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(Marc 7.11), ou Corbona,
(Matthieu 27.6). Ce terme vient de l’hébreu karab, ou hekerib, offrir, présenter. Il se met pour une offrande, un don, un présent que l’on fait à Dieu ou à son temple. Les Juifs faisaient quelquefois serment par le corban, ou par les dons qui étaient offerts à Dieu (Matthieu 23.18). Théophraste dit que les Tyriens proscrivaient l’usage des serments étrangers, et en particulier du corban, qui n’était, dit Josèphe, en usage que chez les Juifs.
Jésus-Christ, dans l’Évangile, reproche aux Juifs leur dureté envers leurs parents, et il dit que pour se dispenser de leur faire part de leurs biens, ils leur disaient : Que ce que vous me demandez, soit corban, et consacré à Dieu ; ou : Que tout ce que je pourrais vous donner, me soit corban, et tellement dévoué à Dieu, que ni vous ni moi n’en puis-siens rien employer à notre usage ; ou enfin : Je jure par le corban, ou par le don qui est fait au Seigneur, que je ne vous aiderai en quoi que ce soit. Saint Matthieu (Matthieu 15.5), exprime ainsi la réponse des fils envers leurs parents : l’offrande que je fais à Dieu vous sera utile. J’ai voué à Dieu ce que vous me demandez ; il n’est plus ni à vous, ni à moi ; mais vous aurez part au mérite de mon offrande.
Josèphe remarque que parmi les Hébreux les hommes et les femmes se rendaient quelquefois corban, c’est-à-dire qu’ils se consacraient à Dieu, ou à certains ministères pour son service. Lorsque ces sortes de personnes voulaient se faire délivrer de l’obligation qu’elles s’étaient imposée, ou du Ministère auquel elles s’étaient vouées, elles donnaient au prêtre une somme d’argent ; l’homme cinquante sicles, et la femme trente.
Que s’ils ne se trouvaient pas en état de satisfaire à cette somme, ils convenaient avec le prêtre, et lui donnaient ce dont il se tenait content.
Philon (a), parlant de ceux qui se dévouaient au Seigneur, rapporte ce que Moïse a dit, au Lévitique (Lévitique 27.2-3, 4) et suivants : Celui qui a voué à Dieu son âme, sa vie, sa personne, rendra le prix qui sera estimé par le prêtre : l’homme depuis vingt jusqu’à cinquante ans, donnera cinquante sicles, suivant la mesure du sanctuaire ; et la femme trente. Depuis cinq ans jusqu’à vingt, le garçon donnera vingt sicles, et la fille dix. Depuis un mois jusqu’à cinq ans, on donnera cinq sicles pour le garçon et trois pour la fille. Depuis soixante uns et au-dessus, l’homme donnera quinze sicles, et la femme dix. Si celui qui a fait le vœu est trop pauvre, et qu’il ne puisse donner cette somme, il se présentera devant le prêtre, et il paiera suivant l’estimation qui en sera faite.
D’où vient, dit Philon, que dans tout cela on ne fait attention qu’à l’âge, et non pas aux richesses ou aux autres qualités de ceux qui ont fait le vœu ? C’est, dit-il, premièrement, parce que le vœu est d’une dignité égale, de quelque condition que soient ceux qui le font. Secondement, il ne convient point de considérer ceux qui font des vœux, comme on fait les esclaves, auxquels la beauté, la belle taille, la bonne santé don-rient du prix et du mérite. La troisième et principale raison, c’est que Dieu considère et estime l’égalité des conditions ; et les hommes au contraire la méprisent.
Moïse parle encore de différentes sortes de corban, ou de dévouements que l’on faisait d’une partie de ses biens, que l’on rachetait ensuite, ou que l’on sacrifiait, si c’étaient des animaux, de la manière dont le législateur l’ordonne (Lévitique 27.9-10).
Quand un homme avait dévoué tous ses biens, il lui était défendu d’en user ; s’il avait fait corban tout ce qu’il devait donner à sa femme ou à ses père et mère, il ne lui était plus permis de leur donner la subsistance nécessaire. Ceux qui, dans les Actes des Apôtres (Actes 23.12, firent vœu de ne boire ni manger qu’ils n’eussent mis à mort l’apôtre saint Paul, avaient en quelque sorte rendu corban tout ce qui leur appartenait, ou tout ce qui pouvait leur donner à boire ou à manger. Les fils dont parle l’Évangile (Marc 7.11), qui rendaient corban tout ce qu’ils auraient pu donner de nourriture à leurs père et mère, ne se portaient à cette cruauté que par quelque emportement ; car si c’eût été par avarice, que gagnaient-ils de vouer à Dieu ce qu’ils refusaient à leur père ? Mais souvent sans le vouer à Dieu, ils se contentaient de le faire corban, pour ceux à qui ils en devaient faire part, par exemple ils disaient : Tout mon bien est corban pour vous ; je ne puis vous en rien donner ; j’ai fait vœu de ne vous en pas faire part.
Pour faciliter ces vœux si contraires à la charité et à la religion, ou plutôt pour fortifier et augmenter l’esprit de superstition dans les peuples, les docteurs juifs ne demandaient pas que l’on prononçât ces vœux dans toutes les formes ; il importait même peu que l’on proférât le mot de corban, quoi que plus usité, pourvu qu’on dit quelque chose qui en approchât. Ce sont ces vœux imparfaits dans les termes, que les talmudistes appellent des Anses, parce que comme il suffit de prendre un vase par l’anse pour l’enlever tout entier, de même c’est assez de prononcer quelque mot d’un vœu pour le rendre complet ; et si quelqu’un disait : Ceci me soit comme le temple, ou comme l’autel, ou comme le feu, ou enfin comme la victime, c’était un vœu indispensable. Ils permettaient même aux débiteurs de frauder leurs créanciers, en consacrant à Dieu leur dette, comme si la chose eût été à eux et non à leurs créanciers.
Si quelquefois les enfants, touchés de repentir, voulaient rendre à leurs pères quelques offices de charité, après avoir inconsidérément ou par passion fait le vœu corban, que Jésus-Christ condamne dans l’Évangile, ils étaient obligés d’avoir recours à quelques subtilités pour éluder le vœu ; par exemple, un fils conseillera à son père de lui rendre le peu qui lui reste, à condition de le nourrir tout, le reste de sa vie. Un autre fera donner à manger, à son père par un de ses amis, et le paiera, etc [Après tout ce que vient de dire dom Calmet, le passage de saint Matthieu est-il clairement expliqué ? le sens en est-il vraiment exposé ? Je ne le pense pas, et j’interroge tous les interprètes que je rencontre. Voici un commentateur protestant qui adopte une, interprétation donnée par des catholiques, etqui ajoute des raisons qui semblent la confirmer. Il raisonne dans les termes suivants :]
« La loi donnée sur le mont Sinaï, et que Dieu lui-même avait écrite sur des tables de pierre, renfermait ce commandement : Honoré ton père et ta mère (Exode 20.12). « Ce commandement comprend tous les devoirs des enfants envers leurs parents, comme le dit Théodore de Bèze. Et Dieu avait commandé que celui qui maudirait son père ou sa mère serait puni de mort (Exode 21.17 Lévitique 20.9 Deutéronome 21.18-21 ; 27.16). Or il est évident qu’il est aussi coupable de faire du mal à ses parents, ou de ne pas leur rendre les soins qui leur sont dus, que de leur souhaiter du mal ; d’autant plus que la dernière de ces fautes peut être commise dans un moment de vivacité, tandis que la première est nécessairement réfléchie et habituelle. Cependant les scribes avaient décidé, par leurs traditions, que si un fils, sans égard pour l’âge, la pauvreté ou les infirmités de ses parents, leur déclarait qu’il avait voué au trésor du temple tout ce qu’il aurait pu consacrer à leurs besoins, et alléguait cette excuse pour se dispenser de leur témoigner le respect, la gratitude et l’affection qu’il leur devait, et pour continuer à vivre dans l’abondance, tandis que les auteurs de ses jours manquaient du nécessaire, non-seulement il ne pouvait pas être forcé, mais il ne pouvait pas même lui être permis de rien faire pour eux. Il était probablement entendu que, par voie de compensation, il devait verser de temps en temps de l’argent dans le trésor sacré, dont la garde était confiée aux scribes et aux pharisiens. C’est ainsi que, sous un vain prétexte de piété, ils renversaient la loi de Dieu et l’anéantissaient par leur tradition. Et comme il en était de même à beaucoup d’autres égards, il fallait nécessairement combattre et rejeter ces traditions, afin d’assurer à la loi de Dieu l’obéissance et le respect qui lui-sont dus. Celui (dit Hammond, rapportant les décisions des rabbins), celui qui peut répondre à ses parents, lorsqu’ils lui demandent des secours : Je me suis engagé par serment à ne rien faire pour le soulagement de mon père, ni de ma mère ; ou, selon d’autres interprètes : Mon père, ce que je pourrais employer à venir à votre secours, est un don déjà consacré à Dieu et que je ne puis employer à un autre usage ; par cet acte de piété, je vous suis tout aussi utile ; car Dieu nous le rendra à vous et à moi, selon nos besoins…, celui-là, dis-je, est obligé de ne rien donner à son père… Un père dans l’indigence réclame le secours de son fils ; celui-ci lui répond qu’il a fait vœu de ne pas le soulager ; et que par conséquent il ne pourrait pas le faire légitimement ; et les pharisiens l’approuvent. Ils autorisent ainsi cet homme à manquer à son devoir envers ses parents, et lui font considérer comme obligatoire la violation de la loi qui lui ordonne de les assister et de les respecter. Maimonidès et les rabbins citent plusieurs cas dans lesquels il en était précisément de même. Le prétexte mis en avant ici est qu’il faut consacrer à Dieu, comme le lui ayant promis par serment, l’argent qu’on refuse à ses parents. Un homme peut être tellement lié par les vœux qu’il a faits, qu’il ne peut plus, sans commettre un grand péché, faire ce que Dieu lui commande dans sa loi.Si donc il a fait un vœu qu’il ne peut accomplir sans transgresser la loi de Dieu, il doit tenir son vœu, et le commandement de Dieu doit être violé. Ces exemples suffiront pour prouver à tout homme d’un jugement sain que les traditions humaines et la loi de Dieu ne sauraient subsister ensemble ; et que là où l’autorité de la tradition est admise (en opposition avec la loi), l’autorité de la loi est foulée aux pieds. Il n’est donc pas difficile de comprendre pourquoi Notre-Seigneur s’opposait avec tant de force aux traditions.
Cette savante explication ne me satisfait pas, cependant, bien qu’elle soit appuyée sur des usages pharisaïques. C’est en effet aux pharisiens qu’il faut demander quelle est la tradition que Notre-Seigneur condamne ici avec une si grande force, puisque c’est d’eux qu’il s’agit. Un rabbin converti, M. Drach, me paraît avoir dégagé le passage qui nous occupe de la profonde obscurité qui l’enveloppait ; obscurité que le temps a faite, car elle n’existait pas lorsque Jésus-Christ reprochait aux pharisiens de substituer leurs traditions à la lui divine. Écoutons M. Drach, qui rappelle d’abord que les 5e et 6e versets du chapitre 15 de saint Matthieu (Matthieu 15.5-6), sont un des passages qui ont le plus exercé la sagacité des interprètes de l’Écriture sainte. « Leur embarras, dit-il, est venu de ce que cette phrase de l’original, est un pur hébraïsme qu’ils n’ont pas entendu. Presque tous les commentateurs expliquent ceci d’une véritable consécration de son bien au Seigneur. Selon leur exposition, les disciples des pharisiens disaient à leurs parents nécessiteux : Le secours que vous me demandez, je l’ai consacré au Seigneur ; et de cette manière il ne laissera pas de vous profiter. Les commentateurs sont comme un troupeau de moutons : quand l’un prend une direction, tous les autres suivent sans regarder. Un tant soit peu d’attention les aurait préservés de prêter aux paroles de Notre-Seigneur un sens dont elles ne sont nullement susceptibles. Car que les choses vouées au Seigneur fussent sacrées, et que celui qui en usait commit un sacrilège, ce n’était pas là une vaine tradition pharisaïque : le texte de la loi est formel à cet égard (Lévitique 5.14 ; 22.14-16 ; 27.14). d’ailleurs ce moyen ne pouvait pas trop convenir à des gens que la cupidité rendait barbares envers leurs parents, puisque ce qu’ils refusaient aux auteurs de leurs jours serait tombé dans le trésor du temple. Mais, me direz-vous, ils ne donnaient pas cet argent au temple.
Dans ce cas, ils auraient profané ce qui était consacré au Seigneur, seul crime que le Sauveur aurait eu à leur reprocher en cette circonstance, Et d’ailleurs je demanderai toujours où est la tradition si sévèrement blâmée par Jésus-Christ ? On ne peut pas admettre non plus que, lorsque ces enfants dénaturés prononçaient corban ! Ou dont ce n’était qu’une défaite pour éconduire leurs parents ; car d’après les matériels pharisiens, ces paroles corban ou don, produisaient leur effet lors même qu’elles étaient prononcées sans intention, ou par plaisanterie, enfin de quelque manière que ce fût.
La tradition qu’ici Notre-Seigneur frappe de sa réprobation appartient entièrement aux pharisiens ; voilà pourquoi il l’appelle votre tradition, tandis qu’eux disaient la tradition des anciens. Elle revient presque à chaque page du traité Nedarim du Talmud d’après cette tradition donc, si quelqu’un disait à un autre, par exemple Ruben à Siméon : Tout ce que j’ai soit pour vous Corban (ou anathème), Siméon ne peut plus tirer aucune utilité de Ruben : car chacun peut rendre ses biens et ses services sacrés pour tel qu’il lui plaît. De cette manière, tout ce qui appartient à Ruben, sans être aucunement consacré au Seigneur, se trouve, à l’encontre de Siméon dans le même cas que les choses saintes du temple ; Ruben même ne peut plus sans pécher rendre à Siméon quelque service que ce soit. Dans le cas dont il s’agit, Ruben est appelé dans le Talmud maddir, interdisant ; »Siméon est appelé maddir, « interdit. ».
Cette singulière interdiction d’utilité, comme l’appellent les rabbins, laquelle ne se trouve nulle part dans la loi écrite, les pharisiens l’étendaient même aux pères et mères. Voici ce qui le prouve :
« Maintenant, peut-il rester le moindre doute sur le véritable sens de ce passage de saint Matthieu ? l’interdisant se servait de cette formule : Mot à mot : « Corban (ou anathème) » [suppléez soit) « tout ce qui de moi tournera à votre utilité. » En grec mot à mot : [suppléez] exactement comme porte notre texte et celui de saint Marc (Marc 7.11). Le Syriaque, non pas tel qu’il est défiguré dans la version latine de Wallon, mais tel qu’il existe dans l’original, reproduit dans les mêmes termes la formule hébraïque que je viens de rapporter.
« Le mot est dans la Vulgate est transposé ; sa place est après munus. Est pour esto ou sit est encore un hébraïsme. De même et non, du verset suivant ; car, et représentent ici l’hébreu, qui signifie souvent alors. : « Alors il n’honorera plus, c’est-à-dire ne doit plus honorer, » etc. Origène dit qu’il ne serait jamais parvenu à expliquer ce passage de l’Évangile, si un Juif ne lui eût donné connaissance de la tradition à laquelle Jésus-Christ fait ici allusion ; savoir : Lorsqu’un créancier désespérait d’être payé par un débiteur de mauvaise volonté, il lui disait : Je consacre aux pauvres ce que vous me devez ; alors le débiteur était forcé, sous peine de sacrilège, de verser la somme dans le trésor du temple. Les enfants en usaient de même à l’égard de leurs parents. Mais, encore une fois, ce n’est pas là une tradition des pharisiens ; l’inviolabilité des choses consacrées est reconnue par la loi écrite, ainsi que nous l’avons vu plus haut ; et les enfants ne gagnaient rien à ce subterfuge. »
Corbona signifie aussi le trésor du temple où l’on mettait les offrandes en argent que l’on faisait au Seigneur. Les Juifs ayant pris l’argent que Judas avait jeté dans le temple, lorsqu’il eut trahi Jésus-Christ, se firent un scrupule de le mettre dans le trésor du temple, parce que c’était le prix du sang (Matthieu 27.6), et qu’une pareille offrande passait pour impure. Ils résolurent donc d’en acheter un champ pour la sépulture des étrangers.