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Fils de Jacob et de Rachel, frère de Benjamin, naquit en Mésopotamie (Genèse 30.22-24) l’an du monde 2259, avant Jésus-Christ 1741, avant l’ère vulgaire 1745. Joseph fut favorisé de Dieu de révélations et de songes prophétiques dès sa jeunesse. Jacob, son père, qui l’avait eu dans sa vieillesse, l’aimait, plus tendrement que ses autres fils, et il lui avait fait un habit de diverses couleurs. Ses frères, voyant ces petites marques d’amitié, en conçurent de la jalousie ; et Joseph, sans y penser, augmenta encore ces mauvaises dispositions, en accusant ses frères d’un crime énorme (Genèse 37.2-4), ou même en parlant mal d’eux, et en racontant les mauvais discours qu’ils tenaient. Les Septante, suivis des Pères grecs, lisent au contraire que ce furent ses frères, les enfants de Bala et de Zelpha, qui décrièrent Joseph auprès de leur père. Mais ce qui les indisposa le plus contre lui, ce furent certains songes qu’ils leur raconta. Il leur dit qu’il avait vu en songe douze gerbes de ses frères se prosterner devant sa gerbe, qui était debout dans un champ ; et une autre fois, qu’il avait vu le soleil et la lune et douze étoiles se baisser profondément en sa présence. Jacob écoutait tout cela dans le silence ; mais les frères de Joseph ne le pouvaient souffrir.
Un jour que ses frères paissaient leurs troupeaux vers Sichem, Jacob l’envoya pour les visiter. Un homme, ayant rencontré Joseph dans la campagne, lui dit que ses frères n’étaient plus à Sichem, mais à Dothaïm. Il y alla ; et ses frères l’ayant vu venir de loin, se dirent l’un à l’autre : Voici notre songeur qui vient ; venez, tuons-le, et le jetons dans une vieille citerne ; et nous dirons qu’une bête farouche l’a dévoré. Ils le saisirent donc et le dépouillèrent ; mais ils ne le tuèrent pas, Ruben s’étant opposé à la résolution qu’ils avaient prise de le faire mourir. Ils le descendirent dans une vieille citerne où il n’y avait point d’eau [Cette citerne existe encore, et on l’appelle la citerne de Joseph. Elle est au milieu de la plaine de Dothatm, et surmontée d’un petit dôme, qui, vu de loin, et éclairé par les rayons du soleil couchant, est semblable à un point tatane placé à l’horizon. C’est ainsi que l’a vue et qu’en parle M. Gilot de Kerhardène] ; mais peu de temps après, ayant aperçu une caravane de marchands Ismaélites et Madianites, qui venaient des montagnes de Galaad, et qui portaient des aromates et de la résine en Égypte, ils leur vendirent Joseph, et envoyèrent à Jacob sa tunique teinte du sang d’un chevreau qu’ils avaient tué ; et ils lui firent dire : Voilà une robe que nous avons trouvée ; voyez si c’est celle de votre fils, ou non. Jacob demeura inconsolable de la mort de son fils, qu’il croyait avoir été véritablement dévoré des bêtes ; et les frères de Joseph tinrent la chose extrêmement secrète.
Les marchands dont on a parlé vendirent Joseph pour esclave à Putiphar, eunuque ou officier de Pharaon, et général de ses troupes, ou capitaine de ses gardes. Joseph sut si bien gagner la confiance de son maître, qu’il lui donna l’intendance de sa maison (Genèse 39.1-3) et le soin de tout son domestique. Mais la femme de Putiphar, ayant conçu pour ce jeune esclave une passion criminelle, le sollicita plus d’une fois à consentir à son mauvais désir. Joseph s’en défendit toujours. Enfin un jour elle le pressa si fortement, qu’il ne put se tirer de ses mains, qu’en lui abandonnant son manteau, qu’elle tenait. Cette femme, se voyant ainsi méprisée, commença à crier et à se plaindre que ce jeune Hébreu l’avait voulu violer ; et montrant son manteau, qu’elle tenait en main, elle persuada aisément son mari que Joseph avait voulu lui faire violence. Putiphar mit donc Joseph en prison. Mais soit qu’il eût enfin reconnu son innocence, ou qu’il eût simplement compassion de sa disgrâce, il lui donna l’intendance sur les autres prisonniers, et le traita avec assez de douceur, sans toutefois le remettre en liberté.
Or il arriva que deux officiers du roi d’Égypte, son échanson et son panetier, ayant encouru la disgrâce de leur maître, furent aussi mis en prison avec Joseph (Genèse 40.1-3). Après quelque temps, ils eurent chacun un songe qui marquait ce qui leur devait arriver. Ils racontèrent leur songe à Joseph, qui leur en donna l’explication. Le songe de l’échanson était qu’il lui semblait qu’ayant exprimé du vin dans une coupe, il la présentait au roi à son ordinaire. Joseph lui dit que dans trois jours il serait rétabli dans son emploi, et le pria en même temps de ne pas oublier le service qu’il venait de lui rendre, et de lui procurer la liberté. Le panetier songea que des oiseaux venaient manger sur sa tête dans un panier toutes les sortes de pâtisseries et de pains qu’il avait coutume de servir devant le roi. Joseph lui prédit qu’il serait décapité, et ensuite attaché à la croix, où les oiseaux dévoreraient son cadavre. Ces prédictions furent bientôt suivies de l’effet. L’échanson fut rétabli dans sa première dignité ; mais il ne se souvint pas de son bienfaiteur, et ne parla point pour lors de Joseph à Pharaon.
Deux ans après, Pharaon eut un songe que nul ne put lui expliquer. Il lui sembla qu’il voyait sept vaches grasses et sept vaches maigres et que les maigres mangeaient et consumaient entièrement les grasses (Genèse 41.1-3). S’étant rendormi, il vit en songe sept épis beaux et pleins, et sept épis minces et desséchés, et que les épis vides consumaient les sept épis pleins. Ce songe l’ayant rempli d’inquiétude, son échanson se souvint enfin de Joseph, et dit au roi de quelle manière il avait expliqué le songe du panetier et le sien. En même temps Pharaon ordonna que l’on fit venir Joseph. On le tira de prison, on le rasa, on lui fit changer d’habits, et on le présenta devant le roi. Le roi lui raconta ses songes, et Joseph les lui expliqua, en disant que les sept vaches et les sept épis ne signifiaient qu’une même chose : que tout cela marquait qu’il viendrait d’abord sept années d’une très-grande abondance, lesquelles seraient suivies de sept autres années d’une telle stérilité, que l’on ne pourrait ni semer ni moissonner, et que pour prévenir le malheur de la famine des sept dernières années, il fallait choisir un homme sage et habile, qui pendant les sept années de fertilité, amassât dans les greniers du roi la cinquième partie des grains que la terre produirait, et qui seraient mis en réserve pour les sept années de famine.
Ce conseil fut bien reçu du roi et de tous ses officiers, et Pharaon dit à Joseph : Puisque vous nous avez fait connaître ce qui doit arriver, où pourrais-je trouver quelqu’un plus propre que vous pour l’emploi que vous proposez ? Je vous donne l’intendance de ma maison et de toute l’Égypte ; tout mon peuple vous obéira ; je n’aurai au-dessus de vous que le trône. En même temps il lui mit au doigt l’anneau qu’il portait, le fit revêtir d’une robe de fin lin, ou de coton, lui mit au cou un collier d’or, le fit monter sur le chariot qui suivait le sien, et fit crier devant lui par un héraut qu’il était l’intendant de toute l’Égypte. Il lui changea son nom, et le fit appeler (Genèse 41.45) Zaphnat-phaneah, qui signifie, en égyptien ; dit saint Jérôme, le Sauveur du monde d’autres le traduisent par : Celui qui découvre les choses cachées ; et il lui fit épouser Aseneth, fille de Putiphar, prêtre d’On ou Héliopolis. Les Pères et les interprètes sont partagés sur ce Putiphar. Les uns croient que c’est le même qui fut le premier maître de Joseph, et qui le mit en prison d’autres croient que c’en était un autre ; et en effet son nom s’écrit d’une manière un peu différente du premier. Saint Augustin n’ose rien décider sur cette question, et nous devons imiter sa retenue dans une matière où l’Écriture ne fournit pas d’assez fortes preuves pour nous déterminer. Joseph eut deux fils de son mariage, Manassé et Éphraïm, qui lui naquirent avant le commencement de la famine. Quant à Aseneth, on trouve une longue fable de son mariage avec Joseph, dans le Miroir Historial de Vincent de Beauvais, livre 11, chapitre 118. Voyez aussi l’Histoire Scolastique. [Voyez Aseneth]
Pendant les sept années de fertilité, Joseph eut soin de faire de grands amas de grains, ainsi qu’il l’avait conseillé lui-même. Et après cela on vit arriver la famine qu’il avait prédite. Cette famine n’affligea pas seulement l’Égypte, elle se fit aussi sentir dans les autres parties du monde, surtout dans la terre de Chanaan, où était Jacob avec ses fils. De toute part on venait en Égypte pour acheter des grains ; et Pharaon renvoyait tout le monde à Joseph, voulant qu’il fût le seul dispensateur de tout le froment du pays, et qu’il ne se fit rien que par ses ordres. Jacob envoya donc ses fils en Égypte, aussi bien que les autres (Genèse 42.1-3), pour y acheter de quoi vivre ; il ne retint avec lui que Benjamin, craignant qu’il ne lui arrivât quelque chose en chemin.
Joseph reconnut fort bien ses frères, quoiqu’ils ne le reconnussent pas. Il leur parla durement, leur dit qu’ils étaient des espions, retint Siméon dans les liens, apparemment parce qu’il avait été le plus ardent de ses ennemis, et ne laissa aller les autres qu’à condition qu’ils lui amèneraient le plus jeune de leurs frères, dont ils lui avaient parlé. En les renvoyant, il fit remplir leurs sacs de grains, et fit mettre l’argent de chacun d’eux au fond du sac, sans qu’ils s’en aperçussent.
Comme la famine croissait de jour en jour, Jacob fut contraint, malgré sa répugnance, d’envoyer de nouveau ses fils en Égypte, et de laisser aller avec eux Benjamin (Genèse 43.1-2). Lorsqu’ils furent arrivés auprès de Joseph, et qu’il eut vu avec eux son frère Benjamin, il ordonna à ses gens de préparer à manger pour ces étrangers, parce qu’il voulait qu’ils dînassent ce jour-là avec lui.
Cependant il alla à ses affaires, et ne revint que vers midi, pour dîner. Lorsqu’il fut entré, ses frères se prosternèrent en sa présence, et lui offrirent les présents que Jacob lui envoyait. Il leur demanda comment se portait leur père, et si ce jeune homme qu’ils avaient amené était leur jeune frère. Ayant salué Benjamin, il sortit promptement, parce qu’il ne pouvait plus retenir ses larmes. Après cela, il fit servir à manger. On servit à Joseph et aux Égyptiens à part, et aux Hébreux d’un autre côté, parce que les Égyptiens ne mangent pas avec les Hébreux, et qu’ils les regardent comme impurs et profanes. Joseph fit placer ses frères selon leur âge, et fit servir à Benjamin une portion cinq fois plus grande qu’aux autres ; ce qui les remplit tous d’admiration.
Le lendemain matin on leur donna du grain dans leurs sacs, et on mit secrètement dans celui de Benjamin (Genèse 44.1-3) la coupe de Joseph, Voyez Augure. À peine étaient-ils sortis de la ville, que Joseph fit courir après eux, et leur fit faire de grands reproches de la manière dont ils en usaient en prenant ainsi la coupe de l’intendant du pays, qui les avait comblés de biens et d’honneurs. On ouvrit le sac de Benjamin, et on y trouva en effet la coupe de Joseph. Cet accident les couvrit de confusion. Ils retournèrent tous à la ville avec Benjamin. Juda supplia Joseph de vouloir bien le recevoir pour esclave au lieu de Benjamin, et lui remontra que s’il retournait vers son père sans lui ramener son cher-fils, il le ferait mourir de douleur. Joseph ne pouvait plus retenir ses larmes (Genèse 45.1-3) ; et faisant sortir tous les étrangers qui étaient là, il éleva sa voix, et laissant rouler ses pleurs, il dit à ses frères : Je suis Joseph ; mon père vit-il encore ? Mais ils ne lui purent répondre, tant ils étaient saisis d’étonnement. Et les faisant approcher, il ajouta : Ne craignez point, et ne vous affligez point de ce que vous m’avez vendu. Dieu m’a envoyé en ce pays pour votre conservation. Allez vite vers mon père, et dites-lui de ma part de venir me trouver en ce pays-ci. Je vous donnerai la terre de Gessen, où vous demeurerez avec vos familles et vos bestiaux ; car la famine doit encore durer quelques années. Après cela il les embrassa tous, et principalement Benjamin, et les laissa aller.
Étant arrivés en la terre de Chanaan, ils annoncèrent à Jacob que Joseph, son fils, était en vie, et qu’il était comme le roi de toute l’Égypte. Jacob, à cette nouvelle, se réveilla comme d’un profond sommeil, et sans perdre de temps se disposa pour aller embrasser son fils en Égypte (Genèse 46.1-3). Étant arrivé à la frontière de ce pays, il envoya devant lui Juda, pour annoncer sa venue à Joseph. Joseph monta promptement sur son chariot, et vint au-devant de son père jusqu’à la terre de Gessen. Ils s’embrassèrent avec les transports de joie et de tendresse que l’on peut s’imaginer ; et Joseph, étant allé trouver Pharaon (Genèse 47.1-3), lui dit que son père et ses frères étaient venus de la terre de Chanaan ; qu’ils étaient pasteurs de brebis. En même temps il lui présenta Jacob et quelques-uns de ses frères. Le roi vit avec plaisir ce vénérable vieillard, et il dit à Joseph de leur donner la terre de Gessen, et de choisir, pour être intendants de ses troupeaux, ceux de ses frères qu’il croirait propres à cet emploi. Joseph donna donc à Jacob et à ses fils la terre de Gessen, où était la ville de Ramessé, afin qu’ils y demeurassent avec leurs troupeaux.
La famine croissant toujours, Joseph attira dans les coffres du roi tout l’argent des Égyptiens, pour du blé ; puis il leur demanda leur bétail, et ensuite leurs champs, et enfin leurs personnes. Ayant ainsi acquis tout le pays au profit du roi, il dit aux Égyptiens qu’il leur rendrait leur bétail et leurs champs, avec du blé pour semer, à condition qu’ils payeraient au roi la cinquième partie de tout ce qu’ils recueilleraient. Ils y consentirent, et c’est de là que vint la coutume qui s’observa dans la suite, que le cinquième des fruits de l’Égypte appartenait à Pharaon, à l’exception toutefois des terres des prêtres, qui furent privilégiées.
Jacob, ayant vécu dix-sept ans en Égypte, et sentant que le temps de sa mort approchait (Genèse 47.29), fit venir Joseph, et lui dit : Si j’ai trouvé grâce devant vous, mettez votre main sous ma cuisse, et promettez-moi de ne me pas enterrer dans ce pays. Joseph fit ce que son père désirait, et lui promit de l’enterrer dans la terre de Chanaan, dans le tombeau de ses pères. Après cela, Jacob adora Dieu, tourné vers le chevet de son lit (Genèse 47.31), ou, selon les Septante, il adora le sommet du bâton ou du sceptre que Joseph portait en sa main ; ou enfin, selon quelques nouveaux interprètes, il se recoucha, et se pencha sur le chevet de son lit. Il est certain que l’on peut donner à l’hébreu ces différentes significations, suivant les différentes manières de le lire. Quelque temps après, on avertit Joseph que son père était plus malade ; et ayant pris avec soi ses deux fils Manassé et Éphraïm, il l’alla voir. Jacob lui dit qu’il adoptait ses deux fils Manassé et Ephraim, et qu’ils seraient dans sa famille comme Ruben et Siméon. Après cela, il fit avancer les deux fils de Joseph, il les embrassa et les bénit ; et mettant ses mains sur leurs têtes, Joseph remarqua qu’il avait mis la main gauche sur la tête de Manassé, quoiqu’il fût l’aîné, et la droite sur Éphraïm, qui était le cadet. Joseph voulut les ôter.
Mais Jacob lui dit qu’il savait parfaitement ce qu’il faisait ; que Manassé serait père d’un grand peuple, mais qu’Éphraïm serait plus puissant. Après avoir béni Éphraïm et Manassé, il dit à Joseph qu’il lui donnait en héritage, par-dessus ses autres frères, le champ d’auprès de Sichem, qu’il avait gagné avec son épée et son arc (Genèse 33.18-19). Il voulait apparemment parler du champ situé près la ville de Sichem, qu’il avait acheté des enfants d’Hémor, à son retour de la Mésopotamie. Mais comment dit-il qu’il l’a tiré des mains de l’Amorrhéen avec son épée et avec son arc ? C’est peut-être qu’après sa retraite d’auprès de Sichem, à cause de la violence exercée par ses fils contre les habitants de cette ville, il fut obligé dans la suite de se remettre en possession de cet héritage, en chassant par la force les Amorrhéens, qui s’en étaient emparés. Voyez les Commentateurs sur (Genèse 48.22).
Après cela Jacob fit venir tous ses enfants, et donna à chacun d’eux une bénédiction particulière. Il dit à Joseph (Genèse 49.22-23) : « Joseph est un rejeton d’un arbre chargé de fruits, une branche d’un arbre planté sur le courant des eaux. Ses branches sont semblables à celles des arbrisseaux qui croissent le long des murailles. Ceux qui sont armés de dards l’ont attaqué : mais son arc est demeuré fortement tendu ; les liens de ses bras ont été déliés par la main du puissant Dieu de Jacob. Le Dieu de votre père sera votre secours, et le Tout-Puissant vous comblera de bénédictions tant du ciel que de la terre ; tant du lait des mamelles que du fruit des entrailles. Que les bénédictions que je vous donne soient au-dessus de toutes celles que j’ai reçues ; qu’elles s’étendent jusqu’à la venue du Désir des collines éternelles. » Lorsque Jacob fut expiré (Genèse 50), Joseph se jeta sur son visage, fondant en larmes. Ensuite il le fit embaumer par les médecins d’Égypte, dont le métier était aussi d’embaumer. Ils furent trente jours à l’embaumer ; et ensuite on le mit encore quarante jours dans le nitre, pour achever de dessécher ses chairs. Et pendant tout ce temps, qui fut de soixante-dix jours, on fit le deuil de Jacob dans toute l’Égypte. Le temps du deuil étant fini, Joseph fit demander au roi qu’il lui plût de lui permettre d’aller enterrer son père dans la terre de Chanaan. Le roi le permit, et Joseph fut accompagné dans ce convoi par les principaux de la cour de Pharaon et du reste de l’Égypte. Étant arrivés à l’aire d’Athad, ils y firent encore un deuil de sept jours, après quoi ils mirent le corps dans la caverne double, ou dans la caverne de Macphela, qu’Abraham avait achetée d’Ephron le Héthéen. Or, après que Joseph fut retourné en Égypte, ses frères, craignant qu’il n’eût quelque ressentiment contre eux, lui firent dire : Votre père nous a ordonné, avant sa mort, de vous prier de nous pardonner ce que nous avons fait contre vous : nous vous demandons donc aujourd’hui cette grâce. Joseph versa des larmes, et lorsqu’ils furent en sa présence, il leur dit : Pouvons-nous résister à la volonté de Dieu ? Dieu a changé en bien les mauvais desseins que vous aviez conçus contre moi. Ne craignez point : je vous nourrirai, vous et vos enfants.
Joseph, après avoir vécu cent dix ans, et avoir vu ses petits-fils jusqu’à la troisième génération, tomba malade, et dit à ses frères : Dieu vous visitera après ma mort, et vous tirera de ce pays, pour vous faire entrer dans la terre qu’il a promise à nos pères. Promettez-moi donc avec serment de transporter mes os avec vous, lorsque vous sortirez de ce pays. Ils le lui promirent ; et après sa mort (An du monde 2269, Avant. Jésus-Christ 1731, Avant l’ère vulgaire 1735) son corps fut mis dans un cercueil en Égypte, et Moïse transporta son corps, lorsqu’il tira les Israélites de ce pays (Exode 13.19). Il fut donné en garde à la tribu d’Éphraïm, qui l’enterra près de Sichem (Josué 24.32), dans le champ que Jacob avait donné en propre à Joseph, un peu avant sa mort. Les rabbins ont débité bien des contes sur le sujet du cercueil de Joseph, que les Égyptiens avaient, disent-ils, caché sous la terre dans le lit du fleuve, de peur que les Hébreux ne l’emportassent, sachant que dès qu’ils auraient ce corps, les Égyptiens ne pourraient plus les retenir dans leur pays. Mais Moïse sut le découvrir et l’enlever malgré eux.
L’auteur de l’Ecclésiastique (Ecclésiaste 49.16-17) fait l’éloge du patriarche Joseph en ces termes : De Jacob est né cet homme de miséricorde, qui a trouvé grâce aux yeux de toute chair. Il naquit pour être le prince de ses frères et l’appui de sa famille ; pour être le chef de ses proches et le ferme soutien de son peuple. Ses os ont été visités, et ont prophétisé après sa mort. Il veut marquer que ses os furent transportés hors de l’Égypte, et que cela arriva ensuite de la prophétie qu’il avait faite, que Dieu visiterait les Hébreux et les ferait entrer dans la terre promise [Voyez Apis, il y a des écrivains qui prétendent que les Hébreux ont emprunté des Égyptiens leurs lois, leurs usages, etc. Cette opinion, qui n’est fondée qu’en apparence, n’est pas universellement reçue ; et c’est un auteur moderne, d’un mérite distingué que je vais citer à propos de Joseph, qui me fournit l’occasion de faire cette remarque. « Bien que le collège des prêtres de l’Égypte, dit-il, ne puisse guère nous paraître plus vénérable que les autres pontifes du paganisme, il est difficile de ne pas reconnaître, dans les institutions religieuses et civiles des Égyptiens, une empreinte assez remarquable de l’antique sagesse d’Abraham et de Jacob. Il ne faut pas oublier que Joseph fut le principal ministre de ce royaume pendant quatre-vingts ans. C’est même à lui que la tradition orientale attribue la fondation de Memphis, la construction du canal du Caire pour l’écoulement des eaux du Nil, l’érection des obélisques et des pyramides, que, dans le moyen-âge, on prenait encore pour les greniers de prévoyance de Joseph. On sait que le peuple lui donna jadis le nom de père tendre, et Pharaon celui de l’homme qui sait les choses cachées. Peut-être le dépôt mystérieux des prêtres égyptiens enfermait-il des traditions secrètes communiquées par cet illustre fils de Jacob. Peut-être la politique avait-elle recommandé à cet égard une prudence sévère… ».
Je ferai encore une remarque, c’est qu’on n’est pas bien fixé aujourd’hui sur ce qu’on appelait autrefois les greniers de Joseph. Ce ne sont pas des pyramides que des voyageurs modernes reconnaissent pour avoir porté ce nom jadis, comme on va le voir plus loin dans une note.
M. Champollion-Figeac, qui appelle légende la narration historique de la vie de Joseph donnée par Moïse, établit le rapport chronologique entre cette narration et la dynastie des pasteurs. Laissons-le parler.
« Les écrivains grecs, commentateurs de la Bible, et parmi eux les plus savants, dit-il reconnaissent unanimement que les malheurs et le triomphe de Joseph en Égypte se passèrent pendant le règne du roi Apophis, le quatrième de la 17e dynastie, de celle des Pasteurs, qui avaient fait de Memphis le lieu de la résidence royale. Ces mêmes écrivains fixent à la 17 année du règne d’Apophis l’élévation de Joseph au gouvernement de l’Égypte. Les dates historiques, tirées des monuments originaux précédemment exposés, nous paraissent convenir avec ces mêmes indications : nous devons au lecteur de le rendre juge de ce sentiment.
Selon le tableau des dynasties égyptiennes qui se trouve à la page 269 de ce précis, la 17e année du règne d’Apophis répondait à l’an 1967 avant l’ère chrétienne : Joseph était alors âgé de 30 ans ; si, à ce dernier nombre, on ajoute 91 ans pour l’âge de Jacob à la naissance de Joseph, 60 ans pour l’âge d’Isaac à la naissance de Jacob, et les 25 ans dont la venue d’Abraham en Égypte précéda la naissance d’Isaac, on aura un total de 206 années, qui, ajoutées à l’an 1967 qui répondait à la 17e année d’Apophis de la 17e dynastie, donnent l’année 2173. Or, cette année 2173, d’après le même tableau précité, appartient à la 16e dynastie égyptienne ; et c’est en effet durant le règne de celle même dynastie que nous avons déjà indiqué (page 293) la venue d’Abraham en Égypte : les temps de Joseph, premier ministre du pasteur Apophis, s’accordent ainsi très-bien avec les temps d’Abraham et avec l’ordre généralement reconnu des dynasties d’Égypte pour les époques qui précédèrent son invasion.
Il en est de même pour les temps qui la suivirent ; aux sept années de fertilité succéda, en Égypte et dans les contrées voisines, une famine générale. Les frères de Joseph se rendirent en Égypte pour acheter des grains ; la seconde année de la famine, ils amenèrent Jacob auprès de leur frère qui s’était fait connaître ; et 17 ans après Jacob mourut ; Joseph comptait alors la 56e année de son âge, et Apophis la 43e de son règne. Ce roi parvint jusqu’à la 61e ; et, à sa mort, l’an 1922 avant Jésus-Christ, Joseph était âgé de 74. ans. Or, qu’on prolonge sa vie jusqu’à 110 ans, comme le disent les écrivains bibliques, ou qu’on lui donne âge d’homme comme à tous les hommes ses contemporains dans l’histoire, le règne des deux rois pasteurs qui succédèrent à Apophis dépassera toujours de près d’un siècle la durée de la vie de Joseph ; et, dans ces mêmes supputations, Joseph aura pu voir les petits-fils de ses fils, Éphraïm et Manassé ; enfin, de la mort de Joseph jusqu’à l’Exode, ou la sortie des Hébreux de l’Égypte sous la conduite de Moïse, la suite des années suffira pour placer dans un ordre régulier de succession tous les événements que la Bible raconte à la suite de la mort de Joseph : celle de ses frères, de sa parenté, la multiplication des Israélites, et l’avènement de ce roi nouveau, qui, selon la Bible, ignorant et Joseph et sa renommée, opprima le peuple d’Israël, et le soumit à la plus dure servitude. C’est ainsi que les annales de l’Égypte, dressées d’après l’autorité des monuments originaux, se prêtent exactement aux relations synchroniques des annales des peuples qui la connurent, et que la concordance de ces rapports pour les temps et les lieux, produit, pour ces annales diverses, rédigées dans des intérêts mutuellement inconnus les uns aux autres, des certitudes mutuelles » (Champollion)]. Voyez Pharaon.
On lit, dans le Testament des douze patriarches, plusieurs particularités de la vie de Joseph, qui sont absolument apocryphes, aussi bien que la prophétie que Joseph y fait de la naissance de la sainte Vierge, qui sera, dit-il, de la tribu de Juda et de Lévi, et qui donnera naissance a l’Agneau de Dieu. Joseph dit ensuite à ses enfants d’emporter les os de Zelpha, et de les enterrer dans le pays de Chanaan, auprès du tombeau de Rachel. Plusieurs savants ont cru que les Égyptiens avaient adoré Joseph sous les noms d’Apis, d’Osiris et de Sérapis, et même sous les noms d’Hermès, de Thamuz et d’Adonis. On a attribué à Joseph un livre intitulé : La Prière de Joseph, qui est citée en plus d’un endroit (Origène…). Trithème parle d’un livre magique attribué à Joseph, et intitulé : Le Miroir de Joseph.
Artapane, cité dans Eusèbe, dit que Joseph, étant venu en Égypte, montra aux Égyptiens la manière de partager les champs, et de cultiver chacun son propre héritage ; au lieu qu’auparavant chacun cultivait ce qu’il jugeait à propos, toutes les terres étant en commun. Il ajoute qu’il inventa aussi les mesures ; ce qui lui mérita des honneurs extraordinaires de la part de ces peuples. Mahomet, dans l’Alcoran surate 12 raconte au long l’histoire de Joseph ; mais il y mêle plusieurs circonstances fabuleuses, sur lesquelles les Orientaux ont encore beaucoup enchéri. Voyez les Notes de Maraccius sur l’Alcoran.
Nous avons parlé du mariage de Joseph avec la fille de Putiphar, sous l’article d’Aseneth. Les mahométans ont plusieurs livres contenant les amours prétendus de Joseph avec Zoleïkha, fille de Pharaon, roi d’Égypte, et femme de Putiphar. Ils se servent du nom et de l’exemple de Joseph pour élever leur cœur à l’amour de Dieu. Joseph et Zoleïkha sont, à leur égard, ce que sont, dans le Cantique des cantiques de Salomon, l’Époux et l’Épouse ; c’est-à-dire, Jésus-Christ et l’Église, ou Dieu et l’âme fidèle ; sous l’allégorie d’un amour ordinaire, on élève le cœur à un amour divin et surnaturel.
Mahomet raconte l’histoire de Joseph d’une façon assez différente de Moïse. Joseph ayant raconté à son père son songe du soleil, de la lune et des douze étoiles qui l’adoraient, Jacob lui dit Mon fils, ne dis pas ton songe à tes frères, ils conspireront contre toi : le diable est ennemi déclaré des hommes ; tu seras l’élu du Seigneur, etc. Les frères de Joseph, voyant que leur père l’aimait mieux qu’eux tous, résolurent de le tuer. Ils dirent un jour à Jacob : Pourquoi n’envoyez-vous pas Joseph aux champs avec nous ? nous en aurons grand soin, il se divertira et se réjouira. J’appréhende, répondit-il, que vous ne soyez négligents à le garder. Craignez-vous, ont-ils dit, que le loup ne le mange auprès de nous, et que nous n’ayons pas la force de le défendre ? Ils l’emmenèrent le matin avec eux, et le jetèrent dans un puits. Le soir ils retournèrent chez leur père les yeux baignés de larmes feintes, et lui dirent Mon père, nous jouions et courions à qui courrait mieux ; Joseph était demeuré auprès de nos hardes, le loup est venu qui l’a mangé ; et comme Jacob n’en voulait rien croire, ils lui montrèrent sa chemise ensanglantée. Jacob leur dit : C’est vous qui avez fait cela ; vous en répondrez devant Dieu, il est mon protecteur ; et prit patience sans crier.
Le même jour il passa une caravane auprès de ce puits, qui voulut puiser de l’eau pour boire. Ils descendirent leur seau dedans, et Joseph s’y attacha pour sortir. Ils lui donnèrent des habits, l’emmenèrent secrètement, et le vendirent à bon marché, argent comptant. Celui qui l’acheta, en Égypte, commanda à sa femme d’en avoir soin ; qu’un jour il serait utile à leur service, et leur servirait d’enfant. Lorsqu’il fut arrivé à l’âge de vingt ans, Zoleïkha, femme de son maître, conçut pour lui une passion déréglée ; elle l’enferma un jour dans sa chambre, et voulut le solliciter au crime. Dieu me garde, dit-il, de trahir mon maître, et de tomber dans le désordre ; et en même temps il s’enfuit vers la porte. Sa maîtresse l’arrêta, et arracha sa chemise par le dos. Son mari se rencontra derrière la porte ; elle lui dit : Que mérite celui qui a voulu déshonorer la maison de son maître, sinon d’être mis en prison, et rigoureusement châtié ? Seigneur, dit Joseph, c’est elle qui me sollicite ; cet enfant qui est dans le berceau en sera témoin. L’enfant, qui était au berceau, dit : Si la chemise de Joseph est déchirée par devant, elle dit la vérité ; et si la chemise est déchirée par derrière, Joseph a dit vrai, et elle est menteuse, Le mari, ayant vu la chemise de Joseph déchirée par derrière, reconnut l’innocence de celui-ci et la malice de sa femme.
Le bruit de cette action se répandit bientôt dans la ville, et les dames disaient que la femme du riche avait sollicité son valet. La maîtresse de Joseph, l’ayant appris, leur fit un très-beau festin. Lorsqu’elles furent à table, elle fit entrer Joseph : dès qu’il parut, elles demeurèrent comme interdites de l’extrême beauté de ce jeune homme, en sorte que, ne sachant plus ce qu’elles faisaient ; elles se coupaient les doigts, au lieu de couper de la viande, et disaient entre elles : Ce n’est pas un homme, c’est un ange. Voilà, leur dit Zoleïkha, comme pour s’excuser ; celui que j’ai aimé avec tant de passion. Quelque temps après elle le sollicita de nouveau, et Joseph ayant témoigné la même fermeté qu’auparavant, elle le fit mettre mi prison, où il expliqua les songes du panetier et de l’échanson de Pharaon.
Joseph demeura prisonnier pendant neuf ans ; après lesquels le roi eut le songe des sept vaches et des sept épis, qui fut expliqué par Joseph, non à Pharaon, mais à l’échanson du roi, à qui il avait auparavant expliqué le songe de la grappe dont il exprimait le jus dans la coupe de Pharaon. Cet homme, qui était alors en liberté, ayant prié Joseph de lui expliquer le songe du roi, Joseph le satisfit et l’échanson alla en rendre compte à Pharaon. Ce prince mit Joseph en liberté, et l’établit surintendant de ses finances.
Mahomet raconte ensuite de quelle manière les frères de Joseph vinrent en Égypte pour y acheter du blé ; comme Benjamin y fut arrêté ; comme Joseph se découvrit à ses frères, et leur dit : Retournez trouver votre père, et lui portez cette chemise ; jetez-la-lui sur la face, et il recouvrera la vue ; après cela revenez ici avec toute votre famille. La caravane était encore à moitié chemin de son retour, lorsque Jacob dit à ceux qui étaient auprès de lui : Je sens l’odeur de mon fils Joseph ; vous vous moquez de moi, mais ce que je dis est véritable. Quelques jours après arriva un de ses fils, qui lui apporta des nouvelles de Joseph ; et lui ayant jeté la chemise de son cher fils, il eu recouvra aussitôt la vue, qu’il avait perdue à force de pleurer. Jacob ne tarda pas à se rendre en Égypte avec toute sa famille. Joseph le prit par la main, et lui dit : Entrez dans l’Égypte sans peur ; en même temps il le fit asseoir et ses frères se prosternèrent devant lui. Alors il lui dit Mon père, voilà l’explication de mon songe, l’a rendu véritable. Voilà comme ce fameux imposteur raconte l’histoire de Joseph.
Ses sectateurs disent que Joseph avait dix-sept ans lorsqu’il fut vendu ; que le roi d’Égypte, qui régnait alors, était Rian, fils de Valid ; que ce prince, qui est aussi nommé Pharaon, c’est-a-dire en langue égyptienne, monarque absolu, fut instruit par Joseph de la connaissance du vrai Dieu ; mais qu’il eut pour Successeur un impie nommé Kabous, fils de Massaab ; que depuis l’arrivée de Jacob en Égypte, jusqu’à la sortie des Israélites, sous Moïse, il se passa 430 ans ; que ce législateur emporta les os et le cercueil de Joseph, qu’il trouva dans le lit du Nil.
Ebn Batrik, autrement Eutychius, patriarche d’Alexandrie, dit que Joseph, âgé de trente ans, épousa Azim, fille du Kahen d’Aïn Schems, c’est-à-dire du prêtre, du devin de la fontaine du Soleil : c’est le nom qu’on donne à l’ancienne ville d’On, nommée par les Grecs Héliopolis. Il ajoute que la mesure du Nil, qui est à Memphis, est l’ouvrage de Joseph, aussi bien que le canal creusé dans la ville du Caire pour la décharge des eaux du Nil. C’est ce canal que nos voyageurs appellent ordinairement le Catis. Quant a la mesure du Nil, c’est une colonne dressée au milieu de ce fleuve, sur laquelle sont marqués les degrés de l’accroissement ou de la diminution des eaux du Nil, qui font le bonheur et la fertilité du pays. S’il s’élève à la hauteur de dix-huit degrés, ou de dix-huit brasses, c’est une très-grande abondance dans l’Égypte ; s’il ne s’élève qu’au-dessous de quatorze degrés, on doit s’attendre à la disette.
Les Orientaux attribuent aussi à Joseph les puits [Voyez puits] et les greniers publics, qui portent encore aujourd’hui son nom, de même que les obélisques et les pyramides. En un mot, on lui fait honneur de tout ce qu’il y a de plus rare et de plus ancien dans l’Égypte. Ils veulent qu’il ait enseigné aux Égyptiens les sciences les plus relevées, et surtout la géométrie, qui leur était fort nécessaire pour le partage et la division de leurs terres. Ils croient qu’il avait sur l’épaule un point lumineux semblable à une étoile, qui était un caractère ineffaçable du don de prophétie et de sa future grandeur.
Fils de Tobie et d’une sœur du grand prêtre Onias. Ce grand prêtre, qui gouvernait les Juifs comme chef de la nation dans le civil (Il fut sacrificateur en 229 av Jésus-Christ) comme dans le gouvernement ecclésiastique, était extrêmement avare, et avait avec cela un fort petit génie et fort peu de prudence. Il négligea pendant quelques années de payer au roi d’Égypte un tribut de vingt talents que ses prédécesseurs avaient toujours payé régulièrement, comme un hommage qu’ils faisaient à cette couronne. Le roi envoya Athénion, un de ses courtisans, à Jérusalem, pour contraindre les Juifs de payer les arrérages, qui montaient à une somme considérable, les menaçant, si on ne lui comptait cette somme, d’envoyer des soldats qui les chasseraient du pays, et partageraient les terres entre eux. Cette demande n’émut pas beaucoup Onias, que l’âge avait rendu comme insensible ; mais elle causa une terrible alarme à Jérusalem.
Joseph neveu d’Onias, était alors dans une maison de compagne. Sa mère lui écrivit ce qui se passait ; il revint aussitôt à Jérusalem, parla à Onias, son oncle, lui remontra le danger auquel il exposait toute la nation, lui dit qu’il n’y avait qu’un seul parti à prendre, qui était d’aller au plus tôt en Égypte pour tâcher d’accommoder l’affaire, en s’adressant directement au roi. Onias ne se trouvant pas en état ni en disposition d’entreprendre le voyage, Joseph offrit de se charger de la commission, et d’aller trouver Ptolémée ; à quoi Onias consentit sans peine.
Dès qu’il eut obtenu ce consentement, il assemble le peuple dans le parvis extérieur du temple, leur expose ce qu’il a fait avec son oncle, et leur dit que s’ils voulaient approuver le choix que son oncle avait fait de lui, ils n’avaient qu’à se mettre l’esprit en repos, et qu’il ne doutait point qu’il ne raccommodât l’affaire. Le peuple lui fit de grands remerciements et le pria de continuer. Au sortir de l’assemblée il va trouver Athénion, le mène chez lui, le régale magnifiquement, lui fait des présents considérables, et le prie d’assurer le roi qu’il se rendra incessamment à la cour, et qu’il fera en sorte qu’il sera satisfait.
Athénion revint à Alexandrie charmé des manières obligeantes de Joseph, et parla de lui d’une manière si avantageuse, que le roi se fit un plaisir de le voir, et se prépara à le recevoir avec tous les agréments possibles.
Dès qu’Athénion fut parti, Joseph emprunta d’un banquier de Samarie vingt mille drachmes, qui font environ cent dix-huit mille livres de notre monnaie, supposé que ce soient des drachmes d’or à 5 livre 13 s. 6 à l’une. De cet argent il se fit faire un équipage, avec lequel il partit pour se rendre à Alexandrie.
Sur la route il rencontra des gens de la première qualité de la Célé-Syrie et de la Palestine, qui y allaient aussi, et fit le voyage avec eux. Leur dessein était d’y prendre les grandes fermes de ces provinces. Comme ils avaient un train magnifique pour faire figure à la cour, ils se moquaient de celui de Joseph qui n’en approchait pas. Il souffrait leurs plaisanteries avec esprit, observant ce qu’ils disaient sur les qualités et les revenus de leur pays, et en tira assez de lumières pour se mettre en état de pouvoir rire à son tour à leurs dépens tout le reste de sa vie.
Étant arrivés à Alexandrie, ils apprirent que le roi était allé faire un tour à Memphis. Joseph, sans perdre de temps, se mit en chemin pour l’aller trouver. Il le rencontra comme il revenait avec la reine et Athénion dans son char. Athénion le reconnut, et dit au roi que c’était là ce jeune homme, neveu d’Onias, dont il lui avait parlé. Le roi le fit monter dans son char, et lui parla du mécontentement qu’il avait d’Onias, au sujet du payement des tributs. Joseph excusa son oncle le mieux qu’il put, et sut si bien gagner le roi, que ce prince lui fit donner un appartement dans le palais royal à Alexandrie, et le faisait même manger à sa table.
Le jour de l’adjudication des fermes du roi étant venu, quand ce fut le tour de celles de Célé-Syrie et de Phénicie, les compagnons de voyage de Joseph n’offrirent pour les provinces de Célé-Syrie, de Phénicie, de Judée et de Samarie, que huit mille talents. Joseph, qui pendant le voyage avait observé tout ce qu’ils avaient dit sur ce sujet, et avait compris que ces fermes valaient plus du double, leur fit des reproches de ce qu’ils mettaient les revenus du roi si bas, et en offrit le double, ou seize mille talents, dont les partisans avaient accoutumé de profiter, et qu’il offrit de remettre au trésor. Ptolémée, ravi de voir augmenter si considérablement ses revenus, mais craignant que Joseph ne fût pas en état de payer ce qu’il offrait, lui demanda là-dessus quelle caution il donnerait. J’en donnerai, sire, répondit-il, dont vous serez content ; et je me flatte que vous et la reine voudrez bien répondre pour moi. Le roi se mit à rire de cette saillie, et lui fit adjuger la ferme.
Après cela, il emprunta à Alexandrie cinq cents talents, avec lesquels il paya au roi ce que lui devait son oncle, et s’étant fait déclarer receveur général des deniers du roi dans les provinces dont on a parlé ci-dessus, on lui accorda aussi une garde de deux mille hommes, qu’il demanda pour sa sûreté dans l’exécution de ce nouvel emploi, et partit aussitôt d’Alexandrie pour en aller prendre possession. Étant arrivé à Ascalon, qui était de son département, il voulut se faire payer des deniers qui étaient dus au roi ; mais on lui parla grossièrement et insolemment, et on lui refusa le payement. Il fit prendre par ses soldats vingt des plus mutins, les fit châtier comme ils le méritaient, et envoya au roi mille talents qu’il retira de leurs biens confisqués. Cet exemple et un pareil qu’il fit à Scythopolis, où il trouva aussi de la résistance, intimidèrent si fort tous les autres, qu’il ne trouva plus aucune opposition à lever les deniers du roi. Il fut continué dans cet emploi pendant vingt-deux ans, apparemment jusqu’à ce que ces provinces furent conquises par Antiochus le Grand, roi de Syrie, vers l’an du monde 3802. Ainsi il faudrait dire que Joseph entra dans cet emploi vers l’an 3780.
Le roi Antiochus le Grand ayant marié sa fille Cléopâtre à Ptolémée Épiphane, roi d’Égypte, en 3812, et lui ayant donné pour dot la Célé-Syrie, la Phénicie, la Judée et la Samarie, Joseph rentra apparemment dans son emploi de receveur des tributs ; et il le tint encore pendant quelque temps, puisque la reine Cléopâtre étant accouchée d’un fils vers l’an 3817, et toutes les personnes de qualité et de distinction de la Célé-Syrie et de la Palestine étant allées à Alexandrie en féliciter le roi et la reine, Joseph, n’étant plus en état de faire le voyage, y envoya son fils Hircan, dont nous avons parlé ci-devant sous le nom d’Hircan.
Jils de Jacob, petit-fils de Mathan (Matthieu 1.15-16), époux de la sainte Vierge, et père nourricier de Jésus-Christ. Tout ce que l’on dit de son âge et des autres circonstances de sa vie, à l’exception de ce qui se lit dans l’Évangile, n’étant fondé que sur des autorités apocryphes, nous ne nous y arrêterons pas. Plusieurs anciens ont cru qu’avant son mariage avec la sainte Vierge, il avait eu une autre femme nommée Escha, ou Marie, de laquelle il avait eu saint Jacques le Mineur, et les autres, que l’Écriture appelle les frères de Jésus-Christ. Mais cela est entièrement contraire à ceux qui tiennent que saint Joseph a toujours gardé une virginité parfaite ; sentiment qui est enseigné par saint Jérôme contre Helvidius, et qui est aujourd’hui communément suivi par les Latins. De plus, l’opinion qui veut que saint Jacques le Mineur soit fils de saint Joseph et de Marie, que l’on croit être la sœur de la sainte Vierge ; cette opinion, dis-je, est insoutenable, puisque Marie, mère de Jacques, vivait encore au temps de la passion de Jésus-Christ (Marc 15.40), à moins qu’on ne veuille dire que saint Joseph l’avait répudiée, pour épouser la sainte Vierge ; ou que ce saint a eu en même temps pour femmes les deux sœurs, ce qui est entièrement contraire à la loi (Lévitique 18.18). Voyez la note 3 de M. de Tillemout sur saint Jacques le Mineur.
L’Évangile apocryphe de la naissance de la Vierge, suivi par saint Épiphane et par plusieurs autres, porte que saint Joseph était fort vieux, lorsqu’il épousa la sainte Vierge. Sainte Épiphane lui donne plus de quatre-vingts ans, et dit qu’il avait déjà six enfants d’une première femme. Il n’épousa pas la sainte Vierge par son choix, mais par le sort ; ni pour en user avec elle comme avec sa femme, mais simplement pour être le gardien de sa virginité. d’autres croient qu’il fut obligé de l’épouser, comme étant son plus proche parent et son plus proche héritier. La verge fleurie que les peintres mettent entre les mains de saint Joseph, désigne la verge qu’il présenta au grand prêtre, avec les autres de la maison de David, qui pouvaient prétendre au mariage de Marie. De toutes ces verges, il n’y eut que celle de Joseph qui fleurit. C’était le signe par lequel Dieu déclarait ordinairement sa volonté sur ces sortes de mariages des vierges qui lui étaient consacrées. Mais laissons ces rêveries tirées des livres apocryphes, comme les appelle saint Jérôme, et attachons-nous à ce que l’Évangile nous apprend de saint Joseph.
Saint Joseph était juste, dit l’Évangile (Matthieu 1.19) ; et c’est le plus grand éloge qu’on puisse faire de sa vertu, puisque la justice comprend toutes les vertus. Il épousa la sainte Vierge, qu’il savait bien être dans la résolution de garder la virginité et par conséquent il était lui-même dans la même résolution. Sa demeure ordinaire était à Nazareth, surtout depuis son mariage : car il y a des auteurs qui croient que sa véritable patrie était Capharnaüm ; d’autres, que c’était Bethléem. Il vivait du travail de ses mains, et était artisan (Matthieu 13.55) de son métier : mais on n’est pas d’accord quel métier il exerçait. Les uns le font charpentier ; d’autres, serrurier ; d’autres, maçon. Saint Justin le Martyr dit qu’il travaillait à faire des jougs et des charrues. Le livre apocryphe de l’enfance de Jésus, qui est très-ancien, rapporte un miracle que le Sauveur fit dans la boutique de son père, qui était charpentier. Saint Ambroise dit qu’il travaillait à abattre et à tailler des arbres, et bâtir des maisons ; mais au même endroit il parle des outils de serrurier, qu’il maniait, et dont il se servait. Libanius ayant demandé en raillant à un chrétien ce que faisait Jésus-Christ : Il fait, lui répondit-il, un cercueil pour l’empereur Julien. L’auteur de l’ouvrage imparfait sur saint Matthieu, saint Thomas, et grand nombre de nouveaux interprètes, le font aussi charpentier.
Ceux qui tiennent que saint Joseph était serrurier ou maréchal, citent saint Hilaire, saint Pierre Chrysologue, Bède le Vénérable, l’Évangile hébreu de saint Matthieu, donné par Tilius. Hugues le Cardinal le fait orfèvre ; mais il ne désapprouve pas le sentiment qui le fait maçon. Théophile d’Antioche et saint Ambroise ne répugnent pas à le faire serrurier, puisqu’ils disent qu’il travaillait avec le soufflet et le feu.
Le mystère de l’Incarnation du Fils de Dieu n’avait point d’abord été découvert à saint Joseph ; et ce saint homme, ayant remarqué la grossesse de Marie son épouse, ou sa fiancée, et ne sachant à quoi l’attribuer, voulut la renvoyer secrètement, en lui donnant un billet de divorce, au lieu de la déshonorer publiquement. Mais lorsqu’il était dans cette résolution, l’ange du Seigneur lui apparut en songe, et lui dit (Matthieu 1.18) : Joseph, fils de David, ne craignez point de prendre Marie pour votre épouse ; parce que ce qui est formé dans elle vient du Saint-Esprit. Elle enfantera un fils, et vous lui donnerez le nom de Jésus, ou de Sauveur ; parce qu’il sauvera son peuple, et le délivrera de ses péchés. Après cela Joseph prit Marie dans sa maison, et la retint comme son épouse.
Environ six mois après (An du monde 4000, 1 de Jésus-Christ), Joseph fut obligé d’aller à Bethléem, lieu de son origine, pour s’y faire enregistrer (Luc 2.1-3) avec Marie, son épouse, en conséquence d’une ordonnance de l’empereur Auguste, qui faisait faire un dénombrement général de tout l’empire. Pendant qu’ils étaient en ce lieu, le temps auquel Marie devait accoucher arriva, et elle mit au monde son Fils Jésus-Christ. Le temps de la purification de Marie étant arrivé quarante jours après la naissance de l’Enfant, Joseph et Marie le portèrent à Jérusalem, et firent tout ce qui est ordonné par la loi dans de pareilles occasions. Comme ils se disposaient à s’en retourner à Bethléem, l’ange du Seigneur avertit Joseph en songe (Matthieu 2.13-14), qu’il eût à porter l’Enfant en Égypte, parce que le roi Hérode cherchait à le faire mourir. On ne sait combien de temps ils demeurèrent en Égypte : mais il y a beaucoup d’apparence qu’ils n’y séjournèrent pas longtemps, puisque Hérode mourut vers la fête de Pâque, peu de mois après le massacre des Innocents. [Voyez Jésus-Christ]
Alors l’ange avertit de nouveau saint Joseph qu’il pouvait revenir en Judée. Lorsqu’il y fut de nouveau arrivé, ayant appris qu’Archelaüs avait succédé à Hérode, et craignant que ce prince n’eût hérité de la cruauté de son père, au lieu d’aller à Jérusalem ou à Bethléem, il se retira à Nazareth, dans la Galilée, qui n’était pas du royaume d’Archélaüs, mais de celui d’Hérode-Antipas. Il y demeura jusqu’à sa mort, occupé à travailler de son métier, et vivant dans une grande simplicité et dans une grande exactitude à pratiquer les observances de la loi. Il amena Jésus-Christ, âgé de douze ans, avec Marie à Jérusalem pour la fête de Pâque, et ils eurent la douleur de le perdre pendant trois jours (Luc 2.42-51). Lorsqu’ils le trouvèrent dans le temple, la Vierge dit à Jésus : Mon Fils, pourquoi avez-vous agi ainsi avec nous ? Voilà votre père et moi qui vous cherchions tout affligés. Mais Jésus leur répondit : Pourquoi est-ce que vous me cherchiez ? ne saviez-vous pas qu’il faut que je sois occupé à ce qui regarde le service de mon Père ? Ou, selon une autre traduction : Ne saviez-vous pas que le lieu où il me fallait chercher était la maison de mon Père (Luc 2.49) ? Mais ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait : il s’en retourna a Nazareth, et il leur était soumis.
Voilà ce que l’Écriture nous apprend de saint Joseph. On croit avec beaucoup de probabilité qu’il était mort avant que Jésus-Christ commençât à prêcher l’Évangile. Saint Joseph ne paraît point ni aux noces de Cana, ni dans aucune autre circonstance de la prédication du Sauveur ; et Jésus-Christ à la croix recommande sa sainte Mère à saint Jean, ce qu’il n’aurait pas fait sans doute si elle avait eu son mari. Les voyageurs prétendent que son tombeau est dans la vallée de Josaphat, à l’orient de Jérusalem ; mais les anciens n’en ont point parlé. On ne montre nulle part aucune des reliques de son corps, mais seulement quelques-uns de ses meubles, comme son anneau nuptial, qu’on prétend avoir à Pérouse, en Italie, et en quelques autres lieux. Son nom se trouve dans de très-anciens Martyrologes au 19 de mars : mais on n’a commencé à faire sa fête qu’assez tard. On croit que ce furent les carmes qui apportèrent cette fête d’Orient dans les églises d’Occident ; et la dévotion particulière qu’eut sainte Thérèse envers saint Joseph n’a pas peu contribué dans le dernier siècle à augmenter la solennité de son culte [« Fiancé de Marie, dit un auteur protestant, Joseph a porté, selon les usages juifs, le nom de son époux. Avant que les Évangiles eussent été publiés, Jésus quelquefois a été cru fils de Joseph (Marc 13.55 ; Luc 4.22 ; Jean 1.45 ; 6.42), et les historiens sacrés ont rapporté, sans crainte et sans scrupule, cette erreur, que leurs récits réfutaient si bien. Son exemple prouve avec quel soin les généalogies étaient encore conservées, puisqu’un simple artisan se faisait inscrire sans contradiction comme issu du sang de David d’un accord unanime, on prend aujourd’hui la liste donnée par saint Matthieu, pour la généalogie de Joseph. Cet évangéliste dit formellement que Jacob fut père de Joseph ; saint Luc se sert d’un terme bien plus vague, lorsque, rapportant la descendance de Marie, il remplace son nom par celui de Joseph. Le plus souvent, en effet, les Juifs, dans leurs listes généalogiques, dressées avec une attention si excessive que saint Paul peut-être le leur reproche (1 Timothée 1.4), omettaient les noms des femmes et suivaient la ligne masculine ; de là vient que saint Matthieu, écrivant principalement pour les chrétiens de la Palestine, s’est conformé à l’usage, et donne la généalogie de Joseph ; saint Luc, au contraire, qui n’a point composé son Évangile pour cette classe de fidèles, a inséré celle de Marie. Sans doute aussi il a voulu aller au-devant d’une objection qui s’offrait d’elle-même ; Jésus n’étant pas fils de Joseph, on devait naturellement demander quelle était l’extraction de sa mère. Le seul but des deux auteurs sacrés a été de démontrer que le Messie descendait de David, et les Juifs n’ont jamais révoqué en doute cette origine, quoique le titre de fils de David ait été souvent donné à Jésus en leur présence. Enfin, l’on comprend, puisque Joseph et Marie appartenaient tous deux an sang royal, que leurs deux généalogies doivent quelquefois se séparer, et quelquefois se confondre.
Joseph, selon le témoignage de saint Matthieu, était un homme intègre et droit ; toute sa conduite est pleine de modération et de prudence ; la tâche que la sagesse divine lui réservait demandait un caractère pareil ; il a fait précisément tout ce qu’il devait faire, sans plus ni moins ; c’est toujours assez pour l’homme de répondre aux vues le la Providence. »
Ou José (Marc 15.40), fils de Marie de Cléophas, était frère de saint Jacques le Mineur, et proche parent de Notre-Seigneur Jésus-Christ selon la chair, étant fils de Marie, sœur de la sainte Vierge, et de Cléophas, frère de saint Joseph ; ou fils de saint Joseph lui-même, comme le prétendent plusieurs anciens, qui ont voulu que saint Joseph ait été marié avec Marie de Cléophas, ou avec Escha, avant que d’épouser la sainte Vierge. Il y en a qui croient que Joseph, fils de Marie de Cléophas, est le même que Joseph Barsabas, surnommé le Juste, dont il est parlé dans les Actes des Apôtres, et qui fut proposé avec saint Matthias, pour remplir la place du traître Judas (Actes 1.23). Mais cela n’est nullement certain. L’Écriture ne nous apprend rien de particulier touchant Joseph, frère du Seigneur. S’il était du nombre de ceux de ses parents qui ne croyaient point en lui, lorsqu’ils voulaient lui persuader d’aller à la fête des Tabernacles, quelques mois avant sa mort, il y a apparence qu’il se convertit depuis ; car l’Écriture insinue qu’à la fin, tous les frères de Jésus-Christ croyaient en lui (Actes 1.13-14) ; et saint Chrysostome dit qu’ils se signalèrent par la grandeur de leur foi et de leur vertu.
Surnommé le Juste, est un des premiers disciples de Jésus-Christ, ayant été avec lui dès le commencement (Actes 1.21-23). Il était du nombre des soixante-douze disciples. Saint Pierre l’ayant proposé avec saint Matthias, pour remplir la place de Judas le traître, saint Matthias fut préféré. Joseph continua dans le ministère apostolique jusqu’à la fin ; et Papias nous apprend que ce saint ayant bu du poison, la grâce de Jésus-Christ le garantit de la mort. Les Martyrologes d’Usuard et d’Adon mettent sa fête le 20 de juillet, et disent de lui qu’il souffrit beaucoup de la part des Juifs ; et qu’enfin il mourut en Judée et eut une fin glorieuse.
Ou de Ramatha, sénateur des Juifs, et disciple secret de Jésus-Christ (Jean 19.38). Il ne consentit point (Luc 23.51) aux desseins des autres Juifs, et surtout des autres membres du Sanhédrin, qui avaient condamné et fait mourir Jésus-Christ ; et lorsque le Sauveur fut mort, il alla hardiment trouver Pilate, et lui demanda le corps de Jésus (Marc 15.43 ; Jean 19.38), pour l’ensevelir. Il l’obtint, et lui donna une sépulture honorable, dans un sépulcre tout neuf qu’il avait fait creuser dans un jardin qui était sur la même montagne du Calvaire où Jésus avait été crucifié (Matthieu 27.60 ; Jean 19.40-41). Après l’avoir mis dans le tombeau, il en ferma l’entrée par une pierre taillée exprès, qui en remplissait exactement toute l’ouverture. L’Église grecque fait la fête de saint Joseph d’Arimathie le 31 de juillet. Son nom ne se lit pas dans les anciens Martyrologes latins, et il n’est dans le romain que depuis l’an 1585. Le corps de saint Joseph d’Arimathie fut, dit-on, apporté en l’abbaye de Moyenmentier, par Fortunat, archevêque de Grade, à qui Charlemagne avait donné ce monastère à titre de bénéfice. Le corps du saint y fut honoré jusqu’au dixième siècle ; mais alors le monastère ayant été donné à des chanoines qui y demeurèrent pendant soixante-dix ans, les reliques de ce saint furent enlevées par des moines étrangers, et furent perdues avec beaucoup d’autres. Je ne rapporte pas ici ce qu’on lit dans les faux Actes de Joseph d’Arimathie. On peut consulter sur cela les Bollandistes au 17 de mars [« Joseph, ami de Nicodème, et que la crainte des Juifs avait engagé à tenir secrète sa foi, a noblement racheté cette faiblesse. Les évangélistes n’ont que brièvement rapporté les délibérations du sanhédrin ; il est probable que Joseph reconnut alors que le moment était venu de se montrer, et de prendre contre les méchants la défense du juste. Le devoir qu’il s’impose, d’ensevelir avec honneur Jésus, prouve qu’après s’être déclaré, il a persévéré dans sa fidélité. Il était riche, et la tombe où il a fait déposer le corps du Sauveur annonce en effet une fortune considérable ; Joseph est le seul homme qui, après avoir cédé à un autre le sépulcre qu’il s’était préparé ; ait pu cependant y dormir lui-même. »]
Mari de Salomé, sœur du grand Hérode, fut établi gouverneur de Judée en l’absence de ce prince ; et lorsqu’il partit pour aller se justifier auprès de Marc-Antoine, sur la mort du jeune Aristobule, frère de Mariamne, il donna un ordre sévère à Joseph, qu’au cas qu’Antoine le fît mourir, il ne manquât pas aussitôt de faire mourir Mariamne, de peur qu’après sa mort elle ne tombât en la puissance d’un autre. Mais Joseph ayant imprudemment déclaré à Mariamne l’ordre qu’il avait, croyant par là lui persuader l’extrême passion qu’Hérode avait pour elle, Marianne en conçut une nouvelle aversion pour son mari ; et Hérode ne fut pas plutôt de retour, qu’elle lui en fit de sanglants reproches. Hérode commença dès ce moment a douter de la fidélité de sa femme, et à soupçonner Joseph d’avoir eu avec elle de trop grandes familiarités, puisqu’il lui avait déclaré un secret de cette importance. Ainsi, sans vouloir seulement l’entendre, il le fit mourir sur le champ.
Voyez Caïphe.
Fils d’Ellem, fut substitué pour un jour au grand prêtre Matthias, parce que celui-ci, en songeant pendant la nuit, s’était souillé, s’imaginant être auprès de sa femme. Cette souillure le rendant incapable, selon la loi (Deutéronome 23.10 ; Lévitique 22.4-5), de faire ses fonctions, on les fit exercer ce jour-là par ce Joseph son parent.
Fils de Canée, grand pontife des Juifs, depuis l’an du monde 4048 jusqu’en 4050.
Surnommé Gabéi ou Gaddis, grand prêtre des Juifs, établi par Agrippa, l’an du monde 4066, et destitué la même année.
Fils d’Antipater, et frère du grand Hérode, fut tué dans un combat qu’il livra à Antigone Asmonéen, contre la défense que lui en avait faite son frère Hérode. Voyez Antiquités judaïques lib. 14 cap xxvii.
Fils de Gorion. Lui, et le pontife Ananus, furent nommés pour mettre la ville de Jérusalem en état de défense, pendant la dernière guerre des Juifs contre les Romains vers l’an de Jésus-Christ 67. Ce Joseph est fort différent d’un autre auteur de même nom, qui a écrit une Histoire des Juifs en hébreu, qui a été traduite en latin, et imprimée plusieurs fois. On croit que ce dernier Joseph, fils de Gorion, était Français, et qu’il vivait dans le onzième siècle. Il se donne pour Joseph l’historien, fils de Matthias ; mais il se trahit, et découvre son ignorance à chaque pas. Cet auteur, dont on ne petit savoir au juste ni l’âge, ni la naissance, ni la profession, se donne pour un sacrificateur et un prince de son peuple, qui a reçu l’onction pour la guerre, l’esprit de sagesse et d’intelligence, de conseil et de force, de science et de crainte de Dieu ; pour un homme qui a donné sa vie pour le peuple de Dieu, pour son sanctuaire et pour sa nation. C’est le témoignage qu’il se rend à lui-même. Il ajoute qu’un de ses soldats lui cria un jour : Vous êtes l’homme de Dieu ; béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, qui a créé l’âme que vous portez, et qui vous a rempli de sagesse. Lorsqu’il fut pris, on s’entre-demandait dans l’armée ennemie : Est-ce là cet homme si redoutable aux Romains ? Comment a été pris celui qui seul jetait la terreur dans notre armée, et qui a rempli l’univers du bruit de sa valeur ?
Après la prise de Jérusalem, Tite rendit justice aux excellentes qualités du fils de Gorion, et l’éleva au-dessus de tous les lévites et les sacrificateurs de sa nation.
Ces éloges si outrés, et entassés avec tant d’affectation, forment déjà un préjugé très-désavantageux contre celui qui se les donne à lui-même. Mais les Juifs, qui ont accoutumé d’estimer beaucoup ce qui vient de chez eux, n’ont rien trouvé de trop dans ces louanges. Le rabbin Thau, qui publia l’Histoire du faux Joseph assure que toutes les paroles de cet écrivain sont justice et vérité : qu’il n’y a pas une seule fausseté dans ses écrits : qu’il approche plus près des anciens prophètes, qu’aucun écrivain qui ait paru : que la main du Seigneur a reposé sur lui pendant qu’il composait son ouvrage, et que peu s’en faut que ses paroles ne soient les paroles d’un homme-Dieu. Sébastien Munster, auteur luthérien ;qui nous a donné la même histoire, l’a mutilée de près de la moitié, peut-être pour épargner l’honneur de cet historien ; mais les éditions qu’on en a faites depuis lui, nous mettent en état de juger par nous-mêmes du mérite de l’ouvrage. En voici quelques échantillons.
Joseph dit qu’il était né 134 ans depuis que le Césaréat, que les Grecs appellent Imperiosa, avait été institué chez les Romains : et qu’il avait cinquante-un ans lorsque Jules César vint au monde. Il dit qu’il a vu Jules César qui est le premier roi que les Latins appellent Imperius, ou le premier César, celui qui rétablit le Césaréat une troisième fois chez les Romains. Il dit aussi qu’il était contemporain de Jésus, fils de Sirach, prince chez les Juifs. Comment accorder toute cette chronologie ? Un homme contemporain de Jésus, fils de Sirach, âgé de 51 ans à la naissance de Jules César, né 134 ans depuis l’établissement de l’empire chez les Romains !
Son père Gorion a survécu à la prise de Jérusalem, puisqu’il sortit de cette ville lorsque Tite l’eut prise. Gorion devait donc avoir alors au moins 240 ans. Joseph avait composé grand nombre d’ouvrages dès le temps de Jules César. Il publia, dit-il, à la prière du sénat, un grand livre qu’il intitula : Joseph. C’était une chronique ou histoire romaine, dans laquelle on voyait particulièrement ce qui s’était passé pendant que les consuls ont gouverné la république. Non content d’avoir rapporté les événements passés, il étendait ses soins sur l’avenir, et prédisait à cette grande ville ce qui lui devait arriver jusqu’à sa ruine totale. Toutefois il ne se donnait pas pour prophète ; mais il rapportait ce qu’il avait appris des sages qui avaient vécu auprès des prophètes, et des païens, qui sont véritables et fidèles dans leurs conjectures. Il nous aurait fait plaisir de nous dire qui sont ces sages qu’il a vus, et qui ont vécu auprès des prophètes. Il y a encore un grand intervalle du temps des anciens prophètes des Hébreux jusqu’au temps de Jules César. Au reste, il lui était aisé d’écrire les révolutions de la ville de Rome après coup, lui qui ne vivait qu’au onzième siècle.
Cet ouvrage fut suivi de la Sapience, où il ne parlait que des sages et des docteurs qui l’avaient précédé. Ce livre, aussi bien que le précédent, est apparemment un ouvrage chimérique, et qui n’exista jamais.
Ensuite il fit l’apologie de sa nation et de sa famille contre les païens. Il se vante d’avoir fait un ouvrage pareil à celui de Joseph l’historien grec contre Appien ; de quoi le fils de Gorion ne fut certainement jamais capable.
Enfin il publia la fameuse histoire dont nous parlons, et qui n’a été connue que vers le douzième siècle ; aucun auteur ancien n’en a parlé. Cet ouvrage peut être considéré comme une chronique de ce qui s’était fait sous le second temple. L’auteur se persuade qu’on le regardera à l’avenir comme le prince des historiens. Il s’élève au-dessus de Tite-Live, dont il prétend relever les fautes. Il raconte qu’il a eu en main quantité d’autres auteurs, dont il a tiré une partie de ce qu’il dit. Il dit qu’il a lu Tite-Live, Trogue-Pompée, Strabon, Porophyus, apparemment Porphyre : les livres de Caïnan, fils d’Enos, ceux des Mèdes, des Macédoniens et des Perses ; les lettres d’Alexandre à Aristote ; le livre des Grecs, celui des Alliances des Romains, un ouvrage de Kirker, ou de Cicéron, qui avait été témoin oculaire de ce que Pompée fil souffrir aux sacrificateurs à la prise de Jérusalem : le calendrier que Jules César avait composé pour les Grecs et les Nazaréens ; la Chronique des Césars romains ; le Recueil des Droits Romains, que Vespasien baisa le jour de son couronnement. Que de mensonges et d’impostures !
Voici un échantillon de sa science en fait d’histoire romaine. Il dit qu’il vivait lorsque Jules César s’empara de l’Empire. C’était la troisième fois que les Romains avaient vu parmi eux cette forme de gouvernement. Tarquin fut le premier César, Alexandre le Grand porta ses conquêtes en Italie, se rendit maître de Rome, et y régna. Imperius, fils de Ptolémée Philadelphe, roi d’Égypte, s’en empara longtemps après, et y établit le Césaréat, ou l’Empire. Cette monarchie y subsista jusqu’à ce qu’Antoine, amoureux de Cléopâtre, viola les droits du peuple qui se souleva.
Les Romains, après avoir chassé Antoine, se lièrent par serment, comme ils avaient fait du temps de Tarquin, le premier des Césars, de ne souffrir jamais de César. Cependant Jules ayant obtenu du sénat le commandement des armées d’Occident, comme Pompée avait celui des armées d’Orient, ce jeune héros, à l’âge de dix-neuf ans, battit les Français et les Bretons, et, en quatre ans, soumit tous les rois d’Occident. Il revint à Rome, enflé de ses succès, et annonça fièrement au sénat qu’il voulait devenir César. Le sénat s’y opposa, par une longue et ennuyeuse harangue que Joseph, fils de Gorion, rapporte, et qui est de sa façon. César employa les menaces et la violence, menaça tous les sénateurs de les massacrer, battit Pompée, et fut le premier des empereurs de la troisième dynastie. Voilà le système historique de l’empire romain, selon notre auteur.
L’histoire qu’il a donnée d’Alexandre le Grand est un tissu de fables et d’erreurs grossières : jamais on ne vit de roman plus mal entendu et plus rempli de pauvretés. L’auteur se vante d’avoir tiré cette histoire de la généalogie de ce prince, écrite par les mages d’Égypte, l’année qui suivit immédiatement sa mort. M. Gagnière a publié depuis peu un ouvrage latin, qui a pour titre : les Actions d’Alexandre, avec une traduction latine de Joseph-Ben-Gorion. L’auteur latin convient, dans presque tous les faits, avec Joseph, fils de Gorion, et il dit, comme lui, qu’il a tiré son histoire des mémoires des mages d’Égypte ; mais il est malaisé de décider lequel des deux est le plus ancien. L’écrivain latin est un peu moins farci de fables, il n’est pas ancien ; mais l’hébreu paraît plus moderne : il parle souvent de la Bretagne, il fait mention de la Normandie, de la Loire, d’Amboise, de Chinon, de la France, de la Lombardie, de l’Angleterre, de la Hongrie, de la Turquie.
Il parle des Bourguignons, des Bulgares, des habitants de Cracovie, des Croates ou Cravates, des florins d’or, etc., qui sont des preuves incontestables de nouveauté. Il est remarquable qu’il n’a lu Joseph l’historien que dans la version de Rufin. On ne doute point qu’il ne soit Français d’origine, et qu’il n’ait écrit en France ; mais on doute si c’est en Touraine, en Bretagne ou en Normandie. On peut voir les éditions de cet auteur, surtout celle de Gotha et de Leipsik, en 1710, par M. Fréderic Breithaupt, et M. Basnage, Histoire des Juifs, tome 7 livre 10 c vii, édition Paris.
[ou plus communément Josèphe] l’historien, Juif, surnommé Flavius, fils de Matthias, de la race des prêtres. Il naquit à Jérusalem, la première année du règne de Caïus, 37 de Jésus-Christ. Il fut si bien instruit, qu’à l’âge de quatorze ans les pontifes mêmes le consultaient sur ce qui concerne la loi. Depuis l’âge de seize ans jusqu’à dix-neuf, il s’occupa à des exercices très-laborieux dans le désert, sous la conduite d’un nommé Bané ; et, après avoir bien examiné les trois principales sectes qui étaient alors en réputation chez les Juifs, il s’attacha à celle des Pharisiens. À dix-neuf ans, c’est-à-dire l’an 56 ou 57 de Jésus-Christ, il revint à Jérusalem, où il commença à entrer dans les affaires publiques. Vers l’an 65 de Jésus-Christ, étant âgé de plus de vingt-six ans, il fit un voyage à Rome, pour servir quelqu’un de ses amis. En y allant, il fit un naufrage, et de plus de six cents personnes qui étaient dans son vaisseau, lui et quatre-vingts autres seulement se sauvèrent, en nageant toute la nuit. Il obtint la liberté de ses amis par le moyen de Poppée, que Néron avait épousée en l’an 62. Il paraît qu’il avait eu trois femmes. Il dit aux Juifs qu’il avait sa femme à Jérusalem. Ailleurs, il dit que Vespasien lui en fit épouser une de Césarée, qu’il quitta bientôt, pour en épouser une d’Alexandrie.
Au commencement de la guerre des Juifs contre les Romains, et l’an 66 de Jésus-Christ, il fut envoyé dans la Galilée, en qualité de gouverneur. Il y fit un grand nombre d’actions mémorables, qu’il a décrites lui-même avec soin dans ses livres de la Guerre des Juifs. Vespasien l’assiègea dans Jotapate, ville de Galilée, et il s’y défendit d’une manière qui fut admirée même des Romains. Voyez ci-après Jotapate. Lorsqu’ils eurent pris la place, Josèphe se sauva dans une caverne fort secrète, où il trouva quarante Juifs qui s’y étaient déjà retirés. Ils y furent découverts au bout de trois jours, et Vespasien, qui désirait extrêmement de l’avoir en vie, envoya jusqu’à trois fois lui offrir la vie, s’il voulait se rendre. Josèphe eut quelque peine à se fier à la paroles des Romains ; mais enfin, s’y étant fié, ses compagnons s’opposèrent à sa résolution, et lui déclarèrent qu’il fallait qu’il mourût, ou de sa propre main ou de la leur, Il leur fit un beau discours, pour montrer qu’il n’est point permis de s’ôter la vie, et que ce n’est point une action de générosité, mais de faiblesse. Ils ne se rendirent pas à ses raisons, et ce qu’il put gagner sur eux fut qu’ils tireraient au sort qui mourrait le premier. Ils tirèrent, et il arriva par le sort que tous les autres étant morts, il demeura seul avec un autre, à qui il persuada, sans beaucoup de peine, de préférer la vie à la mort.
Il se rendit donc à Vespasien, qui le voulut garder, pour l’envoyer à Rome, à l’empereur Néron. Josèphe, l’ayant su, demanda a parler à Vespasien en particulier. Il eut une audience, où Vespasien était seul avec Tite et deux de ses intimes amis. Josèphe lui prédit qu’il serait élevé à l’empire après Néron et après quelques autres qui régneraient ; et pour le persuader de la vérité de cette prédiction, il lui dit qu’il avait prédit à ceux de Jotapate le jour auquel elle devait être prise ; ce qui fut suivi de l’exécution, au rapport des prisonniers juifs. Quoique Vespasien ne fit pas alors grand fonds sur la prédiction de Josèphe, l’événement en fit voir la vérité bientôt après ; car il fut proclamé empereur, l’an de Jésus-Christ 69. Quelque temps après, il tint une assemblée à Béryte, où, après avoir loué publiquement le courage de Joseph, il fit briser les chaînes dont il avait été lié jusqu’alors, pour lui rendre l’honneur aussi bien que la liberté ; car on avait accoutumé de les briser ainsi à ceux qui avaient été mis injustement dans les liens.
Josèphe accompagna Tite au siège de Jérusalem, il essaya plusieurs fois de faire rentrer les Juifs en eux-mêmes, et de les engager à recourir à la clémence des Romains. Ses remontrances et ses discours furent inutiles. Les Juifs n’y répondirent que par des injures et des malédictions. Un jour même, comme il leur parlait assez près des murailles, il reçut un coup de pierre qui le fit tomber évanoui. Les Juifs accoururent pour le prendre ; mais les Romains furent les plus forts, et l’emportèrent, pour le panser. Après la prise de la ville, il obtint la liberté de plusieurs Juifs ; et Tite lui donna aussi des livres sacrés, qu’il lui avait demandés. La guerre étant finie, Tite s’en retourna à Rome, et y mena Josèphe avec lui, en 71. Vespasien le fit loger dans la maison qu’il avait avant qu’il fût empereur, le fit citoyen romain, lui assigna une pension, lui donna des terres dans la Judée, et lui témoigna toujours beaucoup d’affection. Tite ne lui en témoigna pas moins. Il prit le nom de Flavius, qui était celui de la famille de Vespasien, parce qu’il se regardait comme affranchi de l’empereur.
Dans le loisir où il se trouva à Rome, il s’occupa à écrire l’histoire de la guerre des Juifs, sur les mémoires qu’il en avait dressés. Il la composa d’abord en sa langue propre, qui était une espèce de syriaque, et cet ouvrage se répandit bientôt parmi les Arabes, les Adiabéniens, les Babyloniens
Les Parthes et les Juifs de delà l’Euphrate. Ensuite il la traduisit en grec, en faveur des Romains. On ignore en quel temps il apprit la langue grecque. Il avoue qu’il ne l’avait jamais pu bien prononcer, parce qu’il ne l’avait pas apprise de jeunesse, les Juifs estimant peu l’étude des langues. Il prend pour témoins de la vérité de sa narration tous ceux qui avaient assisté à cette guerre. Et dès que cet ouvrage fut achevé, il le présenta à Vespasien, à Tite et au roi Agrippa, qui tous l’approuvèrent par de grands éloges. Tite le fit mettre dans une bibliothèque publique, et signa de sa main l’exemplaire qui y devait être mis, comme étant la source d’où l’on devait apprendre l’histoire de la ruine de Jérusalem. Nous nous intéressons d’autant plus à remarquer ces circonstances, que l’histoire de la guerre des Juifs est l’accomplissement des prédictions que Jésus-Christ en avait faites avant sa mort (Matthieu 24 ; Luc 19.43-44), et la juste punition du crime que les Juifs avaient commis en le crucifiant.
Après que Josèphe eut écrit l’histoire de la guerre des Juifs contre les Romains, il entreprit de faire l’histoire générale de sa nation, en la commençant dès l’origine du monde, et en la conduisant jusqu’à la douzième année de Néron, de Jésus-Christ 66, en laquelle les Juifs se révoltèrent. Il entreprit cet ouvrage à la prière d’un nommé Epaphrodite, que l’on croit être ce célèbre affranchi de Néron que Domitien fit mourir en l’an 95 de Jésus-Christ. Josèphe acheva cet ouvrage en la cinquante-sixième année de son âge, treizième de Domitien, et 93 de Jésus-Christ. Il fait profession de ne rien ajouter ni retrancher de ce qui est dans les livres saints, dont il a tiré ce qu’il dit. Mais on se plaint qu’il a mal exécuté sa promesse, ayant, dans plus d’une occasion, ou supprimé, ou altéré, ou déguisé des faits qui sont bien marqués dans l’Écriture. Possevin a fait une liste des fautes qu’on remarque dans Josèphe, et on pourrait y en ajouter plusieurs autres. [Voyez Hisoire].
Il joignit à ses Antiquités les livres de sa Vie, écrivit dans un temps où il y avait encore plusieurs personnes qui pouvaient le démentir, s’il s’éloignait de la vérité ; et on l’a considérée comme une partie du vingtième livre de ses Antiquités. Elle est adressée au même Epaphrodite à qui il avait dédié les dix livres des Antiquités des Juifs. Epaphrodite étant mort l’an 95 de Jésus-Christ, il faut dire que le livre de sa Vie est de 93 ou 94. La principale partie de cet ouvrage est employée à décrire ce qu’il fit étant gouverneur de Galilée.
Comme diverses personnes semblaient douter de ce qu’il avait dit des Juifs, et de leur histoire qu’il avait composée, il entreprit un nouvel ouvrage, intitulé : Contre Appion, ou, selon Eusèbe et saint Jérôme : De l’antiquité des Juifs. Il l’adressa au même Epaphrodite dont on a parlé. Il y fait voir, par un grand nombre de passages des auteurs profanes l’antiquité de la nation des Hébreux, et la conformité des écrivains anciens et étrangers à rapporter plusieurs grands événements marqués dans l’histoire des Juifs. Il y fait l’apologie de sa nation contre Appion et contre quelques autres qui la calomniaient.
Enfin on cite sous son nom un discours fort éloquent, intitulé : De l’Empire de la raison, qui, dans quelques Bibles grecques, porte le tire du quatrième livre des Machabées, parce qu’il y parle du martyre des sept frères Machabées, dont l’histoire est rapportée d’une manière plus simple et plus abrégée dans le second livre des Machabées. Mais nous avons quelque peine à croire que cet ouvrage soit de Josèphe, premièrement, à cause de la différence du style ; secondement, parce que Josèphe ne le cite point du tout, et n’en parle pas comme il fait de ses autres ouvrages ; troisièmement, parce qu’il y a plusieurs choses contraires à l’Écriture et à la Vraie histoire des Machabées. Voyez notre préface sur le quatrième livre des Machabées.
Josèphe a parlé très avantageusement de Jésus-Christ (Antiquités judaïques t. 18 c.iv, pages 621, 622), disant qu’il était le Messie et le Christ prédit par les prophètes, qu’il avait fait un grand nombre de miracles, qu’après avoir été mis à mort il avait apparu vivant, trois jours après ; qu’il eut beaucoup de disciples, et qu’on voyait encore la secte des chrétiens, qui tiraient de lui leur nom. Quelques modernes ont douté de la vérité de ce passage ; mais les anciens l’ayant cité, et se trouvant dans tous les exemplaires de Josèphe, nous ne voyons aucun sujet d’en abandonner la possession. On peut consulter sur cet endroit François de Roye, M. Huet dans sa Démonstration évangélique, et
M. de Tillemont, note 40 sur la ruine des Juifs ; et enfin un petit ouvrage, publié en 1661 par M. Christophe Arnoldus, où il a ramassé trente lettres de divers savants qui s’expliquent sur ce sujet, et vingt-neuf extraits de divers ouvrages sur la même matière.
Josèphe a rendu aussi un témoignage très-avantageux à saint Jean-Baptiste (Antiquités judaïques t. 18 chapitre 7), et à saint Jacques le Mineur, évêque de Jérusalem, qu’il désigne sous le nom de frère de Jésus, appelé le Christ. On lisait autrefois dans son Histoire que l’empereur Claude avait-chassé les Juifs de Rome, et que les Juifs attribuaient la ruine de Jérusalem à la mort de saint Jacques le Mineur. On s’étonne qu’il n’ait rien dit du meurtre des Innocents ; mais il a omis plusieurs autres choses. On croit que l’ancienne version latine des Œuvres de Josèphe que nous avons, a été faite par Rufin, prêtre d’Aquilée. Photius fait grand cas de l’Histoire de Josèphe ; et saint Jérôme en fait un éloge magnifique, en disant qu’il est le Tite-Live des Grecs. Enfin Eusèbe dit qu’on lui dressa une statue dans Rome, en considération de ses écrits. On ne sait pas l’année de sa mort. Son nom ne se lit pas dans les livres sacrés. Mais comme nous le citons souvent dans ce Dictionnaire, et que nous avons tiré de lui un grand nombre de particularités, nous avons cru devoir en parier ici avec quelque étendue [Nous allons ajouter ce qui suit, parce que nous y ayons renvoyé de plusieurs endroits. On vient de voir qu’on lisait autrefois, dans Josèphe, un témoignage sur la mort de saint Jacques, évêque de Jérusalem. Nous avons déjà remarqué, dans une note sur l’article consacré à cet apôtre, que ce témoignage avait été supprimé, probablement par ceux qui se sentaient solidairement responsables d’un crime dont l’impartialité de l’historien juif accusait ses compatriotes, et nous avons renvoyé ici, où il va être question des divers témoignages rendus par ce même historien à saint Jacques le Mineur, à saint Jean-Baptiste et à Jésus-Christ. Nous allons laisser parler le célèbre évêque d’Avranches.
« Témoignage de Josèphe sur la mort de saint Jacques, frère de Jésus…
La mort de saint Jacques, ainsi que la cruauté du grand prêtre Ananus, qui en fut l’auteur, sont rappelées par Josèphe. Il flétrit la conduite de ce pontife avec une éloquente indignation et ajoute que tous les gens de bien ont détesté cet horrible forfait, et que c’est à ce crime qu’il faut attribuer la vengeance que Dieu exerça contre les Juifs lors de la ruine de Jérusalem. Origène, dans ses écrits contre Celse, rapporte un autre passage de Josèphe. Eusèbe les cite tous les deux. Aujourd’hui on n’en trouve plus qu’un dans les ouvrages de Josèphe. Je vais les placer ici l’un et l’autre, parce qu’ils sont fort importants, et qu’il y est expressément fait mention de Jésus-Christ. « Ces événements eurent lieu en punition de la mort de Jacques le juste, frère de Jésus appelé Christ, les Juifs l’ayant mis à mort, quoiqu’il fût innocent. » Le second passage est ainsi conçu : « Ananus le jeune, qui était alors grand prêtre, comme nous l’avons vu, était d’un caractère présomptueux et plein d’audace ; il assembla le conseil des juges, fit comparaître le frère de Jésus, appelé le Christ (il se nommait Jacques) et quelques autres, et, sans attendre la fin des débats, les fit condamner à être lapidés comme violateurs des lois. Tous les habitants justes, et qui observaient soigneusement la loi, virent avec peine ce jugement. »
Le premier passage est retranché dans les livres de Josèphe ; mais comme Origène et Eusèbe dans ses discussions avec les païens le citent distinctement et avec assurance, et qu’ils vivaient l’un et l’autre au milieu des Juifs, comme saint Jérôme aussi en parle (des Écrivains sacrés, Josèphe), il est impossible d’imaginer qu’ils l’ont supposé eux ou d’autres, ou bien qu’il y ait eu le moindre doute à cet égard. C’est comme cet autre passage, que saint Jérôme attribue à Josèphe, et Fréculfe après lui, ainsi que Suidas : Josèphe aurait dit en termes formels, au dix-huitième livre des Antiquités, que Jean-Baptiste avait été un véritable prophète. Or ce passage ne se trouve pas. Suidas dit encore que Josèphe a écrit que Jésus avait offert des victimes dans le temple avec les prêtres ; cependant aujourd’hui ses livres ne contiennent aucune trace de ces mots. Faudra-t-il pour cela accuser Origène, Eusèbe, saint Jérôme, d’être des faussaires ? Assurément non. Il est bien plus croyable que ces passages ont été retranchés par des Juifs des premiers temps : ils n’auront pu souffrir qu’un écrivain aussi distingué, un homme de leur nation, fit peser sur leurs ancêtres, par l’autorité de son témoignage, l’odieux d’une si grande injustice, et ils auront préféré employer la fraude pour l’effacer, sans voir que leur fraude et leur perfidie ne serviraient qu’à faire ressortir davantage la cruauté et les massacres de leurs ancêtres. On peut leur prêter cette supposition avec d’autant plus de vraisemblance qu’il est plus facile d’effacer quelque chose dans un ouvrage que d’y faire quelque addition. Les Juifs avaient déjà usé de la même fraude, en retranchant l’histoire de Susanne dans les exemplaires hébreux des Écritures : Origène leur en fait le reproche dans sa lettre à Jules Africain ; il les accuse d’avoir mieux aimé arracher avec leur main sacrilège quelques feuilles des oracles divins, que d’être forcés de convenir de l’impiété et de l’impudicité de quelques-uns de leurs ancêtres, chefs dans leur nation.
Témoignage remarquable de Josèphe sur Jésus-Christ.
Son authenticité. S’il en est ainsi, on peut dire qu’ils ont mis la même ruse à retrancher un autre passage que les disputes des savants ont rendu célèbre, et dans lequel Josèphe parle en termes formels des vertus de Jésus-Christ, de ses miracles, de sa mort, de sa résurrection, des prophéties qui le concernent, des égards que les chrétiens lui témoignaient, de leur foi dans ses paroles. Voici ce passage, corrigé sur les exemplaires de la Bibliothèque royale :
« Il parut en ce temps un homme d’une haute sagesse, appelé Jésus, si cependant on peut dire que c’était un homme, tant il opérait de miracles : il enseignait ceux qui prenaient plaisir à être instruits de la vérité ; il avait un grand nombre de disciples aussi bien parmi les gentils que parmi les Juifs : c’était le Christ ; il fut accusé parmi les premiers de notre nation et condamné par Pilate à être crucifié. [M. l’évêque d’Avranches aurait dû remarquer que Pilate ne condamna pas le Sauveur. Mais il y a ici une faute dans la traduction, ou une variante dans les exemplaires de Josèphe. Ce passage, dans la citation d’Eusèbe, en rendu est ces termes : « Lorsque, sur les accusations des princes de notre nation, il eut été crucifié par Pilate. » Arnaud d’Andilly le rend ainsi dans sa traduction faite sur le texte de Josèphe : « Des principaux de notre nation l’ayant accusé devant Pilate, il le fit crucifier. » Dicton le traduit : « Et quoique Pilate l’eût supplicié sur la croix, à la sollicitation de nos propres chefs… » Buffier : « Étant accusé par les princes de notre nation, Pilate le fit crucifier. » Bullet : « Et Pilate, poussé par l’envie des premiers du notre nation, l’ayant fait crucifier… » Peignot : « Pilate l’ayant fait crucifier sur la dénonciation des principaux d’entre nous… » Enfin, je ne connais aucune traduction du célèbre passage de Josèphe où il soit dit que Pilate condamna Jésus-Christ]. Ceux qui l’avaient aimé durant sa vie ne l’abandonnèrent pas après sa mort ; il ressuscita trois jours après sa mort, et se montra à ses disciples : Les prophètes avaient prédit ce miracle et plusieurs autres qui se sont accomplis en lui. Depuis lui, on a toujours vu de ses disciples qu’on nomme chrétiens. »
Ce passage remarquable aurait été d’une grande autorité en faveur du christianisme, si un zèle trop curieux et indiscret n’en avait diminué la valeur. On a recueilli, il y a quelques années, et réuni en un petit format tout ce que les écrivains modernes ont dit à ce sujet. Les uns ont prétendu que ce passage était supposé, et que les premiers chrétiens, par une pieuse fraude, l’avaient ajouté à l’histoire de Josèphe ; les autres au contraire soutenaient qu’il était réellement de Josèphe. Pour moi, puisque je ne puis laisser passer cette question sans dire mon avis, que je suis forcé de me prononcer, je dis formellement que je ne puis admettre l’opinion de ceux qui ont révoqué en doute l’authenticité de ce passage. Ce qui me fait penser ainsi, c’est qu’il se trouve dans tous les exemplaires de l’Histoire de Josèphe, soit manuscrits, soit imprimés. Je m’appuie aussi sur l’autorité d’Eusèbe, qui le rapporte comme un passage authentique dans sa Démonstration évangélique et dans son Histoire ecclésiastique. J’ai pour moi encore saint Jérôme qui l’a traduit en latin dans son livre des Écrivains ecclésiastiques, au chapitre de Josèphe. Isidore de Péluse en fait mention dans ses Lettres ; il est rapporté dans les Histoires d’Hermias, de Sozomène (Histoire lib. I), de Georges Cédrinus (Histoire cont., page 169), de Nicéphore (Histoire lib. I chapitre 39) ; Suidas en parle dans son Dictionnaire, Théodore Métochite dans son Histoire, et Hégésippe dans son livre de la Ruine de Jérusalem.
Depuis ces écrivains, il nous a été transmis sans aucune interruption, ce qui suffit, comme je l’ai prouvé, pour établir l’authenticité d’un écrit. Je fonde encore mon opinion sur la raison : en effet, il n’est pas probable qu’un historien adroit et distingué comme Josèphe, en écrivant l’histoire des Juifs, eût gardé le silence sur un homme qui a fait tant de bruit non-seulement dans sa nation, mais dans presque tout l’univers ; qui a fondé une secte qui porte son nom ; qui a eu plusieurs disciples ; qui s’est appelé le Christ : cela seul eût dû suffire pour lui attirer l’attention des Juifs, qui étaient dans une grande attente du Christ, et qui ont fait mention dans leurs histoires de tous ceux qui ont pris ce titre. Comment admettre qu’il ait cru devoir faire l’éloge de saint Jean-Baptiste, de saint Jacques, et qu’il n’ait pas voulu parler de Jésus-Christ, dont la célébrité était bien plus grande ; surtout quand, pour faire mieux connaître saint Jacques, il le nomma frère de Jésus, appelé Messie, qu’il savait être un personnage bien plus important ? Loin de m’étonner que Josèphe ait écrit ce passage, je serais bien plus surpris qu’on pût s’imaginer qu’il n’ait pas parlé de Jésus : il n’est personne tant soit peu familier avec les ouvrages de Josèphe qui ne lui reprochât au contraire une lacune, s’il n’avait pas rendu hommage à la grande célébrité de Jésus. Joignez à ces raisons la contexture des phrases et le style qui annoncent un auteur grec, de plus certaines tournures familières à Josèphe. Toutes ces considérations me font croire que ce passage est authentique, et qu’il est impossible d’en trouver qui offrent plus de garantie de leur authenticité.
Première objection. Réponse.
Voyons les objections que nous opposent nos adversaires. Ils disent qu’Origène en plusieurs endroits a soutenu clairement que Josèphe n’a jamais connu Jésus pour le Christ. Ils en disent autant de Théodoret. Ils vont même jusqu’à vouloir que cet écrivain ait appliqué à Vespasien, par flatterie ou sincèrement, toutes les prophéties qui concernaient le Messie ; et comme dans cet endroit Jésus est clairement appelé le Messie : Celui-ci était le Christ, ils prétendent que ces mots ne se trouvaient pas dans les exemplaires de ces écrivains, ou qu’ils les regardaient comme supposés et intercalés. Je réponds qu’Origène et Théodoret ont pu n’avoir que des exemplaires tronqués de Josèphe, des exemplaires qui auraient subi quelques mutilations de la part des Juifs, et je prouverai bientôt que ce n’est pas là une simple supposition, mais bien la vérité ; par conséquent, ils n’ont pas vu le passage remarquable de Josèphe, et quand ils l’auraient vu, ils auraient pu, ils auraient dû lui donner un sens autre que celui que les paroles paraissent indiquer d’abord. Car Josèphe n’a pas voulu dire que Jésus était en effet le Christ qu’attendaient les Juifs ; mais qu’on l’appelait communément le Christ. Il a formellement indiqué ce sens ailleurs : Jésus qui est appelé le Christ. Cette manière de qualifier Jésus était assez en usage ; ainsi nous lisons dans saint Matthieu (Matthieu 1.16) : De qui est né Jésus qui est appelé Christ. Cette façon de parler est encore employée par les ennemis du Sauveur : Pilate s’exprime ainsi : Lequel voulez-vous que je délivre, Barabbas ou Jésus qu’on appelle le Christ ? Et peu après : Que ferai-je donc de Jésus qu’on appelle Christ (Matthieu 27.17-22) ? Des gardes impies s’écrient : Christ, prophétise-nous qui t’a frappé (Matthieu 26.68) ? Les princes des prêtres et les scribes se disaient l’un à l’autre : Que ce Christ, que ce roi d’Israël descende maintenant de la croix (Marc 15.32). Les païens ne le connaissaient que sous le nom du Christ.
Suétone, dans sa Vie de l’empereur Claude, dit : « Il chassa de Rome les Juifs que le Christ poussait à de fréquentes émeutes » (ch. 25). Tacite s’exprime ainsi : « Son nom est le Christ, celui qui fut supplicié sous le gouverneur Ponce-Pilate. » Pline, dans sa Lettre à Trajan, et Lampride, dans sa Vie d’Alexandre Sévère, ne parlent pas différemment. C’est ce qui a fait appeler ses disciples chrétiens. Écoutons Eusèbe, dans sa Démonstration évangélique : « Il est le seul entre tous les Hébreux qui recevaient une onction corporelle, qui ait été appelé par tout le monde Christ (oint), et il a rempli tout l’univers de ses disciples, qui tiraient de lui leur nom de chrétiens » (ch. 29 et 43). Il dit dans le premier livre de son Histoire (ch. 3) : « Une preuve frappante et évidente qu’il y avait en lui une vertu surnaturelle et divine, c’est qu’il est le seul de tous les hommes qui aient jamais paru sur la terre qu’on a appelé le Christ, et que ce nom lui a toujours été donné indistinctement par les Grecs et les Barbares ». Donc Josèphe, en disant, Il était le Christ, a voulu sous-entendre ces mots, Celui qu’on appelle le Christ.
Nous avons un exemple remarquable d’une ellipse semblable dans l’inscription placée au-dessus de la croix du Sauveur : car Pilate, en écrivant : Jésus de Nazareth, roi des Juifs (Jean 19.19-21), sous-entendait ces mots, qui se disait tel, que les chefs et les princes des Juifs demandaient qu’on ajoutât. Josèphe appelait Jésus-Christ comme Pilate l’appelait, roi des Juifs. C’est ainsi que l’entend saint Jérôme, car il a traduit le passage de Josèphe par ces mots : « Et on le croyait le Christ ». Il s’attachait à la pensée de l’auteur, et il avait son texte sous les yeux. On voit d’après cela qu’Origène et Théodoret ont pu dire que Josèphe n’a pas reconnu le Christ dans Jésus, et que cet historien a fait à un autre personnage, l’application des prophéties concernant le Messie. On insiste : Si Josèphe n’a pas cru que Jésus était le Messie, il a dû le regarder comme un fourbe et un imposteur, puisqu’il se serait vanté faussement d’être le Messie, bien loin d’en faire l’éloge et de l’égaler presque à Dieu.
Pour moi, je trouve que Josèphe s’est conduit en parfait historien, qui raconte les événements tels qu’ils se sont passés, quoiqu’ils puissent lui être contraires, et ne cherche qu’à être vrai, sans émettre son opinion. Voilà ce qu’a fait Josèphe : il a écrit que Jésus a fait des miracles, a donné des préceptes aux hommes, s’est attiré plusieurs disciples ; qu’il a été appelé le Christ et a passé pour l’être ; qu’il a été accusé par les chefs de sa nation, condamné par Pilate à être crucifié ; qu’il est ressuscité et s’est montré à ses disciples après sa mort ; que les prophéties se sont accomplies en lui, et que les chrétiens tirent de lui leur nom et leur religion. Tout cela était si évident du temps de Josèphe, qu’il n’aurait pu le taire sans se rendre coupable d’une odieuse partialité. Il ne parle pas de ce qu’il pensait lui-même à cet égard, de ce que pensaient les chrétiens et les Juifs. Quand il dit que la doctrine de Jésus était embrassée par tous ceux qui aimaient la vérité, il n’entend pas faire croire par là qu’il regarde comme vrai tout ce que Jésus disait ; il veut dire seulement que les disciples de Jésus se glorifiaient d’aimer la vérité, et qu’ils affectionnaient cette gloire-par-dessus tout. Au reste, si on veut absolument que Josèphe ait penché pour les chrétiens, j’y consens, pourvu qu’on m’accorde que dans le passage qui nous occupe il ne le fait pas voir. Nous le trouverons encore ailleurs employant adroitement le même art.
Deuxième objection. Réponse.
On nous objecte en second lieu que les premiers défenseurs du christianisme n’ont jamais défendu la religion en invoquant ce puissant témoignage, ni saint Justin, ni Tertullien, ni tant d’autres ; pas même Photius, qui a fait un abrégé de Josèphe et nous en a laissé une critique ; ni Joseph Ben-Gorion, qui a calqué son Histoire des Juifs sur celle de Josèphe, fils de Matthias : or assurément ils auraient parlé de ce passage s’ils l’avaient connu ou regardé comme authentique. Mais les Juifs, qui l’avaient supprimé dans un grand nombre d’exemplaires dès les premiers temps, avaient des raisons pour en agir ainsi ; comme nous avons bien des motifs de soupçonner qu’ils ont fait pour les passages relatifs à la mort de saint Jacques et de saint Jean-Baptiste, et aux témoignages en faveur de Jésus, dont j’ai déjà parlé. Ce qui confirme notre conjecture, c’est le reproche adressé par Baronius aux Juifs, d’avoir effacé ce témoignage de Josèphe en faveur de Jésus dans un ancien manuscrit qui contenait la traduction en hébreu de l’Histoire grecque de Josèphe. Casaubon a voulu affaiblir ce reproche de Baronius par des conjectures qu’il a imaginées, pour faire croire à sa fausseté : mais il a été peu juste envers un savant connu pour son exactitude et sa probité scrupuleuse ; car il était question d’un fait et non d’un point de droit, et il faut être bien aveuglé par esprit de parti pour ne pas vouloir ajouter foi aux assertions d’un homme aussi honorable que Baronius, et taxer d’inexactitude un homme aussi scrupuleux. Or, d’après le témoignage d’un savant moderne qui a eu plus de sincérité, ce manuscrit dont parle Baronius se trouve à la bibliothèque du Vatican et le justifie pleinement.
Nous avons encore à l’appui de notre conjecture, entre autres reproches du même genre, celui de saint Justin, qui se plaignait que les Juifs ne se gênaient pas pour arracher d’une manière sacrilège certains passages dans leurs livres sacrés, quand ils y rencontraient des endroits qui pouvaient leur nuire. Dès lors, il n’est pas étonnant que les écrivains chrétiens qui se servaient d’exemplaires falsifiés et privés surtout de ce passage si remarquable, n’aient pu s’en prévaloir. C’est sans doute sur un de ces exemplaires qu’aura travaillé Photius. Et encore je verrais une autre raison pour qu’il n’en eût pas parlé ; il peut être difficile de croire qu’un homme d’une aussi grande érudition et qui écrivait avec tant de soin, eût pu ignorer que ce passage se trouvait dans plusieurs autres exemplaires. Il pouvait le savoir par Eusèbe (Histoire livre 4 chapitre 18) et d’autres. Mais s’il n’en a pas parlé, c’est que son but n’était pas de donner un abrégé de tout le livre des Antiquités de Josèphe qu’on lise son 238e chapitre, on y verra très peu de chose sur Hérode. S’il faut dire que le passage de Josèphe sur Jésus est falsifié, parce que Photius le passe sous silence, il faudra donc soutenir que les quatorze premiers livres des Antiquités sont également falsifiés, car il n’en parle pas non plus : il donne fort peu de chose de cet ouvrage ; aussi n’a-t-il pas intitulé son livre, Morceaux extraits de Josèphe, mais simplement, Morceau extrait, au singulier. Encore n’a-t-il pas voulu s’assujettir à une rigoureuse servilité ; il rapporte des choses qui ne sont pas dans Josèphe, comme en cet endroit : Cet Hérode est fils d’Antipater l’Iduméen et d’une femme arabe (son véritable nom était Cypris). Sous son règne, le Christ notre Dieu est né d’une vierge pour le salut du genre humain ; Hérode, entraîné par sa colère contre lui, abandonna le culte du vrai Dieu, et fit mourir un grand nombre de petits enfants. Si nous retranchons à Josèphe tout ce que ne rapporte pas Photius, nous ne devons pas, pour être justes, lui attribuer tout ce que dit Photius : il s’ensuivra que Josèphe aura écrit que Jésus est Dieu, qu’il est né d’une vierge, qu’il est le Sauveur du genre humain ; et il aura parlé du massacre des innocents par Hérode, parce que Photius rapporte toutes ces choses. Que nos adversaires choisissent entre les deux partis, ou de reconnaître le passage de Josèphe, quoique Photius ne le rapporte pas, ou de reconnaître dans Josèphe tout ce que rapporte Photius. Photius avait déjà parlé des Antiquités de Josèphe au 76e codex, mais il se borne à en citer le commencement et la fin, et s’étend ensuite sur Josèphe lui-même ; faudra-t-il en conclure qu’excepté le commencement et la fin, les Antiquités Judaïques sont controuvées ? Ajoutez encore que les savants se sont souvent plaints de ce que Photius s’était amusé à faire des extraits sur des sujets frivoles et peu importants, et qu’il avait négligé les meilleurs auteurs, les plus utiles, pour s’attacher à ce qu’il y avait de plus superficiel. Scaliger, dans ses Lettres, lui reproche d’avoir négligé les livres de Diodore, où il aurait trouvé les antiquités des Assyriens, des Chaldéens et des Phéniciens, et de lui avoir préféré les Babyloniques de Jamblique.
Je ne vois pas davantage ce qu’un homme sensé pourra conclure du silence de Ben-Gorion d’abord Scaliger a fort bien prouvé que l’histoire juive qu’on lui attribue n’est pas de lui, mais de quelque Juif moderne ; plusieurs savants depuis ont également prouvé ce fait d’ailleurs, l’auteur voulait, non pas traduire fidèlement l’histoire grecque de Josèphe, mais se contenter d’un abrégé ; est-il étonnant qu’un auteur rusé ait omis un passage aussi remarquable et qu’il n’ait pas voulu lui donner une nouvelle autorité en le rapportant ? Ainsi, l’auteur quel qu’il soit, avait deux raisons pour ne pas rapporter le passage de Josèphe : il voulait être court, et favoriser sa nation. Au reste j’ai déjà dit qu’il y a peu à craindre d’un argument négatif.
Troisième objection. Réponse.
On nous fait une autre objection de ce que ce passage se trouve peu lié dans le récit de Josèphe avec ce qui précède et ce qui suit ; mais elle mérite peu d’attention. Il est ordinaire aux historiens d’accumuler des événements divers et qui ont entre eux peu de connexité, pour varier leur récit, sans égard à l’ordre dans lequel ils sont arrivés. S’ils n’en agissaient pas ainsi, ils priveraient leurs lecteurs d’un grand attrait, et s’ôteraient à eux-mêmes la facilité d’embellir leur histoire ; ils s’embarrasseraient d’une infinité de difficultés, ils perdraient un temps précieux à enchaîner tous les faits et iraient même contre les règles de l’histoire, qui obligent un auteur à s’attacher plutôt à l’ordre des temps qu’à la suite des événements. C’est ainsi qu’a fait Josèphe, et il a eu raison : l’histoire qui suit immédiatement dans son livre arriva avant la mort de Jésus-Christ ; cependant il n’en a pas moins observé l’ordre des temps, car il ne parle pas seulement de la mort de Jésus, il rapporte tout ce qui concerne sa vie, ses occupations, ses actions diverses ; il rapproche tout comme dans un seul cadre, et le raconte au temps où les événements sont censés se passer : il ne se fatigue pas à rapporter chaque chose en son temps. Casaubon a démontré que c’était la méthode des historiens les plus distingués.
Quatrième objection. Réponse.
Il est dit dans le passage de Josèphe que Jésus s’était fait plusieurs disciples parmi les Gentils ; or, dit Blondel, ce fait est faux ; car parmi les païens il n’y eut qu’une ou deux femmes qui s’attachèrent à lui. C’est possible, mais ses apôtres ne tardèrent pas à convertir des peuples entiers ; or Josèphe parle de son temps, où il voyait le christianisme faire de grands progrès, et il attribuait avec raison à Jésus ce que ses apôtres faisaient par lui et en vertu de la mission qu’il leur avait donnée.
Cinquième objection. Réponse.
Blondel ajoute que des chrétiens composés indistinctement de Juifs et de Gentils ne forment pas à proprement parler une nation, que ce mot ne saurait leur convenir. Je laisse aux grammairiens le soin d’expliquer la valeur du mot employé par Josèphe, il n’en est pas moins certain qu’on a pu appeler les chrétiens une nation par métaphore. Et puis, pourquoi exiger un si scrupuleux choix d’expressions grecques d’un helléniste juif ?
Sixième objection. Réponse.
Blondel dit qu’il est absurde de supposer que Josèphe, qui devait pencher plus pour les croyances des païens que pour celles des apôtres, eût reconnu que les prophètes avaient prédit toutes les circonstances relatives à la vie, à la mort et à la résurrection de Jésus-Christ. Mais ce qu’il a dit doit avoir le même sens que le passage déjà cité : Il était le Christ, ce qui signifiait : Puisqu’on croit qu’il est le Christ, les prophéties qui ont promis le Messie à notre nation ont trouvé en lui leur accomplissement.
Réponse spéciale aux objections de Tannegui-Lefèvre, sur le témoignage de Josèphe en faveur de Jésus.
Je vais maintenant répondre à mon concitoyen Tannegui-Lefèvre, homme très-instruit et d’un esprit brillant et orné. Ayant eu le malheur de quitter le sein de l’Église où il était né et où il avait été élevé, entraîné par la légèreté de son âge, il voulait dans un âge plus mûr revenir à cette Église et abjurer ses erreurs sur lesquelles il avait ouvert les yeux. C’est lui-même qui m’en a fait l’aveu dans ses lettres, peu avant sa mort ; et je dois le publier ici à son honneur, quoique la mort l’ait surpris sans qu’il ait pu accomplir son dessein. Il a composé une longue lettre contre l’authenticité de ce témoignage ; il y reproduit les arguments que je viens de réfuter, il en ajoute de nouveaux. Examinons-les séparément.
Il remarque d’abord que Josèphe était de la race des prêtres, très-attaché à la secte des pharisiens (laquelle était surtout l’objet des attaques de Jésus-Christ) ; que dès lors il était peu probable que Josèphe eût loué une personne qui maltraitait si fort les gens de son parti. Mais saint Paul était aussi pharisien et un ennemi très-acharné du christianisme, qu’il a fini par embrasser ; au contraire, Josèphe, qui était de la race des prêtres, et ami des pharisiens, a cru que Vespasien était le Messie, lui le plus mortel ennemi des Juifs, du moins Josèphe a feint de le croire. Ensuite, en homme érudit, il s’en prend à la différence du style, il trouve celui-ci froid, décousu et prouvant, dans celui qui l’aura ajouté au texte, un travail pénible et peu naturel qu’il est heureux d’avoir l’odorat si fin, et de flairer si vite ce que nous autres, avec la plus grande application, nous ne pouvons pas même soupçonner ! Je déclare que je n’y découvre aucune différence, et, qu’un œuf ne ressemble pas plus à un œuf, que ce passage au reste du texte de Josèphe.
Enfin, il trouve à redire à ces mots : Un certain Jésus. Cette manière de s’exprimer, dit-il, s’applique à un homme dont on fait peu de cas, et la suite, au contraire, contient un éloge magnifique de Jésus. Il est vrai que les exemplaires de l’Histoire d’Eusèbe portent ces mots : Un certain Jésus ; mais ils ne se trouvent pas dans sa Démonstration évangélique, ni dans les exemplaires de Josèphe que j’ai surtout consultés, ni dans saint Jérôme, qui traduit ainsi : « Dans ce temps, vivait Jésus, homme d’une sagesse remarquable », ni dans Isidore de Péluse, ni dans Nicéphore, ni dans Métochite, ni dans Hégésippe. Ainsi on devrait effacer ce mot dans l’Histoire d’Eusèbe. Au reste, qu’on l’y laisse, j’admets que le mot soit dans l’original, je soutiens qu’il n’ôte rien à la dignité de la personne à laquelle il est appliqué. Est-ce que saint Luc rabaissait Zacharie lorsqu’il disait (Luc 5.5) : Dans les jours d’Hérode il y eut un certain prêtre nommé Zacharie ? Saint Paul rabaissait-il Ananie, lorsqu’il dit la même chose de lui (Actes 22.12) ? Saint Luc parle ainsi de l’orateur Tertulle (Actes 24.1). Saint Justin emploie la même expression à l’égard de l’apôtre saint Jean ; saint Augustin qualifie ainsi Cicéron ; Hippolyte perd-il de sa dignité, lorsque Ovide lui fait dire : « Auriez-vous appris qu’un certain Hippolyte a succombé à la mort ? » Josèphe ajoute : Si toutefois on doit l’appeler un homme, car il opérait des miracles. Voici comment Lefèvre raisonne à cette occasion : Josèphe ne veut pas qu’on appelle Jésus un homme, il veut donc qu’il soit un Dieu ; or, jamais les Juifs n’ont pensé que le Messie serait Dieu ; il devait aussi regarder comme des dieux Moïse, Élie, Élisée et les autres hommes qui ont fait des miracles. Mais je nie d’abord que les Juifs n’aient jamais cru que le Messie serait Dieu ; je démontrerai le contraire plus tard, dans ma neuvième proposition d’ailleurs, Josèphe pouvait parler ici par métaphore et d’une manière oratoire, pour rehausser l’éclat des prodiges opérés par Jésus et célébrer ses bienfaits ; c’est comme s’il eût dit : Jésus a fait de si grandes merveilles, qu’il paraissait plutôt un Dieu qu’un homme. Arnobe a pu dire : Quand il serait vrai que Jésus est né homme, cependant, à cause de ses nombreux bienfaits qu’il a répandus sur les hommes, on devrait l’appeler un Dieu. Et Hiéroclès ont dit qu’Apollonius de Tyane avait une nature surnaturelle, qu’il ressemblait à la divinité, à cause des prestiges avec lesquels il fascinait les yeux du vulgaire ; quelques-uns même ont dit que c’était un dieu. Les héros des premiers temps passaient pour des dieux à cause de leurs exploits et des services qu’ils rendaient aux hommes. De là le proverbe : L’homme est un dieu pour l’homme. Pline a dit (livre 2 chapitre 7) : Celui-là est dieu pour des hommes qui rend service aux hommes. C’est là aussi l’origine de tous les dieux du paganisme. C’est pourquoi encore la plupart des rois et des chefs des peuples ont reçu les honneurs divins …
Lefèvre prétendra-t-il que les païens pouvaient en agir de la sorte, mais qu’il n’en était pas de même des Juifs, qui adoraient le vrai Dieu, qui savaient que ce Dieu avait dit : Le Seigneur s’appelle le Dieu jaloux ; qu’Hérode s’étant laissé rendre les honneurs divins, fut puni pour cette impiété. Cependant souvent dans l’Écriture les premiers magistrats sont appelés dieux. Leur religion n’empêcha pas les Sichémites, dans la lettre qu’ils écrivirent à Antiochus Épiphane, de l’appeler Dieu. Les chrétiens eux-mêmes ont employé cette expression. Saint Grégoire de Nazianze dit que le chrétien devient fils de Dieu, héritier de Jésus-Christ et dieu lui-même ; il exhorte le chrétien à être un dieu pour les pauvres en imitant la miséricorde de Dieu.
L’auteur des Commentaires sur les Psaumes, qui portent le nom de saint Jérôme, dit : Tant que nous sommes hommes, nous nous laissons aller au mensonge : quand nous serons des dieux, nous ne mentirons plus. Si quelqu’un est saint, il devient un dieu ; quand il est devenu dieu, il cesse d’être homme et ne ment plus. Boëce dit aussi : Dieu est un par nature, mais il y a plusieurs dieux qui sont dieux par leur participation à la divinité. Lorsque les Vénitiens se virent accablés par Louis XII roi de France, ils députèrent en ambassade, vers l’empereur Maximilien, Antoine Justinien, pour implorer son secours. Cet ambassadeur, pour mieux disposer l’empereur à son égard, lui dit que les Vénitiens le regardaient comme un dieu, et avaient pour lui la même vénération. C’est Guichardin qui nous rappelle ce fait. On connaît l’épitaphe de Matthieu Corvin, roi de Hongrie : Cette urne renferme les cendres de Corvin : ses exploits en faisaient un dieu : sa mort a prouvé qu’il n’était qu’un homme. Lefèvre désapprouve cette phrase du passage de Josèphe, qu’il trouve traînante et de mauvais goût : Il enseignait la vérité à ceux qui prenaient plaisir à en être instruits. Pour moi, je la trouve simple et naturelle, sans prétention, et bien rendue. Il ajoute qu’il est déraisonnable de dire : Puisque les prophètes avaient prédit ces miracles et plusieurs autres qui se sont accomplis en sa personne. Il aurait dû remarquer que toute personne qui aurait dit, comme venait de le faire Josèphe, que Jésus était ou passait pour être le Christ, qu’il était ressuscité trois jours après sa mort, devait aussi dire qu’il avait ou passait pour avoir accompli en lui les prophéties concernant le Messie. Je l’ai déjà prouvé dans ma sixième définition. Après avoir trouvé que dans le passage dont je défends en ce moment l’authenticité, on donne trop d’éloges à Jésus, Lefèvre change tout à coup son plan d’attaque : il prétend que pour un historien qui aurait cru que Jésus était le Messie, il n’en dit pas assez de bien. Si Josèphe était l’auteur de ce passage, continue-t-il, il aurait dû s’étendre sur ce qu’était le Christ ; expliquer aux Grecs, pour qui il écrivait, le genre de ministère auquel il se livrait d’abord Lefèvre se trompe ; il a cru voir dans la préface de Josèphe : J’ai entrepris cette histoire dans l’espoir que tous les Grecs lui trouveront de l’intérêt. Ce n’était pas pour les Grecs que Josèphe écrivait, mais pour les Romains, comme le savent tous ceux qui connaissent
Les circonstances de la vie de Josèphe. Lefèvre a été trompé par le mot elennès, qui doit s’entendre de tous les païens et non pas des Grecs seulement ; c’est dans ce sens que ce mot est pris par tous les hellénistes et les anciens auteurs chrétiens. Au reste cette objection qu’il nous fait va servir à confirmer notre opinion. Je conviens que Josèphe-aurait dû expliquer ce qu’était le Christ, et qu’il l’aurait fait s’il avait cru que Jésus était le Messie. Comme il n’a pas donné cette explication, j’en conclus qu’il n’admettait pas que Jésus fût vraiment le Christ, mais qu’il était seulement surnommé le Christ ; il n’avait pas à donner les motifs qui le faisaient surnommer ainsi.
En comparant le témoignage de Josèphe sur Jésus et son témoignage sur S. Jean-Baptiste, Tannegui Lefèvre cherche avec mauvaise foi àétablir une grande différence entre ces deux témoignages ; moi qui n’ai pas l’esprit aussi pénétrant que lui, je n’en vois aucune. Il demande ensuite pourquoi Josèphe ne parle pas de la qualité de précurseur de S. Jean-Baptiste. La réponse est toute simple, c’est que Josèphe n’avait pas le dessein d’exposer la doctrine des Juifs sur l’attente du Messie, et qu’il ne croyait pas que Jésus fût le Messie. Lefèvre, qui blâme Josèphe de ne pas avoir parlé de la qualité de précurseur qu’avait S. Jean, nous donne lui-même la raison de ce silence. Ainsi il parle pour et contre, selon la circonstance. Voulez-vous d’une chose, il ne la veut pas, ne la voulez-vous pas, il la veut. Il commence par dire que dans notre passage il n’y a aucun rapport entre ce qui précède et ce qui suit ; j’ai prouvé le contraire. Ensuite il indique la place où aurait pu se faire l’interpolation ou la falsification avec plus de succès ; il montre comment on aurait dû s’y prendre ; il fournit les expressions, qui auraient mieux convenu ; mais à quoi bon ? puisqu’il n’y a pas d’interpolation. Il veut aussi que S. Jérôme soit complice de la fraude, parce qu’il a rendu les mots du grec « o Xpristos autos » celui-là était le Christ, par ces mots : celui-là passait pour le Christ ; il aime mieux trouver deux coupables que de reconnaître qu’il n’y en a aucun. N’était-il pas plus convenable de supposer qu’un homme d’une sainteté si éminente traduisait fidèlement, comme réellement il l’a fait, et qu’il rendait la véritable pensée de Josèphe ?
Dans ma réponse à la deuxième objection citée plus haut, j’ai prouvé qu’on ne pouvait rien conclure du silence de S. Justin de Clément d’Alexandrie, d’Origène et de Photius. J’ai montré aussi, en répondant à la première objection, pourquoi Origène et Théodoret, supposé qu’ils eussent eu sous les yeux des exemplaires fidèles de Josèphe, et qu’ils y eussent lu le texte qui nous occupe, n’auraient pas dû pour cela croire que Josèphe était chrétien d’après Lefèvre, il résulterait du témoignage d’Origène non-seulement que Josèphe n’a pas écrit ce qu’on lui attribue, mais que dans le même passage précité il a, au contraire, cherché à rabaisser le mérite de Jésus et à jeter de la défaveur sur la bonne opinion qu’on avait conçue de lui. Ici Lefèvre a encore tort, et il est tout aussi mal fondé, car voici les paroles d’Origène sur Josèphe : « Il est étonnant que, ne reconnaissant pas Jésus pour le Messie, il ait rendu à S. Jacques un témoignage aussi éclatant de son innocence. » Origène dit ailleurs : « Quoique ce même Josèphe ne crût pas que Jésus fût le Christ. » De ces passages, Lefèvre conclut que Josèphe ne croyait pas que Jésus fût le Christ ; par conséquent le passage qu’on lui attribue et où Jésus est reconnu pour le Christ n’est pas de lui : il en tire en second lieu cette autre conclusion, que Josèphe aurait, au contraire, écrit contre Jésus. La première conclusion de Lefèvre tombe devant le vrai texte de Josèphe, qu’il suffit de rétablir. Il porte « o Xpistos autos », qu’il faut traduire comme l’a fait S. Jérôme, « il passait pour le Christ ». Les propres paroles d’Origène, dont il veut se faire une arme, suffisent pour détruire sa seconde conclusion. Il ne reconnaissait pas Jésus pour le Messie ; il ne croyait pas que Jésus fût le Christ ; car on en peut dire autant de Pilate, d’Hérode, de Suétone, de Tacite, d’Antonin le Pieux et de Marc Aurèle le philosophe ; en conclura-t-on que Pilate, Hérode et les autres que je viens de nommer ont écrit contre Jésus ?
Ce n’est pas tout : dans sa belle humeur de tout critiquer, non-seulement Lefèvre découvre ce que nous ne soupçonnerions jamais dans les paroles d’Origène, savoir que Josèphe a écrit contre Jésus, il sait même ce que Josèphe a écrit (ce qu’au reste avait déjà essayé de faire autrefois Jean de Cloppenbourg, dans une lettre à Capelle) ; et il a imaginé de rejeter sur le compte d’Eusèbe l’accusation d’avoir falsifié le passage de Josèphe. Pour nous, nous y mettons plus de franchise et plus de simplicité ; nous n’avons pas la hardiesse de nier l’évidence, pas plus que d’admettre ce qui n’est pas. Nous ne croyons pas pouvoir nous permettre de rejeter un témoignage confirmé par tous les textes et par l’accord et le consentement de tous les écrivains de l’antiquité, pour accepter de simples conjectures, présentées, il est vrai, avec beaucoup d’art et d’érudition, mais qui n’en sont pas moins pourtant de pures conjectures d’ailleurs, n’est-il pas plus séant pour un chrétien de préférer combattre avec nous et dans nos rangs ; et tout en voulant la vérité avant tout, de désirer que ce qui peut servir à rétablir soit vrai ? »
Il nous semble difficile, après cela, de se croire quelque motif un peu plausible de ne pas admettre l’authenticité du morceau dont il s’agit, et qui a été l’objet de tant de discussions depuis environ trois cents ans seulement. Ces discussions, cependant, ne sont pas terminées ; on continue de renouveler les difficultés des premiers critiques, comme si ou n’y eût point répondu d’une manière assez satisfaisante. Un de nos contemporains, écrivain distingué, a publié, il y a peu d’années, dans un journal ou dans une brochure, son opinion sur cette question : je ne connais pas ce travail, mais je pense que l’auteur s’est plutôt prononcé pour l’interpolation que pour l’authenticité.
Que le morceau ait été interpolé, admettons cette hypothèse, les critiques ont-ils lieu de croire avoir fait une belle découverte, et les ennemis du christianisme en sont-ils plus avancés ? C’est ce qu’il faut voir.« L’abbé Bullet, dans son Établissement du christianisme, ne prend parti ni pour ni contre, dit M. Peignot ; mais il soutient que le silence de Josèphe sur Jésus-Christ, dans le cas où le passage eût été interpolé, serait aussi avantageux à la cause du christianisme que le passage même. Il le prouve par des raisons péremptoires tirées de ce que Josèphe a parlé minutieusement de tous les faux Messies de ce temps-là. Pourquoi n’eût-il rien dit de Jésus-Christ ? C’est qu’il ne le regardait pas comme un faux Messie, et qu’il n’osait pas non plus le reconnaître pour le véritable, dans la crainte de déplaire à sa nation et aux Romains. »
Mais écoutons Bullet lui-même, accordant aux incrédules que Josèphe n’a point parié de Jésus-Christ, et examinant les inductions que l’on peut tirer de son silence :
1° Cet historien, qui naquit trois ou quatre ans après la mort de Jésus-Christ, n’a pu ignorer qu’il avait paru dans la Judée un homme charlatan, imposteur, magicien ou prophète, nommé Jésus, qui avait fait des prodiges, ou qui avait trouvé le secret de le faire croire à un certain nombre de personnes. Il ne pouvait ignorer que, de son temps, il y avait encore, dans cette province, des gens qui faisaient profession de le reconnaître pour maître. Lorsqu’il fut transporté à Rome, il ne put ignorer que Néron avait fait punir, par des supplices inusités et extraordinaires, un grand nombre de chrétiens qui étaient dans cette ville ; il ne put ignorer que leur martyre avait été un spectacle pour le peuple romain : spectacle d’un si grand éclat, que Tacite et Suétone l’avaient consigné dans les annales de l’empire. Il vit que sous Domitien on faisait à Rome et dans les provinces le procès aux chrétiens, et qu’ils étaient punis de mort par les ordres de l’empereur.
2° Josèphe a-t-il dû parler de Jésus et de ses disciples dans son histoire ? n’a-t-il pas pu regarder cet événement comme n’étant pas assez considérable pour y tenir place ? Je réponds que non, et voici les raisons sur lesquelles je m’appuie :
1. Du temps de Josèphe, les chrétiens étaient déjà une société si considérable qu’elle attirait l’attention des empereurs. Ces maîtres du monde portaient des lois contre eux, décernaient contre eux le dernier supplice, et les faisaient rechercher par les magistrats. Ainsi l’intégrité de l’histoire exigeait que l’on en parlât : Tacite et Suétone en ont, jugé ainsi, eux pour qui la secte des chrétiens était un objet bien moins intéressant que pour un Juif tel que Josèphe. Ces deux historiens ont cru que la naissance et l’établissement du christianisme était d’une assez grande importance pour tenir rang parmi les grands événements qu’ils transmettaient à la postérité.
2. Josèphe, au livre 18 de ses Antiquités, chapitre 2, parle des trois sectes qui étaient chez les Juifs : des esséniens, des saducéens et des pharisiens, quoique ces deux dernières ne subsistassent plus après la ruine de la nation, et dans le temps qu’il écrivait son histoire. Il ne devait donc pas se taire sur la secte des chrétiens, qui, s’étant formée parmi les Juifs, subsistait encore de son temps, avait pris bien d’autres accroissements que celles dont il parle, puisqu’elle s’était répandue dans les diverses provinces de l’Empire, et même dans la capitale, tandis que les autres n’étaient pas sorties de la Judée ou de quelques lieux voisins.
3. Josèphe parle exactement de tous les imposteurs ou chefs de parti qui se sont élevés parmi les Juifs, depuis l’empire d’Auguste jusqu’à la ruine de Jérusalem.
Il écrit que Judas le Gaulanite, ou le Galiléen, excitait les Juifs à se soulever contre les Romains ; et, dans un autre endroit, il dit que le président Tibère Alexandre fit crucifier les deux fils de ce séditieux (Antiquités judaïques, 1.18 c. 1 ; 1.20 c. 3).
Il raconte qu’un imposteur assembla les Samaritains sur le mont Garisim, en leur promettant qu’il leur découvrirait les vaisseaux sacrés que Moïse avait enfouis en ce lieu.
Il parle de la prédication de saint Jean-Baptiste, du concours de peuple qui se faisait auprès de lui. Il rend témoignage à la sainteté de sa vie ; il ajoute que les Juifs crurent que l’armée d’Hérode avait été défaite par Arélas, roi des Arabes, en punition du crime que ce prince avait commis en faisant mourir ce saint homme (Liv. 18 c. 7).
Il rapporte qu’un imposteur, nommé Theudas, séduisit un grand nombre de Juifs, et les conduisit vers le Jourdain, en leur, promettant qu’il diviserait ce fleuve, et le leur ferait passer à pied sec. Cuspius Fadus, président de la Judée, en ayant été averti envoya des gens de guerre qui dissipèrent, cette multitude, qui tuèrent Theudas, dont ils, rapportèrent la tête au président (Liv. 20 c. 2).
Il écrit que Félix, président de la province, ayant pris par ruse Eléazar, fils de Binée, chef d’une troupe considérable de brigands, il l’envoya chargé de chitines à Rome (Liv. 20 c. 6).
Il raconte (Ibid) qu’un Égyptien étant venu à Jérusalem, se donna pour prophète, et persuada au peuple de le suivre sur la montagne des Oliviers, d’où il verrait tomber par ses ordres les murailles de Jérusalem ; ce qui étant venu à, la connaissance de Félix, il se mit à la tête des troupes qui étaient dans cette ville, et ayant chargé cette populace séduite, il en tua quatre cents, et fit deux cents prisonniers. L’Égyptien, tant sauvé, ne parut plus.
Il rapporte qu’un imposteur magicien attira le peuple dans le désert, en lui promettant que sous sa conduite il serait à couvert de toutes sortes de maux. Le président Festus envoya contre eux des troupes qui les défirent et les dispersèrent (Liv. 20 c. 7).
Jésus était le chef d’un parti bien plus considérable, et qui faisait bien plus de bruit que tous ceux dont cet auteur a parlé. Ces imposteurs, ces chefs de partis, ces hommes qui avaient fait des assemblées, n’avaient eu des sectateurs que dans la Judée ; leur parti, leurs assemblées avaient été bientôt dissipés, et il n’en restait plus que le souvenir lorsque Josèphe écrivait son histoire. Il n’en était pas ainsi de la secte, de l’assemblée, du parti qu’avait formé Jésus : il subsistait encore du temps de Josèphe, il était répandu dans toutes les provinces de l’empire et jusque dans la capitale. Les maîtres du monde employaient toute leur autorité pour l’anéantir ; ainsi ce parti ou cette secte méritait bien plus que toutes celles dont parle Josèphe, de tenir un rang dans son histoire.
Josèphe, n’ayant pu ignorer Jésus ni la secte dont il était chef ; ayant dû, conformément aux lois de l’histoire et à la méthode qu’il s’était prescrite, écrire ce qu’il en savait, pourquoi a-t-il gardé sur cela un si profond silence ? Essayons de le découvrir. Pour y parvenir, je forme ce raisonnement :
Ou cet historien a cru que tout ce que les disciples de Jésus disaient de leur maître était faux, ou il a cru qu’il était vrai. Dans le premier cas, il ne se serait pas tu, tout le portait à parler en cette occasion : l’intérêt de la vérité, le zèle pour sa religion, dont les chrétiens, par leurs impostures, sapaient les fondements ; l’amour de sa nation, que les disciples de Jésus accusaient d’avoir fait mourir, par une maligne et cruelle jalousie, le Messie, le Fils de Dieu. En dévoilant les impostures des apôtres, Josèphe couvrait de confusion les ennemis de son peuple ; il se rendait agréable à sa nation, il se conciliait la faveur des empereurs qui persécutaient le christianisme naissant ; il s’attirait les applaudissements de tous les hommes qui avaient cette religion en horreur ; il détrompait les chrétiens mêmes que les premiers disciples de Jésus avaient séduits. Croira-t-on jamais qu’un homme instruit d’une fourberie qu’il était si intéressé de faire connaître, garde sur cela le plus profond silence, surtout lorsque l’occasion se présente si naturellement d’en parler ? Si l’on répandait parmi le peuple de faux miracles qui tendissent à ébranler sa foi, avec quel zèle nos écrivains ne découvriraient-ils pas l’imposture pour prévenir la séduction ? Ne regarderaient-ils pas, et avec raison, le silence, en cette occasion, comme une prévarication criminelle ? Il paraît donc évident que si Josèphe avait cru que ce que les apôtres disaient de leur Maître était faux, il aurait eu soin, de le faire connaître. S’il ne l’a pas cru faux, il l’a cru vrai ; et la seule crainte de déplaire à sa nation, aux Romains, aux empereurs, lui a fermé la bouche ; auquel cas son silence-vaut son témoignage, et sert également pour autoriser la vérité des faits sur lesquels le christianisme est établi.
J’écrivais ces observations en 1754. Je les communiquai alors à quelques personnes qui en parurent satisfaites. J’ai vu depuis avec plaisir le nouveau traducteur de Josèphe penser comme moi, que le silence de cet auteur sur Jésus-Christ vaudrait son témoignage. »
Surnommé l’aveugle, il était, dit-on, professeur dans l’Académie de Sara, vers l’an 351. Les Juifs lui donnent le nom de Grande Lumière, ou Saghi-Nakor (a). On lui donne aussi le surnom de Sinaï, parce qu’il se vantait de savoir en perfection toutes les traditions qui avaient été données à Moïse sur la montagne de Sinaï. On lui attribue les paraphrases chaldaïques sur les psaumes, Job, les Proverbes, l’Ecclésiaste, le Cantique des cantiques, Ruth et Esther. Mais tout le monde ne convient pas que les paraphrases sur tous ces livres soient du même auteur, tant on voit de différence dans son style et dans sa méthode ; étant tantôt très-court et très-serré, et tantôt très-diffus et très-étendu. Par exemple, il est très-long sur le Cantique des cantiques et sur l’Ecclésiaste ; mais sur les autres livres il est beaucoup plus court. Son style n’est ni pur, ni châtié ; on y remarque les fables de la Misne et du Talmud. On y trouve les noms des Turcs et de Constantinople ; ce qui fait dire au P. Morin qu’elles sont beaucoup plus récentes que ne le veulent les Juifs. Élie Lévite dit qu’on y remarque des traces de la langue babylonienne, de la grecque, de la latine et de la persanne.