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Ce mot se trouve onze fois dans l’Écriture (N.T.), et il n’a jamais le sens que lui a donné la théologie du Moyen Âge (Job 14.8). Osterwald a rendu par enfers le mot sheôl (Martin, abîmes), qu’il traduit ailleurs par sépulcre (Ésaïe 5.14). Dans le Nouveau Testament, le mot Hadès se trouve en Matthieu 11.23 ; 16.18 ; Luc 10.15 ; 16.23 ; Actes 2.27 ; 2.31 ; 1 Corinthiens 15.55 ; Apocalypse 1.18 ; 6.8 ; 20.13-14. En grec il signifie littéralement lieu invisible ; c’est ainsi que l’a partout traduit la version de Lausanne. Mais une traduction est plus facile qu’un commentaire, et le lieu invisible, sans autre détermination, ne dit absolument rien à l’esprit. Le mot enfer (inférieur) avait été préféré, parce qu’il renfermait une idée, peut-être fausse. En tout cas, il est toujours pris dans un mauvais sens, comme puissance ennemie de l’Église, comme lieu du séjour des réprouvés, comme compagnon de la mort, et l’idée de lieu inférieur ressort de Matthieu 11.23 : « Capernaüm… tu seras abaissée jusque dans le hadès » (cf. Ésaïe 14.13-15 ; Psaumes 139.8). Ce lieu invisible est généralement considéré comme le lieu où les âmes attendent le grand jour du jugement de l’Éternel, et si les âmes ne dorment point, il est dans l’analogie de la foi de croire que l’état d’attente est pour elles la continuation de la vie présente et le commencement de la vie à venir. De là les limbes et le purgatoire de l’Église romaine, avec cette différence que, d’après cette Église, on peut sortir du purgatoire pour de l’argent, tandis que, d’après la Bible, « il y a un grand abîme », tellement que ceux qui veulent passer de l’un à l’autre, du lieu invisible au sein d’Abraham, ne le peuvent (Luc 16.26).
Le mot enfer a remplacé, dans de nombreuses traductions de la Bible, le mot Hadès, comme aussi d’autres expressions que nous citons à continuation : le feu éternel, la géhenne du feu (Matthieu 18.8-9) ; la géhenne, le feu inextinguible, où le ver ne meurt point et où le feu ne s’éteint point (Marc 9.43ss ; d’après Ésaïe 66.24, à qui déjà les apocryphes ont emprunté cette expression, Ecclésiastique 7.17 ; Judith 16.21) ; la mort (1 Corinthiens 15.55-56 ; 1 Jean 5.16) ; la punition éternelle (Matthieu 25.46) ; le jugement ou la ruine éternelle (Marc 3.29 ; 1 Thessaloniciens 1.9) ; l’étang ardent de feu et de soufre (Apocalypse 19.20) ; la mort seconde (Apocalypse 20.14) ; des liens éternels (Jude 6) ; les ténèbres du dehors, où seront les pleurs et les grincements de dents (Matthieu 8.12) ; un opprobre et une infamie éternelles (Daniel 12.2 ; etc.).
Il est évident que ces expressions sont, sous la plume des écrivains inspirés, des figures, des images humaines, dont le sens général est que le Hadès (l’enfer) sera un séjour affreux. Mais est-ce que sous la figure on doit voir aussi la réalité, le ver, le feu, les ténèbres, le soufre, les liens ? Il serait certainement aussi téméraire de le nier que de l’affirmer, et nous n’oserions aller jusque-là ; mais il n’est pas sans intérêt de remarquer que plus on a spiritualisé le ciel, plus on a matérialisé l’enfer. Serait-ce que l’homme comprend mieux la douleur que le bonheur ? Serait-ce que dans son état actuel, déchu, l’homme puisse mieux se représenter le malheur que la joie infinie ? Il en résulterait alors qu’il faudrait prendre le contre-pied de l’imagination des hommes, et spiritualiser le mal, comme nous avons vu (art. Ciel) que le bien avait été trop idéalisé.
« Où est, ô Hadès, ton aiguillon ? où est, ô mort, ta victoire ? » (1 Corinthiens 15.55 ; voir Osée 13.14). Et après avoir posé cette double question, il refuse d’y répondre. L’Écriture ne nous en dit rien, sinon que notre intelligence ne les saurait concevoir ni aucune langue les décrire.
La rage aux yeux hagards, le délire effréné,
Le vertige troublant l’esprit désordonné,
La colique tordant les entrailles souffrantes,
Les ulcères rongeurs, les pierres déchirantes,
Et la triste insomnie au teint pâle, à l’œil creux,
Et la mélancolie au regard langoureux,
La toux, l’asthme essoufflé, dont la fréquente haleine
Par élans redoublés entre et sort avec peine ;
Et l’enflure hydropique, et l’étique maigreur,
Et des accès fiévreux la bouillante fureur ;
L’évanouissement, la langueur défaillante,
Et la goutte épanchant son âcreté brûlante,
Et du catarrhe affreux les funestes dépôts,
Et la peste qui, seule, égale tous ces maux.
Est-ce le Hadès dont Milton offre ici le désolant tableau ? Non, il ne s’agit que de la vie présente, d’une partie seulement des maux physiques de l’humanité. Que sera donc le Hadès ? et comment le décrire, lorsqu’on peut à peine décrire tout ce que notre monde recèle de douleurs et d’angoisses ?…
Les deux premiers chants de Milton, bien dignes de ce vaste et noble génie, suffisent cependant à prouver l’insuffisance même du génie et de l’imagination la plus colorée pour dire les horreurs de l’existence dans le Hadès.
Aucun auteur moderne, à ma connaissance, n’a touché ce sujet, au moins directement. Je n’ai pas de système, ni même de vues générales, à présenter sur une matière où l’Écriture, en empruntant aux hommes leur langage, semble par là même refuser de les initier aux secrets de l’avenir. Mais quand le Hadès ne serait qu’une peine négative, la privation de la vue du Seigneur, avec la conscience d’avoir mérité cette peine, le Hadès justifierait déjà l’horreur que son nom seul inspire. Les réprouvés seront comme oubliés de Dieu ; leur nom ne passera plus par ses lèvres (Psaumes 16.4). Il est lumière, ils seront dans les ténèbres. Il est la source de la vie, il ne sera plus rien pour eux. Ils ont refusé de porter son joug, son joug ne pèsera plus sur eux ; celui qui était souillé se souillera toujours davantage ; ils iront en empirant, creusant toujours plus l’abîme qui les sépare de celui sans qui ils ne sauraient vivre ; et s’enfonçant toujours plus dans la fange de l’étang bourbeux où ils sont plongés, progressant dans la mort comme les rachetés dans la vie, ils se seront vus privés par leur faute des biens que Dieu leur avait offerts, et souffriront de cette décadence morale et intellectuelle que l’Écriture appelle la seconde mort. Sera-ce l’anéantissement ?
Quelques personnes, qui attachent à la doctrine de l’éternité des peines, comme dogme, une grande importance (et elles ont raison), trouveront peut-être hardi, peut-être hérétique, le simple doute de la possibilité d’un anéantissement. Il ne nous paraît positivement contredit par aucun passage, mais comme ce n’est qu’un doute, il y aurait mauvaise grâce à y insister, et nous nous rapprocherons de la doctrine reçue en disant : sera-ce l’abrutissement ? la dégradation de l’être tout entier poussée à sa dernière limite ?
Nous ferons encore un pas, et laissant subsister l’être moral, nous demanderons : Sera-t-il simplement privé de la conscience de soi-même ? de l’idée de temps ? de l’idée d’éternité ?
Doutes et questions qui nous paraissent légitimes, et dont nous hésitons d’autant moins à nous occuper que la doctrine des peines éternelles nous paraît plus clairement, plus positivement établie par la lettre de l’Écriture. Il n’y a pas d’exégèse, en effet, ni d’interprétation qui puisse ôter à des passages tels que Ésaïe 66.24 ; Daniel 12.2 ; Matthieu 3.12 ; 12.32 ; 18.8 ; 25.41-46 ; 26.24 ; Marc 9.43ss ; Jean 3.36 ; 2Thesaloniciens 1.9 ; Apocalypse 9.6 ; 20.10 ; Jude 6, 7, le sens simple et naturel que l’Église chrétienne de tous les temps leur a toujours reconnu. C’est une chose hors de question ; le rejet des réprouvés sera éternel. Nous n’épiloguerons pas sur les mots, quoique ce soit ici que se posent les questions : que signifie le mot éternel ? quelle sera la nature de la réprobation ? Les partisans de la doctrine du rétablissement final, peuvent aspirer à la restauration harmonique de toutes choses ; ils peuvent en trouver une preuve morale dans l’idée, juste d’ailleurs, qu’ils se font de la bonté de Dieu ; une preuve philosophique dans l’instinctive répulsion qu’on éprouve pour un bonheur éternel fondé sur des débris toujours palpitants et souffrants, pour l’idée d’une paix éternelle en présence d’un dualisme toujours subsistant, d’une lutte noyée dans la victoire, mais se montrant encore dans les imprécations des vaincus, et dans cette fumée qui s’élève de l’étang ardent où ils maudissent encore et toujours le vainqueur ; on l’établira avec plus ou moins de sagesse sur l’apparente disproportion qui se trouverait entre l’offense et la peine (argument que les partisans de l’éternité ont toujours éludé ou faiblement combattu) ; on en trouvera d’autres preuves enfin, dans une interprétation équivoque de quelques passages douteux (Ésaïe 45.23 ; Romains 14.11 ; Philémon 2.10 ; Actes 3.21 ; 1 Pierre 3.18) ; Romains 5.12-21 : « Une seule justice a des conséquences envers tous les hommes en justification de vie » ; 1 Timothée 4.10 : « Le Dieu vivant qui est le conservateur de tous les hommes, spécialement des fidèles » ; 1 Corinthiens 15.28 : « Quand toutes choses lui auront été assujetties, alors le Fils aussi lui-même sera assujetti à celui qui lui a assujetti toutes choses, afin que Dieu soit tout en tous ».
Quelle que soit la valeur de ces preuves, elles ne peuvent détruire ni l’évidente clarté des passages indiqués plus haut, ni cet autre sentiment instinctif que corrobore l’expérience, que celui qui est plongé dans le mal, s’y enfonce toujours plus, à moins du secours d’en haut, qu’il s’y dégrade sans retour, et que son abrutissement ne saurait avoir d’autre terme que sa vie.
Mais c’est précisément à cause de l’évidence de cette doctrine, et parce que le rétablissement final des réprouvés nous paraît impossible à établir par l’Écriture, que nous croyons pouvoir, soit à cause de la bonté de Dieu, soit à cause de l’impérieux besoin d’harmonie qu’on éprouve, quoiqu’on en veuille, à la pensée du bonheur à venir, laisser une porte ouverte au doute sur la nature même de la peine. L’anéantissement n’exclut pas l’éternité, et c’est une chose au moins remarquable, non seulement que la condition des réprouvés soit appelée la mort seconde, ainsi qu’on l’a vu, mais qu’elle soit encore appelée la mort par opposition à la vie (Romains 6.21-23), et que la condamnation de ceux qui désobéissent au Fils soit prononcée en ces mots : « Qui désobéit au Fils ne verra pas la vie » (Jean 3.36).
Si Dieu nous a tracé la ligne des pensées et des paroles dont nous devons nous servir en parlant du jugement des pécheurs, il est évident aussi qu’il ne nous a pas tout dit, et que la clef de ces effrayants mystères est encore entre ses mains.