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Langue
Dictionnaire encyclopédique de la Bible de Augustin Calmet
Westphal Bost

Ce terme se prend en trois manières différentes :

1° Pour la langue matérielle, qui est l’organe du parler ;

2° Pour le langage que l’on parle dans chaque pays ;

3° Pour les bons et les mauvais discours. Ainsi on dit une mauvaise langue, une langue médisante, ou simplement avoir de la langue, pour beaucoup parler.

On forme plusieurs questions sur la langue prise dans le second sens, c’est-à-dire, pour le langage.

On demande,

1° Si Dieu est auteur de la première langue et s’il l’a donnée à Adam par infusion, ou si Adam l’a inventée et formée par son industrie et son travail ;

2° Si cette langue subsiste encore ;

3° Quelle elle est.

On dispute s’il y a une langue naturelle à l’homme, comme on dit qu’il y a un chant naturel aux oiseaux et un cri naturel aux ayimaux : tout chien aboie, tout cheval hennit, tout loup hurle, tout âne brait naturellement : ainsi à proportion tout corbeau croasse, toute colombe roucoule, et ainsi des autres oiseaux. Les uns crient, les autres ramagent, chacun suivant leur nature et leur espèce.

Tout de même, les hommes doivent avoir un certain langage naturel qui est la langue que tous les hommes devraient parler et qu’apparemment ils ont parlée avant le déluge. Et tout ainsi que dans la douleur ils gémissent, que dans l’allégresse ils jettent des cris de joie, dans la colère ils menacent et crient avec effort. Tout cela naturellement et uniformément : ainsi on présume qu’ils parleraient tous une même langue et se réuniraient dans une seule langue qui est celle d’Adam, si l’éducation ne changeait les notions naturelles, et si les habitudes que l’on nous fait prendre de jeunesse n’étouffaient pas en nous la voix de la nature.

Les anciens, qui n’ont pas connu la véritable histoire de la création du monde, ont été dans ces sentiments, que sous l’heureux règne de Saturne, non-seulement tous les hommes, mais même tous les animaux terrestres, les oiseaux et les poissons même parlaient le même langage ; que les hommes, ne connaissant pas assez leur bonheur, députèrent vers Saturne pour lui demander l’immortalité disant qu’il n’était pas juste qu’ils fussent privés d’une prérogative qu’il avait accordée au serpent, lequel se rajeunit tous les ans en quittant sa vieille peau pour en prendre une nouvelle. Saturne, en colère, non-seulement ne leur accorda pas leur demande, mais il punit leur ingratitude par la privation de cette unité de langage qui les liait ensemble. Il confondit leurs langues et les mit par là dans la nécessité de se séparer les uns des autres.

D’autres ont cru que le hasard ou la nature avait produit, en différents endroits, des hommes et des animaux de différentes espèces ; qu’elle leur avait donné certains sons et certains accents pour exprimer leur passion, leur joie, leur douleur, leur étonnement, leur désir ; qu’ensuite l’utilité ou la nécessité leur avait fait inventer certains mots, certaines expressions, pour signifier les choses qui étaient au dehors d’eux, dont ils avaient besoin ; mais que c’était une folie de s’imaginer que quelqu’un eût donné le nom aux choses et eût appris à parler aux hommes.

C’est la nature qui a produit les sons de la langue ; c’est le besoin qui a fait inventer le langage.

Vitruve dit que les premiers hommes demeurèrent longtemps comme des bêtes dans les cavernes de la terre, sans avoir aucun usage de la parole ; seulement ils se faisaient entendre les uns aux autres par des gestes réitérés et par des voix mal articulées ; qu’à force de marquer les mêmes choses par les mêmes sons, ils s’accoutumèrent à parler et se firent un langage réglé.

Psaminétichus, roi d’Égypte, persuadé que la terre avait produit des hommes en différents endroits et en différents temps, fut curieux de savoir qui étaient ceux qui avaient les premiers été créés. Il s’imagina qu’un moyen sûr pour les découvrir était de voir ceux qui parlaient la plus ancienne langue du monde, et pour cela il prit deux enfants nouvellement nés et les fit élever séparément, sans que personne leur parlât ; il crut que la langue que ces enfants parleraient, étant la langue naturelle et primitive de l’homme, on pourrait inférer que le peuple qui la parlerait encore devrait passer pour le plus ancien des hommes produits par la terre. Lors donc que ces enfants furent en âge de parler, le pasteur à qui on les avait confiés remarqua que toutes les fois qu’il les voyait, ils lui criaient beccos. Il en donna avis au roi, qui expérimenta la même chose. Il ne fut plus question que de savoir dans quelle langue beccos était un terme significatif ; on trouva que chez les Phrygiens beccos signifiait du pain. On en conclut que les Phrygiens étaient le plus ancien peuple du monde.

Ce raisonnement était erroné par plusieurs endroits : car était-il certain que les Phrygiens, quand même ils auraient été les plus anciens peuples du monde, eussent conservé leur langue primitive en sa pureté ? De plus avait-on consulté généralement tous les peuples du monde, pour savoir s’il n’y avait que les Phrygiens chez qui beccos signifiait quelque chose ? enfin le hasard ne pourrait-il pas avoir produit beccos, comme il produit une infinité d’autres termes dans toutes les langues ? Il est très-croyable que, ces deux enfants ayant été élevés par un berger et parmi des brebis, imitèrent la voix de ces animaux et apprirent de leurs bêlements à dire béc, car os qui est à la fin du mot, est la terminaison du grec, dans lequel Hérodote a raconté cette histoire.

S’il y avait une langue naturelle à l’homme, tous les hommes la parleraient, ou du moins ils auraient un grand penchant et de grandes dispositions à la parler, il en resterait beaucoup de vestiges parmi les différents peuples du monde. Les enfants abandonnés, exposés, sourds, parleraient ce langage. Or tout cela est contre l’expérience qu’on laisse un enfant sans lui parler, il ne parlera jamais aucune langue, ni connue ni inconnue. Melabdin Echehas, roi d’Indostan, ou Grand Mogol, ayant fait élever un enfant loin de la compagnie des hommes, l’enfant demeura sans jamais parler. On trouva, en 1661, deux garçons âgés d’environ neuf ans, au milieu d’une troupe d’ours en Pologne ; on en prit un, on fit ce qu’on put pour lui apprendre à parler, on n’en put venir à bout ; il devait cependant parler la langue naturelle de l’homme, n’ayant, au rapport des médecins, aucun défaut dans la langue.

Il faut donc conclure que l’homme n’a point de langage naturel qui lui soit propre. Il a à la vérité certains sons, certains mouvements, certains signes naturels pour marquer ses passions, sa joie, son plaisir, sa douleur, ses désirs ; mais il n’a point de parole ni de son articulé pour exprimer ses autres pensées. L’induction qu’on prétend tirer des autres animaux, qui ont, dit-on, une espèce de langage entre eux, est fausse et défectueuse en plus d’une manière. Les animaux ont certains cris, certains sons, qui leur sont naturels, pour signifier leur joie, leur appétit ou leur douleur : de même que l’homme marque sa joie par le ris, et sa douleur par les gémissements ; mais cela est bien différent de la parole. On dit de plus que les oiseaux ont une espèce de langage qu’ils entendent entre eux, et que certains hommes se sont aussi vantés d’entendre. Mais que l’on en fasse l’expérience, qu’on prenne un oiseau de ramage très-jeune, et qui n’ait pas encore appris le chant de ses père et mère, il contrefera tel autre chant ou ramage qu’on voudra lui faire apprendre : il imitera les oiseaux, ou même le son des instruments qu’il entendra ; et s’il était possible de l’élever de manière qu’il n’entendit rien du tout, il ne produirait que des sons vagues, incertains et au hasard.

De manière que, à le bien prendre, ni l’homme ni les animaux n’ont aucun langage naturel, et que le système qui veut que les hommes et les animaux aient été produits au hasard en différents endroits du monde, et qu’ils se soient formé chacun une langue à leur fantaisie, selon que le besoin, ou l’utilité, ou quelque autre cause le demandait, que ce système est insoutenable. Le hasard n’est pas une cause capable de produire un corps vivant et organisé, et beaucoup moins un animal raisonnable : pour mettre la matière en mouvement, il faut une cause motrice différente de la matière ; et pour imprimer au corps un mouvement réglé, il faut une cause raisonnable et intelligente ; et quoique l’homme puisse inventer des mots, et former un certain langage, dont il conviendra avec ses semblables, il ne s’ensuit pas que les premiers hommes se soient ainsi formé leur langage, ni que chaque nation s’en soit fait un particulier. Du possible au fait il y a quelquefois bien de la distance.

Moïse nous représente Adam et Ève, comme père et mère de tout le genre humain, et comme la souche de toutes les nations du monde. Il nous les dépeint raisonnables, intelligents, parlant et imposant les noms aux choses dès le moment de leur création. Le système de ce législateur sur la création du monde est le seul soutenable ; il faut de nécessité faire intervenir la toute-puissance de Dieu, non-seulement pour tirer les êtres du néant, mais aussi pour leur donner la forme, la vie et la raison ; et dès qu’on admet Dieu comme créateur, on ne doit plus faire difficulté de le reconnaître comme au, teur du langage qu’il inspira au premier homme. L’Écriture ne nous dit pas comment il le fit ; mais elle nous dit qu’Adam s’entretint avec sa femme et qu’il imposa les noms aux choses, dans un temps où il n’avait pu avoir le loisir de former une langue.

Mais quelle était cette première langue que Dieu enseigna à Adam ? On forme sur cela plusieurs difficultés. La plupart croient que cette langue primitive est la langue hébraïque ; d’autres tiennent pour la syriaque, pour la chaldéenne, ou l’éthiopienne, ou l’arménienne [Voyez Arménie]. Il n’y a presque aucune langue d’Orient qui n’ait prétendu à cet honneur. Gorope-Bécan a soutenu sérieusement que c’était la langue flamande, et il en a tiré des étymologies assez plausibles des noms d’Adam, d’Ève, d’Abel, de Caïn, de Mathusalem. Il dérive Adam d’Haas-dam, c’est-à-dire qui hait les monceaux ; Ève, d’Eu-vat, vaisseau du siècle,. Abel, de Haas-Belg, qui hait la guerre ; Caïn, de Quaat-Ende, mauvaise fin ; Mathusalé, de Machatusalig, sauvez-vous (suppléez du déluge).

D’autres savants soutiennent que la première langue est entièrement éteinte, et qu’on ne la peut plus retrouver dans aucune des langues qui nous sont connues. D’autres croient qu’elle subsiste encore dans la langue hébraïque et dans les autres langues qui en sont dérivées, mais qu’elle y est si affaiblie et si altérée, qu’on n’y en rencontre plus que des débris.

Si l’on s’en rapportait aux Sabiens, la dispute serait bientôt décidée, puisqu’ils montrent un livre qu’ils attribuent à Adam, dont le caractère est tout à fait singulier, mais dont la langue est presque entièrement chaldaïque. Sur ce pied-là, il faudrait donner le prix à la langue de ce livre, et reconnaître que le chaldéen est ce qui approche le plus de la langue d’Adam ; mais on sait quel fond on peut faire sur les prétentions des Sabienz, dont on parlera dans un autre article.

Origène, saint Grégoire de Nysse et Théodoret croient que Dieu, entre les autres faveurs qu’il fit aux Israélites à, leur sortie d’Égypte, leur accorda sur-le-champ la connaissance de la langue hébraïque. Ils citent pour prouver ce sentiment les paroles du psaume (Psaumes 80.5) : Lorsqu’il sortit de l’Égypte, il entendit une langue qu’a ne connaissait pas auparavant. Mais il y a beaucoup plus d’apparence que ce passage ne signifie rien autre chose, sinon que les Israélites, après leur sortie de l’Égypte, ouïrent au mont Sinaï la voix du Seigneur, qu’ils n’avaient jamais ouïe jusqu’alors.

Si la langue hébraïque est celle que Dieu apprit à Adam, il faut conclure de ce passage que les deux Pères que nous venons de citer, et ceux dont ils tenaient cette tradition, croyaient qu’au temps de la sortie d’Égypte, elle était entièrement oubliée, puisqu’il fallut que Dieu, par un nouveau miracle, la rendit à son peuple. Mais il est inutile de relever ce sentiment qui ne mérite aucune attention. On ne peut tirer de là aucune bonne preuve ni de l’antiquité, ni de la conservation, ni de la perte de la langue primitive.

La plupart des critiques se sont déclarés en faveur de la langue hébraïque et lui ont donné la préférence sur toutes les autres langues. Sa brièveté, sa simplicité, son énergie, sa fécondité, le rapport qu’elle a avec les plus anciennes langues orientales, qui paraissent tirer d’elle leur origine, l’étymologie des noms des premiers hommes qui se trouvent naturellement dans cette langue ; les noms des animaux qui sont tout significatifs dans la langue hébraïque, et qui marquent la nature et les propriétés de ces mêmes animaux ; choses qu’on ne remarque dans aucune autre langue : tous ces caractères réunis forment un préjugé très-favorable pour sa primauté et son excellence ; elle a encore un autre privilége, c’est que les plus anciens et les plus respectables livres qui soient au monde, sont écrits en hébreu.

Cependant plusieurs très-habiles critiques croient que la langue hébraïque, telle que nous la voyons aujourd’hui dans la Bible, et telle qu’elle était du temps de Moïse, n’est pas la langue primitive dans sa pureté et son intégrité. Ils remarquent plusieurs mots dans la Bible dont on ne trouve pas les origines dans l’hébreu. Ils veulent bien accorder que l’hébreu conserve plus de vestiges de la langue d’Adam qu’aucune autre ; mais ils veulent qu’elle ait souffert diverses altérations et divers changements, et que, dans la suite de tant de siècles qui se sont écoulés depuis Adam jusqu’à Moïse, cette langue ait perdu plusieurs de ses racines, et en ait adopté beaucoup d’étrangères. Il faut avouer que si la langue hébraïque était plus connue et qu’on sût quelle était son étendue et sa fécondité du temps de Moïse, on serait plus en état de prononcer sur cette matière.

Théodoret et les Maronites soutiennent que la langue syrienne, ou chaldaïque, est la véritable langue d’Adam. Ils se fondent sur ce qu’on trouve dans les langues chaldéenne et syriaque les étymologies et les racines des noms d’Adam, d’Ève, d’Abel, etc., et sur ce qu’Abraham a parlé chaldéen, qui était sa langue naturelle, avant que de parler héhreu, qui était la langue du pays de Chanaan, Mais on répond à cela que la langue hébraïque a les mêmes avantages du côté des étymologies que la chaldéenne ; elle l’emporte du côté de la simplicité et de l’énergie ; elle paraît plutôt la mère que la fille de la langue chaldaïque ; et enfin ces deux langues ont tant d’affinité, qu’il est très-croyable qu’Abraham parlait l’une et l’autre langue, et que l’hébraïque, comme la plus ancienne et la plus simple, fut préférée par ce patriarche et par ses descendants.

Je ne m’arrête pas à réfuter les autres opinions que l’on propose sur cette matière. La plupart des langues orientales sont dérivées de la langue hébraïque. Noé parlait apparemment la même langue qu’Adam : et la langue de Noé se conserva parmi ses descendants jusqu’à la confusion des langues arrivée à Babel. Alors, dit l’Écriture (Genèse 11.1-2), toute la terre n’avait qu’une même langue et une même manière de parler.

On demande de quelle manière cette confusion est arrivée. 1° Quelques-uns croient qu’on peut entendre les paroles que nous venons de citer de Moïse, comme signifiant seulement le concert, l’union des sentiments des hommes d’alors, résolus de travailler ensemble à la construction d’une tour pour rendre leur nom célèbre. D’autres croient que Dieu, par un effet de sa puissance extraordinaire, opéra un changement subit dans la mémoire et dans l’imagination des hommes, en leur faisant oublier leur langue naturelle, et leur en apprenant sur-le-champ une nouvelle ; ou du moins, les mettant dans la nécessité d’en apprendre une autre, par l’impuissance où ils étaient de se servir de celle qu’ils avaient eue auparavant.

Saint Grégoire de Nysse croit que le récit de Moïse ne signifie qu’une chose fort simple et fort naturelle, qui est que les hommes s’étant dispersés dans les différents endroits de la terre, il arriva, par une suite naturelle de leur dispersion, que chacun, faisant quelque changement à la langue qu’il avait apprise de ses pères, à la longue ils se trouvèrent si différents de langage, qu’ils ne s’entendirent plus. Ce système a été adopté, avec quelque petite différence, par M. Simon et M. le Clerc ; mais il n’est pas du goût de la plupart des autres critiques, parce qu’il réduit à rien tout le miracle que Moïse nous décrit dans l’histoire de la confusion de Babel. Il ne faut que lire son texte pour voir qu’il a voulu marquer un événement miraculeux. Le Seigneur descendit pour voir la tour que bâtissaient les enfants d’Adam, et-il dit : Ils n’ont tous qu’un même langage, et ne sont qu’un seul peuple ; puisqu’ils ont commencé cet ouvrage, ils ne le quitteront point qu’ils ne l’aient achevé : venez donc, descendons en ce lieu, et confondons-y tellement leur langage qu’ils ne s’entendent plus les uns les autres. C’est ainsi que Dieu les dispersa dans toutes les parties de monde, et qu’ils se désistèrent du bâtiment de la tour.

Ou forme encore une question sur le nombre des langues qui se formèrent à la confusion de Babel. La plupart des anciens ont cru que le nombre des langues qui se formèrent alors fut égal au nombre de ceux qui entreprirent l’édifice de la tour ; et comme il y avait alors soixante-dix chefs de famille, il y eut aussi soixante-dix langues. Mais d’où sait-on ce nombre de soixante-dix chefs de famille ?

C’est du Deutéronome (Deutéronome 32.8), où il est dit que, quand le Seigneur divisa les peuples, et qu’il sépara les enfants d’Adam, il marqua les limites des peuples selon le nombre des enfants d’Israël. Or les enfants d’Israël qui descendirent en Égypte avec Jacob étaient au nombre de soixante-dix (Genèse 46.27).

D’autres prennent ce nombre de soixante-dix langues du dénombrement que fait Moïse des descendants de Noé (Genèse 10). Japhet eut quatorze fils, Cham en eut trente, et Sem vingt-six, ce qui fait soixante et dix. Quelques-uns eu comptent soixante et douze, à cause que les Septante ont ajouté deux personnes au dénombrement de Moïse ; savoir Elisa à la généalogie de Japhet, et Cainan à celle de Cham. Euphorus, cité dans saint Clément d’Alexandrie, comptait soixante et quinze langues ; S. Pacien, évêque de Barcelone, en compte six-vingts.

Sans entrer à présent dans l’examen du nombre des langues, mais examinant seulement la nature des preuves sur lesquelles on fonde ce nombre de soixante et dix, on peut dire que rien n’est solide ; que dans les passages du Deutéronome et de la Genèse, pris dans le sens qu’on vient de voir, les Septante, au lieu de ces mots : selon le nombre des enfants d’Israël, ont lu, selon le nombre des enfants de Dieu. D’où l’on a conclu qu’ils voulaient marquer soixante et dix nations, gouvernées par autant d’anges tutélaires. Les noms de Cainan et d’Elisa, ajoutés par les Septante au texte de Moïse, ne touchent pas ceux qui s’en tiennent à l’Hébreu : ils rejettent le nombre de soixante et douze langues, et se contentent de soixante et dix. Ceux qui croient qu’Arphaxad, Talé et Héber n’eurent pas de part à la tour de Babel, ni à la peine de la division, qui en fut une suite, diminuent de trois le nombre de soixante et dix ; Jectan, fils d’Héber, et ses enfants au nombre de treize, n’étaient pas apparemment nés au temps de cette tour de Babel, et par conséquent voilà encore une nouvelle diminution.

Quelques-uns ne comptent dans l’Écriture que vingt sortes de langues. C’en est peut-être encore plus qu’il ne s’en forma à la confusion de Babel. D’autres veulent que d’abord il n’y eut que trois langues, une pour chaque grande famille de Sem, Cham et Japhet. Le nombre de soixante et dix langues parait trop grand, et n’était nullement nécessaire au dessein de Dieu ; le nombre de trois n’aurait pas suffi pour mettre les hommes dans la nécessité de se séparer ; mais dix ou douze langues étaient plus que suffisantes pour cela.

On connaît de plus la langue chinoise, qui n’a nulle analogie avec les autres langues. La langue teutonne ou allemande, qui est ta mère de toutes celles qu’on parle dans le septentrion ; le basque et le bas-breton, sont aussi des langues matrices que l’on parlait autrefois dans les Gaules et dans la Grande-Bretagne ; de même que la langue sclavonne, qu’on parle dans l’Illyrie el dans d’autres pays. Mais ces dernières langues ne sont pas connues dans l’Écriture.

Saint Luc, dans les Actes des apôtres (Actes 2.4-5), raconte que le Saint-Esprit étant descendu en forme de langues de feu sur les apôtres au jour de la Pentecôte, ils commencèrent à parler toutes sortes de langues, en sorte que les peuples étrangers qui s’étaient rendus à Jérusalem de toutes les parties du monde, furent saisis d’étonnement en les entendant ainsi parler chacun son langage. Ils se disaient entre eux : Tous ces gens qui parlent ne sont-ils pas Galiléens ? et comment leur entendons-nous parler chacun notre langue ? Les Parthes, les Mèdes, les Élamites, ceux qui habitent la Mésopotainie, la Judée, la Cappadoce, le Pont et l’Asie, la Phrygie, la Pamphylie, l’Égypte, la partie de Libye qui est aux environs de Cyrène, les étrangers romains, les Juifs, les Prosélytes, les Crétois et les Arabes. Saint Luc parle encore de la langue des Lycaoniens (Actes 14.10). Mais la plupart de ces langues, ou sont modernes, ou ne sont que des dialectes des langues matrices et originales.

Dans Daniel (Daniel 3.4-7), les peuples soumis à l’empire de Nabuchodonosor sont distingués par langues, par tribus et par nations. Dans l’Apocalypse de même le règne du Messie est distribué par peuples, nations, tribus et langues (Apocalypse 5.9). Moïse, racontant la distribution des pays du monde aux fils de Cham, Sem et Japhet, dit (Genèse 10.5-20,31) qu’ils se partagèrent selon leurs langues, leurs familles et leurs nations.

Manger sa Langue est une marque de fureur, de désespoir, de douleur. Les hommes adorateurs de la bête (Apocalypse 16.10) mangèrent leur langue de douleur, et commencèrent à blasphémer contre Dieu, à cause de la douleur que leur causaient les plaies dont ils étaient frappés.

Langue de mer, Langue de terre, se mettent dans l’Écriture pour l’extrémité ou la pointe de la mer Morte ; par exemple (Josué 15.2-5 ; 18.19) ; ou une péninsule, un cap, une portion de terre qui s’avance dans la mer.

Lingua Eecharis (Ecclésiaste 6.5), une langue bien disante, par opposition à une mauvaise langue, à une langue médisante ; la première se fait des amis, et entretient l’union et la charité parmi les hommes ; l’autre la ruine, et y répand la haine, la division et la mésintelligence.

Flagellum Lingue le fléau, ou la plaie de la langue, sont les mauvais discours, les médisances, les calomnies, les discours insultants et offensants. Le Sage dit (Ecclésiaste 26.9) qu’une femme jalouse est un fléau de langue. Dans les familles des Hébreux, où la polygamie était en usage, la jalousie entre les femmes était une source d’une infinité de mauvais discours. Le même auteur dit encore (Ecclésiaste 28.21) : Le coup de verge fait une meurtrissure, mais la langue brise les os. Et Job (Job 5.21) : Dieu vous mettra à couvert du fléau de la langue : vous ne serez point exposé à ses traits, etc.

Le don des Langues que Dieu accorda aux apôtres et aux disciples assemblés à Jérusalem le jour de la Pentecôte (Actes 2.3-5), communiqua aux fidèles, comme on le voit par les Épîtres de saint Paul, qui règle la manière dont on devait se servir de ce privilége dans les assemblées (1 Corinthiens 12.10 ; 14.2) ; et il subsista dans l’Église aussi longtemps que Dieu le jugea nécessaire pour la conversion des païens et l’affermissernent des fidèles. Saint Irénée témoigne que de son temps il subsistait encore dans l’Église.

Les rabbins enseignent que les juges du sanhédrin devaient savoir plusieurs langues. Quelques-uns en étendent le nombre jusqu’à soixante et dix, présumant qu’il n’y a que ce nombre de langues dans le monde. Il aurait été honteux d’employer des truchements devant ce fameux tribunal. Chacun pouvait s’y présenter pour accuser ou pour se défendre, sans crainte de rencontrer des juges qui n’entendissent pas son langage. C’est ce que prétendent les docteurs juifs ; mais Josèphe nous apprend que les Juifs ne faisaient que très-peu de cas de l’étude des langues, parce qu’ils la regardaient comme une chose commune aux esclaves et aux hommes libres, et que chacun peut acquérir, s’il veut, par son travail. Ils ne donnent leur estime qu’à ceux qui étudient la loi et les saintes lettres, et qui en ont une connaissance assez étendue et assez profonde pour pouvoir les interpréter aux autres ; ce qui est un avantage qui arrive à, très-peu de personnes.

On cite un Juif, fils de Duma, qui, consultant un de ses maîtres sur l’étude des langues étrangères, reçut pour réponse qu’il fallait méditer la Loi de Dieu nuit et jour. Si vous trouvez, disait ce maître, une heure qui ne soit ni du, jour ni de la nuit, vous pouvez laisser la Loi et étudier le grec. On raconte aussi que, Jérusalem étant assiégée par un roi des Asmonéens, on descendait tous les jours dans, une corbeille l’argent nécessaire pour acheter les agneaux du sacrifice de tous les jours, et qu’on renvoyait ces agneaux dans la même corbeille. Mais un homme qui parlait grec ayant appris aux assiègeants que tout le temps qu’on offrirait le sacrifice la ville ne pourrait être prise, on envoya un pourceau au lieu des victimes ordinaires, et depuis ce temps on maudit celui qui parlait grec.

Langue des Anges

Saint Paul dit que quand, il parlerait les langues des anges et des hommes, s’il n’a pas la charité, tout cela ne lui servira de rien (1 Corinthiens 13.1). Quelques anciens ont cru que les anges avaient un langage sensible, fondés sur ce que l’Écriture dit qu’ils parlent à Dieu et qu’ils se parlent entre eux. D’autres ont prétendu qu’ils se servaient entre eux de la langue hébraïque, comme de la plus courte et de la plus expressive de toutes les langues. Un rabbin, nommé Sochanan, se vantait de savoir la langue des anges et des démons, parce qu’il exorcisait les uns et conjurait les autres.

Mais ces sentiments sont aujourd’hui rejetés de tout le monde. On convient que les anges n’ont point de langue sensible, ni commune ni particulière. S’ils parlent à Dieu ; s’ils se parlent entre eux, c’est par une opération de leur esprit et de leur volonté, par laquelle ils se communiquent réciproquement leurs pensées. Les âmes et les esprits se parlent par leurs désirs, dit Saint Grégoire le Grand.

Lors donc que saint Paul a dit que quand il parlerait le langage des hommes et des anges il ne serait rien sans la charité, il a voulu user d’une hyperbole semblable à celle par laquelle nous disons tous les jours une beauté divine, une voix angélique, etc. Je veux qu’on estime le don des langues autant qu’il est estimable, dit saint Paul ; mais quand un homme aurait toute l’éloquence imaginable, parlât-il aussi bien que les anges mêmes, ce don si précieux ne lui servirait de rien pour le salut, sans la charité.

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