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Il n’est pas de peuple qui n’ait eu un genre de poésie destiné à peindre la douleur, et uniquement réservé à la plainte. Les Grecs l’ont appelé élégie ; les Hébreux l’avaient désigné par les mots kina et nehi, qui signifient, l’un comme l’autre, lamentation ou complainte.
On donne [en particulier) le nom de Lamentations à un poëme lugubre que Jérémie composa à l’occasion de la mort du pieux roi Josias, et qui fut longtemps dans la bouche de tous les chantres et des chanteuses d’Israël (2 Chroniques 35.23). On croit que ce fameux poëme est perdu ; mais il nous en reste un autre du même prophète, composé sur la ruine de Jérusalem par Nabuchodonosor. On en voit les preuves dans tous les chapitres des Lamentations. La préface, qui est très-ancienne, le marque expressément ; Jérémie parle partout de Jérusalem et du temple comme de choses détruites, désolées, profanées ; l’auteur de l’Ecclésiastique (Ecclésiaste 29.8) dit qu’après la prise de Jérusalem, les ennemis rendirent désertes les voies qui mènent à Jérusalem, faisant allusion à ce passage des Lamentations (Lamentations 1.4)
Dans les deux premiers chapitres des Lamentations, Jérémie est principalement occupé à faire la description des incommodités du siège de Jérusalem. Dans le troisième, il déplore les persécutions que lui-même a souffertes. Le quatrième roule sur la ruine et sur la désolation de la ville et du temple, et sur la disgrâce du roi Sédécias. Voici comme il parle de ce prince infortuné (Lamentations 5.20) : L’Oint du Seigneur, que nous aimions comme notre vie, qui nous était aussi cher que nous mêmes, a été pris pour nos iniquités : ce prince si bon, à qui nous avions dit : Nous vivons sous votre ombre au milieu des nations. Le cinquième chapitre est une espèce de formule de prières pour les Juifs dans leur dispersion et dans leur captivité. Tout à la fin il parle de la cruauté des Iduméens, qui avaient insulté au malheur de Jérusalem, et qui avaient contribué à sa démolition, et il les menace de la colère du Seigneur. Ce dernier chapitre fut écrit apparemment après les autres, puisqu’il suppose que le temple était tellement ruiné, qu’il servait de retraite aux renards, et que le peuple était déjà en captivité.
Les quatre premiers chapitres des Lamentations sont en vers acrostiches et abécédaires, chaque verset ou chaque couplet commençant par une des lettres de l’alphabet hébreu, rangées selon son ordre alphabétique. Le premier et le second chapitre contiennent vingt-deux versets, suivant le nombre des lettres de l’alphabet. Le troisième chapitre a trois versets de suite qui commencent par la même lettre ; il a en tout soixante-six versets. Le quatrième chapitre est semblable aux deux premiers, et n’a que vingt-deux versets ; le cinquième n’est pas acrostiche.
Il y a une chose particulière dans les chapitres second, troisième et quatrième : c’est que la lettre Pe y est mise devant l’Aïn ; au lieu que, dans le chapitre premier et dans tous les psaumes acrostiches et abécédaires, l’Aïn précède toujours le Pe. On ignore la raison de ce dérangement. Les copistes ont quelquefois voulu réparer ce prétendu défaut ; mais la suite du discours demande qu’on laisse les choses comme elles sont.
Les Hébreux donnent au livre des Lamentations le nom d’Echa, du premier mot du texte ; ou Kinnoth, c’est-à-dire, Lamentations. Les Grecs les appellent Arènes, qui signifie la même chose en leur langue. Le style des Lamentations de Jérémie est vif, tendre, pathétique, touchant. C’était le talent particulier de ce prophète q ue d’écrire des choses tristes et touchantes. Il n’y eut jamais de sujet plus dignes de larmes, ni écrit dans des sentiments plus affectifs et plus tendres.
Les Hébreux avaient accoutumé de faire des lamentations ou des cantiques lugubres à la mort des grands hommes, des princes, des héros qui s’étaient distingués dans les armes, et même à l’occasion des malheurs et des calamités publiques. Ils avaient même des recueils de ces sortes de lamentations, comme il paraît par les Paralipomènes (2 Chroniques 35.25) : Ecce scriptum fertur in Lamentationibus. Nous avons encore celles que David composa à la mort d’Abner et de Jonathas. Les prophètes Isaïe (Isaïe 14.4-5, Isaïe 15 Isaïe 16), Jérémie (Jérémie 7.29 ; 9.10 ; 48.32) et Ézéchiel (Ézéchiel 9.17), après avoir prédit la désolation de l’Égypte, de Tyr, de Sidon et de Babylone, ont fait des lamentations sur la chute de ces villes ou de ces États. Il semble par Jérémie (Jérémie 9.17) qu’ils avaient des pleureuses à gage. Vocale lamentatrices et veniant, et ad eas quoe sapientes sunt, mittite, et properent : festinent et assumant super nos lamenturn, etc.