lui qui a vécu toute sa vie comme étranger, sans posséder un pouce de terre dans le pays qui lui était promis ? Quand ce patriarche meurt et qu’il est réuni à ses pères, selon le langage de l’Écriture (Genèse 25.8), ce n’est pas à dire qu’il est mis dans le même tombeau que ses pères. On sait qu’il était originaire de Chaldée, que ses pères y avaient été enterrés, que, pour lui, il eut sa sépulture dans la terre de Chanaan, dans un sépulcre qu’il y avait acheté. C’est donc qu’il alla trouver ses pères dans l’autre vie. J’en dis de même d’Aaron et de Moïse qui se réunirent à leurs peuples en mourant, c’est à-dire qu’ils entrèrent dans le lieu où leurs ancêtres attendaient la rédemption et la venue du Messie.

Quand le devin Balaam demande à Dieu que sa mort soit semblable à celles des justes ou des Israélites (Nombres 23.10), que prétend-il par là, sinon qu’il meure, comme eux, dans l’espérance de la béatitude et de la résurrection ; car, pour le reste, la mort des Hébreux ne diffère point de celle des païens. La mort est un tribut que tous les hommes doivent rendre à la nature.

Une autre preuve décisive qui montre que les Israélites croyaient l’immortalité de l’âme, c’est la créance où ils étaient que les âmes des morts apparaissaient quelquefois après leur décès. Samuel apparaît à la Pythonisse (1 Samuel 28.13-15). Jérémie apparaît à Judas Machabée (2 Machabées 15.14). Les apôtres voyant Jésus-Christ venir à eux sur la mer, crurent que c’était un fantôme (Matthieu 14.26) ; et lorsqu’il leur apparut après la résurrection, il leur dit (Luc 24.37) : Touchez-moi, et voyez qu’un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai. De plus, ils croyaient la résurrection future, les supplices des méchants, une autre vie au sein d’Abraham où étaient les justes ; ils avaient dans leur histoire des exemples de morts ressuscités, comme ceux qui furent ressuscités par Élie et par Élisée ; Moïse leur avait défendu de consulter les morts (Deutéronome 28.18). Tout cela prouve invinciblement que les Juifs croyaient l’âme immortelle [L’abbé Para du Phanjas donne les arguments suivants :

1° Dieu fit l’homme à son image et à sa ressemblance. L’homme n’est pas semblable à Dieu par son corps : il y a donc dans l’homme une substance distinguée du corps, par laquelle il est semblable à Dieu.

2° Il est dit dans le cinquième chapitre de-la Genèse qu’Hénoc marcha avec Dieu et ne parut plus sur la terre, parce que Dieu l’enleva. Qu’est-ce que ce divin enlèvement d’Hénoc, dans le sens de l’Écriture, sinon un miraculeux passage de cette vie à la vie future ?

3° Dans le dix-huitième chapitre du Deutéronome, Dieu, par la bouche de Moïse, porte une loi expresse par laquelle il défend d’interroger les morts, pour apprendre d’eux la vérité. Les Hébreux, au temps de Moïse, croyaient donc que les âmes existaient après avoir quitté le corps humain, puisqu’il fut besoin de faire une loi expresse pour leur défendre de les interroger et de les consulter.

4° Dans le vingt-huitième chapitre du premier livre des Rois, Saül évoque l’ombre ou l’âme de Samuel. On croyait donc alors à l’existence des âmes, après leur sortie du corps.

5° Dans le dix-septième chapitre du premier livre des Rois, le prophète Élie demande à Dieu la résurrection du fils de la veuve de Sarepta, en ces termes : Seigneur mon Dieu, faites, je vous prie, que l’âme de cet enfant rentre dans son corps ; et le Seigneur exauça la voix d’Élie : l’âme de l’enfant rentra en lui, et il recouvra la vie. Le prophète Élie, qui nous représente ici la persuasion de sa nation, croyait donc que les âmes subsistent après avoir quitté le corps qu’elles animaient.

6° Dans les deux derniers versets de l’Ecclésiaste, Salomon dit : Craignez Dieu, et observez ses commandements ; ; c’est là le tout de l’homme : car Dieu fera rendre compte en son jugement de toutes les œuvres, même secrètes, soit qu’elles soient bonnes, soit qu’elles soient mauvaises. On croyait donc, au temps de Salomon, chez les Hébreux, ainsi qu’aujourd’hui chez les chrétiens, à un jugement de Dieu après la mort, et par conséquent à une vie future, puisque dans le neuvième chapitre du même ouvrage, ce monarque inspiré reconnaît que Dieu ne met point de différence, dans les événements de la vie, entre les gens de bien et les impies ; que tout arrive également au bon et, au méchant.

7° Dans le onzième chapitre du même Ecclésiaste, Salomon s’élève contre les dérèglements des passions, ce semblant d’abord leur tout accorder, puis dit : Dieu vous amènera en jugement.

Etc…

Ainsi, reprend Leland, nous avons le témoignage de l’Écriture sainte et ceux des plus célèbres auteurs païens en faveur de la grande antiquité de la doctrine d’une vie à venir. Mais cette ancienne tradition se corrompit comme toutes les autres dans la suite des âges ; et lorsque Jésus-Christ se montra sur la terre, le dogme de l’immortalité de l’âme était étrangement altéré et défiguré dans les contrées les plus policées et les plus savantes du paganisme. Les hommes avaient donc un très-grand besoin d’une révélation divine qui mît cette vérité importante dans le plus grand jour, en leur donnant les plus fortes assurances d’un état futur de récompenses et de peines. C’est ce qu’a fait le christianisme, et l’on peut dire avec raison que Notre-Seigneur Jésus-Christ a mis la vie et l’immortalité en évidence par l’Évangile.

Si les Saducéens qui ont nié l’immortalité de l’âme, et les rabbins Maimonides et Kimchi qui ont enseigné son anéantissement, ont été regardés dans leur nation comme des espèces d’hérétiques et de novateurs, ceux dont Salomon a exprimé les sentiments en ces termes (Ecclésiaste 3.18) : La mort de l’homme et celle de la bête sont la même : comme l’homme meurt, ainsi meurent les animaux ; l’homme n’a rien au-dessus de la bête, etc., ceux-là sont des impies et des méchants désapprouvés et condamnés par tous les bons Israélites, et réfutés par Salomon même, qui dit (Ecclésiaste 12.7) : Que la poussière dont notre corps est composé ; retourne dans la terre dont elle est tirée, et que l’esprit retourne à Dieu qui l’a donné.

Nous parlerons de la métempsycose dans un titre particulier, comme aussi du purgatoire, des peines et des récompenses de l’autre vie, dans l’article Vie future. Pour l’âme des bêtes, voy bêtes. On peut voir la Dissertation de Louis Capelle touchant l’état des âmes après la mort, et notre Dissertation sur la nature de l’âme et sur son état après la mort, suivant les anciens Hébreux. Nouveau Recueil des Dissert en 3 vol in-4°, tome 1 page 460, etc.

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