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Gnostiques
Dictionnaire encyclopédique de la Bible de Augustin Calmet

Le nom de gnostiques ne se rencontre pas dans les livres sacrés, ni de l’Ancien, ni du Nouveau Testament ; mais les apôtres saint Pierre et saint Paul attaquent souvent dans leurs Épîtres les hérétiques de leur temps, qui dans la suite furent connus sous le nom général de gnostiques. Saint Paul, écrivant à Timothée (1 Timothée 1.3-4), lui dit d’avertir certains mauvais docteurs de ne point enseigner une doctrine différente de la sienne, et de ne se point amuser à des fables et à des généalogies sans fin. On croit qu’il veut désigner par là les gnostiques, qui, à l’imitation des anciens mages et des platoniciens, introduisirent dans leurs sectes des espèces de généalogies, sous le nom d’Æons, dont ils composaient leur plénitude ou leur divinité fantastique. Ils étourdissaient les ignorants par ces mots inconnus, et trompaient les simples par une vaine ostentation de science.

Le même apôtre fait une peinture fort ressemblante de ces anciens hérétiques dans sa seconde Épître à Timothée, lorsqu’il dit (2 Timothée 3.2-3) : Il y aura des hommes amoureux d’eux-mêmes, avares, glorieux, superbes, médisants, désobéissants, dénaturés, ennemis de la paix, calomniateurs, intempérants inhumains, sans affection pour les gens de bien, traîtres, insolents, enflés d’orgueil… qui auront une apparence de piété, mais qui en ruineront la vérité et l’esprit… Ce sont des hommes corrompus dans l’esprit, et pervertis dans la foi ; mais le progrès qu’ils feront aura ses bornes, etc. Et saint Jean, dans sa seconde Épître (2 Jean 1.7) : Plusieurs imposteurs se sont élevés dans le monde, qui ne confessent point que Jésus-Christ est venu dans la chair. En effet, les gnostiques, ou Doctes, disciples de Simon le Magicien, soutenaient que le Verbe, que le Christ avait paru sur la terre sans s’incarner, sans naître de la Vierge, sans avoir un corps réel, sans souffrir véritable, ment. Il faut voir la seconde Épître de saint Pierre (2 Pierre 2.9-10) et suivants, et celle de saint Jude (Jude 1.10) et suivants, où l’on trouve le caractère de ces hérétiques bien marqué. [Voyez Évangile].

Il y avait plusieurs sortes de gnostiques, comme il y a plusieurs sortes de protestants. Toutes les sectes gnostiques ne sont pas éteintes ; il en existe encore une qui a fourni à l’illustre évêque Wiseman de nouveaux éclaircissements du commencement de l’Évangile selon saint Jean. Nous allons rapporter ici ce que le savant prélat a écrit sur ce sujet, et nous aurons souvent l’occasion d’y renvoyer de plusieurs articles.

On a obtenu, dit-t-il, de curieux éclaircissements sur un passage difficile du Nouveau Testament, par la découverte d’une secte de gnostiques encore existante, mais sur laquelle on n’avait eu que peu ou point de notions jusqu’à la fin du dernier siècle : c’est un petit traité assez peu connu et publié, il y a un siècle environ, par le P. Ignace, jésuite missionnaire en Asie, qui révéla pour la première fois à l’Europe l’existence d’une secte semi-chrétienne ; établie principalement dans le voisinage de Bassora ; elle descendait évidemment des anciens gnostiques ; mais elle professait une vénération particulière pour saint Jean-Baptiste. On appelle ces sectaires Nazaréens, Sabéens, Mendéens, ou disciples de Jean ; ce dernier nom est celui qu’ils se donnent eux-mêmes. Beaucoup de preuves démontrent qu’ils existent depuis les premiers siècles ; et toute leur croyance est fondée sur la philosophie orientale, c’est-à-dire sur le système des émanations. Le professeur Norberg fut le premier qui donna de plus amples renseignements sur cette étrange religion,.en publiant, il y a peu d’années, leur livre sacré, le Codex Adami ou Codex Nazarceus. Il est écrit avec des caractères particuliers, dans un dialecte syriaque très-corrompu et extrêmement difficile à comprendre. Leur principal ouvrage, que Norberg désirait tant voir publier, est encore inédit : c’est un immense rouleau, couvert de figures curieuses et qu’ils appellent leur Divan. La copie originale existe au Muséum de la Propagande ; j’en ai fait faire deux faesimile : l’un est en ma possession, et je l’ai apporté, afin que vous puissiez l’examiner ; j’ai déposé l’autre à la bibliothèque de la Société Royale Asiatique de Londres.

On savait bien que saint Jean, dans ses écrits, attaquait ouvertement les sectes gnostiques, principalement celles qui sont connues sous les noms d’Ebionites et de Cérinthiens. Cette circonstance expliquait plusieurs expressions qui, autrement, eussent été obscures, et nous faisait comprendre pourquoi il insistait si constamment sur la réalité de l’incarnation du Christ. Il était évident que le premier chapitre de son Évangile contenait une série d’aphorismes directement opposés aux opinions de ces gnostiques ; par exemple, comme ils posaient en principe l’existence de plusieurs Æons ou Êtres émanés de Dieu, et inférieurs à lui ; comme ils appelaient l’un de ces Æons le Verbe, un autre l’unique engendré, un autre la lumière, etc., et qu’ils assuraient que le monde avait été créé par un esprit mauvais, saint Jean renverse toutes ces opinions en montrant que le Père n’a qu’un Fils, que ce Fils est à la fois la Lumière, le Verbe et l’unique engendré, et que toutes choses ont été faites par lui.

Mais il y avait, dans ce sublime prologue, d’autres, passages qui ne s’expliquaient pas aussi facilement. Pourquoi y insiste-t-on si fortement sur l’infériorité de saint Jean-Baptiste ? Pourquoi nous dit-on qu’il n’était pas la lumière, mais que sa mission était seulement de rendre témoignage à la lumière ? Et pourquoi cela est-il répété deux fois ? Pourquoi est-il dit qu’il n’était qu’un homme ? Ces assertions réitérées doivent avoir été dirigées contre quelques, opinions existantes, qui demandaient à être confondues aussi bien que les autres. Cependant nous ne connaissions aucune secte qui pût y avoir donné lieu. La publication des livres sabéens a, selon toute apparence, résolu la difficulté.

Quand le Codex Nazarceus fut publié pour la première fois, plusieurs savants appliquèrent ses expressions à l’éclaircissement de l’Évangile selon saint Jean : l’évidence qui en résulta fut d’abord jugée très-satisfaisante, mais elle fut ensuite rejetée homme de peu de valeur, particulièrement par Hug, si je m’en souviens bien. Toutefois, en parcourant ce livre, on ne peut manquer, je crois, d’être frappé par certaines, opinions évidemment anciennes, que l’Apôtre semble avoir eues précisément en vue dans l’intruduction de son Évangile d’abord, la distinction entre la lumière et la vie ; secondement, la supériorité de saint Jean-Baptiste sur le Christ ; troisièmement, l’identification de saint Jean avec la lumière.

La première de ces erreurs était peut-être commune à d’autres sectes gnostiques ; mais, dans le Codex Nazarmus nous voyons la lumière et la vie expressément distinguées comme deux êtres différents. Dans ce livre, la première émanation de Dieu est le Roi de lumière ; la seconde, le feu ; la troisième, reau ; la quatrième, la vie (Norberg, page 8). Or, saint Jean repousse cette erreur dans le quatrième verset, où il dit : Et la lumière était la vie. La seconde erreur, qui consistait à élever saint Jean au-dessus du Christ, forme le principe fondamental de cette secte ; c’est même pour cela que ses membres sont les Mende-Jahia (disciples de Jean). Et une lettre arabe du patriarche maronite de Syrie, publiée par Norberg, nous dit qu’ils plaçaient dans leur culte, saint Jean au-dessus du Christ (Notes de la Préface), qu’ils distinguaient soigneusement de la vie. En troisième lieu, ils identifient saint Jean avec la lumière. Ces deux dernières erreurs résultent à la fois d’un passage que j’ai pris au hasard en ouvrant le livre : Poursuivant ma route et arrivant à la prison de Jésus, le Messie, je demandai : Pour qui est cette prison ? On me répondit : Elle renferme ceux qui ont, nié la vie et suivi le Messie (t. 11, paget). On suppose ensuite que le Messie s’adresse au narrateur en ces termes : Dis-nous ton nom et montre-nous ton signe, celui que tu as reçu de l’eau, le trésor de splendeur et le grand baptême de la lumière ; et en voyant ce signe, le Messie l’adore quatre fois (Ibid., page 11). Ensuite les âmes qui sont avec lui demandent la permission de retourner dans leurs corps pendant trois jours, afin d’être baptisées dans le Jourdain au nom de cet homme qui s’est élevé au-dessus de lui. Ici donc nous voyons Jean et son baptême élevés au-dessus du Christ ; le Messie distingué de la lumière, et le baptême de Jean appelé le baptême de la lumière. Or, on ne peut manquer l’observer avec quelle précision l’Évangéliste contredit chacune de ces opinions blasphématoires, quand il nous dit que, dans le Christ était la Vie ; que Jean n’était pas la lumière, mois qu’il lui rendait seulement témoignage (versets 7.8) ; et que Jean était inférieur au Christ, d’après son témoignage même. Et sur ce point les paroles de l’Évangile semblent choisies exprès pour combattre l’erreur : Jean rendait témoignage et criait, disant : Voici celui duquel je disais : Celui qui viendra après moi sera mis avant moi, parce qu’il était avant moi (vers. 15).

Nous avons tout lieu de penser que les opinions de cette étrange secte se sont bien modifiées dans le cours des siècles ; mais leur conformité avec le système gnostique, et, en outre, quelques preuves historiques démontrent qu’elles ne sont pas modernes ; et, selon toute vraisemblance, elles descendent de ceux qui ne reçurent que le baptême de Jean. En tout cas la publication de ces documents et les connaissances que nous avons acquises sur cette secte, ont montré qu’il existait parmi les gnostiques des opinions qui correspondaient exactement aux erreurs condamnées par saint Jean. Des expressions auparavant inintelligibles sont ainsi devenues claires, et il a été prouvé que la série de propositions ou d’axiomes sans connexion apparente, qui composent ce prologue, et qui semblaient insister inutilement sur des points peu intéressants pour nous, était dirigée contre les doctrines impies réfutées dans le même Évangile.

Goata  
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