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Mandragore
Dictionnaire encyclopédique de la Bible de Augustin Calmet
Westphal Bost

Plante qui assoupit et qui quelquefois cause la folie. On dit aussi qu’elle est bonne pour se faire aimer, et on l’emploie dans les philtres. Il y en a de deux espèces : la noire, qu’on estime femelle, et qui a des feuilles ressemblantes à la laitue, quoique plus petites et plus étroites, qui s’étendent sur la terre, et dont l’odeur est forte et mauvaise. Elle porte des pommes semblables aux cormes, qui sont pâles et odorantes, et qui ont au dedans une graine semblable à celle des poires. Elle a deux ou trois racines fort grandes, entortillées ensemble, noires au dehors, et blanches au dedans, et couvertes d’une écorce épaisse. L’autre espèce de mandragore, qui est mâle, est appelée morion, ou folle, à cause qu’elle fait perdre le sens. Elle produit des pommes deux fois plus grosses que celles de la femelle, ayant une bonne odeur, et d’une couleur qui tire sur le safran. Ses feuilles sont grandes, blanches, larges et lissées, comme les feuilles de hêtre. Sa racine ressemble à celle de la femelle, étant toutefois plus grosse et plus grande. Cette plante assoupit ceux qui en usent, et elle ôte même quelquefois la raison, et cause des vertiges et un assoupissement si grand que, si on ne donne à ceux qui en ont pris par la bouche un prompt secours, ils meurent dans la convulsion.

Matthiole rapporte que ce qu’on dit que les mandragores ont leurs racines de la forme du corps humain, est une fable. Ce qui a fait donner à la mandragore le nom d’anthropomorphos, ou de forme humaine, c’est que la plupart des racines de ces plantes sont fourchues depuis la moitié en bas, ce qui fait une manière de cuisses ; de manière qu’en les cueillant quand la mandragore jette ses pommes, elles paraissent semblables à un homme qui n’a point de bras. Cet auteur ajoute que les racines faites en façon du corps humain, appeées mandragores, ou mains de gloire, que les charlatans prétendent singulières pour faire avoir des enfants aux femmes stériles, sont artificielles, et faites de racines du roseau, de couleuvrée, et autres semblables. Il dit de plus qu’il a appris d’un de ces trompeurs qu’ils mettent des grains d’orge ou de millet aux endroits de ces figures ainsi taillées, où il doit y avoir du poil, et que les ayant enterrées, ils les laissent jusqu’à ce que l’orge ou le millet ait germé, ce qui arrive en trois semaines ; et qu’alors les retirant de terre, ils ajustent les racines qu’ils ont jetées en forme de poils, et leur font paraître de la barbe et des cheveux.

Moïse raconte (Genèse 30.14) que Ruben, fils de Lia, étant un jour allé dans les champs, y trouva des mandragores qu’il rapporta à sa mère. Rachel en eut envie, et les demanda à Lia, qui les lui accorda, à condition que Jacob demeurerait avec elle la nuit suivante. Le terme dudaïm, dont Moïse s’est servi, est un de ceux dont les Hébreux ignorent aujourd’hui la propre signification (1). Quelques-uns le traduisent par des violettes, d’autres, des lys, ou du jasmin ; Junius, des fleurs agréables : Cudarque, des truffes. Nous avons proposé des conjectures dans le Commentaire sur la Genèse, chapitre 30.14, pour montrer que ce pouvait être des citrons.Il paraît par l’Écriture que les dudaïm sont une espèce de fruit connu dans la Mésopotamie et dans la Judée (Cantique 7.13), qui mûrit vers la moisson du froment, qui a une odeur agréable, qui se conserve, qui se met avec la grenade (Cantique 6.10 Cantique 7.12-13). Les partisans de la traduction qui lit mandragores se fondent sur ces raisons :
Rachel ayant une très grande envie d’avoir des enfants, on a lieu de présumer qu’elle ne désira les mandragores de Lia que dans cette vue là. Les anciens ont donné à la mandragore le nom de pomme d’amour, et à Vénus le nom de Mandragoritis. L’empereur Julien, dans son épître à Calixène, dit qu’il boit du jus de mandragore, pour s’exciter à l’amour. L’hébreu dod, d’où vient dodaïm, ou dudaïm, signifie l’amour, ou les mamelles. Voyez Bauhiu, Hist des Plantles, tome 3 page 614 et suivants ; Matthiole sur Dioscoride, et Bodée sur Théophraste.

Ludolf dans son Histoire d’Éthiopie, a réfuté l’opinion qui veut que le terme hébreu dudaïm signifie la mandragore : il soutient qu’il signifie un certain fruit, que les Syriens appellent Mauz, dont la figure et le goût a beaucoup de rapport avec le Ficus Indice, ou figuier des indes ce fruit est de la grosseur d’un petit concombre ; on en trouve quelquefois jusqu’à quarante qui pendent à la même tige. Les voyageurs rapportent que dans l’île de Hainan, à la Chine, il croït un petit arbrisseau qui en quinze jours pousse une tige environnée de six ou sept feuilles larges, et chargée de fruits semblables à de grosses figues ; on ajoute que ces feuilles sont si larges qu’elles peuvent envelopper un homme ; de là on conjecture que cétait des feuilles d’un semblable figuier dont Adam et Ève se couvrirent après leur péché. Il y a même des auteurs qui croient que le fruit qui tenta Ève était le même que porte cette espèce de figuier qu’ils prétendent être les Dudaïm de Ruben. Quant à la mandragore, les Persans l’appellent Abronzanam, c’est-à-dire, figure humaine, parce que les Orientaux, et particulièrement les Juifs, accommodent si proprement la racine de la mandragore, avec les filaments qui l’environnent, qu’elle paraît avoir la figure d’un homme ou d’une femme. Lusfallah dit qu’il y a danger d’arracher ou de couper cette plante ; et que, pour éviter ce danger, quand on veut la tirer de terre, il faut attacher à sa tige un chien que l’on frappe ensuite, afin qu’en faisant effort pour s’enfuir, il la déracine.

Josèphe enchérit beaucoup sur tout cela ; il nomme cette plante Baara, d’un nom qui n’est pas fort différent d’Abron des Persans, ou d’Iabron des Arabes. Il dit que cette plante se trouve dans une vallée au septentrion du château de Machéronte, bâti par le grand Hérode ; que, sur le soir, elle paraît brillante comme le soleil ; que quand on s’en approche pour l’arracher, elle se retire et semble fuir, à moins qu’on ne jette sur elle du sang menstruel ou de l’urine de femme ; qu’alors il n’est pas encore sûr de l’arracher, à moins que celui qui l’arrache ne porte pendue à son bras une racine de la même plante ; sans cela il s’expose au danger certain de mourir.

Il y a toutefois une manière de l’arracher sans péril : on creuse tout autour de sa racine, en sorte qu’elle ne tienne plus à la terre que par une de ses extrémités : alors on attache un chien par une corde à cette racine, et le chien, faisant effort pour suivre son maître qui l’appelle, la tire sans beaucoup de peine, mais il meurt sur-le-champ ; et le maître prend alors en main sans danger cette plante si admirable. Au reste, l’usage que l’on fait de cette racine mérite bien qu’on se donne quelque peine pour s’en rendre maître ; car les démons, ces esprits qui ont animé les plus grands scélérats, étant entrés dans le corps d’un homme et le mettant en danger de l’étrangler si on ne le secourt promptement ; les démons, dis-je, ne peuvent même supporter l’odeur ni la présence de cette plante : ils s’enfuient aussitôt qu’on l’applique sur le possédé. C’est ce que Josèphe raconte de la plante qu’il nomme Baaras. Et j’ai lu un voyageur qui confirme la plus grande partie du récit de Josèphe.

Les Arabes donnent quelquefois à la mandragore le nom de Serag-al-cothrob, chandelle du démon, parce que pendant la nuit elle paraît toute lumineuse : mais la cause de cette lueur est que les vers luisants aiment cette plante et s’y attachent ; et Lut-falla-al-halimi, qui était médecin, assure que tout ce qu’on écrit de merveilleux touchant cette plante est inventé à plaisir ; qu’il l’a cueillie lui même plusieurs fois sans danger, que le bruit de son cri, lorsqu’on l’arrache, ne lui fait point de peur, parce qu’elle ne crie point ; qu’enfin tous les usages auxquels on l’emploie sont vains et superstitieux.

Algedi, poète persien, dit qu’en la Chine l’asterenk, qui est la mandragore, croit ayant la figure d’un homme ; et l’on assure que dans la province de Pékin, à la Chine, il y e en effet une espèce de mandragore, qui est si précieuse, qu’une livre de cette racine vaut trois livres d’argent ; car on dit qu’elle restitue tellement les esprits vitaux aux moribonds, qu’ils ont souvent assez de temps pour se servir d’autre remède et pour recouvrer leur santé. Les Chinois l’appellent Ginseng. Le P. Tachard dit que cette racine a quelquefois la figure humaine, et d’autres assurent qu’on lui a donné le nom de Ginseng, à cause qu’elle a la forme d’un homme qui écarquille les jambes, nommé en chinois Gin. Un autre auteur dérive le nom de Gin-seng du Chinois Gin, qui veut dire homme, et Sem, qui signifie plante ; comme qui dirait plante humaine, plante qui a la figure de l’homme.

Voici la description de cette plante. Elle a la racine blanche et un peu raboteuse, étant deux ou trois fois plus grosse que la tige, et va toujours en diminuant. Assez souvent, à quelques doigts de sa tête, elle se sépare en deux branches, qui font que cette racine ressemble en quelque sorte à l’homme, dont ces deux branches représentent les cuisses et des côtés de cette racine on voit sortir grand nombre de fibres en différents eudroits, qui servent à recevoir le suc de la terre pour la nourriture de la plante. De la racine s’élève une tige tout unie et assez ronde, d’un rouge un peu foncé ; et du haut de la tige naissent quatre branches qui s’écartent également l’une de l’autre. Chaque branche a cinq feuilles qui sont dentelées, d’un vert obscur, et qui se terminent en pointe. Du centre des branches de la plante s’élève une seconde tige fort droite et fort unie, dont l’extrémité porte un bouquet de vingt-quatre fruits plus ou moins ronds et d’un fort beau rouge. Au dedans du fruit est un noyau à-peu-près de la forme de la lentille. Ce noyau renferme le germe de la plante. Elle tombe et renaît tous les ans. On ne sait pas quelle est sa fleur, on ne fait cas que de sa racine, dont les effets sont merveilleux, comme on l’a déjà dit. Toute cette description fait voir que cette plante est une espèce de mandragore. Voyez le Dictionnaire universel de Trévoux sous Genseng [Voici quelques lignes de M. Rose sur la mandragore, dans le Nouveau Diction d’hist natur., publié par Déterville, Paris, 1803. Après avoir décrit cette plante, qui appartient au genre Belladone, est vénénéuse et aujourd’hui sans usage en médecine, ce savant naturaliste ajoute :

« Les anciens et quelques modernes ont donné une grande importance à la mandragore ; mais elle est fondée sur des idées superstitieuses, ou sur des fables ridicules. Sa racine, lorsqu’elle est fourchue, représente souvent les cuisses d’un homme ou d’une femme, et, au moyen de quelques coups de couteau, on y imprime les marques de la partie extérieure des organes de la génération de l’un ou de l’autre sexe, d’où résulte la mandragore mâle et femelle, et les propriétés pour faire engendrer, pour faire accoucher, etc. De pareilles sottises ne méritent pas d’occuper plus d’une phrase dans un ouvrage raisonnable. » La mandragore croit naturellement en Asie et dans les parties méridionales de l’Europe, dans les lieux ombragés et humides. Oui la cultive quelquefois dans les jardins des curieux ; mais elle n’y est d’aucun avauitage, et peut être dangereuse ; en conséquence on doit l’en proscrire. » Tome 4 pages 40].

(1) C’est ce que ne devraient pas oublier les traducteurs ou les commentateurs de la Bible, ni les naturalistes et autres savants qui parlent de la mandragore. M. Cahen traduisant dit que Ruben trouva des doudaïm ; c’est bien : mais après le mot doudaïm, il l’interprête en mettant le mot mandragores entre parenthèses ; et cela est mal. MM. Frank et Glaire rendent le mot doudaïm par fleurs d’amour ;. L’étymologie de ce mot est claire. La racine hébraïque signifiant aimer, il signifie lui-même fleurs d’amour, ainsi que nous l’avons traduit, C’est sans fondement, et contre l’usage de ce terme (Cantique 7.4) qu’on a voulu le rendre par mandragores. Voyez Celsius (Hierobot part. I pages 9 et 11), auquel on n’a pas encore répondu d’une manière satisfaisante, » Je partage cet avis, que le mot doudaïm ne devait pas être rendu par mandragores ; mais il ne m’est pas démontré qu’il doive l’être par fleurs d’amour. Pourquoi ne pas dire en français et dans touteautre langue que Rubem trouva des doudaïm ? Mais que lut-il entendre car doudaïm ? On ne le sait pas.

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