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Cette plaie de l’Orient, nécessitée, disent les uns, par l’influence d’un climat ardent sur les hommes, par la grande disproportion, disent les autres, qui se trouve entre les naissances masculines et les naissances féminines, mais qui, en réalité, n’est entretenue que par elle-même, qui produit elle-même ses causes, cette plaie n’a pas été inconnue aux anciens Hébreux, et elle existait longtemps avant leur constitution comme peuple.
Lémec, de la famille de Caïn, est le premier polygame connu, et son nom, sa famille, ce qu’on sait de sa vie, n’est pas une recommandation en faveur de la polygamie (Genèse 4.19-24). On croit encore trouver (Genèse 6.2), dans ces mots : « d’entre toutes celles qu’ils choisirent », un second indice de ce genre de désordre avant le déluge. Il paraît certain, en tout cas, malgré l’opinion de quelques Pères, notamment de Tertullien qui dit qu’avant le déluge personne n’imita Lémec ; il paraît certain, disons-nous, que la polygamie était devenue presque générale avant Noé ; car elle convenait aux maîtres du monde, et nul frein ne les retenait plus sur la pente où les entraînaient leurs passions.
La polygamie fut-elle permise aux patriarches ? On ne saurait l’affirmer. Ils la pratiquèrent, mais dans de certaines limites. Abraham n’eut à la fois qu’une femme et une concubine, croyant devoir réaliser dans la chair des promesses qui étaient faites à l’esprit ; Isaac n’eut qu’une femme ; Jacob eut deux femmes, dont la première lui fut imposée, et deux concubines qu’il prit pour obéir à ses femmes. Ils ne trouvèrent, ni les uns ni les autres, le bonheur dans ces demi-désordres. Les lois de Moïse supposent cet usage, sans l’approuver ni le condamner (Deutéronome 21.16-17 ; Exode 21.8 ; Lévitique 18.18), et plusieurs exemples de polygamie sont rapportés, ou du moins indiqués, dans les livres saints, principalement sous l’époque des juges (Juges 8.30 ; 10.4 ; 12.9-14 ; 1 Samuel 1.2 ; 2 Samuel 3.7 ; 12.8).
Le législateur avait néanmoins gêné, par diverses restrictions et prescriptions, l’exercice de la polygamie, qu’il n’avait pas combattue directement, peut-être parce qu’elle était le moindre de plusieurs maux entre lesquels il fallait choisir pour faire l’éducation du peuple ; elle était une forme adoucie de l’esclavage des femmes, un remède contre des abominations communes chez les peuples orientaux. Les obstacles que la loi opposait aux excès de la polygamie étaient de trois sortes :
1°. Il ne devait se trouver aucun eunuque dans le pays (Deutéronome 23.1) ; or, la polygamie sans eunuques ne se rencontre nulle part ; lorsque les maîtres sont obligés d’être eux-mêmes les gardiens de leurs harems, ils sont peu tentés de les agrandir, et, lorsque les femmes peuvent toujours espérer de trouver un époux, elles sont moins tentées d’aliéner leur liberté pour partager la couche d’une rivale.
2°. La souillure contractée par l’homme (Lévitique 15.18), devenait, pour celui-ci, une incommodité et un fardeau insupportable lorsque le nombre de ses femmes se multipliait.
3°. Il était défendu d’avoir une femme privilégiée ; l’homme leur devait à toutes, ainsi qu’à leurs enfants, la même bienveillance (Exode 21.8), et, comme le cœur d’un homme ne peut pas facilement flotter entre plusieurs, comme il a besoin de se fixer, comme, par conséquent, cette prescription de la loi ne pouvait être observée que rarement et difficilement, les excès de la polygamie étaient réprimés d’autant.
Ajoutez que les jalouses rivalités des femmes d’un seul homme, qui sont presque une suite inévitable de la polygamie (cf. 1 Samuel 1.6 ; 2 Chroniques 11.21), étaient, pour celui-ci une cause de chagrins domestiques presque continuels, qui devaient lui faire désirer la suppression de la polygamie elle-même ; Elkana en est une preuve frappante. Il résultait de ces entraves que les Israélites, malgré l’espèce de liberté dont ils jouissaient, se contentaient, en général, d’une seule femme (Proverbes 12.4 ; 19.14 ; 31.10), à laquelle ils adjoignaient tout au plus, et cela contre la loi, deux concubines. Après l’exil, la monogamie devint générale, et elle tendit à être toujours mieux comprise dans sa portée et dans son sens moral. Quant aux rois, il leur était défendu (Deutéronome 17.17), d’avoir plusieurs femmes. Cependant, nous voyons que la loi fut fréquemment éludée, et la plupart des rois, Saül, David, Salomon, Roboam, Abija, jusqu’à Hérode le Grand, ont eu des sérails, quelques-uns même extrêmement nombreux, plusieurs femmes, et un beaucoup plus grand nombre encore de concubines (2 Samuel 8.13 ; 12.8 ; 1 Rois 11.3 ; 2 Chroniques 11.21 ; 13.21). Ils remplaçaient alors par des eunuques étrangers les hommes qu’ils ne pouvaient pas se procurer en Judée, voir Eunuque.
On peut remarquer la sagesse des entraves apportées par le législateur à une coutume qu’il voulait déraciner sans l’arracher ; les résultats ont été obtenus ; Mahomet a combattu les excès de la polygamie de manière à sanctionner le principe et à enraciner l’usage, lorsqu’il a limité à quatre (Coran 4.3) le nombre des femmes légitimes qu’il est permis d’avoir, sans, du reste, rien statuer sur le nombre des concubines. On appelle, en termes de scholastique, polygamie successive les secondes noces, et quelques auteurs, d’accord avec l’Église grecque, ont cru que les passages 1 Timothée 3.2 et Tite 1.6, interdisaient positivement aux évêques et conducteurs d’églises les secondes noces. Au lieu de : mari d’une seule femme, ils lisent alors : n’ayant été le mari que d’une seule femme ; ils s’appuient sur ce que la polygamie étant interdite aux chrétiens en général par Jésus, qui a ramené le mariage à son institution primitive (Matthieu 19.5 ; cf. 1 Corinthiens 7.2), elle l’était, par conséquent, aux évêques, sans qu’il fût nécessaire de le spécifier.
Mais cette considération qui est la plus sérieuse de celles qu’on avance, perd de sa valeur si l’on se rappelle que la polygamie, bien que peu estimée des Grecs et des Romains, existait cependant encore chez eux comme en Orient ; or, nous pouvons supposer que des hommes qui avaient deux ou plusieurs femmes se soient convertis ; rien ne nous autorise à croire qu’en pareil cas les apôtres aient contraint le prosélyte à se séparer de ses femmes. Calvin fait observer avec justesse que cette séparation, ce divorce, aurait été un nouveau crime ; l’Église ne pouvait donc faire autrement que tolérer les conséquences d’un fait qui s’était passé en dehors de l’Église. Toutefois, et c’est à ces cas que se rapportent les paroles de l’apôtre, des hommes dans une position semblable, ne pouvant jouir de la considération dont un évêque doit être entouré, étaient exclus de l’épiscopat, ainsi que ceux qui s’étaient remariés après un divorce illégitime, ou ceux qui entretenaient une concubine à côté de leur femme légitime. Heidenreich, dans son commentaire sur les épîtres pastorales (1826-1828), a soutenu l’opinion que nous combattons, et la plupart des sociétés de missions agissent dans le même sens, en contraignant les prosélytes polygames à renvoyer toutes leurs femmes moins une.