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infernus ; en hébreu, scheol. Ce terme, dans l’Écriture, signifie souvent le tombeau, le fond de la terre, ou reposent les corps des morts. Jacob dit qu’il descendra dans le tombeau, ou dans l’enfer, accablé de douleur, pour la mort de son cher fils Joseph (Genèse 37.35). Les conjurés Coré, Dathan et Abiron furent engloutis dans la terre, et descendirent tout vivants dans l’enfer (Nombres 16.30-33), c’est-à-dire, ils furent enterrés tout vivants. Vous ne laisserez pas mon âme dans l’enfer, dit le Psalmiste (Psaumes 15.10) ; vous ne permettrez pas que mon corps pourrisse dans le tombeau. L’enfer se met aussi pour la demeure des âmes après leur séparation du corps. C’est dans ces lieux souterrains où les géants gémissent sous les eaux, suivant l’expression de Job (Job 26.5). C’est là où le mauvais riche fut enseveli (Luc 16.22), et où les anges rebelles sont précipités et retenus par les chaînes de l’enfer : (2 Pierre 2.4).
Enfin le nom d’enfer désigne quelquefois le lieu où les âmes des saints attendaient la venue du Sauveur, et d’où elles sortirent après la résurrection, pour aller dans le ciel jouir d’un bonheur éternel. C’est dans cet enfer que Jésus-Christ est descendu après sa résurrection (2 Pierre 2.4) : Descendit ad inferos. C’est lui dont il est dit (Psaumes 15.1à ; Actes 2.27) : Non derelinques animam meam in inferno, nec dabis Sancium tuum videre corruptionem. On lui applique aussi ces mots d’Osée (Osée 13.14) : Je serai ta mort, à mort ! je serai ta morsure, à enfer, etc.
Nous avons parlé ci-devant sous le mot champs Élisées, du sentiment des Hébreux et des païens sur l’état des âmes après la mort. Les savants sont partagés sur l’origine ou sur les premiers auteurs de l’enfer, du Tartare, des champs Élisées, et de ce qu’on lit dans les Pères grecs et latins sur l’état des âmes séparées du corps. Quelques-uns prétendent que les anciens Juifs ne reconnaissaient que des peines ou des récompenses temporelles pour les bons et pour les méchants. La loi ne semble pas en promettre d’autres. Elle menace l’Israélite de la mort, d’une mort prématurée, d’une mort honteuse, des derniers supplices, du retranchement ou extermination, de l’excommunication, l’extinction de sa famille, de la stérilité de sa terre, de la captivité, de l’esclavage, du transport dans une terre étrangère, d’être vaincu et poursuivi par ses ennemis, de voir un ciel d’airain et une terre de fer, etc. ; mais jamais de l’enfer et de la mort éternelle : et de même à proportion pour les récompenses. Elle promet une longue vie, une nombreuse famille, d’abondantes récoltes, des troupeaux féconds, une paix profonde dans son pays, la victoire contre ses ennemis, les richesses, l’abondance, les honneurs, ce qui flatte l’amour-propre et les sens ; mais elle ne parle jamais ni de la vie éternelle, ni de la gloire du paradis, ni des récompenses de l’autre vie.
Les savants croient que ce n’est que par le commerce que les Juifs ont eu avec les Grecs, qu’ils ont commencé à examiner ce qu’Homère et les autres poètes disaient de l’enfer, du Tartare, des champs Élisées ; et qu’alors on vit les docteurs juifs se partager, les uns ayant adopté ce que disaient les Grecs, et les autres s’étant tenus aux anciens sentiments reçus dans la nation. Et ce partage produisit, dit-on, les sectes que l’on vit depuis parmi les Juifs : celles des Pharisiens et des Esséniens, plus favorables aux sentiments des Grecs ; et celles des Saducéens, plus conformes à l’ancienne tradition des Hébreux. C’est ce que prétendent ces auteurs.
D’autres croient que c’est plutôt des Perses ou des Égyptiens que les Juifs ont reçu ces sentiments, que non pas des Grecs ; parce qu’on voit ces opinions chez les Orientaux et chez les Égyptiens, de même que chez les Grecs, et qu’on est prévenu que la religion des Grecs est venue des Orientaux ou des Égyptiens, et qu’elle ne s’est formée que sur les idées qu’ils ont empruntées d’ailleurs. Les auteurs de ces opinions ont cela de commun, qu’ils conviennent que les Juifs ont pris d’ailleurs les idées qu’ils ont de l’enfer et du paradis, et que les chrétiens les ont reçues d’eux.
Mais, si l’on veut examiner de près les livres des Hébreux, on trouvera qu’ils ont pensé et parlé à-peu-près comme les Grecs, avant Homère, Hésiode et les plus anciens poètes de cette nation. Job, le Psalmiste, Salomon, Isaïe, Jérémie et Ézéchiel ont parlé clairement de l’enfer où les méchants sont détenus. Moïse lui-même (Deutéronome 32.22) a parlé d’un feu qui s’est allumé dans la colère du Seigneur, qui brûle jusqu’au fond de l’enfer, que dévore la terre et toutes ses plantes, et qui brûle les fondements des montagnes. Et ailleurs (Deutéronome 30.15) : Je vous ai aujourd’hui proposé la vie et le bien, et d’un autre côté la mort et le mal. Il est évident que les gens de bien ne sont pas toujours récompensés dans cette vie, ni les méchants punis dans ce monde selon leur mérite. Moïse a donc voulu marquer une autre vie, et une autre mort, d’autres biens et d’autres maux que ceux de cette vie. Et si les Hébreux n’attendaient rien après leur mort, pourquoi Balaam demande-t-il à Dieu que sa fin ressemble à la leur ? Moriatur anima mea morte justorum, et liant novissima mea horum similia (Nombres 23.10).
Mais venons aux témoignages plus exprès. On convient que Job vivait à-peu-près au temps de Moïse : et, quoiqu’il y ait quelque difficulté sur l’auteur du livre qui porte son nom, les uns l’attribuant à Job lui-même, d’autres à Moïse, d’autres à Salomon, et d’autres à Isaïe, on doit croire que l’écrivain de cet ouvrage a exprimé les sentiments de Job, c’est-à-dire, ceux qui étaient reçus de son temps dans son pays, et parmi les Iduméens, ou les Arabes. Or il marque distinctement les peines de l’enfer ; il dit que les géants, ces anciens scélérats qui corrompirent toutes les voies de la nature par leurs crimes, et dont Dieu noya les abominations dans le déluge, que ces géants gémissent sous les eaux (Job 26.5), et ceux qui demeurent avec eux. Le lieu de leur supplice, l’enfer est découvert aux yeux de Dieu, et le lieu de perdition ne peut se cacher à se lumière. Et ailleurs (Job 24.19-20) : que le méchant passe delà froideur de la neige aux plus excessives chaleurs, que son crime descende jusque dans l’enfer, que sa miséricorde soit mise en oubli, et que sa douceur soient les vers.
Tout cela est d’avant les poètes, qui nous ont appris que les géants rebelles contre Jupiter sont précipités sous les eaux, et enfermés sous le poids des montagnes.
Hic genus antiquum terrae, Titania pubes,
Fulmine dejecti fundo volvuntur in imo.
On peut voir Homère, et Hésiode et les autres poètes qui ont écrit depuis.
Salomon, plus ancien que tous les auteurs de la Grèce, parle de l’enfer à-peu-près de même que Job ; il nous représente les géants. La femme déréglée invite les insensés à jouir des plaisirs ; et ils ne savent pas que c’est là la voie de l’enfer où les géants ont leur demeure (Proverbes 9.18), et que ceux qui mangent à la table d’une débauchée vont dans le plus profond de l’enfer. Il dit ailleurs (Proverbes 2.18-20) que la maison d’une courtisane penche vers la mort, et que ses sentiers mènent aux enfers, ou aux çéants…, et que ceux qui y entrent, n’en sortent plus. Et encore (Proverbes 5.5) : Ses pieds conduisent à la mort, et ses pas penchent jusque dans l’enfer. Et (Proverbes 7.27) : Sa maison est le chemin de l’enfer, qui conduit jusqu’à la profondeur de la mort. Et encore (Proverbes 15.11) L’enfer et la perdition sont à nu devant lui, à plus forte raison les cœurs des hommes. Voilà encore l’enfer, la perdition, la demeure des géants, représentés comme le lieu où les méchants, les débauchés, les adultères sont relégués et punis. Cela n’est certainement pas imité d’Homère, ni d’Hésiode, ni, à plus forte raison, de Virgile, non plus que cet autre passage du même Salomon (Proverbes 21.16) : Qui erraverita via doctrinoe, in coetu gigantum commorabitur.
Si l’on pouvait prouver que tous les psaumes sont de David, on pourrait trouver dans ces divins cantiques d’excellentes preuves contre ceux qui prétendent que les anciens Juifs n’ont pas eu d’idée distincte de l’enfer ; mais quand l’auteur du psaume txxxvii n’aurait vécu qu’au temps de la captivité de Babylone, il serait toujours bien certain qu’il n’aurait pas emprunté ses sentiments sur l’enfer dans les écrits des Grecs. Voici comme il parle à Dieu : Ferez-vous des miracles à l’égard des morts (Psaumes 97.11-13), et les médecins les ressusciteront-ils pour vous louer ? Ou, selon l’hébreu : Et les Réphaim se lèveront-ils pour publier vos louanges ? Attendez-vous que les anciens géants sortent de l’enfer pour vous louer ? Il ajoute : Vos merveilles seront-elles connues dans les ténèbres, et votre justice dans l’oubli ? car l’enfer, la perdition, l’oubli, sont des mots synonymes : les païens même mettaient dans l’enfer le fleuve Léthé, ou de l’oubli, et tenaient que les morts en buvaient pour perdre le souvenir de la vie :
Lethaei ad fluminis undam
Securos latices, et Tonga oblivia potant.
Le prophète Isaïe était à-peu-près contemporain d’Hésiode et d’Homère ; Ézéchiel vivait quelque temps après ces anciens poètes ; mais on peut bien assurer qu’ils n’ont eu nulle connaissance ni de leurs personnes ni de leurs écrits ; et cependant ils parlent de l’enfer et de l’état des morts en l’autre vie d’une manière pour le moins aussi claire qu’eux et sous des expressions très-semblables aux leurs. Isaïe (Isaïe 66.24) parle du feu des damnés qui ne s’éteint point, du ver qui les ronge et qui ne meurt point, et de la pesanteur insupportable qui les environne : l’hébreu à la lettre : Ils seront un sujet de dégoût à toute chair. Le même prophète dit ailleurs (Isaïe 26.14-19) : Les morts ne ressusciteront point, les géants ne vivront point, parce que vous les avez réduits en poudre, et que vous avez effacé jusqu’à la mémoire de leur nom. Les voilà donc réduits dans l’enfer et dans l’oubli. Mais vos morts (les Israélites) revivrant ; ceux qui ont été tués dans moi ressusciteront : réveillez-vous de votre sommeil, vous qui habitez dans la poussière, parce que la rosée qui tombe sur vous est une rosée de lumière et que vous ruinerez la terre des géants : ou plutôt selon l’hébreu : Vous ferez tomber la terre des géants : Vous accablerez les géants vos ennemis par la terre qui tombera sur eux, et qui fermera sur eux l’ouverture de l’abîme. Comparez (Ézéchiel 31.10 ; Lamentations 3.5 ; Psaumes 63.16), et ce que les poêtes disent des portes de l’enfer et de la difficulté d’en sortir.
Le même Isaïe, parlant de la chute du roi de Babylone, lui dit (Isaïe 14.9) : L’enfer a été troublé à ton arrivée, les géants se sont levés pour venir au devant de toi : les princes de la terre et les rois des nations sont descendus de leurs trônes, et t’ont adressé la parole en disant : Tu as donc été percé de plaies aussi bien que nous, et tu es devenu semblable à nous. Ton orgueil a été précipité dans l’enfer ; ton lit sera la pourriture, et ta couverture seront les vers. Comment es-tu tombée du ciel, étoile du matin, qui paraissais avec tant d’éclat au point du jour ? le voilà donc enfin dans l’enfer, réduit à un coin du tombeau. Ceux qui te verront se prosterneront devant toi, en disant : Est-ce donc là cet homme terrible qui a répandu la terreur dans toute la terre ? Voilà une prosopopée fort approchante de celles qu’on voit dans les poètes et dans les auteurs profanes qui ont décrit l’enfer et les champs Élisées.
Ézéchiel est encore plus exprès (Ézéchiel 31.15-16) : Le jour qu’Assur est descendu dans l’enfer, j’ai ordonné un deuil général ; j’ai fermé sur lui l’entrée de l’abîme (afin qu’il ne pût sertir) ; j’ai arrété le cours de ses fleuves et des grandes eaux qui arrosaient (ce cèdre). Le Liban et tous les arbres de la campagne ont été ébranlés de sa chute. Toutes les nations ont été frappées d’étonnement lorsqu’il est descendu dans le tombeau : tous les arbres du jardin d’Éden qui sont au plus profond de la terre ont été comblés de joie. Avec lui sont descendus tous les plus beaux arbres du Liban, qui étaient son bras et sa force, et qui reposaient sous son ombre. Vous voilà enfin réduit au fond de la terre avec tous les arbres d’Éden ; vous y dormirez avec ceux qui ont été tués par l’épée. Là se trouve Pharaon avec toutes ses troupes.
Il adresse ensuite la parole au roi l’Égypte, et lui dit de descendre dans l’enfer avec les autres (Ézéchiel 32.18-19) : Descendez et endormez-vous avec les incirconcis : les plus puissants qui sont dans l’enfer lui parleront, ces incirconcis qui y sont depuis si longtemps, et qui ont été mis à mort par l’épée. Là est Assur avec tous les siens, qui ont autrefois répandu la terreur dans la terre des vivants : ils sont rangés autour de son tombeau. Là est Élam, là Mosoch et Thubal. Ils ne dormiront point parmi les braves qui sont descendus dans l’enfer avec leurs armes, et gui ont mis leur épée sous leur tête, etc.
Remarquez ici, comme dans les poêtes, que les morts conservent dans l’enfer les marques de leur profession, et les instruments de leurs inclinations. Ici les héros portent leur épée dans l’enfer, et la mettent sous leur chevet ; dans Virgile ils ont leurs chevaux, leurs chariots, leurs armes et leurs exercices dans les champs Élisées.
Les Esséniens, dont Josèphe donne une idée si avantageuse, étaient à-peu-près dans les mêmes sentiments que les païens, au sujet des âmes séparées des corps. Ils tenaient l’âme immortelle, et qu’aussitôt qu’elle était dégagée du corps, elle s’élevait pleine de joie vers le ciel, comme affranchie d’une longue servitude et déliée des liens de la terre : que les âmes des justes allaient au delà de l’Océan dans un lieu de repos et de délices, où elles ne sont sujettes à aucun dérangement des saisons ; celles des méchants au contraire sont reléguées dans des lieux exposés à toutes les injures de l’air, où elles souffrent des tourments éternels. Josèphe ajoute qu’il lui parait que c’est sur ces idées que les poêtes grecs ont forgé les lieux délicieux où demeurent leurs héros et leurs demi-dieux, et les supplices dont sont tourmentés les méchants dans l’enfer sous l’empire de Pluton.
Les Juifs mettent l’enfer au centre de la terre : on a vu ci-devant qu’ils l’appelaient l’abîme et la perdition ; qu’ils le croyaient sous les eaux et sous les montagnes. Ils l’appellent aussi assez souvent Gehennon, ou Gehenna, qui signifie la vallée d’Hennon, ou des enfants d’Hennon, qui était comme la voirie de Jérusalem ; où l’on immolait des enfants au dieu Moloch. Voyez Gehenna. Les païens croyaient de même le lieu des supplices au plus profond de la terre.
Tum Tartarus ipse
Bis palet in prœceps tantum, tenditque sub umbras,
Quantus ad aethereum coeli suspectus olympum.
Les portes de L’enfer, dont notre Sauveur a parlé dans l’Évangile (Matthieu 16.18), ne sont autres que la puissance de l’enfer ; car les Orientaux donnent le nom de portes aux palais de leurs princes. Les Juifs disent que l’enfer a trois portes : la première est dans le désert : c’est par là que Coré, Dathan et Abiron descendirent dans l’enfer ; la seconde est dans la mer : car il est dit que Jonas, qu’on avait jeté dans la mer ; (Jonas 2.3) cria à Dieu du ventre de l’enfer. La troisième est dans Jérusalem ; car Isaïe dit (Isaïe 20.9) : Que le feu est en Sion, et la fournaise en Jérusalem. Ces remarques sont frivoles ; mais il est certain que Pythagore et lès poêtes parlent des portes de l’enfer. Virgile :
Porta adversa ingens, sulidoque adamante columnœ :
Vis ut nulla virum, non ipsi exscindere ferro
Coelicolœ valeant.
Les Hébreux reconnaissent sept degrés de peines dans les enfers, parce qu’ils trouvent que ce lieu est appelé de sept noms différents dans l’Écriture, et qu’ils sont persuadés qu’il y a une grande diversité de peines entre les damnés. Les chrétiens y ont aussi reconnu divers degrés de peines ; mais personne ne s’est jamais avisé d’en marquer le nombre. Il est très-croyable qu’il est infini, comme les degrés de démérites des hommes sont innombrables. Plusieurs théologiens admettent quatre espèces d’enfers, savoir l’enfer des damnés, le purgatoire, le limbe des enfants, et celui des pères : car tous ces lieux sont quelquefois nommés enfers ; mais ce nom ne convient proprement et à la rigueur qu’à celui des damnés.
L’éternité des peines de l’enfer est reconnue dans toute l’Écriture : le feu des damnés ne s’éteindra point, et leur ver ne mourra point. Mais les Juifs croient qu’ily en a peu d’entre eux qui doivent demeurer pour toujours dans l’enfer. Ils tiennent que tout Juif qui n’est point entaché d’hérésie, et qui n’a point contrevenu à d’autres points marqués par les rabbins, n’est pas plus d’un ait en purgatoire, et qu’il n’y a que les infidèles ou les grands scélérats qui demeurent pour toujours en enfer. Tout le monde sait qu’Origène croyait aussi que les peines des damnés finiraient un jour. Manassé-Ben-Israël nomme trois sortes de personnes qui seront damnées éternellement : les athées qui nient l’existence de Dieu, celui qui nie la divinité de la loi, et enfin celui qui nie la résurrection des morts. Ces gens, quand d’ailleurs leur vie serait pure, seront punis par des supplices qui ne finiront point d’autres rabbins, comme Maimonides, Abravanel et quelques autres, soutiennent qu’après un certain temps l’âme des méchants sera anéantie.
Comme le bonheur du paradis est exprimé dans l’Écriture sous l’idée d’un festin ou d’une noce, où règnent la lumière, la joie et les plaisirs, ainsi l’enfer est représenté dans le Nouveau Testament comme un lieu ténébreux où règnent la douleur, la tristesse, le dépit, la rage, le désespoir et le grincement de dents, comme d’une personne exclue ou chassée, pendant l’obscurité de la nuit et la rigueur du froid, d’un festin où elle se flattait d’entrer.
Les rabbins reconnaissent trois différentes sortes de supplices dans l’enfer : le froid, le chaud, le trouble, ou le désespoir de l’âme. Le froid et le feu sont marqués dans Job (Job 24.19) :
Ad nimium valorem transeat ab aquis nivium : qu’il passe de l’eau des neiges à une chaleur excessive. Et l’auteur du Commentaire sur Job, qui est parmi les œuvres de saint Jérôme, entend de même ce passage ; et il semble que l’Évangile a voulu désigner ces deux sortes de supplices, en marquant d’une part un feu qui ne s’éteint point, et de l’autre, le froid et les ténèbres de la nuit, et le grincement de dents ; ou plutôt le tremblement de froid jusqu’à grelotter (Matthieu 22.13-14). L’auteur du quatrième livre d’Esdras met les âmes des damnés entre le feu et l’eau ; ayant le feu à la droite et l’eau à la gauche, également tourmentés de l’un et de l’autre. Les rabbins croient que Dieu tira de l’enfer le feu dont il brûla Sodome, et l’eau dont il inonda la terre au temps du déluge. Ainsi les païens ont imaginé dans l’enfer un fleuve de feu, c’est le Phlégéton, et un fleuve froid comme la glace, c’est l’Achéron, et ils ont dit que les Titans étaient tourmentés, les uns dans l’eau, et les autres dans le feu.
Allis sub gurgite vasto
Infestum eluitur scelus, aut exuritur igni.
Les regrets, les remords, le désespoir des damnés sont exprimés par les rabbins sous le nom de désordre de l’âme ; c’est ce qu’Isaïe (Isaïe 66.14), et après lui l’Évangile (Marc 9.43-45), ont voulu marquer par ce ver qui rouge et qui ne meurt point : Vermis eorum non moritur.
Les musulmans ont emprunté des Juifs et des chrétiens le nom de Gehennem, ou Gehim, pour signifier l’enfer ; Gehennem en arabe signifie un puits très-profond, et Gehim un homme laid et difforme ; Ben-Gehennem, un fils de l’enfer, un réprouvé. Ils donnent le nom de Thabeck à l’ange qui préside à l’enfer.
Ils reconnaissent sept portes de l’enfer, de même que les Juifs y reconnaissent sept degrés de peines ; et c’est aussi le sentiment de plusieurs commentateurs, qui mettent au premier degré de peine, nommé Gehennem, les musulmans qui auront mérité d’y tomber. Le second degré, nommé Ladha, est pour les chrétiens ; le troisième, nommé Hothama, pour les Juifs ; le quatrième, nommé Saïr, est destiné aux sabiens ; le cinquième, nommé Sacar, est pour les mages, ou guèbres, adorateurs du feu ; le sixième, nommé Gehim, pour les païens et les idolâtres ; le septième qui est le plus profond de l’abîme, porte le nom de Haoviath, et est réservé aux hypocrites qui déguisent leur religion, et qui en cachent dans le cœur une autre que celle qu’ils professent au dehors.
D’autres expliquent autrement ces sept portes d’enfer. Par exemple, il y en a qui croient qu’elles marquent les sept péchés capitaux. Quelques-uns les prennent des sept principaux membres du corps, dont les hommes se servent pour offenser Dieu, et qui sont les sept principaux instruments de leurs crimes. C’est pourquoi un poête persien a dit : Vous avez les sept portes d’enfer dans votre corps ; mais l’âme peut faire sept serrures à ces portes ; la clé de ces serrures est votre franc arbitre, dont vous pouvez vous servir pour si bien fermer ces portes, qu’elles ne s’ouvrent plus à votre perte.
Outre la peine du feu, qui est celle du sens, et que les musulmans reconnaissent comme nous, ils croient aussi la peine du dam, qui est la plus terrible de toutes, et sans laquelle l’autre serait peu de chose : c’est un éloignement de Dieu, et une privation de sa vue et de la vision béatifique, qui fait le plus grand supplice des damnés. [Voyez feu].