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Josué
Dictionnaire encyclopédique de la Bible de Augustin Calmet
Westphal

Josué (1)

Fils de Nun, nommé par les Grecs, Jésus, fils de Navé, était de la tribu d’Éphraïm. Il naquit l’an du monde 2460, avant Jésus-Christ 1540, avant l’ère vulgaire 1544. Il s’attacha au service de Moïse, et l’Écriture lui donne d’ordinaire le surnom de serviteur de Moïse (Exode 24.13 ; 33 ; Deutéronome 1.38). Son premier nom était Osée, et on le trouve sous ce nom dans les (Nombres 13.9-17). On croit que Moïse lui changea son nom, en y ajoutant le nom de Dieu. Hoseah signifie Sauveur ; Jéhosua, le salut de Dieu, ou il sauvera. Sa qualité de serviteur de Moïse n’est point une tache ou un déshonneur à sa mémoire. C’est au contraire un des plus grands honneurs qu’il ait pu recevoir, et une marque de distinction très-particulière de la part de Moïse, de l’avoir choisi pour son ministre. Dans les temps héroïques, les grands hommes avaient ainsi des serviteurs, qui étaient des gens d’une valeur reconnue et d’une grande qualité. Ainsi, dans Homère, Patrocle était serviteur d’Achille, et Mérione serviteur d’Idoméné. Or Patrocle et Mérione étaient deux princes grecs très considérés dans l’armée qui était devant Troie. Élisée était serviteur d’Élie et lui versait de l’eau sur les mains (2 Rois 3.11) ; cela n’empêchait pas qu’il ne fût un grand prophète.

La première occasion où Josué eut lieu de signaler sa valeur fut dans la guerre qu’il fit par ordre du Seigneur aux Amalécites (Exode 17.9-10). Il les battit, et mit en fuite toute leur armée. Dieu ordonna ensuite à Moïse d’écrire cet événement et d’avertir Josué qu’il avait résolu d’exterminer Amalec de dessous le ciel. Lorsque Moïse monta sur la montagne de Sinaï, pour y recevoir la loi du Seigneur, et qu’il y demeura quarante jours et quarante nuits sans boire ni manger, Josué y demeura avec lui, quoique non pas apparemment au même lieu, ni dans la même abstinence (Exode 24.13), et lorsque Moïse, descendit de la montagne (Exode 32.17), Josué entendit d’abord le bruit du peuple qui jouait et qui dansait autour du veau d’or. Il crut que c’était le cri d’un combat ; mais Moïse reconnut bientôt ce que c’était, il savait que le peuple était tombé dans l’idolâtrie.

Josué était fort assidu au tabernacle de l’assemblée (Exode 33.12) ; c’est lui qui le gardait, et qui en avait soin ; il semble même qu’il y faisait sa demeure, ou qu’il demeurait tout auprès. Un jour, ayant remarqué dans le camp deux personnes qui prophétisaient (Nombres 11.28-29), sans que Moïse leur eût imposé les mains, il en avertit Moïse, et il lui dit de les empêcher. Mais le saint législateur lui répondit : Pourquoi avez-vous de la jalousie pour moi ? Plût à Dieu que tous prophétisassent.

Lorsque le peuple fut arrivé à Cadès-Barné (An du monde 2514, Avant Jésus-Christ 1486, de l’ère vulgaire 1490), Josué fut député avec douze autres hommes, pour considérer le pays de Chanaan (Nombres 13.17). Et lorsque ces députés furent de retour, et qu’ils eurent exagéré la difficulté de faire la conquête de ce pays, Josué et Caleb soutinrent que la chose n’était nullement difficile, si le Seigneur était avec eux. Ce qui fut cause que Dieu jura la mort de tous les murmurateurs, et qu’il les exclut tous de la terre promise ; mais en même temps il promit à Josué et à Caleb qu’ils y entreraient, et la partageraient aux douze tribus.

Moïse, étant près de sa fin (Nombres 27.18), pria le Seigneur de désigner celui qui lui devait succéder dans le gouvernement du peuple ; et Dieu lui ordonna d’imposer les mains sur Josué, de lui communiquer une partie de son esprit et de sa gloire, afin que le peuple l’écoutât et lui obéit. Après la mort de Moïse, il prit le commandement des Israélites ; et Dieu le favorisa dans toutes les occasions. Il envoya d’abord des espions, pour considérer la ville de Jéricho (Josué 2), et dès qu’ils furent de retour, et qu’ils lui eurent appris l’état de la ville, et la consternation des chananéens, il fit passer le Jourdain à toute l’armée d’Israël. Les prêtres marchèrent à la tête du peuple, avec l’arche d’alliance (Josué 3.12-13) ; et dès qu’ils eurent mis les pieds dans le fleuve, les eaux qui venaient d’en haut s’arrêtèrent comme une montagne, et celles d’en bas s’écoulèrent dans la mer Morte ; en sorte que le fleuve demeura à sec dans une étendue d’environ deux lieues. Les prêtres demeurèrent au milieu du lit du Jourdain, jusqu’à ce que le peuple fût passé ; et Josué fit prendre douze pierres du milieu du fleuve, qu’il fit mettre à Galgala, et en fit aussi ériger douze au milieu du Jourdain, afin que les unes ou les autres servissent de monument du miracle qui venait d’arriver [« Cette région dans laquelle les Israélites venaient d’entrer après avoir passé le Jourdain, dit M. Poujoulat, renfermait des places fortes et des populations belliqueuses ; les douze envoyés de Moïse y avaient vu, disaient-ils, de nombreux habitants, des hommes d’une plus haute taille que les Hébreux, des villes dont les murailles et les tours touchaient au ciel. Ces peuplades indigènes ou venues à la suite d’émigrations plus ou mois anciennes, étaient les Ammonites, les Madianites, les Moabites, les Amalécites, les Amorrhéens, les Philistins, les Héthéens, etc., etc. Les Hébreux se présentaient comme leur ennemi à tous ; la guerre allait commencer, guerre terrible, guerre d’extermination. Que de combats ! quelle mer de sang sortira des glaives des Israélites ! Le regard se détourne avec effroi de ces massacres se renouvelant sans cesse, et comme ils s’accomplissent au nom de Jéhovah, nous devons faire dès ce moment une observation qui trouvera de fréquentes applications dans le cours de cette histoire.

En voyant le sang couler comme l’eau sous l’épée des Hébreux, et les vainqueurs multiplier, sous les formes les plus barbares, les images de la mort ; en voyant la compassion ou la lassitude du glaive parfois punie, ainsi qu’une violation des ordres divins, il faut se ressouvenir qu’il n’y avait aucune alliance, aucune transaction possible entre les Hébreux et les peuples de ce pays. Le Seigneur avait interdit toute amitié, tout rapprochement avec les habitants de la terre de Chanaan, et avait ordonné de les tuer sans miséricorde, de renverser leurs autels, leurs images, leurs bois sacrés : « Si vous ne les faisiez pas mourir, disait le Seigneur, ceux qui resteraient seraient comme des clous dans vos yeux, comme des lances dans vos flancs. » La pensée de Moïse était l’établissement du dogme de l’unité de Dieu ; toute relation pacifique avec les nations idolâtres devenait dangereuse pour le peuple hébreu, poursuivi par les souvenirs de la mythologie égyptienne ; la guerre était nécessaire ; la triple barrière des mœurs, des intérêts et de la religion, séparant éternellement les Israélites et les vingt nations qu’ils avaient à combattre, la lutte ne pouvait se terminer que par l’abaissement absolu de l’une des parties belligérantes : le champ de bataille devait rester aux indigènes ou aux Hébreux venus des bords du Nil : il n’y avait pas de milieu politique à espérer.

Un fait dut contribuer à rendre moins difficile l’entrée des Hébreux dans ce pays, ce fut l’émigration d’une multitude de chananéens. À l’approche de la nation qui avait miraculeusement traversé la mer Rouge en laissant derrière elle, ensevelis sous les flots, les bataillons égyptiens, et qui avait triomphé de plusieurs peuples belliqueux de l’Arabie, les chananéens, menacés de cette invasion, furent saisis d’effroi : un grand nombre s’en alla aux pays d’Afrique et de Grèce, dont les chemins leur étaient connus par le commerce. Le Seigneur, en divers passages de l’Écriture, avait annoncé aux Juifs la dispersion de leurs ennemis. Un curieux monument de cette dispersion se voyait au sixième siècle dans la Mauritanie Tingitane ; deux colonnes de pierre blanche portaient une inscription phénicienne dont voici le sens : « Nous sommes ceux qui avons pris la fuite devant le brigand Jésus, fils de Navé, » c’est-à-dire fils de Nun. C’est Procope qui parle de ces deux colonnes ; on a voulu contester son assertion, mais on n’a apporté contre elle que des dénégations purement gratuites. » Poujoulat, Histoire de Jérusalem chapitre 2 tome 1, page 3446.

Peu de jours après le passage du Jourdain, Josué fit prendre la circoncision (Josué 5.1-3) à tous ceux qui étaient nés dans le désert, et qui, à cause des fréquents changements de lieu, n’avaient pu la recevoir depuis la sortie d’Égypte. Après cela, on célébra la fête de Pâque (Josué 5.10-12), le 14 du mois de nisan, de l’an du monde 2553. Alors ils commencèrent à manger des épis et du grain nouveau de la terre de Chanaan, comme pour se mettre en possession de ce pays ; et la manne qui les avait nourris jusqu’alors cessa de tomber. Or Josué, étant dans le territoire de Jéricho (Josué 5.13-15), vit devant lui un homme qui était debout, et qui tenait une épée nue. Il alla à lui et lui dit : Etes-vous des nôtres ou des ennemis ? L’homme répondit : Je suis le prince de l’armée du Seigneur, et je viens ici maintenant à votre secours. Josué se prosterna le visage contre terre, et l’ange lui dit : Otez vos souliers, parce gue le lieu où tous êtes est saint.

Peu de jours après, il reçut l’ordre du Seigneur d’assièger Jéricho (Josué 6.1-3). Il y en a même qui croient, avec assez de raison, que l’on fit ce siège pendant les sept jours de la Pâque. Les six premiers jours, toute l’armée d’Israël, ayant les prêtres avec l’arche à leur tête, firent le tour de la ville, sans rien dire, une fois par jour. Le septième jour, ils firent sept fois le tour de la ville ; et au septième jour, les prêtres ayant commencé à sonner des trompettes sacrées, tout le peuple jeta un grand cri, et les murailles de la ville furent renversées, en sorte que chacun entra par l’endroit qui était vis-à-vis de lui. On mit tout à feu et à sang, sans épargner ni hommes ni animaux. On réserva seulement les métaux, pour être consacrés au Seigneur ; Rahab avec sa famille fut aussi épargnée, parce qu’elle avait sauvé les espions envoyés par Josué. Voyez Rahab. Josué fit alors cette imprécation contre Jéricho : Maudit soit l’homme qui rebâtira Jéricho. Que son premier-né meure, lorsqu’il en jettera les fondements ; et qu’il perde le dernier de ses enfants, lorsqu’il en mettra les portes. On vit l’accomplissement de cette prophétie plusieurs siècles après. Voyez ci-devant Hiel, et Jéricho.

Ensuite Josué envoya trois mille hommes contre Haï : mais cette petite armée fut repoussée avec perte de trente-six hommes. Cet échec abattit le cœur des Israélites. Josué s’en plaignit au Seigneur : mais le Seigneur lui dit qu’Israël avait violé l’anathème prononcé contre Jéricho, et que le peuple ne pourrait tenir contre ses ennemis (Josué 7.1-3), tant que ce crime ne serait pas expié. On assembla le peuple, on tira au sort, et le sort tomba sur Achan, fils de Charmi. Achan avoua sa faute. On courut chercher dans sa tente une règle ou un lingot d’or, qu’il y avait caché, avec un manteau d’écarlate, et deux cents sicles d’argent. On le lapida avec tous les siens, et on brûla tout ce qui était à lui. Voyez l’article d’Achan. Après cela, Josué se rendit aisément maitre de Haï. La ville fut pillée, puis brûlée ; tous ses habitants furent mis à mort, et son roi attaché à une poteau, où il demeura jusqu’au soir.

Dieu avait ordonné qu’après le passage du Jourdain on lui érigeât un autel sur le mont Hébal (Deutéronome 27.4-5). Josué, en exécution de cet ordre, après la prise do Jéricho et de Haï, conduisit le peuple aux monts Hébal et Garizim (Josué 8.3), où il fit prononcer les bénédictions et les malédictions marquées dans Moïse, et ériger un autel de pierres brutes, qu’il fit enduire de chaux, sur lequel il fit écrire le Deutéronome de la loi du Seigneur ; c’est-à-dire, ou le Décalogue, qui comprend le précis de la loi, ou les bénédictions et les malédictions marquées dans Moïse (Deutéronome 27.5-10), ou le précis du Deutéronome. Le terme hébreu que l’on a traduit par Deutéronome, signifie la copie, ou le double de la Loi. On offrit sur cet autel des holocaustes, et le peuple s’en retourna à Galgal, qui fut pendant quelques années le campement de tout le peuple. Eusèbe et saint Jérôme ont placé Hébal dans la plaine de Jéricho : mais il est certainement près de la ville de Sichem.

Vers le même temps, les Gabaonites vinrent faire alliance avec Josué (Josué 9), feignant qu’ils étaient venus de fort loin, et qu’ils n’étaient point du nombre des peuples chananéens dévoués à l’anathème. Josué et les anciens d’Israël les reçurent, et firent alliance avec eux, sans consulter le Seigneur. Mais trois jours après, ils apprirent qu’ils étaient chananéens, et qu’ils habitaient dans les villes de Gabaon, de Caphira, de Béroth et de Cariathïarim. Le peuple murmura contre les princes ; et il fut résolu qu’on leur conserverait la vie, puisqu’on la leur avait promise au nom du Soigneur ; mais qu’ils seraient condamnés à couper le bois et à porter l’eau pour le service de tout le peuple.

Alors Adonibésech, roi de Jérusalem, voyant que les Gabaonites s’étaient ainsi livrés aux Hébreux sans combat, se ligua avec quatre autres rois chananéens (Josué 10.1-4), et alla attaquer Gabaon. Mais Josué, en ayant été informé, marcha toute la nuit, et vint dès le matin attaquer si brusquement les cinq rois ligués, qu’il les mit en fuite, et en tailla en pièces un grand nombre. Et comme les ennemis fuyaient dans la descente de Béthoron, le Seigneur fit pleuvoir sur eux, jusqu’à Azéca, une grêle de grosses pierres, qui en tua un très-grand nombre. Alors Josué dit : Soleil, arrête-toi vis-à-vis de Gabaon ; lune, n’avance pas contre la vallée d’Aialon. Et le soleil et la lune s’arrêtèrent, jusqu’à ce que le peuple du Seigneur se fût vengé de ses ennemis. Nous avons fait des dissertations particulières sur cette pluie de pierres, et sur l’arrêt du soleil et de la lune, que l’on peut consulter à la tête de notre Commentaire sur Josué. [Voyez Aialon].

Les cinq rois s’étant sauvés dans une caverne près de Macéda, Josué fit rouler de grosses pierres à l’entrée de la caverne, en attendant que l’armée eût entièrement dissipé les ennemis. Sur le soir l’armée revint à Macéda. Josué tua ces cinq rois, et fit pendre leurs cadavres à des potences, où ils demeurèrent jusqu’au soir. Josué, profitant du trouble où étaient les chananéens, attaqua et prit plusieurs villes de leur pays, comme Macéda, Lebna, Lachis, Héglon, Hébron, y mit le feu, tua leurs rois, et fit passer au fil de l’épée tout ce qu’il y trouva de vivant. Il saccagea tout le pays depuis Cades-Barné jusqu’à Gaza, et tout le pays de Gozen jusqu’à Gabaon, c’est-à-dire toute la partie méridionale de la Palestine. Enfin il revint avec toute l’armée à Galgal.

L’année suivante le roi d’Asor, qui demeurait au-dessus du lac de Séméchon, dans la Galilée, se ligua avec plusieurs rois de Chanaan (Josué 11.1-3), pour essayer d’opprimer les Israélites par leur grand nombre. Ils s’assemblèrent aux eaux de Mérom, au midi du mont Carmel. Alors Josué marcha contra eux, et les ayant chargés à l’improviste, les défit et les poursuivit jusqu’à la grande Sidon, jusqu’aux eaux de Maséréphot, et jusqu’à Maspha, vers l’orient ; Les Hébreux tuèrent tout ce qui tomba sous leur main ; ils coupèrent les jarrets à leurs chevaux, et brûlèrent tous leurs chariots, comme le Seigneur l’avait commandé. De là Josué revint à Asor, la prit, la brûla, et en tua le roi et tous les habitants. Il prit et ruina de même toutes les villes d’alentour, et fit mourir leurs rois. Tout cela ne se fit pas en un jour, ni même en un an : il fallut quelques années pour réduire à l’obéissance tout le pays, car il fut obligé de faire la guerre à tous ces rois, nul ne s’étant rendu sans combat.

Ce ne fut donc que vers la sixième année depuis l’entrée des Israélites dans la terre de Chanaan, que l’on commença à partager les terres conquises (Josué 13). Caleb demanda d’abord qu’on lui assignât son partage dans les montagnes de Juda, et à Hébron, ainsi que le Seigneur l’avait ordonné ; et on lui accorda ce qu’il demandait. Voyez Caleb. Après cela on partagea par le sort à chaque tribu le terrain qui lui convenait ; premièrement à Juda, puis à Éphraïm et à la demi-tribu de Manassé, qui n’avait point encore eu son partage ; car l’autre moitié de cette tribu avait eu son lot au delà du Jourdain.

Après cela, le peuple s’assembla à Silo (Josué 18), pour faire le partage de ce qui devait être donné aux autres tribus. Josué envoya des arpenteurs dans tout le pays ; et après leur retour on tira au sort, et ou assigna les lots aux tribus de Benjamin, de Siméon, de Zabulon, d’Issachar, d’Aser, de Nephtali et de Dan. Et enfin on donna à Josué pour sa part Tamnat-Saraa, dans les montagnes d’Éphraïm. Puis on assigna six villes de refuge, pour ceux qui avaient cormmis un meurtre casuel et involontaire (Josué 20-21), et quarante-six villes pour la demeure des prêtres et des lévites. Enfin les tribus de Ruben et de Gad et la demi-tribu de Manassé, ayant satisfait à leurs promesses, et ayant aidé leurs frères à faire la conquête du pays de Chanaan, s’en retournèrent au delà du Jourdain, où Moïse leur avait assigné leur lot. Mais étant arrivées sur le bord du Jourdain, elles y érigèrent un monument pour servir de mémoire aux races à venir, qu’elles n’étaient qu’un même peuple avec les autres tribus de deçà le fleuve (Josué 21). Josué, ayant été informé de cette entreprise, et craignant que ce ne fût un monument ou un autel idolâtre et contraire au culte du Seigneur, envoya leur demander ce qu’elles avaient voulu faire par cet autel. Mais les tribus de Ruben, de Gad et de Manassé ayant déclaré aux députés leur véritable intention, ils s’en retournèrent en paix vers Josué.

Ce grand homme, se voyant près de sa fin, fit venir toutes les tribus d’Israël à Sichem, et y fit apporter l’arche d’alliance. Là, après avoir représenté aux Israélites les faveurs qu’ils avaient reçues de Dieu, et les avoir exhortés à demeurer fidèles au Seigneur (Josué 23, 24), il fit alliance de la part du Seigneur avec le peuple, et le peuple réciproquement s’engagea a servir le Seigneur et à lui obéir en toutes choses. Josué en rédigea l’acte, qu’il écrivit dans le livre de la Loi du Seigneur ; et pour en conserver la mémoire, il en érigea un monument, par une très-grosse pierre qu’il mit sous le chêne qui était près de Sichem. Après cela il mourut, âgé de cent dix ans, l’an du monde 2570, avant Jésus-Christ 1430. avant l’ère vulgaire 1434. Le Saint-Esprit a fait son éloge par la plume de Jésus, fils de Sirach, en ces termes (Ecclésiaste 46.1-2) : « Jésus, fils de Navé, s’est distingué par sa valeur dans la guerre. Il a succédé à Moïse dans l’esprit de prophétie. Il a été grand, selon le nom qu’il portait (Il a parfaitement rempli le nom de Sauveur qu’il portait). Il a été très-grand, pour sauver les élus de Dieu, pour renverser ceux qui s’élevaient contre lui, et pour faire la conquête du pays qui devait être l’héritage d’Israël. Combien s’est-il acquis de gloire, lorsqu’il tenait les mains élevées, et qu’il lançait son dard contre les villes ? (Josué 8.18) Où est l’armée qui ait tenu en sa présence ? Car le Seigneur lui menait en quelque sorte les ennemis pour les vaincre. N’a-t-il pas arrêté le soleil dans le transport de sa colère, lorsqu’un jour devint plus grand que deux ? Il invoqua le Très-Haut, dans le temps qu’il se vit environné par les ennemis de toutes parts. Le Tout-Puissant l’écouta, et fit fondre sur les chananéens une grêle de grosses pierres. Il les tailla en pièces à la descente de la vallée, afin que les nations connussent la puissance du Seigneur, et qu’elles apprissent qu’il n’est pas aisé de combattre contre Dieu. Enfin Josué a toujours suivi le Tout-Puissant. »

Le livre qui porte le nom de Josué est ordinairement attribué à ce grand homme. Il est dit dans le dernier chapitre, verset 25 ; que Josué écrivit toutes ces choses. Jésus, fils de Sirach, dit qu’il succéda à Moïse dans le ministère de la prophétie. Enfin la Synagogue et l’Église sont d’accord à lui attribuer cet ouvrage et à le reconnaître pour canonique. Il faut toutefois avouer qu’il y a certains termes, certains noms de lieux, et certaines circonstances d’histoire, qui ne conviennent pas au temps de Josué, et qui font juger que le livre a été retouché depuis lui, et que les copistes y ont fait quelques additions et quelques corrections. Mais il y a peu de livres dans l’Écriture où l’on ne remarque de pareilles choses. On peut consulter notre préface sur Josué et les auteurs qui ont écrit des prolégomènes sur les livres saints.

Les Samaritains ont un livre de Josué qu’ils conservent avec respect, et dont ils se servent pour fonder leurs prétentions contre les Juifs ; mais ce livre est bien différent de celui que les Juifs et les chrétiens tiennent pour canonique. Ce livre contient quarante-sept chapitres, remplis d’une infinité de fables et de puérilités. Il commence à l’endroit où Moïse choisit Josué pour lui succéder dans le gouvernement du peuple. Il rapporte l’histoire du devin Balaam, qui fut appelé pour dévouer les Israélites à l’anathème. Il parle de la guerre de Moïse contre les Madianites, de ce qui y donna occasion, de la mort de Balaam, de la mort de Moïse, du deuil que l’on fit pour lui. Il rapporte fort au long le passage du Jourdain, la prise de Jéricho, et ajoute grand nombre de merveilles qui ne sont pas dans le vrai livre de Josué. Il décrit une guerre de Saubec, fils d’Héman, roi de Perse, accompagnée de mille circonstances fabuleuses.

Après la mort de Josué, ce livre lui donne pour successeur Terfico, de la tribu d’Éphraïm. L’auteur comprend dans son histoire ce qui concerne les juges, les rois de Juda, Jaddus et Alexandre le Grand, le siège de Jérusalem par Adrien. Il finit par ce qui regarde Nathanaël, et ses fils Babarraba, Alibare et Phinées. Ce livre n’est point imprimé. Joseph Scaliger, à qui il appartenait, le légua à la bibliothèque de Leyde, où il est encore à présent en caractères samaritains, mais en langue arabe, et traduit sur l’hébreu.

Les Juifs attribuent à Josué une prière qu’ils récitent ou tout entière, ou en partie, lorsqu’ils sortent de leurs synagogues. Elle commence ainsi : C’est à nous qu’il appartient de louer le Seigneur de l’univers, et de célébrer le Créateur du monde ; puisqu’il ne nous a pas faits semblables aux nations de la terre, et qu’il nous a préparé un héritage infiniment plus riche et plus grand, etc. Ils attribuent aussi à Josué dix règlements, qui devaient s’observer dans la terre promise. Le premier est, qu’il est permis de faire paître le menu bétail dans les forêts dont les arbres sont grands ; mais non pas le gros bétail. Le second, qu’il est permis à tous les Israélites de ramasser dans le champ d’un autre de menus morceaux de bois, et qui passent pour des épines, pourvu toutefois qu’ils les trouvent par terre, et qu’ils ne les coupent point. Les autres règlements sont à-peu-près de même nature. On ne lit nulle part que Josué ait été marié, ni qu’il ait eu des enfants. Après sa mort, les anciens d’Israël gouvernèrent le peuple. C’était une espèce d’aristocratie. Mais on ne sait s’il y avait parmi eux quelqu’un qui tint le premier rang, ni qui il était. Ou croit toutefois qu’Othoniel eut la principale part au gouvernement pendant ce temps-là.

Les mahométans croient que Josué fut envoyé de Dieu pour combattre les géants qui possédaient la ville et le pays d’Ariha, ou de Jéricho. Il leur livra la bataille un vendredi au soir ; et comme la nuit s’approchait, et qu’il ne pouvait combattre le jour du sabbat, il pria le Seigneur de prolonger la journée pour lui donner assez de temps pour les défaire. Sa prière fut exaucée, et le soleil demeura une heure et demie sur l’horizon plus qu’il n’aurait fait. C’est un des motifs qui ont obligé les musulmans à choisir ce jour préférablement au samedi pour en faire leur jour de fête. Ils ajoutent que Josué chassa les Philistins, où plutôt les chananéens, de leur pays, et qu’il les obligea de se retirer en Afrique [L’histoire de Josué, à laquelle on a mêlé d’autres faits bibliques, a fourni aux poètes la fable de Jason et des Argonautes. Jason n’est que le nom de Josué grécisé. Delort de Lavaur a établi admirablement le rapport qui existe entre cette histoire et cette fable ; c’est la plus riche partie de son livre, et, plutôt que de la morceler, nous avons préféré la donner tout entière ici, où l’on trouvera les matières que nous avons indiquées par des renvois dans une foule d’articles. Pour faciliter les recherches, nous avons divisé en paragraphes et fait précéder d’un sommaire la dissertation de Delort de Lavaur.

I. Critias (dans un dialogue de Platon), redisant ce que Solon avait raconté à son aïeul des belles connaissances et des plus anciennes histoires du monde, enseigne que les prêtres égyptiens, de qui Solon les avait apprises, avouaient les tenir par tradition de leurs ancêtres, qui les avaient reçues de ceux qui étaient instruits de l’origine et des premières histoires de l’univers. Il dit que les premiers hommes et leurs enfants, occupés de la recherche des choses nécessaires et du défaut des commodités de la vie, n’avaient eu ni le soin, ni le loisir de conserver par des histoires ou par d’autres monuments étendus et réglés, la mémoire exacte et fidèle de ce qui s’était passé de considérable. Ils avaient seulement sauvé de l’oubli, par des traditions confuses, quelques faits éclatants et des lambeaux des aventures les plus remarquables, avec quelques noms de personnages illustres. C’est ce qui s’était conservé dans leur postérité : ces noms et un souvenir confus ou des restes altérés des faits les plus célèbres des premiers temps. Aussi Solon se souvenait que dans le récit des plus anciennes histoires ces prêtres nommaient plusieurs personnages des mêmes noms qu’on n’avait connus dans la Grèce que par ceux qui les avaient portés depuis.

II. Solon remarquait encore que les premiers Égyptiens, qui avaient écrit ces histoires, et qui les avaient prises d’un autre peuple et d’une langue différente de la leur, avaient transporté et traduit en leur langue ces mêmes noms en d’autres à-peu-près du même sens, comme Solon leur avait aussi conservé dans la langue grecque la même signification qu’ils avaient dans les langues d’où il les avait tirés. Hérodote, dans son second livre, nous apprend que cette observation des noms et de leur signification était même un point de religion pour les Grecs, à qui l’oracle de Dodone avait ordonné d’employer pour les dieux de leur théologie et pour ce qui y avait du rapport les mêmes noms qu’ils avaient reçus des Égyptiens et de toutes ces nations qu’ils appelaient barbares. Josèphe, dans son Histoire des Juifs, livre 1 chapitre 5 rapporte que quelques-uns de ces premiers noms s’étaient conservés chez les nations, et que d’autres y avaient été changés, principalement chez les Grecs, qui avaient voulu abolir dans la suite les anciens noms qui leur paraissaient barbares, pour leur en substituer d’autres en leur langue, en leur conservant néanmoins la signification des anciens.

III. Ainsi les Grecs, si curieux, dont les savants allaient puiser dans de longs voyages en Égypte les connaissances de l’antiquité des premiers temps, et qui regardaient les bibliothèques des anciens écrits, recherchés et ramassés de toutes parts, comme un des plus précieux ornements de leur pays, avaient composé leurs premières et leurs merveilleuses histoires fabuleuses, des histoires les plus éclatantes des Hébreux, qu’une tradition défigurée avait fait passer dans la Grèce, des Égyptiens et des Phéniciens chassés de leur pays par les Hébreux. De ce nombre étaient particulièrement les aventures mémorables de Moïse, de Josué, et du peuple hébreu sous leur conduite, dans la sortie de l’Égypte, dans le long voyage du désert, et dans la conquête de la Palestine. Démétrius, dans Eusèbe, raconte au roi Ptolémée Philadelphe que des orateurs grecs avaient travaillé à travestir en leur langue quelques endroits de l’Écriture des Juifs, et qu’un poète tragique de sa connaissance, nommé Théodote, avait voulu accommoder quelques aventures de la même Écriture à une fable de ses tragédies ; mais qu’il n’avait pu la finir, et qu’il avait été obligé de la laisser imparfaite. L’économie de la longue suite des aventures de Moïse et de Josué ; avec l’imitation des noms, fut rapportée et conservée dans la plus ancienne expédition fabuleuse célébrée par les Grecs, qui est celle de la Toison d’or, par laquelle ils ont voulu immortaliser leurs premiers héros sous le nom d’Argonautes. Ces aventures avaient passé dans la Grèce, comme nous l’avons dit : premièrement, de l’Égypte par Orphée, et depuis de la Phénicie par Cadmus et par ceux de sa suite ; car après que Josué se fut rendu maître de la Palestine, Cadmus, avec une troupe de Phéniciens ou chananéens, fuyant Josué et les Israélites, se sauva en Grèce dans la Béotie, et y apporta les histoires de Moïse et de Josué, fort défigurées, telles qu’elles étaient répandues dans leur pays.

IV. Saint Augustin dit aussi que c’est au temps que les Hébreux étaient gouvernés par des juges, après Josué, que la fable de Phrixus et de Hellé (qui est le commencement de celle des Argonautes) est rapportée par les Grecs, avec plusieurs autres de leurs fables. Hésiode en fait mention sur la fin de sa Théogonie, environ mille ans avant Jésus-Christ. Epiménide de Crète, établi à Athènes vers la 47e olympiade, avait décrit cette expédition des Argonautes sous la conduite de Jason, en six mille cinq cents vers (cousine Diogène Laéree nous l’apprend en la Vie de ce philosophe), du temps de Solon, environ 596 ans avant Jésus-Christ. Nous en avons encore, sous le nom d’Orphée, le reste d’un poème d’un autre Orphée de Crotone, ou d’Onomacrite, qui parut au temps du tyran Pisistrate, 560 ans avant Jésus-Christ ; ce poème fut suivi de quelques autres, d’un Denys Milésien et d’Antimaque. Le même sujet fut célébré par Pindare, dans ses odes, 500 ans avant Jésus-Christ. Trogne Pompée, sous l’empire d’Auguste, en rapporta dans son Histoire universelle ce qu’il en avait recueilli des Grecs ; nous le trouvons dans l’abrégé que Justin en a fait, au livre 42. Les plus illustres circonstances de ces histoires conservées par une longue tradition, mais défigurées par les narrations passionnées des Égyptiens et des Phéniciens, et déguisées par les différents génies des peuples et des auteurs, suivant leurs vues particulières et suivant le style de la poésie, furent recueillies en un beau corps de poème grec par Apollonius, natif d’Alexandrie, dit Rhodien, intendant de la bibliothèque de Ptolémée Èvergètes, roi d’Égypte, frère et successeur de Ptolémée Philadelphe, 246 ans avant Jésus-Christ. Ce poète y ramassa tout ce que les traditions et les monuments des Égyptiens, les relations des Phéniciens, les contes des Grecs, et les écrits de cette curieuse et magnifique bibliothèque pouvaient lui fournir pour composer son ouvrage. Valérius Flaccus, sous l’empire de Vespasien, en composa un poème héroïque latin fort estimé, tiré des auteurs que nous avons cités, et particulièrement d’Apollonius. Cette fameuse expédition des Argonautes sous Jason, leur chef, est placée par Diodore de Sicile et par le P. Petau, dans sa Chronologie, vers l’an du monde 2740, ou 2759, qui est 1245 ans avant Jésus-Christ, répondant au temps que Gédéon gouvernait les Hébreux : ce qui commença en l’an du monde 2730, et dura 40 ans, environ, 300 ans après que les Hébreux furent sortis d’Égypte, 240 années après les merveilleuses expéditions de Josué, qui les avait introduits dans la Palestine, et environ 40 années avant l’époque de la guerre de Troie.

V. Ce que le temps, la diversité des nations, l’ignorance des peuples, et les différents génies ont mis de changements, de transpositions, de confusion dans cette copie de l’histoire sainte du peuple de Dieu, y a cependant laissé une conformité de traits considérables, et un fond de ressemblance jusque dans les noms, qui font bien reconnaître l’original divin, dans la fable qui en est la copie. Elle a aussi été le premier fond de l’histoire fabuleuse des Grecs, et elle a fourni aux poètes grecs et latins les plus riches idées pour l’invention et pour la conduite de leurs plus célèbres poésies, et pour toutes leurs fictions, soit en vers, soit en prose. On ne peut pas demander, dans tous les endroits de celle fable séparés, une conformité égale avec l’histoire ; mais liés ensemble ils font un corps dont le rapport brillant et sensible frappe les yeux, et jette sa clarté sur tout l’ouvrage.

VI. La Fable commence, comme notre histoire sainte, par les chefs de la race de ses héros. Au lieu d’Abraham, elle met Athamas, qu’elle dit fils d’Eole, roi des vents, nom phénicien fait de celui d’Aolin, c’est à dire vents et tempêtes, comme celui de Tharé, père d’Abraham, signifie, en hébreu, qui souffle. On peut aussi avoir formé Athamas du grec immortalité, sur ce que Abraham, en hébreu, signifie père d’une postérité innombrable et sans fin. Cet Athamas fut roi de Thèbes dans la Béotie, après Cadmus, Phénicien, ou Chananéen, qui avait fondé cette ville, et qui lui avait donné ce nom d’une autre ville de son pays de Chanaan, dans lequel Abraham s’était aussi établi et avait fini ses jours. Athamas eut deux femmes en même temps, et en renvoya une. On a nommé la première, dont il eut des enfants, Néphelé, c’est-à-dire tombée des nues, ou étrangère ; qui est le même sens du nom d’Agar, Égyptienne, la première dont Abraham eut des enfants. L’autre femme d’Athamas fut Ino, fille de Cadmus, Chananéen, qui en grec veut dire forte et puissante, comme Sara, autre femme d’Abraham, veut dire en hébreu, puissante et maîtresse. Cadmus, comme nous l’avons déjà observé, conduisit dans la Grèce les Phéniciens chassés de leur pays par Josué, et la remplit du bruit des merveilles de Moïse et de Josué fort défigurées et même corrompues malignement. Les Cadméens, ou Hévéens, connus sous le nom d’habitants du mont Hermon, vers l’orient de la terre de Chanaan (d’où la femme de Cadmus fut nommée Hermione ou Harmonie), et le nom grec de Cadmus, père d’Ino, est de la même signification que celui d’Aran, père de Sara, qui veut dire, en hébreu, habitant des montagnes.

VII. Nous voici à l’entrée de la Fable et de l’histoire, où leur ressemblance se fait, comme dans la suite, sentir aux moins attentifs. Le fils d’Athamas le plus connu fut nommé Phrixus, qui veut dire Ris, de même que le nom du célèbre Isaac, fils d’Abraham. Il y eut une violente jalousie entre les deux premières femmes d’Athamas, Ino et Néphelé, comme entre Sara et Agar, à l’occasion de leurs enfants. Néphelé fut renvoyée par Athamas, comme Agar par Abraham. La Fable fait arriver une grande disette et la famine dans le pays d’Athamas, comme elle est dans l’histoire d’Abraham. Athamas fit mourir ou chassa Mélicerte, qu’il avait eu d’Ino ; ayant quitté le pays qu’il habitait, il alla s’établir ailleurs par ordre du ciel, et il y épousa une troisième femme, comme Abraham. Ce Mélicerte est un nom phénicien. Aussi les Grecs tenaient tous ces contes des Phéniciens. La Fable confond ensuite l’ordre du sacrifice d’Isaac, dans sa copie, qui est Phrixus. Elle n’a pu comprendre cet ordre de Dieu et la foi merveilleuse d’Abraham. Elle a mis les choses selon son génie ; mais les traits qu’elle a conservés ne peuvent s’y méconnaître. Ceux qui avaient été envoyés, dit-elle, pour consulter l’oracle, corrompus par la marâtre, en rapportèrent la réponse, qui ordonnait la mort de Phrixus. Son père Athamas le conduisait à l’autel, tout prêt à l’y immoler lui-même, malgré sa répugnance naturelle, lorsqu’un bélier, envoyé par Jupiter, se présenta et leur parla. Il découvrit la fourberie, il inspira et donna à Phrixus le moyen de se sauver, il s’offrit lui-même pour l’emporter. Il n’est pas besoin de rapporter ici l’histoire du sacrifice d’Isaac, pour les confronter. Il n’y a personne qui ne le reconnaisse dans le tableau du sacrifice de Phrixus. Ce Phrixus (ou Isaac) quitta son pays ; il passa la mer avec son bélier ; et il s’arrêta dans un pays de l’Asie appelé Colchide, aujourd’hui la Mingrelie entre la mer Noire, l’Arménie et le Caucase. Les premiers habitants de ce pays étaient venus d’Égypte, et quelques-uns étaient ensuite allés de la Colchide occuper une partie de la Phénicie, ou terre de Chanaan, qu’ils possédaient déjà avant le temps d’Abraham. Ainsi les Colques avaient pour pères les Égyptiens, avec lesquels ils avaient aussi bien des rapports et beaucoup de choses communes ; et ils étaient pères d’une partie des Philistins. Leur langue était fort semblable à la phénicienne : mêmes noms, mêmes mœurs. Le roi de Colchos se disait fils du soleil, comme le roi d’Égypte ; et la Colchide était appelée une autre Éthiopie. L’un et l’autre pays de Chanaan et de Colchos, tenus par les mêmes peuples, étaient fameux par leurs richesses et par leur fertilité, qui faisaient dire de l’un par les Grecs, dans leurs manières figurées, que les rivières y roulaient du sable d’or ; comme de l’autre, par les Phéniciens, qu’il y coulait des ruisseaux de lait et de miel.

La Fable avait donc changé la scène, de la Palestine à Colchos, habitée par les mêmes peuples. Elle y avait aussi fait prendre des alliances par les enfants d’Eole et d’Athamas, prédécesseurs de ceux qui vinrent y conquérir la Toison d’or, Phrixus ayant épousé une fille du roi de Colchos ; comme les prédécesseurs des Hébreux qui allèrent conquérir la Palestine, Abraham et Isaac avaient fait des alliances avec les rois des Philistins.

Il semble même que dans les noms de Chalciope, femme de Phrixus, et d’Æétès, roi de Colchos, son père, on ait voulu conserver la force des noms de Rebecca, femme d’Isaac, et de Bathuel, son père ; car comme Rebecca, en hébreu, signifie contention et dureté, de même, en grec, Chalkeos ou Chalkeios veut dire, qui est d’airain et dur. Et l’on disait qu’Æétès était fils du soleil, le premier dieu de Colchos, sur ce que Bathuel veut dire, qui tire son origine de Dieu.

VIII. La même fable transporta l’Égypte dans la Grèce, d’où elle voulut faire partir, comme pour les rendre siens, les héros de cette fameuse expédition ; mais elle y porta aussi les noms des lieux et des fleuves de l’Égypte. Non seulement elle conserva le même nom au chef, mais encore elle appela les Grecs qui allèrent à cette conquête Minyes, du nom d’un pays qui fait partie de l’Arabie Heureuse, situé sur les bords de la mer Rouge, dont les habitants étaient les Minyens, et d’où Hérodote et d’autres ont fait venir les Juifs qui occupèrent la Palestine. Les descendants d’Eole, par un autre frère d’Athamas, établis dans la Thessalie, que les Grecs ont choisie pour y placer les aventures de l’Égypte, furent redoutés par Pélias, qui en était roi, et dans lequel ils ont représenté Pharaon, roi d’Égypte. On l’a feint fils du dieu des eaux, et son nom veut dire noir et livide ; Pharaon est aussi qualifié de dieu des eaux, et son nom, en arabe, veut dire figurément crocodile, et, en syriaque, vengeur et envieux. Les Oracles avaient fait craindre à ce roi qu’il était en danger par des descendants d’Eole, dont les prédécesseurs avaient gouverné ce pays, y avaient bâti des villes, et y servaient à présent (Les ancêtres des Hébreux avaient aussi gouverné autrefois l’Égypte). Les historiens égyptiens convenaient que des étrangers étaient venus s’établir dans l’Égypte, y avaient régné ou demeuré environ cinq cents ans sous le nom de pasteurs. C’étaient certainement les Juifs qui y avaient régné quelque temps et y avaient servi dans la suite. Aussi sont-ils appelés tantôt rois pasteurs, tantôt pasteurs captifs, par Manethon, Égyptien, et par Josèphe, dans sa Réponse à Appion ; ils y avaient aussi bâti des villes, Phithom et Ramessès, dans la région de Gessen, et ils y étaient dans la servitude sous Pharaon, auquel ses docteurs avaient également prédit qu’il devait naître un enfant hébreu qui relèverait la gloire de sa nation et qui humilierait l’Égypte, comme Josèphe nous l’apprend. Pélias ayant donc pris des mesures et donné des ordres précis pour faire mourir tous les descendants d’Athainas et d’Eole dans ses États, les parents de Jason, encore enfant, qui était de cette race ; ne voyant d’autre moyen de le dérober à la fureur de ce prince, firent semblant de l’enterrer comme mort ; cependant, par une nuit obscure, ils l’emportèrent enfermé dans une boite, à la campagne, dans l’antre de Chiron, où il fut élevé par ce sage précepteur, travaillant la terre et gardant les troupeaux sur les bords du fleuve Anaure. On a donné à ce fleuve un nom qui ne convient qu’au Nil, pour conserver l’idée et les noms de l’Égypte, d’où l’histoire était transportée par la Fable dans la Thessalie. Anaure, en grec, veut dire sans vents et sans exhalaisons. Hérodote, Diodore, Pline, Héliodore, et Solin, en son Polyhistor, assurent que le Nil est le seul fleuve du monde à qui cela convient ; et le Scholiaste d’Apollonius justifie par plusieurs autorités qu’il n’y avait dans la Thessalie aucun fleuve de ce nom, et que c’était un nom de figure et de ressemblance. Ce fut après avoir ainsi sauvé cet enfant qu’on l’appela Jason. Toutes ces conformités ne laissent pas douter que la Fable ne soit tirée de l’histoire, dans laquelle Pharaon, ayant donné des ordres pour faire mourir tous les enfants mâles des Hébreux, les parents de Moïse, enfant, après l’avoir caché quelque temps, l’exposèrent dans un panier sur les eaux, d’où il fut sauvé par un miracle de la providence divine, qui le déroba à Pharaon, ce qui le fit nommer Moïse. Quand il fut grand, il fut obligé de se retirer dans la terre de Madian et de là auprès de Jéthro, dont il garda les troupeaux.

IX. En cet endroit, le Seigneur lui apparut au milieu d’un buisson ardent. Il lui ordonna de se déchausser, de se mettre à la tête de son peuple et de le conduire hors de l’Égypte, dans la terre de Chanaan, où coulaient des ruisseaux de lait et de miel. Nous allons voir la copie de cet endroit dans la Fable. Mais la Fable, confondant les deux chefs, a rassemblé les aventures de Moïse et de Josué seulement sur celui-ci, qui eut la gloire d’introduire le peuple de Dieu dans la Palestine et d’en faire la conquête, Moïse étant mort en chemin sans y entrer. Aussi a-t-elle conservé le même son et le même sens du nom de Josué dans celui de Jason (c’est-à-dire Sauveur), qui fut le chef et qui eut la gloire de l’expédition de la Toison d’or, dont il est le héros, sur le modèle de Josué ; Hercule (Moïse), qui était parti avec lui, et qui ne lui cédait en rien, s’étant perdu en chemin. Pélias fut averti et pressé de nouveau de se défier et de se défaire de celui qui lui paraîtrait adorant et sacrifiant sans chaussure et les pieds nus ; ce qui représente ce que nous avons vu de Moïse et ce qui est aussi rapporté de Josué, qui reçut un pareil ordre de se déchausser, quand un ange lui parla devant Jéricho d’où cet usage, dans les sacrifices, passa à tous les prêtres des Hébreux, et était si connu pour leur être propre, qu’il suffisait pour les désigner.

Peu de temps après, Jason, traversant à pied l’Anaure (qui est le Nil) pour assister à un sacrifice qu’on faisait au delà de ce fleuve au dieu de la mer (et non pas aux dieux du pays), y laissa sa chaussure, en sortit avec un pied nu, et parut en cet état devant le roi, qui en fut très étonné. Jason demanda au roi la restitution du royaume avec une hardiesse qui l’étonna encore plus. Pélias, surpris, la lui promit avec serment, mais avec l’intention de n’en rien faire et de chercher à le perdre. Pour le jeter dans des dangers dont il ne pût échapper, il l’engagea dans une navigation et une expédition où sa perte paraissait inévitable : c’était le voyage par mer à Colchos et la conquête de la Toison d’or d’autres disent (car il n’est pas étrange que les fables varient) que Jason, pour échapper à Pélias et pour aller acquérir de la gloire, lui demanda la permission de ce voyage et de cette entreprise, et que Pélias la lui accorda dans l’espérance qu’il y périrait. C’est l’imitation des promesses faites et de la permission accordée par Pharaon à Moïse d’aller avec le peuple dans le désert, et de l’emploi qui lui fut donné, suivant Josèphe, d’aller faire la guerre contre les Éthiopicus, où l’on espérait qu’il périrait. Les Égyptiens, pour ménager la gloire de leur roi et de leur nation, et pour diminuer celle des Hébreux, avaient caché, autant qu’ils avaient pu, les prodiges que Moïse fit pour obliger Pharaon à laisser sortir avec lui le peuple de Dieu ; ils ont voulu faire passer cette sortie comme faite par l’ordre de Pharaon, par qui cette grande troupe (comme ils l’ont publié et comme leurs auteurs l’ont dit) fut renvoyée sous ce chef et comme chassée de l’Égypte à cause du culte particulier de Dieu, dont elle faisait profession. Néanmoins ils ont conservé et placé dans un autre endroit, et en la personne d’un autre roi que nous trouverons dans la suite, les plaies dont ce roi d’Égypte fut frappé. Mais ils ont copié la demande de Moïse à Pharaon, les promesses et les serments de celui-ci tant de fois violés, et tous ses prétextes pour les éluder.

X. Après cet ordre ou cette permission de s’en aller, un nombre considérable (les plus illustres héros vinrent se joindre à Jason pour l’accompagner dans son voyage) on y voyait des prêtres, des gens instruits des choses divines, des devins qui prédisaient l’avenir le plus caché, de vaillants hommes capables des plus grandes entreprises : Lyncée, dont la vue perçante pénétrait au travers des montagnes et dans les entrailles de la terre ; Orphée, dont le chant faisait suivre les forêts et les rochers, et arrêtait le cours des fleuves ; d’autres personnages habiles en toutes sortes d’arts et d’une prudence consommée, jusqu’au nombre d’environ soixante, qui n’avaient pas leurs égaux, et tous enfants des dieux. Voilà à-peu-près les chefs du peuple de Dieu qui sortirent de l’Égypte, et dont Moïse composa le sénat, par le conseil duquel il voulut gouverner ce peuple. La Fable y a encore marqué Moïse, mais d’une manière obscure, quoique sensible, dans le trait que nous allons rapporter. Le grand Hercule voulut être de cette illustre compagnie, qui s’en tint extrêmement honorée ; et comme ils furent assemblés pour choisir un chef, Hercule fut nommé d’une commune voix, par Jason comme par les autres, pour les conduire et leur commander. Lui seul s’y opposa, et leur remontra que le ciel avait destiné et réservé à Jason la gloire de cette expédition, à la fin de laquelle Hercule ne devait pas même se trouver. C’est ici certainement la copie de la mort de Moïse, dans le voyage et avant l’entrée dans la terre promise, laissant à Josué l’honneur d’y introduire les Hébreux. Mais on n’a conservé que le nom de ce dernier dans celui que la Fable a fait le chef de cette expédition. Si cet endroit de la Fable n’était pas tiré de l’histoire, comment aurait-on mis dans cette compagnie Hercule, que tous reconnaissaient devoir en être le chef, pour ne l’être pas, et pour le faire quitter et disparaître en chemin, sur le point d’arriver au terme de l’expédition ? Il paraît difficile d’y trouver quelque sens, si ce n’est par rapport à l’oracle que la Fable a voulu copier.

XI. Ils firent construire sur les bords du fleuve Anaure (que nous avons vu être le Nil), suivant les ordres et sous la conduite de la déesse de la sagesse, Minerve, le grand et célèbre navire qu’ils appelèrent Argo, d’un nom phénicien, urca ou arec, qui veut dire un grand et long vaisseau. On lui a attribué les fameux prodiges du voyage des Israélites, et particulièrement ceux de l’arche que Moïse fit faire suivant les ordres et le modèle qu’il en reçut de Dieu ; car d’un côté, avec le navire Argo, ils parcoururent les mers, les fleuves et les terres ; et comme il portait ces héros sur les eaux, eux aussi le portaient sur leurs épaules au travers des terres qui se trouvaient sur leur route. Ainsi la Fable a renversé et corrompu le miracle du passage des Israélites, dans la mer Rouge et dans le Jourdain d’autre part, la Fable a fait mettre dans le navire Argo, par la main de Minerve même, un mât de chêne de la forêt de Dodone, auquel était attaché un oracle qui apprenait à cette troupe les volontés du ciel sur sa conduite. Ils le consultaient, et il leur répondait sur ce qu’ils devaient faire ou éviter, comme Dieu parlait et répondait de l’arche à Moïse sur les doutes qu’il avait pour la conduite de son peuple. Cette illustre troupe d’enfants des dieux s’embarque donc sur le fameux vaisseau ; et comme on les vit prêts à mettre la voile, le roi et les sages de sa cour avaient beaucoup de peine à laisser partir tant de héros. Ainsi, quand les Israélites sortirent de l’Égypte, le roi et ses serviteurs firent réflexion qu’ils avaient eu tort de laisser ainsi aller ce grand peuple. Pélias fut encore plus consterné et enragé, quand il ne retrouva pas Acaste, son fils, qui était parti secrètement et déguisé avec les autres Argonautes. Voilà la copie défigurée du fils aine de Pharaon, mort la nuit du départ des Israélites, avec tous les autres aînés des Égyptiens. Après tous les préparatifs du voyage, et avant de mettre à la voile, Jason ordonne un sacrifice solennel au dieu dont il descend, qui doit les conduire, et qui est révéré dans le pays où ils vont. Chacun s’empresse de porter des pierres non taillées ; on en dresse un autel qu’on couvre de branches d’olivier ; après s’être lavé les mains et avoir répandu sur cet autel de la fleur de farine assaisonnée de sel et d’huile, on immole deux bœufs à l’honneur de ce dieu, en invoquant sa protection. Le souverain dieu du ciel invoqué par Jason lui promet par la voix du tonnerre et des éclairs son heureux secours, et tout le ciel fut attentif sur cette troupe héroïque et à ce voyage de ses illustres enfants.

XII. Au reste, le voyage sur les mers, sur les fleuves et dans les terres, qu’on fait faire à ces célèbres voyageurs, est si mal entendu et si peu raisonnable, que personne n’a pu le concevoir et y trouver quelque suite qui satisfit. Il n’est point d’imagination assez déréglée d’où pussent sortir des rêveries si extravagantes, si l’on n’y eût suivi les traditions altérées et confuses du long pèlerinage des Hébreux errants dans le désert. Comme eux, nous verrons les Argonautes s’écarter du lieu où ils veulent aller ; nous les verrons prendre des routes opposées et parcourir des mers et des terres inconnues pour arriver dans un pays assez voisin de celui d’où ils étaient partis. Comme Jason était sérieux et pensif, un de la compagnie, nommé Idas, blasphème contre la Divinité et se moque de la protection des dieux. Tous les autres s’élèvent contre lui et le menacent. Orphée chante des hymnes à la louange de ces mêmes dieux qui ont créé et tiré du chaos l’univers, il chante leurs ouvrages et leurs bienfaits. Ils étaient déjà en mer et ils sortaient du port à force de rames et de voiles ; Chiron, chez qui Jason avait été sauvé et élevé jusqu’à ce qu’il allât se présenter à Pélias, courut au rivage sur leur route avec sa femme, qui portait entre ses bras le petit Achille, fils de Pélée, un des chefs compagnons de Jason ; il leur donna des avis, anima leur courage, et fit des vœux pour l’heureux succès de leur entreprise. Ainsi, Jéthro, beau-père de Moïse, qui s’était retiré chez lui jusqu’à ce qu’il allât se présenter à Pharaon, ayant appris les merveilles de sa sortie d’Égypte et du commencement de son voyage, vint le trouver à l’entrée du désert, avec la femme et deux enfants de Moïse, où il lui donna d’excellents avis, et fit avec lui des sacrifices à Dieu, qui le protégeait si visiblement.

XIII. Le vaisseau s’éloigna bientôt des bords de la Thessalie, et après avoir côtoyé avec un vent favorable la Macédoine et ensuite la Thrace, qui est aujourd’hui la Romagne, il aborda à l’île de Lemnos, à présent nommée Stalimène, dans l’Archipel. Ce fut la première station des Argonautes, que le poète appelle funeste, dans laquelle la Fable a copié des traits éclatants, et qui ne peuvent être douteux, de la fameuse et funeste station du voyage des Israélites, et de leur commerce avec les femmes moabites et madianites. Il n’y a qu’à considérer cette aventure dans la copie depuis son origine. On conte que, par une vengeance de la déesse Vénus, tous les hommes de cette île ayant pris de l’aversion et du mépris pour leurs femmes, ces femmes se défirent d’eux, et qu’il n’y resta qu’un seul homme, qui était Thoas, fils de Bacchus, père de la reine, sauvé de la perte générale par la piété de sa fille ; qu’à l’arrivée des Argonautes, qui ne voulaient que passer, ces femmes allèrent au-devant d’eux avec leurs plus belles parures ; qu’elles employèrent leurs charmes et toute leur adresse pour les faire entrer dans leurs villes, et ensuite pour les y retenir ; qu’après s’en être légèrement excusés, ils suivirent ces enchanteresses ; qu’ils prirent de la passion pour elles, et qu’oubliant leur devoir et les promesses du ciel, ils demeurèrent avec elles, malgré les remontrances de plusieurs des plus sages des principaux chefs, et particulièrement d’Hercule ; qu’ils s’établirent là avec ces femmes, comme s’ils eussent dû y passer leur vie, jusqu’à ce que les reproches d’Hercule et des autres qui étaient demeurés avec lui réveillassent en eux des mouvements de honte et de crainte, leur donnassent la force de rompre leurs chaînes, malgré les gémissements et les cris de ces femmes, et leur fissent prendre brusquement la fuite pour se rembarquer et pour s’éloigner de ce rivage funeste. On voit dans ces aventures, premièrement l’origine des Moabites défigurée, mais certainement copiée ; l’éloignement malheureux des habitants du pays de Loth pour leurs femmes, qui leur attira la punition du ciel ; enfin comme après cette punition, les filles de Loth crurent que leur père fut le seul homme resté dans le monde, et l’aînée, lui ayant fait boire du vin jusqu’à l’enivrer, en eut un fils, dont le nom conserva la mémoire de sa naissance, car elle l’appela Moab, c’est-à-dire né de mon père. Ce Moab fut le père des Moabites, sur lesquels a été forgée la fable des Lemniens et de Thoas, seul homme demeuré dans tout ce peuple. Elle fait aussi Thoas fils de Bacchus, qui l’eut d’Ariane dans une île déserte, parce que Moab, était venu de l’ivresse de son père, qui, enseveli dans le vin, eut commerce avec sa fille dans la caverne où ils s’étaient retirés. On a aussi donné à l’île où l’on a transporté ces aventures le nom phénicien de Lemnos, c’est-à-dire éclatante des feux qui paraissent en sortir, à cause de l’état où fut réduit le pays de Loth, qui conserve, par la fumée, qui en sort encore, les marques el les restes du feu du ciel qui consuma ses villes. C’est aussi sur cela que la Fable a fait précipiter du ciel dans cette même île Vulcain, qu’elle a fait le dieu du feu, et qu’elle appelle en grec d’un nom syriaque qui veut dire le père du feu. Comme les Israélites passaient dans le voisinage des Madianites, à l’orient de la Judée, le long de la mer Morte et du Jourdain, sans avoir néanmoins aucun dessein contre eux, Balac, leur roi, qui craignait les Israélites, après avoir cherché vainement d’autres moyens de les défaire, prit la, résolution, suivant le conseil de Balaam, d’envoyer vers leur camp les plus belles filles moabites avec tous leurs ornements, et avec ordre d’employer tous leurs charmes et leurs artifices pour leur donner de l’amour et se rendre par là leurs maîtresses. Elles y réussirent et pervertirent la plus grande partie des Israélites, auxquels elles firent perdre le désir et le souvenir de la terre qui leur était promise, interrompre leur voyage et abandonner leur honneur, leur religion et tous leurs devoirs. Moïse, avec quelques-uns des chefs les plus zélés qui lui étaient demeurés fidèles, les en retirèrent par des reproches sanglants, animés de l’Esprit de Dieu, et par des punitions terribles qui leur firent maudire et déclarer pour ennemis les Moabites et les Madianites, leurs alliés, et les obligèrent à reprendre incontinent leur roule vers la terre dont la conquête leur était destinée. Peut-on voir ces deux peintures sans être convaincu (malgré tous les changements causés nécessairement par la diversité des traditions, des temps, des langues et des génies), que la Fable est la copie défigurée de l’histoire ? Cet épisode historique des Israélites ainsi arrêtés par ces femmes est le vrai et premier modèle de Circé, de Calypso, qui arrêtèrent Ulysse, de la Didon d’Enée, et de toutes les erreurs et semblables aventures des grands voyages imaginés par les auteurs qui ont voulu faire des poétises et des romans comme ceux d’Homère et de Virgile.

XIV. De là, les Argonautes sont conduits presque directement dans une île qu’on appelle Electride, sans que l’on sache si elle était dans la mer Noire, dans l’Archipel, ou dans la mer Adriatique, et qui ne se trouve nulle part. Elle est ainsi nommée d’un arbre qui y produit et distille l’ambre : ce qui n’a jamais été dans aucun de ces pays, et ce que la Fable a forgé sur la tradition de l’arbre d’où distille le baume, qui est dans le voyage et dans le pays des Israélites. Elle n’a pas voulu négliger cet ornement, d’un arbre qui produit une liqueur si précieuse. Aussi Pline assure que ces les Electrides ne sont qu’une fiction de la vanité grecque. Ce qui prouve, comme les autres erreurs et irrégularités de ce voyage, que ce n’est ni une histoire véritable, ni une pure invention des poètes, qui n’auraient eu garde de choquer ainsi et la géographie et toute vraisemblance, mais que c’est une copie altérée et rendue bizarre par l’assujettissement à ce que les traditions avaient retenu de la vérité de l’histoire. Ils entrent dans le Bosphore de Thrace et ils abordent à une île de la Propontide, dont une partie était habitée par des géants effroyables, qui avaient chacun six bras et six jambes, et qui étaient la terreur de tous leurs voisins. Voilà les géants affreux dont parlèrent ceux que Moïse avait envoyés pour considérer la terre promise ; ils rapportèrent avoir vu des enfants d’Enac d’une hauteur et d’une figure monstrueuse, auprès desquels ils ne paraissaient, disaient-ils, que comme des sauterelles. L’autre partie de l’île était habitée par les Dollons, sur lesquels régnait Cyzicus, qui vint avec les siens au devant des Argonautes, et leur donna tous les témoignages d’une bonne amitié, suivant l’avis et l’ordre qu’il en avait reçus d’un oracle. Jason et plusieurs autres sortirent du vaisseau et suivirent le roi dans sa ville. Cependant les géants voisins étant venus attaquer ceux des Argonautes qui étaient demeurés dans le navire, Hercule et ceux qui s’y trouvèrent les défirent et les tuèrent tous. C’est comme Moïse avait traité le géant Og, roi de Basan, qui était venu, avec tout ce qui restait de la race des géants, l’attaquer sur son passage ; mais les peuples descendants de Loth et d’Ésaü, ni même les Gabaonites, ne prirent les armes contre les Israélites, et ne furent attaqués par eux.

XV. Bientôt, après que nos héros eurent quitté ce port, un orage violent les y reporta dans une nuit obscure, durant laquelle les habitants, ne les reconnaissant pas, les prirent pour des ennemis. Et comme ils ne savaient non plus eux-mêmes où ils étaient, on se battit de part et d’autre jusqu’au jour. Le roi Cyzieus fut trouvé parmi les morts, au grand regret de ses sujets et des Argonautes, qui l’avaient tué par ignorance après en avoir reçu tant de témoignages d’amitié. Ils firent, pour expier ce meurtre involontaire, des sacrifices sur le mont de Dyndime à la mère des dieux, qui fit alors sortir en leur faveur une fontaine dans un endroit sec où il n’y avait jamais eu d’eau. Après quoi ils s’éloignèrent et abordèrent dans la Mysie aux extrémités de la Phrygie. Ce carnage involontaire et ce meurtre de ce roi ami, avec les sacrifices pour l’expier, ont été forgés sur la tradition des ordres donnés à Moïse au sujet des meurtres commis sans dessein et sans inimitié, et des sacrifices pour les expier. Ainsi Adraste, prince phrygien, ayant tué par imprudence son frère, se réfugie chez Crésus, roi des Lydiens, et se fait purifier par ce roi peur expier ce meurtre involontaire. Ce qui a aussi rapport aux villes de refuge dont il est fait mention dans le chapitre 29 du Deutéronome. La fontaine nouvellement produite tout d’un coup dans un lieu aride est une imitation de la source que Dieu accorda à Moïse, et que celui-ci fit sortir d’un coup de verge du rocher d’Oreb dans le désert de Rephidim.

XVI. Dans la Fable, Hercule ayant rompu sa rame par trop d’efforts, va pour en couper une dans une forêt, et dans le temps qu’il y était enfoncé le vent s’étant rendu favorable, les Argonautes pressés se rembarquent avec précipitation dans l’obscurité de la nuit et s’éloignent de la terre. Ils avaient déjà passé le promontoire de Posidée, dans l’Ionie, lorsqu’au retour de l’aurore ils aperçurent qu’Hercule leur manquait. Ils voulaient rebrousser chemin, mais les vents opposés ne le leur permirent pas ; et comme ils faisaient des efforts pour revenir le chercher, un dieu marin leur prédit que tous leurs soins seraient inutiles, parce que les destins avaient réglé qu’Hercule ne mettrait jamais le pied dans la Colchide ; qu’ainsi ils devaient s’en consoler. C’est ce que la Fable a retenu de la mort de Moïse, arrivée dans le voyage des Israélites, et avant leur entrée dans la terre promise. Elle a même conservé quelque trace de la cause pour laquelle Dieu ne voulut pas que Moïse y entrât, parce qu’au lieu d’un seul coup de verge sur le rocher pour en faire sortir de l’eau, il frappa deux grands coups, par quelque défiance de l’ordre et de la promesse de Dieu : ce qui a fait donner pour occasion à la perte d’Hercule d’avoir rompu sa rame par de trop grands efforts. De plus, ils font Hercule perdu et non pas mort, sur ce que Moïse fut enseveli sans que personne le sût et sans qu’on ait pu découvrir le lieu de sa sépulture.

XVII. Les Argonautes parcourent encore des mers et des climats différents : ils essuient divers combats, et arrivent vis-à-vis de la Bithynie, dans le pays du malheureux Phinée, descendant de Phénix, frère de Cadmus. Ce prince, par une punition des dieux, avait été rendu aveugle, et il était persécuté par les harpies, oiseaux horribles envoyés du ciel, qui, avec leur bec et leurs griffes, lui enlevaient presque tout ce qu’il voulait manger, et répandaient sur ce qu’elles en laissaient des ordures et une odeur si insupportable qu’il ne pouvait y toucher ; de sorte qu’il mourait de faim et de langueur dans les ténèbres et dans cette persécution continuelle. N’est-ce pas un reste de la tradition des ténèbres et des autres plaies dont Dieu frappa Pharaon par la main de Moïse, et singulièrement des insectes qui remplissaient sa maison, son lit, les fours et toutes les viandes de ce prince et des Égyptiens, lorsqu’il ne voulait pas laisser aller le peuple de Dieu avec Moïse ? On y voit bien clairement les sauterelles qui mangeaient tout et qui, par les prières de Moïse et sur les promesses que Pharaon fit d’obéir à Dieu, furent emportées par le vent dans la mer ; car Phinée fut délivré des harpies par Zéthès et Calaïs, enfants du vent Borée, qui les chassèrent dans la mer Ionienne jusqu’aux îles qui, de cet événement, furent appelées Strophades, après que Phinée les eut assurés par serment que les dieux seraient contents qu’ils l’eussent délivré de ses infortunes.

XVIII. Ils quittent Phinée, et après avoir élevé un autel sur le bord de la mer à douze divinités, en témoignage de cette aventure, ils se rembarquent, et arrivent au fameux détroit des îles Symplegades, autrement Pierres Cyanées, près du canal de la mer Noire. Ces îles, dont la proximité avait donné lieu de feindre qu’elles se choquaient continuellement avec un mouvement et un bruit effroyables, occupaient ce passage du Pont-Euxin, et le rendaient absolument impraticable. Mais, suivant l’instruction qu’ils en avaient reçue de la part des dieux, ils lâchèrent une colombe qui devait servir de guide au vaisseau pour ce passage si elle volait au delà, et qui devait le faire rebrousser si elle revenait ou périssait sans passer. Ils luttèrent en même temps de toutes leurs forces avec les rames contre les flots et les écueils ; et par le secours de Minerve, qui vint élever elle-même le vaisseau par dessus ces rochers mouvants et sur les montagnes des flots, sans perdre de vue la route de la colombe, ils passèrent sans perte et furent transportés au delà du détroit et de ces rochers qui, dès lors, se rejoignirent et ne se sont plus séparés. Ils reconnurent l’assistance du ciel, et que par son secours rien après cela ne leur serait impossible. Cet autel, élevé à douze divinités, est une copie de l’autel élevé par Moïse au pied du mont Sinaï, composé de douze pierres portant chacune le nom d’une des douze tribus d’Israël. Ces pierres fabuleuses qu’on a feint se mouvoir et se choquer, au travers desquelles il fallait et l’on ne pouvait passer, et au-dessus desquelles le vaisseau est porté miraculeusement par la main d’une divinité, avec quelques autres endroits et écueils qui paraissaient insurmontables, sont pris de pareils obstacles du voyage des Israélites, et entre autres de ce qui est rapporté au sujet du fleuve ou des torrents d’Arnon qui sépare les Moabites des Amorrhéens. « Le Seigneur fera pour son peuple, dans les torrents d’Arnon, ce qu’il a Fait dans la mer Rouge ; les rochers de ces torrents se sont abaissés pour laisser passer le peuple du Seigneur. » On y a aussi marqué les prodiges de l’arche qui était portée au travers des eaux comme au-dessus des terres et des rochers, et l’assistance continuelle de Dieu, dont les Hébreux ne devaient jamais douter, après les expériences qu’ils en avaient faites. La colombe, lâchée par l’avis et les ordres du ciel, pour indiquer et assurer la route des Argonautes, est prise de la colombe que Noé avait lâchée de l’arche lors du déluge. C’est sur la foi et sur la conduite de cette colombe que Dieu voulut qu’il sortit de l’arche pour revenir sur la terre déchargée des eaux lorsque la colombe s’éloigna et ne revint plus. Cependant le chef était agité de soucis dans la crainte de voir sa troupe rebutée par les nouveaux périls qui se rencontraient à chaque pas, et où elle devait encore être exposée. Il l’encourageait, il lui montrait et lui inspirait une entière confiance.

XIX. Les Argonautes côtoyèrent la Bythinie, appelée autrefois Mariandyne, aujourd’hui l’Anatolie, et ils abordèrent à une île déserte appelée Thyniade, autrement Apollonie, où sur le point du jour Apollon leur apparut en voyageur. Ils lui sacrifièrent et de là ils passèrent devant l’embouchure des fleuves Sangar et Lycus. Ils furent reçus en amis par les habitants du pays ; ils y perdirent deux des leurs, dont un fut Tiphys, leur pilote ; Ancée, fils de Neptune, en prit la place, et ils rendirent solennellement les derniers devoirs aux morts. Ancée était phénicien et petit-fils de Phénix, frère de Cadmus, c’est-à-dire Chananéen. Les Argonautes, sous sa conduite, continuèrent leur voyage ; ils passèrent sur les côtes de la Cappadoce, en plusieurs autres pays, auprès de l’île Arétiade ou de Mars, et après une rude tempête qui mit leur navire à deux doigts de sa perte, ils rencontrèrent sur les bords de cette île les enfants de Phrixus qui venaient d’y être jetés par le même orage, et que Æëtes, roi de Colchos, leur aïeul maternel, envoyait dans la Grèce pour y recueillir les biens et les États de leur père. Ils se racontèrent de part et d’autre leurs aventures, après s’être reconnus comme descendants des mêmes aïeux ; ils coururent tous d’abord à un temple de Mars, et ils lui sacrifièrent. Jason instruisit les enfants de Phrixus de son dessein ; il les exhorta de revenir avec lui à Colchos, et de lui donner leurs avis et leurs secours pour y enlever de concert la toison d’or du bélier de leur père. Argus, l’aîné de ces enfants, lui remontra les forces et la cruauté d’Æëtes, les difficultés et les dangers insurmontables de cette entreprise. Pélée rassura l’illustre troupe par les promesses et les expériences qu’ils avaient de l’assistante des dieux. Ils firent voile de là tous ensemble au point du jour, et après avoir passé plusieurs îles et des terres habitées par divers peuples et avoir traversé le Pont, ils découvrirent les monts du Caucase, et ils entrèrent de nuit dans la rivière du Phase, au delà de la mer, entre le Caucase et la ville capitale de la Colchide, nommée Æa, d’un côté, et de l’autre le champ et le bois de Mars où était la toison gardée par le dragon veillant sans cesse. Jason fit d’abord des libations en l’honneur du dieu du fleuve et des dieux du pays, et après avoir jeté les ancres, ils délibérèrent durant la nuit sur ce qu’ils avaient à faire et sur la manière d’aller trouver Æëtes. Ainsi les Israélites errèrent longtemps : ils parcoururent divers pays et divers peuples ; ils perdirent Aaron et Marie, frère et sœur de Moïse, auxquels ils rendirent les derniers devoirs avec beaucoup de solennité ; ils trouvèrent des obstacles prodigieux ; Moïse craignit souvent de les voir rebutés, et il eut souvent besoin de les rassurer et de leur redonner de la confiance par les expériences des secours miraculeux qu’ils avaient reçus, surtout lorsque ceux qui étaient allés observer la terre promise leur eurent étalé comme invincibles les obstacles et les périls d’y entrer. Ils rencontrèrent sur leur chemin les Moabites et les Ammonites, descendants de Loth, neveu d’Abraham, leur père, qu’il leur fut défendu de troubler, et qu’ils ménagèrent comme leurs alliés. Enfin, avec l’assistance continuelle de Dieu, qui s’était même laissé voir à eux, ils parvinrent au fleuve du Jourdain qui était l’entrée de la terre qu’ils allaient conquérir. Ils le passèrent miraculeusement et à pied sec, et ils bâtirent sur le bord et au milieu un autel de douze pierres non taillées.

XX. Junon et Minerve, les divinités de la Puissance et de la Sagesse, qui favorisaient les Argonautes, cherchant les moyens de leur aplanir les difficultés presque insurmontables de leur entreprise, n’en trouvèrent point de meilleur que de mettre l’habile Médée, fille du roi Æëtes dans leurs intérêts, en lui faisant inspirer de la passion pour leur chef par la déesse et par le dieu de l’amour. Après en être convenus, elles conduisirent Jason avec deux de ses compagnons, enveloppés d’un nuage, jusqu’au palais du roi. Là le nuage se dissipa, comme il allait se présenter à ce prince ; et dès que Médée l’eut aperçu, blessée par une flèche de l’Amour, elle en devint passionnée et disposée à le secourir. Ce grand ressort de cette fable et ce dénouement, qui n’avait aucun fondement chez les Grecs, et qui y passait pour une pure invention des poètes, soit d’Eurinide, soit des autres, comme l’enseigne l’AÉlien, et comme le remarque Bochart, est pris assez visiblement du chapitre second du livre de Josué, et de l’historien Josèphe. La puissance et la sagesse de Dieu prirent en cette occasion un soin particulier de la conduite de Josué et des Israélites, et elles éclatèrent dans les succès miraculeux, qu’ils ne pouvaient attendre que d’elles. Josué, sous ces divins auspices, envoya deux des siens à Jéricho, où ils entrèrent malgré la garde exacte qu’un y faisait. Ils furent adressés et conduits, sans être vus ou connus, chez une femme, nommée Rahab, qui recevait tous les étrangers, peu réglée dans sa conduite, qui faisait de bruit et résolue, comme son nom en hébreu le signifie, mais capable de bons conseils et secours, que Dieu avait prévenue en leur faveur et mise dans leurs intérêts : si bien qu’elle s’exposa à la fureur du roi, qu’elle le trompa, sauva ces gens, et leur livra Jéricho, après leur avoir fait jurer qu’ils la sauveraient. Le nom de Médée n’est aussi qu’un nom feint et accommodé à cette aventure, soit de la Fable, soit de l’histoire, et veut seulement dire, une personne qui conseille, qui conduit et qui prend soin. Les poètes n’ont eu garde d’oublier dans leur Fable ce que l’histoire et la tradition des Juifs apprenaient, et ce que Josèphe conte à l’avantage de Moïse, que la nécessité des affaires et les pertes de l’Égypte l’ayant fait nommer général des Égyptiens contre les Éthiopiens, après les avoir chassés de l’Égypte, il les poursuivit chez eux : qu’après la prise de plusieurs villes, il assiègea leur capitale, et que durant le siège la fille du roi d’Éthiopie, qui de dessus les murailles avait vu faire à Moïse des actions surprenantes de valeur et de conduite, passa de l’admiration à un violent amour pour lui, et lui offrit de l’épouser. Il accepta cette proposition, à condition qu’elle lui remettrait la place. Ils se jurèrent une foi mutuelle, et après l’avoir accomplie, Moïse ramena les Égyptiens victorieux dans leur pays. Voilà ce que Josèphe, l’historien des Juifs, dit de Moïse ; c’est plus qu’il n’en dit lui-même ; et cela convenait trop au génie et à l’héroïsme poétique, pour n’être pas adopté et employé par les poètes grecs dans leur Fable, comme il a été du goût de toutes les poésies et des romans de tous les pays faits sur le même modèle.

XXI. La Fable met au-devant du palais d’Æëtes des fontaines de lait, de vin et d’huile, comme dans l’histoire sacrée il coulait dans le pays de Chanaan des ruisseaux de lait et de miel. Le roi Æëtes, déjà prévenu et troublé des frayeurs et des présages d’un songe funeste que les dieux lui avaient envoyé, instruit aussi par la renommée, des merveilles plus qu’humaines que ces étrangers avaient faites dans leur voyage, dès qu’il eut appris d’eux-mêmes ce qu’ils venaient chercher, consterné et ne doutant plus de sa ruine, il fut saisi de rage, et il proposa à Jason des conditions qui devaient le faire périr. C’est ce que Rahab avait dit aux espions de Josué, que la terreur de leur approche avait saisi le roi et tous les habitants, consternés et persuadés de leur ruine infaillible : qu’ils savaient quels prodiges Dieu avait faits en leur faveur, et qu’il leur avait livré cette terre. Aussi le roi ayant su que deux étrangers ou espions étaient entrés dans Jéricho et chez cette femme, il y envoya pour les prendre, et les fit chercher partout pour les faire périr. Les conditions qu’Æëtes proposa à Jason pour avoir la Toison d’or furent de mettre sous le joug deux taureaux qui avaient les pieds et les cornes d’airain, et qui jetaient des flammes par la bouche : de labourer avec ces taureaux quatre arpents du Champ de Mars, qui n’avaient jamais été défrichés : d’y semer ensuite des dents de dragon, d’où devaient sortir à l’instant des hommes tout armés et prêts à combattre : de mettre en pièces tous ces soldats sans qu’il en restât un : de tuer le dragon veillant qui gardait la toison, et d’accomplir tous ces travaux dans un seul jour. Les portes ont voulu par ces fictions représenter les obstacles naturellement insurmontables que Dieu fit vaincre aux Israélites, et les prodiges qu’il opéra pour leur livrer la terre de Chanaan (dont la vérité s’était altérée par les traditions et par le passage de diverses nations et en différents auteurs). Ils ont peint sous ces figures les grands fleuves, les fortes armées, les murailles avec des portes de fer, des serrures d’airain, les fortifications bien gardées qui défendaient ce pays, l’ange que Josué trouva dans le voisinage de Jéricho, qui se présenta à lui sur le chemin avec une épée nue à la main, dont il fut effrayé, et qui lui déclara être envoyé pour son secours. Les idées de ces fictions étaient aussi toutes Phéniciennes ou Chananéennes, et quelques-unes même tirées de l’histoire sainte. Bochart nous apprend que tout cela est pris de l’Hébreu, de ce que le même mot syriaque signifie des richesses et une toison : qu’un autre mot signifie de même des murailles et des taureaux ; et que, dans la même langue, le même terme dont on se sert pour dire des piques d’airain, veut dire un dragon. Ainsi, l’on a feint une toison dont on fait la conquête, des taureaux et des dragons qu’il faut combattre et vaincre. Le même Bochart nous apprend que la fable des hommes qui naissent tout armés des dents de dragon s’est formée du double sens et de la mauvaise interprétation de ces paroles chaldaïques : Il assembla une armée de soldats armés de piques d’airain, prêts à combattre : qu’on a expliquées ainsi : Il vit naître des dents de serpents, une armée de cinq hommes : ou pour mieux dire, des soldais rangés cinq à cinq ; comme on voit au chapitre 13 de l’Exode, armés ou rangés cinq à cinq ; qui était la manière de ranger et de faire marcher les troupes chez les Égyptiens. Ainsi, Ménélas, au retour de Troie, voit en Égypte, le roi Protée, c’est-à-dire le roi d’Égypte, représenté comme un dieu marin au milieu de ses eaux et de ses fleuves, qui fait la revue et le compte de ses troupes cinq à cinq. Et les Troyens marchent en cinq compagnies, pour attaquer le mur que les Grecs avaient élevé devant leur flotte. Cette mauvaise interprétation vint de ce qu’en hébreu les mêmes mots qui signifient des piques d’airain, signifient des dents de serpent ou de dragon, comme nous l’avons vu : et le même mot Chamuschim veut dire cinq, ou rangé par cinq, et prêt à combattre. C’est ce qui a donné lieu à la fable de Cadmos, d’où celle-ci est copiée ; aussi dit-elle que c’étaient des dents des restes de celles du serpent tué par Cadmus. Ainsi, tout est ici phénicien.

XXII. C’est encore une copie défigurée de ce que rapportèrent les espions envoyés du désert de Pharan par Moïse pour reconnaître la terre promise, qu’ils y avaient vu des fleuves profonds, des montagnes inaccessibles, des monstres horribles ; que cette terre dévorait ses habitants : à quoi l’on avait pu ajouter assez naturellement qu’elle en produisait en même temps d’autres tout armés ; ce qui est une manière de parler ordinaire, pour marquer de nouveaux soldats qui prennent d’abord la place de ceux qui ont péri. Cette idée peut aussi être venue des soldats qui, s’étant cachés en embuscade ventre contre terre, s’élèvent tout d’un coup sur les ennemis qui avaient passé presque sur eux sans les voir, comme firent les Israélites contre les habitants de la ville de Haï. Ce rapport des espions avait fort effrayé et rebuté les Israélites ; Moïse, Caleb et Josué eurent bien de la peine à les rassurer. Ainsi les compagnons de Jason furent consternés des conditions proposées pour la conquête de la Toison ; quelques-uns cependant étaient d’avis de la tenter, et ils s’y offraient eux-mêmes. Argus les encouragea, sur les assurances du secours de Chalciope, sa mère, et de Médée, sœur de sa mère, très-habile enchanteresse, qui savait arrêter l’activité des flammes, le cours des fleuves et des astres. Il leur dit qu’il tâcherait de les mettre dans leurs intérêts. Ils eurent en même temps un heureux augure de quelque oiseau, et ils se souvinrent que Phinée leur avait prédit que le succès de leur entreprise viendrait du secours d’une femme. Voilà Josué et Caleb qui, dans la consternation du peuple presque soulevé, le raniment par la considération de la fertilité de la terre promise, et par l’assurance qu’ils lui donnent que, par le secours infaillible de Dieu qui a promis de ne point les abandonner, ils surmonteront tous les obstacles et vaincront tous les monstres qu’on leur faisait craindre. Ensuite Dieu met la célèbre et habile Rahab dans leurs intérêts, comme nous l’avons vu, et sur-le-champ l’armée eut un présage heureux et certain, par l’éclat de la gloire du Seigneur qui parut aux yeux de tous sur le tabernacle, et qui leur remit dans l’esprit toutes les prédictions et les promesses qui leur avaient été faites. Æëtes cependant résout avec ses confidents de perdre tous les Argonautes après Jason, comme des brigands ravisseurs du bien d’autrui, de brûler leur vaisseau et de se défaire aussi des enfants de Phryxus, ses petits-fils, mais qui étaient du même sang que Jason. Ce dessein connu alarma Chalciope, leur mère, qui engagea plus fortement Médée à la conservation de Jason, à laquelle le salut de ses enfants était désormais attaché. Médée, dont la passion déjà maîtresse de son cœur fut soutenue par les prières de sa sœur, après quelques combats entre son devoir et son amour, se détermina enfin à donner à Jason le secours de ses enchantements contre les flammes des taureaux et le fer des combattants qui devaient sortir armés de la terre. La nuit suivante, elle lui met en main le baume enchanté, dans un temple hors de la ville, où il s’était rendu avec deux de ses compagnons, elle lui enseigne le moyen de se défaire de ces soldats naissants, en jetant seulement au milieu d’eux une pierre qui les obligera à tourner leurs armes contre eux-mêmes et à s’entre-tuer tous, sans qu’il ait besoin de les combattre. Elle lui demande seulement et lui fait promettre de ne pas l’oublier et de lui tenir les paroles qu’il lui donnait d’une reconnaissance éternelle. Jason alla conter aux siens les assurances qu’il venait de recevoir ; il fit un sacrifice qui lui avait été prescrit et qui fut suivi de bruits souterrains qui l’assuraient d’un heureux succès. Après avoir frotté son corps et ses armes de la liqueur enchantée, il va dans le Champ de Mars ; il reçoit d’Æëtes la semence fatale ; il attaque en la présence de ce roi et de toute sa cour effrayée les taureaux furieux qui lui portaient des coups terribles de leurs cornes d’airain, et qui vomissaient contre lui des torrents impétueux de flamme ; il les saisit l’un après l’autre, les arrête, les met sous le joug d’airain, les attelle à une charrue de diamant, et leur fait fendre et labourer le champ ; il y sème les dents ; les sillons poussent des géants enfants de Mars, tout armés et animés au combat. Jason jette au milieu d’eux une grosse pierre. Dès lors, ceux qui étaient déjà nés se jettent comme des chiens enragés les uns sur les autres, ils se déchirent et s’entre-tuent ; Jason perce et abat les autres à demi-nés ; les sillons regorgent de leur sang ; enfin il en achève la moisson fatale avant la fin du même jour, et Æëtes se retire tout consterné, pour chercher, mais sans espoir, quelque autre moyen de le perdre. Nous voyons dans Eète les mouvements qui agitaient le roi de Jéricho, prévenu que Dieu avait livré son pays aux Israélites ; dans Médée, les conseils et les secours de Rahab ; enfin, dans les promesses que les Argonautes font à Médée, celle que Rahab exigea aussi des Israélites. Nous avons déjà vu comme les poètes grecs ont mêlé dans cet endroit ce que Josèphe conte de la passion que la fille du roi d’Éthiopie prit pour Moïse. Nous avons aussi rapporté l’explication et l’origine phénicienne de ces travaux par lesquels Jason fut obligé de conquérir la célèbre toison.

XXIII. Les deux espions envoyés par Josué, étant revenus au camp, rendirent compte de leur voyage et de leurs découvertes ; sur quoi Josué, ayant invoqué le Seigneur, et ordonné au peuple de se sanctifier, le Seigneur l’assura de nouveau d’un heureux succès. Il marche ensuite intrépide vers le Jourdain avec tout le peuple, qui suit l’arche d’alliance. Les eaux de ce fleuve se retirent des deux côtés ; les Israélites le passent, après l’arche, au travers du canal à sec. Ce passage miraculeux du Jourdain est ce qu’on a copié, en langage poétique, par les taureaux aux cornes d’airain et qui vomissaient des flammes, domptés par le héros dont la fable a fait la copie de Josué. On sait qu’elle représentait les fleuves par des taureaux, que leurs canaux et leur cours rapide en étaient les cornes, que l’impétuosité de ces fleuves était figurée par la fureur de ces taureaux, et que ceux qui détournaient ces fleuves, ou qui trouvaient de nouveaux moyens de passer, étaient peints et célébrés comme ayant dompté ces taureaux. Ces allégories sont connues et sont justifiées par le combat fabuleux d’Hercule contre le taureau, dans lequel le fleuve Achéloüs était transformé ou représenté. La défaite de ces combattants nés de la terre, qui, tournant leurs armes les uns contre les autres, s’entretuent eux-mêmes sans qu’il en coûte à Jason que d’avoir fait rouler une pierre au milieu d’eux (comme il lui avait été suggéré), et que d’être le spectateur de leur carnage, est empruntée de la défaite des Madianites et des Amalécites par Gédéon. Ce général se présenta contre leur armée nombreuse, avec trois cents hommes seulement sans autres armes que des trompettes et des lampes, suivant l’ordre qu’il en avait reçu de Dieu, et il vit, sans combattre, les ennemis se troubler, tourner leurs armes les uns contre les autres, et s’entre-tuer. Ce qui avait été prédit par un soldat madianite, qui conta à ses camarades avoir vu comme un pain d’orge cuit sous la cendre rouler du camp de Gédéon dans le leur, renverser une tente et mettre tout leur camp en déroute. C’est ce que la Fable à copié par la pierre que Jason fait rouler parmi les enfants de Mars armés, et qui les oblige à se défaire eux-mêmes. Après le passage des Israélites, les eaux du Jourdain reprirent leur cours ordinaire ; l’entrée de la terre promise et la conquête de Jéricho ne furent plus qu’un effet et une suite de prodiges et de miracles de la main du Tout-Puissant. Rien ne résiste : les ennemis des Israélites sont vaincus sans combat, et les murs de Jéricho tombent d’eux-mêmes à la seule vue de ce peuple et au seul bruit de ses trompettes. Le roi et les habitants, bien loin de repousser les Israélites, ne savent comment se sauver eux-mêmes. Au bruit de ces merveilles, tous les rois de Chanaan perdent cœur ; il ne leur reste aucune force pour s’opposer à l’entrée et aux conquêtes des enfants d’Israël. Ce passage de l’arche et des Israélites qui la suivaient, dans le Jourdain, dans la mer Rouge, et au travers des eaux et des terres, la Fable, ainsi que nous l’avons remarqué, l’a copié par le passage de son navire Argo au travers des terres et des eaux, où tantôt il portait les argonautes, et tantôt ils le portaient eux-mêmes. Diodore rapporte que les habitants de certaine région de l’Arabie, voisine de la mer, ont chez eux une tradition de plusieurs générations, que la mer de leurs côtes, qui paraît verte, se retira autrefois tout entière fort loin de ses rivages, et laissa voir le fond sec et à découvert, et qu’elle y revint bientôt après comme auparavant. Ce qui est visiblement une tradition du passage miraculeux de la mer Rouge.

XXIV. Médée, jugeant bien que son père ne lui pardonnerait pas les secours qu’elle avait prêtés à Jason, prit la résolution de se sauver avec les Argonautes. Les enfants de sa sœur et de Phrixus l’y conduisirent avec Jason, qui lui donna de nouveau sa foi en présence des dieux et de ses compagnons. Elle leur fit conduire le vaisseau près du bois sacré, où la toison fatale était suspendue et gardée par un dragon toujours veillant : Médée l’endormit avec ses drogues, et fit prendre la toison d’or par Jason sans aucun obstacle ; il n’eut qu’à la recevoir des mains de Médée, et il la porta dans le vaisseau, où elle fut admirée de tous avec les actions de grâces dues à Médée, à qui ces héros devaient le succès de leur expédition et leur glorieux retour dans leur pays. Dans la consternation générale de Jéricho et de tout pays, cette ville était encore bien fermée, fortifiée et gardée ; mais, par une suite de prodiges, à l’approche de l’arche, au seul bruit des trompettes et du cri de la multitude, les murs de Jéricho tombent avec toutes ses fortifications les soldats qui la gardaient sont comme endormis. Les Israélites se rendent maîtres de cette ville sans combat et sans résistance : tout y est saccagé ; rien ne se sauve, hors Rahab avec ses frères et ses parents, que les Israélites prennent au milieu d’eux, par les ordres de Dieu, et comme ils le lui avaient promis pour leur avoir livré le pays que Dieu leur avait destiné. Josué confirme les promesses qu’on lui avait faites ; il la prend en sa protection ; il lui donne ensuite des terres, et continue de la traiter avec toute la faveur qu’elle pouvait souhaiter.

XXV. Æëtes, furieux, court au rivage, escorté de tous les siens : il invoque les dieux pour sa vengeance ; il fait partir des troupes sur ses vaisseaux pour suivre les Argonautes. Ceux-ci sont secourus par Junon, qui pousse le navire Argo vers la Grèce. Comme ils étaient déjà avancés, ils se souvinrent qu’il leur avait été déclaré qu’ils devaient s’en retourner par une autre route, qui avait été marquée par les prêtres thébains ou égyptiens, le plus ancien des peuples, et déjà connu avant que la Grèce fût habitée : que de ce pays fertilisé par le Nil était autrefois sorti un chef qui avait parcouru l’Europe et l’Asie, qui avait conquis une grande étendue de pays et fondé quantité de villes, et entre autres, Æëtes, capitale de la Colchide, qui subsistait encore. Ils se souviennent que, chez ces peuples, on voyait gravés sur des colonnes très antiques, les chemins et les situations de tous les endroits de la terre et de la mer où l’on pouvait voyager ; et qu’on y voyait au delà de la mer un grand fleuve d’un cours très-étendu, appelé Danube, qui prend sa source dans les Alpes, et va passer chez les Thraces et chez les Scythes, etc. C’est ici, dans l’histoire sainte, les peuples et les rois voisins de Jéricho, qui se soulèvent et se joignent pour combattre et pour arrêter les Israélites, que la puissance de Dieu pousse dans le pays et qu’elle soutient toujours miraculeusement. Ce sont les détours et les longueurs de leur voyage. C’est Abraham, Jacob et Joseph, les auteurs et les anciens chefs des Égyptiens, reconnus par eux sous le nom de pasteurs, fondateurs et maîtres du pays et des villes que les Israélites, sortis d’Égypte, étaient allés conquérir. Ce sont enfin ces célèbres colonnes de Mercure, où les prêtres égyptiens avaient, dit-on, gravé les grandes connaissances de Dieu, de ses ouvrages, du ciel et de la terre, qu’ils avaient apprises d’Abraham et de sa famille, et ensuite de Moïse, durant leur séjour en Égypte. Ces colonnes sont célébrées par plusieurs auteurs. Plusieurs savants ont aussi prouvé que les Égyptiens avaient formé et composé leur Mercure (dont ils avaient donné le nom à ces fameuses colonnes), de Joseph et de Moïse, auxquels ils devaient, ainsi qu’à Abraham, leurs belles connaissances si supérieures en antiquité à toutes celles des Grecs ; c’est ce qu’Eusèbe établit sur l’autorité des historiens chaldéens et égyptiens, de Diodore de Sicile, et ce qu’enseignent les vers d’Orphée sur le Verbe divin, rapportés par saint Clément d’Alexandrie, où il dit que Dieu n’était connu qu’à Abraham et à sa famille.

XXVI. Pendant que les Argonautes discouraient sur l’Égypte, ils furent interrompus par un prodige que Junon fit paraître. Une flamme céleste leur marqua la route qu’ils devaient suivre ; ils voguèrent à pleines voiles ; et cette flamme céleste, accompagnée d’un vent favorable, ne les quitta point, jusqu’à ce qu’ayant traversé toute la mer du Pont, ils fussent portés dans le Danube. Voilà l’imitation de la colonne de flamme durant la nuit, et de nuages durant le jour, qui conduisait les Israélites et leur servait de guide dans les vastes solitudes du désert, comme Moïse l’avait demandé à Dieu.

XXVII. Cependant les Colques commandés par Absyrte, fils du roi Æëtes, après avoir traversé les roches Cyanées et le Pont, arrivèrent à une petite île près d’une des bouches du Danube, qu’ils remontèrent. Ils entrèrent de là dans la mer Adriatique, dont ils investirent l’entrée, afin que les Argonautes qui devaient y passer, ne pussent leur échapper. Comme ceux-ci qui venaient après eux, ne pouvaient éviter d’en venir aux mains, Jason, pendant une trêve qui fut ménagée, poignarda dans les ténèbres Absyrte qui venait conférer avec Médée ; et après quelques expiations il couvrit son corps de terre. Les Argonautes tuèrent tous ceux qui étaient sur le vaisseau d’Absyrte, et profitant de la nuit, ils s’éloignent dans la mer à force de rames, et ils arrivent à l’île Electride, près de l’endroit où le PÔ s’y dégorge. Les Colques ne sachant, après la perte de leur prince, quel parti prendre, et n’osant retourner vers leur roi, et s’exposer à sa fureur, se dispersèrent dans les îles et les terres voisines de l’Illyrie et des frontières de l’Epire près des monts Cérauniens. La Fable, qui confond et altère l’histoire, et qui a voulu ramener ses héros dans leur pays, a copié ici comment les Égyptiens poursuivirent les Israélites jusque sur les bords de la mer Rouge, où ils comptèrent qu’ils ne pouvaient leur échapper, enfermés comme ils étaient entre la puissante armée des Égyptiens et la mer ; ce qui fit que les Israélites eux-mêmes se crurent perdus. Les Égyptiens qui n’avaient pas voulu débiter sincèrement la nouvelle de la mort de leurs enfants et du fils du roi, arrivée la veille du départ des Israélites, ni le passage miraculeux de ce peuple dans la mer, ni la perte de Pharaon et de toute son armée avec lui dans les abîmes des eaux, avaient donné lieu par leurs déguisements, à dire que le fils du roi avait été surpris en trahison et massacré par ce peuple qu’il poursuivait, que ce meurtre avait mis l’armée des Égyptiens en déroute, et les avait obligés à se disperser et à s’établir en divers pays, parce qu’ils n’osèrent retourner dans le leur.

XXVIII. Les Argonautes, poursuivant librement leur route, abordèrent chez les Hylléens dans la Liburnie, qui fait partie de l’Illyrie, aujourd’hui Croatie. Ils virent plusieurs îles de la mer Ionienne, celles de Corcyre, de Malte et de Nymphée, où l’on a fait régner Calypso. Ils furent surpris par une tempête effroyable, où ils crurent périr ; ils entendirent une voix distincte qui, sortant de la poutre de Dodone, placée par Minerve art milieu du vaisseau, leur annonça la colère de Jupiter pour le meurtre d’Absyrte, et leur prédit qu’ils ne se tireraient jamais des périls de leur longue navigation, s’ils n’expiaient ce parricide inhumain par le moyen de Circé, chez laquelle Castor et Pollux, après avoir imploré le secours du ciel, devaient les conduire.

Ce sont des imitations de la colère et des menaces de Dieu contre les Israélites pour leurs crimes, leurs murmures et leurs révoltes, avec les moyens d’en obtenir le pardon, et de fléchir la clémence de Dieu irrité, par les prières et l’intercession de Moïse et de Josué : ceux-ci, par les expiations que Dieu leur prescrivait, apaisaient sa colère, et ensuite, secourus du ciel, conduisaient ce peuple heureusement et glorieusement au travers d’un pays ennemi et de dangers affreux. La voix de la poutre qui était au milieu du vaisseau des Argonautes, et qui leur prédisait ce qu’ils avaient à craindre, et leur enseignait ce qu’ils devaient faire, est une copie, comme nous l’avons déjà observé, du propitiatoire qui était au-dessus de l’Arche, et d’où Dieu parlait aux Israélites et leur donnait ses ordres.

Le vaisseau, sous la conduite des deux frères Castor et Pollux, est emporté sur la route qu’il venait de faire, jusque dans le PÔ, où l’on a feint que Phaéton avait été précipité du char de son père par la foudre de Jupiter. Cette fable de Phaéton est aussi prise des livres de Moïse. De là les Argonautes, ayant gagné le Rhône, furent portés avec violence vers le détroit et jusqu’à Centrée de l’Océan, d’où ils n’auraient pu revenir et se sauver ; mais Junon avec un grand cri les retint et les porta sur les côtes des Celtes et des Liguriens. Ils passèrent près des îles de Provence ; ils gagnèrent de là les côtes de la mer de Toscane, et ils arrivèrent au port d’Æëtes, séjour de la fameuse Circé, sœur d’Æëtes, roi de Colchos, où ils furent purifiés par les expiations convenables. Courses, écarts, détours, qui ne sont ni croyables ni possibles par lesquels la Fable a voulu imiter la longueur, les détours et les difficultés du voyage des Israélites, surtout dans le désert, et les dangers dont ils[furent si souvent délivrés par des effets sensibles de la toute-puissance de Dieu. La Fable n’a pas voulu non plus omettre les expiations solennelles prescrites dans la toi de Moïse et pratiquées en plusieurs occasions pour purifier le peuple qui avait irrité Dieu, et qui s’était souillé par des crimes et par des révoltes contre lui. Junon, par le secours d’Eole, les fit porter rapidement et heureusement dans l’île des Phéaciens, aujourd’hui Corfou, dont le roi les garantit d’une autre armée navale des Colques qui les y joignit, et où Jason et Médée furent mariés en présence de Junon. De là ils avaient, le septième jour, passé la Sicile ; mais les destins avaient réglé qu’ils devaient être portés sur les côtes de la Libye, et souffrir beaucoup. En effet, lorsqu’ils étaient déjà à la vue des terres de la Grèce, une tempête furieuse, qui dura neuf jours et autant de nuits, les porta sur les côtes d’Afrique. Continuation des mêmes embarras dans la Fable, pour copier les longueurs et la route extraordinaire du voyage des Israélites.

XXIX. Orphée fait passer les Argonautes chez des peuples appelés Macrobies, à cause de la longueur de leur vie ; ils vivaient mille ans dans l’abondance, la tranquillité et toutes les prospérités. « ils étaient, dit-il, pleins de justice et de sagesse, et ils menaient une vie aussi exempte de tous crimes qu’elle était longue ; ils se nourrissaient d’une rosée délicieuse que le ciel faisait distiller continuellement dans leur pays ». Les géographes ont vainement cherché un pays pour y placer ces Macrobies. Quoi qu’on ait dit des Éthiopiens, de quelques Indiens et d’autres, il n’y a point eu de peuple connu qui ait porté ce nom ni où les gens aient communément vécu si longtemps et de cette sorte. On a voulu suivre dans cet endroit ce qu’on apprenait par la tradition et par nos saints livres des longues vies des anciens patriarches, Mathusalem, Noé, Abraham, et autres de leurs temps, connus par l’Histoire sainte et célèbres par leur innocence, leur sagesse et leur justice, chez les Égyptiens et chez les autres peuples voisins. La mémoire de la manne dont Dieu avait nourri son peuple dans le désert, de cette rosée que le ciel faisait distiller tous les matins pour le nourrir, s’était aussi conservée dans la tradition de cette rosée que la Fable fait distiller dans le pays de ces Macrobies pour leur nourriture. On trouve cette même tradition, dans ce qu’Hérodote et Solin content du lieu appelé la Table du soleil dans l’Éthiopie, vers Méroé, où ils placent aussi leurs Macrobies. « C’était, disent-ils, une campagne qui toutes les nuits était garnie et couverte de viandes exquises, toutes préparées, de tous les goûts et de toutes les espèces de ce que l’on peut manger de plus excellent ; le ciel les renouvelait chaque nuit, et tous pouvaient en prendre et en manger dès que le soleil était levé. » Ces deux traits de l’histoire de Moïse n’étaient pas perdus dans le temps du poème d’Orphée, comme nous venons de voir ; mais ils s’étaient dissipés ensuite, ou ils furent négligés par Apollonius ; ainsi la mémoire des faits s’est affaiblie et s’est perdue par le temps, par le passage d’un peuple à un autre, et par le différent génie des auteurs. Si nous avions ce poème d’Orphée en son entier et ceux des poètes, qui avaient avant lui célébré le même sujet, nous y trouverions sans doute bien plus de traits des histoires de Moïse et de Josué ; ils nous en fourniraient de plus entiers, de mieux suivis et de moins défigurés que ceux qui n’ont été conservés que par une tradition affaiblie et confuse, et qui, du débris des anciens ouvrages, ont passé dans ceux qui ont été composés si longtemps après.

XXX. Le navire Argo fut porté par la tempête dans les Syrtes, ou sables ; bien avant dans les terres, d’où il était impossible de retirer les vaisseaux qui s’y enfonçaient, et qui manquaient tellement d’eau pour se mouvoir, qu’à peine la quille du vaisseau y était-elle trempée (Ce sont les sèches de Barbarie entre les royaumes de Barca et de Tripoli). Les Argonautes descendent tristement à terre ; ils n’aperçoivent que de vastes campagnes de sable, sans eau, sans apparence de chemins et sans habitations. Ni la valeur ni la prudence ne pouvaient les sauver, et ils étaient perdus sans ressource, s’ils n’eussent été secourus par les génies du pays, qui, touchés de compassion pour ces héros, se firent voir et connaître à Jason. Ils lui donnèrent de l’assurance, lui enseignèrent et fui ordonnèrent de porter avec ses compagnons leur vaisseau sur leurs épaules au travers des terres, en suivant les traces d’un cheval miraculeux, qui, sortant de la mer, et traversant les terres d’une course aussi rapide que le vol des oiseaux, les conduirait en quelque lieu où ils pourraient remettre le navire à l’eau. Ils le prirent donc sur leurs épaules, et le portèrent avec tout ce qui était dedans, durant douze jours et douze nuits, au travers des vastes sables de l’Afrique, avec des fatigues et des difficultés insurmontables à tous autres qu’à des enfants des dieux, et autrement que par leur secours tout-puissant. Après cette narration, le poète, pour s’excuser de son peu de vraisemblance comme s’il avait peur et honte qu’un lui en attribuât l’invention, ajoute que c’est un conte de l’invention des muses, qu’il est obligé de le rapporter comme étant leur interprète, et comme une de leurs plus anciennes traditions qu’il ne lui a pas été permis de rejeter. C’est ainsi que, pour suivre un peu la tradition obscure sur le passage de l’arche et des Israélites au travers des mers et des fleuves comme au travers des terres, et l’accommoder à leurs manières, ils avaient achevé de la défigurer, et n’avaient fait qu’une imitation ridicule, contre toute vraisemblance et toute possibilité pour avoir travaillé sur le fond d’une vérité qu’ils voulaient altérer. Les Égyptiens et leurs voisins ne voulurent pas d’abord célébrer le passage miraculeux du peuple de Dieu dans la mer Rouge ; mais ils ne purent en abolir le souvenir parmi eux, comme ils tâchèrent de déguiser ce fait. La tradition, confuse et fort affaiblie à mesure qu’elle s’écartait du temps où cela s’était passé, fit de l’arche miraculeuse un navire aussi miraculeux qui portait ces héros au travers des mers inconnues, qui leur faisait parcourir des pays immenses, dont même quelques-uns n’ont jamais été ; navire qui à son tour était porté au travers d’espaces immenses au milieu des terres, avec tout ce qu’il contenait, sur les épaules de ces voyageurs, qui dans toute leur vigueur n’auraient jamais pu avoir assez de force seulement pour le lever, comme leurs auteurs mêmes l’avouent. Aussi le poète, assez hardi d’ailleurs pour les fictions, s’est cru obligé de s’excuser de celle-ci sur la nécessité de suivre une tradition qui passait pour certaine, et qu’il n’osait ni démentir ni supprimer, comme si elle eût eu quelque chose de religieux, qu’il n’était pas permis de détruire même après l’avoir défiguré. Nous avons vu comme la déesse de la sagesse avait fabriqué ce navire, et y avait mis un bois qui rendait des oracles ; ce qui est sur le modèle de l’arche, aussi bien que la vénération religieuse conservée pour ce navire, que les poètes transportèrent au ciel pour en faire une constellation.

XXXI. Les génies qui apparurent à Jason pour l’encourager et le secourir sont encore copiés sur l’ange qui apparut à Josué entre le Jourdain et la ville de Jéricho. Il se présenta à lui avec une épée nue à la main, et lui dit qu’il était le prince de l’armée du Seigneur, envoyé là pour le secourir. Le cheval dételé du char de Neptune, et qui volait au travers des déserts pour y tracer la route que les Argonautes devaient suivre, est une nouvelle représentation de la colonne de nuage durant le jour, et da feu durant la nuit, qui était donnée aux israélites pour les conduire dans le désert. Nous en avons vu d’autres images, que les poètes ont voulu diversifier à leur manière. Les Argonautes, dans cet effroyable trajet et sous ce terrible fardeau, souffrirent de la soif tout ce qu’on peut souffrir, jusqu’à ce qu’ils arrivassent au fameux verger des Hespérides dans la Mauritanie, où les pommes d’or avaient été jusqu’alors gardées par un dragon qui avait été depuis peu blessé par Hercule. Ce pays de Barbarie avait été fort connu et fréquenté par les Phéniciens, qui y avaient souvent voyagé, qui y avaient laissé plusieurs monuments et établi des habitations. Saint Augustin dit qu’encore de son temps les paysans, interrogés de leur origine, répondaient en langage punique qu’ils étaient chananéens. L’historien Procope rapporte qu’on voyait aussi de son temps sur ces côtes de Barbarie, près de Tanger, deux colonnes bâties par les chananéens qui s’y étaient établis, dont l’inscription gravée marquait qu’ils avaient été chassés de leur pays par Josué, fils de Navé, brigand ou usurpateur. Et Salluste enseigne que des colonies de Phéniciens chassés de leur pays étaient venues peu de temps après Hercule s’établir sur les côtes d’Afrique, où elles avaient bâti des villes ; ce qu’il dit avoir été tiré des archives des rois de Numidie. Ainsi toutes ces fables sont d’origine phénicienne, transportées dans la Grèce par le commerce des Phéniciens. On voit dans les livres de Moïse combien les Israélites souffrirent de la soif dans le désert. L’idée de ce dragon du jardin des Hespérides, et de celui qui gardait la toison d’or, peut bien avoir été prise des serpents brûlants que Dieu irrité envoya contre les Israélites dans leur voyage (Nombres 21), qui en tuèrent quantité, et dont Moïse les délivra. Ces pommes d’or sont une pure fiction, comme le remarquent Pline, Solin et Polyhistor. Les Hespérides, pressées par les prières d’Orphée de lui enseigner de l’eau, pour les empêcher lui et ses compagnons de périr de soif, leur racontèrent qu’un téméraire, qu’elles dépeignirent, fait et armé comme Hercule, était venu la veille ; qu’il avait tué leur dragon, qu’il s’était chargé de leurs pommes d’or, et que cherchant aussi de l’eau pour se désaltérer, et désespérant d’en trouver, il avait frappé du pied sur un rocher avec tant de force, qu’il en était sorti une source abondante, qu’elles leur montrèrent. Ils y coururent, et se désaltérèrent avec avidité. C’est une suite des traditions que les chananéens avaient répandues. Cette seconde source, sortie d’un prodigieux coup de pied d’Hercule pour soulager la soif mortelle des Argonautes dans les déserts arides de la Libye, est une imitation de la seconde source que Moïse fit sortir du rocher par des coups redoublés de verge, dans le désert de Sin ou de Pharan, pour guérir la soif mortelle des Israélites vers la fin de leur voyage ; elle peut l’être aussi de la source que Dieu fit sortir, pour Samson, de la mâchoire avec laquelle il avait défait mille Philistins. La Libye, par son nom arabe, Lub, ne veut dire qu’un pays sec, altéré et sans eau.

XXXII. C’était près du marais ou du lac Tritonien qu’ils avaient porté leur vaisseau, et de là sur un fleuve qui en sort et qui en prend son nom. Un Triton les fit rentrer par un détroit dans la mer du Péloponnèse ; il les conduisit jusqu’à la vue de l’île de Crète, d’où un géant monstrueux qui paraissait être d’airain, monté sur un rocher élevé, fut sur le point de les accabler, en leur jetant des pierres d’une grosseur épouvantable. Mais il fut renversé et précipité dans la mer par les enchantements de Médée.

C’est la mémoire et la copie d’Og, roi de Basan, seul resté de la race des géants que Dieu livra avec son peuple entre les mains de Moïse, et qui fut taillé en pièces. Le lit de ce roi était d’airain ; il avait neuf coudées de long, et quatre de large (Deutéronome 3).

Après avoir passé la nuit en cet endroit, ils sacrifièrent Minerve ; et se trouvant le lendemain surpris par une nuit et par un orage horrible, ils eurent recours à Apollon pour lui demander leur retour dans leur pays. Ce dieu leur apparut sur un rocher noir et élevé, d’où par l’éclat de son arc il leur découvrit une petite île de mer Egée, à laquelle ils allèrent aborder ; ils y élevèrent un autel à Apollon, qu’ils nommèrent Eclatant, et ils appelèrent cette île Anaphe ; de là, après plusieurs jours de navigation, ayant côtoyé une partie de la Grèce, ils entrèrent sains et glorieux dans le golfe et le port de Pagase, dans la Thessalie, leur patrie.

Les Israélites furent toujours conduits visiblement par la sagesse divine ; et quand ils tombèrent dans la défiance de pouvoir entrer dans la terre qui leur était promise, la gloire de Dieu parut à toute l’armée au-dessus du tabernacle de l’alliance, et tous en virent l’éclat ; alors ils furent résolus d’aller où Dieu leur ordonnait.

Bochart montre que les Phéniciens avaient fort fréquenté ces îles de la mer Egée, qu’ils y avaient laissé quantité de monuments de leur passage et de leur séjour, et qu’entre autres ils avaient donné à cette île le nom d’Anaphe, qui veut dire en phénicien couverte de bois et de forêts.

Ainsi cette fable est toute composée des traditions que les chananéens ou Phéniciens avaient répandues dans leurs voyages. On y voit des traits défigurés par ces traditions, mais certainement pris de l’histoire des Israélites sous Moïse et sous Josué. Cette histoire a été le fond et l’original de la fable, et elle s’y reconnaît d’une manière sensible. Delort de Lavaur, Conférence de la Fable avec l’Histoire sainte, chapitre 17. Avignon, 1835, seconde édition, in-8, pages 89-131].

Josué (2)

Fils de Josédech, grand prêtre des Juifs. Voyez Jésus, fils de Josédech, qui est le même, et dont on a parlé ci-devant.

Josué le Bethsamite (3)

Dans son champ, s’arrêta le chariot qui portait l’arche (1 Samuel 6.14-18).

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