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Les cinq livres de Moïse forment un ouvrage unique, que nous nommons le Pentateuque (d’après le nom que les Grecs lui donnèrent). Les Juifs le nommaient ordinairement le livre de la loi (sépher hatthorah), parce que la loi mosaïque en forme pour ainsi dire le centre. Les Juifs de Palestine désignaient chacun des cinq livres qui le composent par le mot qui les commence ; ainsi Beréschith (la Genèse, littéralement : au commencement), etc. ; mais ceux d’Alexandrie leur donnèrent des noms en rapport avec leur contenu, revins ou Genèse (origine de toutes choses), Exode (sortie d’Égypte), Aswîtizoî (lois du culte lévitique), Apifyjst ou Nombres (parce que ce livre commence par un dénombrement), et répétition de la loi (Deutéronome) ; ce sont ces derniers noms qui ont passé dans notre langue.
Pour nous convaincre que ces cinq livres forment un tout bien lié, un ouvrage sorti de la plume d’un même auteur, et composé d’après un plan régulier, et non pas, comme on l’a prétendu, un recueil de fragments, il suffit de jeter un coup d’œil sommaire sur son contenu. On peut y distinguer un certain nombre de sections principales.
Section. I. – Relation primitive de l’homme avec Dieu ; rupture de cette relation par le premier péché ; développement et châtiment du péché ; premières promesses d’un Rédempteur (Genèse 1-11).
Section. II. – Préparation du salut annoncé dans la section IV, par le choix d’un peuple qui doit être le dépositaire de la révélation, et donner naissance au Rédempteur. Cette section laisse pressentir une suite, car, à la fin, nous trouvons le peuple d’Israël en Égypte, hors du pays qui lui a été assigné par la promesse (Genèse 42-50).
Section. III. – Dans cette section nous voyons le commencement de l’accomplissement de la promesse relative au pays de Canaan. L’auteur, après avoir montré comment Moïse, qui devait être l’instrument de la délivrance, fut préparé pour cette mission, raconte les miracles qui précédèrent et déterminèrent la sortie d’Égypte, l’institution d’un mémorial de ce bienfait (la pâque), et enfin le voyage jusqu’au mont Sinaï, où le peuple, maintenant préparé par l’épreuve et la reconnaissance, doit recevoir la loi qui fixe ses rapports avec son Dieu (Exode 1-18).
Section. IV. – Cette section, qui a pour sujet la législation, forme proprement le noyau du Pentateuque. Elle embrasse à peu près les événements d’une année. L’auteur, après avoir donné la loi fondamentale (Exode 19 à 24.11), raconte comment Moïse reçut sur la montagne des directions très détaillées sur la construction de l’édifice qui devait être le centre du culte, et l’habitation visible du Dieu avec lequel Israël venait de contracter alliance (Exode 24.12 à 31). Ensuite le récit de la révolte du peuple, qui vint retarder l’exécution de cet ordre (Exode 32-34), devait naturellement précéder le morceau qui traite de la construction du tabernacle (Exode 35, jusqu’à la fin du livre).
Après la construction du tabernacle, c’était le lieu de placer les ordonnances relatives au culte qui devait s’y célébrer, et c’est ce qui forme le sujet du Lévitique, dans lequel, avec un peu d’attention, il ne sera pas non plus difficile de reconnaître un ordre bien suivi. Après les lois sur les sacrifices, signes et gages de la grâce divine (1-7), on devait attendre celles sur les personnes sacrées chargées de les offrir (8). La consécration solennelle du tabernacle accompagnée d’une manifestation sensible de la divinité, racontée au chapitre 9, justifie en quelque sorte le sévère châtiment infligé aux deux fils d’Aaron qui manquèrent au respect dû à l’Éternel (10). Viennent ensuite les lois sur la pureté, d’après lesquelles devait se régler l’admission dans l’édifice sacré (11-15) ; et à ce morceau se rattachent très directement le chapitre 16, contenant la description de la grande fête annuelle, par laquelle devaient être expiées toutes les souillures du peuple, et le chapitre 17, qui attribue au tabernacle le privilège exclusif de servir au culte, et défend l’usage alimentaire du sang, à cause de son emploi dans les expiations. Suit une énumération des péchés dont la souillure rendrait les Israélites indignes de porter le nom de peuple saint à l’Éternel, et de posséder au milieu d’eux la demeure du Très-Haut (18-20) ; dans les deux chapitres suivants, les lois sur la pureté, tant morale qu’extérieure, sont appliquées particulièrement aux personnes chargées du culte (21-22). Le chapitre 23 contient le catalogue des fêtes solennelles, qui toutes devaient se célébrer auprès du tabernacle. Le chapitre 24, après quelques détails sur les objets sacrés qui devaient se trouver dans le tabernacle, raconte un fait qui se passa dans ce temps-là, la punition d’un blasphémateur ; enfin, les trois derniers chapitres renferment les lois sur le jubilé, l’année sabbatique, etc., qui devaient rappeler aux Israélites les droits de Dieu sur le pays de Canaan dans lequel ils allaient entrer.
Après avoir parlé du tabernacle et du culte qui s’y rattachait, Moïse était conduit à indiquer sa place dans le camp et la manière de le transporter pendant le voyage (Nombres 1-4) ; il raconte comment, en conséquence des lois sur la pureté mentionnées dans le Lévitique, un certain nombre de personnes furent en effet exclues du camp (5.1-4) ; il énumère diverses ordonnances qui furent données occasionnellement à cette époque (3.5-31 ; 6) ; puis, comme les dons faits par les douze chefs de tribus pour le service du tabernacle, furent alors seulement remis aux lévites pour cet usage, ils sont inscrits et énumérés (7) ; la consécration solennelle des lévites et leur entrée en charge trouve naturellement ici sa place (8). Le chapitre 9 contient quelques détails sur la célébration de la Pâque et sur la nuée merveilleuse, et quelques prescriptions amenées par les circonstances ; enfin, comme les Israélites allaient se remettre en route, les dix premiers versets du chapitre 10 devaient parler des trompettes sacrées. (Cette section va ainsi d’Exode 19 à Nombres 10.10).
Section. V. – Les événements qui s’écoulèrent depuis le départ de Sinaï jusqu’au commencement de la quarantième année du voyage, sont assez brièvement racontés ; le plus saillant est la révolte du peuple, lors du retour des espions, pour laquelle, après être arrivé à la frontière du pays de Canaan, il fut condamné à errer encore trente-huit ans dans le désert, et tous les Israélites âgés de plus de vingt ans exclus du pays promis (Nombres 10.11 à 19).
Section. VI. – Le récit du voyage de la nouvelle génération, depuis Kadès-Barnéa jusqu’aux plaines de Moab, occupe le reste du livre. Les deux premiers chapitres nous montrent que la nouvelle génération, était non moins que celle qui avait été condamnée à périr peu à peu dans le désert, l’objet des manifestations de la justice aussi bien que de la grâce de Dieu ; eaux miraculeuses, victoires sur les ennemis, serpent d’airain, etc. (20 et 21) ; l’histoire de Balaam est racontée avec beaucoup de détails pour montrer comment toutes choses doivent concourir au bien des enfants de Dieu (22-24), mais immédiatement après, Moïse doit raconter comment Dieu châtie aussi d’une manière terrible les péchés de son peuple (25). Un dénombrement de la nouvelle génération qui allait entrer en possession du pays de Canaan, devait naturellement avoir lieu, et se trouve ici à sa place (26). Il fallait raconter encore comment, dans la prévision de la prochaine mort de Moïse, Josué fut désigné et consacré comme son successeur (27). Les trois chapitres qui suivent (28-30), sont consacrés à l’exposé général de tout ce qui concernait les sacrifices et les vœux, parce que le moment approchait où, étant entrés en possession de la terre promise, les Israélites pourraient s’acquitter de ces obligations, là beaucoup plus complètement qu’ils n’avaient pu le faire dans le désert. Le chapitre 31 rapporte comment le châtiment que les Madianites méritaient à cause de leurs tentatives de séduction, fut exécuté ; le chapitre 32, comment le pays déjà conquis en deçà du Jourdain, fut partagé entre les tribus de Gad, Ruben, et la moitié de Manassé. Le livre des Nombres se termine par une énumération sommaire des principales stations du voyage, et quelques ordres relatifs aux frontières et au partage du pays de Canaan dans lequel on allait entrer (33-36).
Section. VII. – L’ouvrage de Moïse aurait été évidemment incomplet, s’il ne nous avait pas conservé le souvenir des derniers efforts qu’il fit pour le bien spirituel des Israélites, dans ce moment solennel où ils allaient, après leur long pèlerinage, voir se réaliser enfin les promesses faites à leurs pères. C’est aussi là le but et l’objet du Deutéronome.
Les quatre premiers chapitres sont une sorte d’introduction, et renferment un discours dans lequel Moïse récapitule l’histoire des quarante dernières années, en en déduisant des enseignements et des applications pour la conduite future du peuple. Nous voyons ensuite, c’est là le noyau du livre, comment Moïse rappelle les lois déjà données précédemment au pied du Sinaï, insistant sur leur observation, avec de nouveaux motifs empruntés à l’histoire et aux circonstances, les appliquant toutes directement au séjour en Canaan, quelquefois les développant, et ajoutant de nouvelles directions, ainsi celles des chapitres 13 et 18 sur la prophétie qui devait continuer l’œuvre de la révélation, et celles du chapitre 17 sur le gouvernement monarchique dont il fallait prévoir la possibilité (5-27). Les trois chapitres suivants contiennent les dernières et touchantes exhortations du législateur, dans lesquelles, pénétré de l’esprit prophétique, il découvre au peuple, d’un côté les bénédictions, de l’autre les terribles jugements qui lui sont réservés dans l’avenir (28-30). On sent que la fin de Moïse approche toujours plus ; au chapitre 31, il nous raconte comment il transmit solennellement son office à son successeur Josué, et remit le livre de la loi entre les mains des prêtres. Le chapitre 32, nous conserve le magnifique cantique dans lequel il prophétise la chute et le rétablissement final de son peuple, et dans le chapitre 33, nous lisons les bénédictions qu’il prononça sur les douze tribus.
Section. VIII. – Le chapitre 34 est un appendice écrit par une main étrangère, probablement par Josué, et complète les longs mémoires de la vie de Moïse, par le récit succinct de sa mort.
Les adversaires de la révélation, reconnaissant bien que le Pentateuque était la pierre angulaire de la Bible, ont mis tout en œuvre pour l’ébranler. Hobbes et Spinosa avaient déjà dirigé contre lui quelques attaques partielles ; ces attaques devinrent toujours plus hardies vers la fin du siècle dernier. On trouva que le moyen le plus simple était d’en contester l’authenticité ; c’est ce que firent Bauer, Paulus, Berchtold, encore avec une certaine modération, et en laissant subsister, comme authentiques, quelques fragments assez considérables, jusqu’à ce qu’enfin De Wette et de Bohlen prirent le parti de tout contester à Moïse, et d’attribuer la composition du Pentateuque à un auteur d’une époque beaucoup postérieure. L’authenticité du Pentateuque a été, en revanche, défendue par Jahn, Rancke, et surtout d’une manière victorieuse par le docteur Hengstenberg (Beytrœge zur Einleitung in das. A. T.), et par Haevernick (Einleit. in das. A. T.). Vu la grande importance de cette controverse, qui n’est, pour ainsi dire, pas connue en France, nous donnons le résumé des principaux arguments pour et contre.
L’authenticité s’établit par les raisons suivantes :
1°. Moïse se donne lui-même clairement comme l’auteur de ces livres. Cela est évident d’abord quant à certaines parties de l’ouvrage (Exode 34.27 ; Nombres 33.2 ; Deutéronome 31.22) ; mais il y a, comme nous l’avons montré, une liaison si étroite, si intime, entre toutes ses parties, que de ces passages on peut conclure plus loin. Le passage (Exode 17.14), où il est question du livre, est aussi à remarquer.
2°. Le contenu du Pentateuque ne peut s’expliquer qu’en admettant que Moïse en est l’auteur. En effet, l’auteur montre une si exacte connaissance de l’Égypte, de son sol, de ses mœurs, qu’il faut supposer qu’il y a fait un séjour plus ou moins long, comme c’était le cas pour Moïse. La vérité du Pentateuque, sous ce rapport, a été mise dans tout son jour par les découvertes de Champollion. On voit que l’auteur connaissait à fond l’histoire des douze tribus Israélites, et qui était mieux placé pour cela que Moïse ? Il y a tellement d’allusions au voyage dans le désert, tout est tellement basé sur les circonstances de ce temps-là, qu’il est impossible d’attribuer la composition de ce livre à une époque postérieure.
3°. Le Pentateuque est attribué à Moïse par tous les autres livres de l’Ancien Testament. Ici, nous pouvons alléguer d’abord un grand nombre de passages directs (Josué 1.7 ; 8.31 ; 23.6 ; 2 Rois 14.6 ; 2 Chroniques 23.18 ; etc.). Quant aux citations d’Esdras et Néhémie, nous pouvons nous dispenser de les énumérer, parce que les adversaires nous accordent que le Pentateuque existait de leur temps. Mais il sera facile de remarquer que tout, dans les livres postérieurs, lois, usages, jugements moraux, etc., est basé sur le Pentateuque ; sans le Pentateuque, toute l’histoire d’Israël est inexplicable.
4°. Notre Seigneur et les Apôtres attribuent le Pentateuque à Moïse d’une manière si claire, que l’on ne peut plus attaquer l’authenticité de ce livre, sans porter atteinte à leur autorité et à leur infaillibilité. Voyez, par exemple (Matthieu 19.8 ; Jean 5.45-46 ; etc.).
Contre l’authenticité, l’on allègue :
1°. Que du temps de Moïse les Hébreux ne connaissaient pas l’écriture. Mais ne pouvaient-ils pas l’avoir empruntée, comme d’autres connaissances, aux Égyptiens ou à quelque peuplade sémitique ? Des passages prouvent que cet art (voir Écriture) était non seulement connu du temps de Moïse, mais qu’il avait passé dans la vie ordinaire (Deutéronome 6.9 ; 11.20) ; le passage (Deutéronome 24.1) où il est question des lettres de divorce, l’existence d’une classe d’employés appelés sopherim, espèce de scribes, etc.
2°. On trouve que la langue du Pentateuque a trop de rapports avec celle des livres postérieurs. Mais observons que cette immutabilité de la langue s’explique d’abord par la structure des langues sémitiques, si différente de celles de l’Occident ; puis, par cette circonstance que les Hébreux restèrent, beaucoup plus que d’autres peuples, à l’abri des influences étrangères. D’ailleurs, l’assertion même n’a pas toute la force qu’on lui suppose, témoin le nombre assez grand d’archaïsmes que l’on peut observer ; ainsi le mot kèseb (pour agneau), ainsi l’expression : « être recueilli vers ses pères », et beaucoup d’autres encore, de même que certaines formes de langage, ne se trouvent que dans le Pentateuque.
3°. On a prétendu trouver, dans beaucoup de passages, des traces d’une époque postérieure ; mais quand on y regarde de près, cet argument s’écroule aussi. Nous en citerons quelques exemples : on a dit qu’en nommant la ville de Dan (Genèse 14.14), l’auteur postérieur se trahit, puisque cet endroit ne reçut le nom de Dan que lors de la circonstance mentionnée en Juges 18.29 ; mais on n’a pas fait attention qu’il existait une seconde ville de Dan à peu près dans la même contrée, comme on peut le conclure de 2 Samueluel 24.6, où l’une des deux villes est appelée Dan-Jahan, pour la distinguer de l’autre. On s’est étonné de trouver (Exode 23.19), l’expression : « maison de l’Éternel », qui semble faire allusion au temple de Jérusalem ; mais ne peut-elle pas s’appliquer tout aussi bien au tabernacle qui allait se construire ? On a encore allégué que le chapitre 17 du Deutéronome ne peut pas avoir existé du temps du prophète Samuel, puisqu’il déclare la royauté inconciliable avec la théocratie ; mais il faut remarquer que la polémique de Samuel ne se dirige point contre le gouvernement monarchique en général, mais contre son introduction dans les circonstances d’alors, et les dispositions qui le faisaient désirer, etc.
4°. On a dit encore que l’état moral du peuple, tel qu’il nous est représenté dans les livres postérieurs, ne peut se concilier avec la supposition que le Pentateuque fût connu. Mais la loi s’accorde-t-elle donc tant avec les inclinations de l’homme naturel, que l’on ne puisse pas comprendre que, tout en étant connue, elle n’était pas mise en pratique ? Avec cet argument-là ne pourrait-on pas renverser aussi l’authenticité du Nouveau Testament, et prouver que la chrétienté contemporaine n’en a pas eu connaissance ?
5°. Enfin, on a fait grand bruit de cet exemplaire du livre de la loi trouvé dans le temple sous le roi Josias (2 Chroniques 34.14), et l’on en a conclu que ce livre pouvait bien avoir été fabriqué par les prêtres. Mais que le Pentateuque (car c’est de ce livre tout entier qu’il s’agit dans ce passage) existât du temps de Josias et avant, c’est ce que prouvent les nombreuses allusions des prophètes, et en particulier de Jérémie. Il est naturel de supposer que c’était l’exemplaire sacré, écrit de la main même de Moïse, qui avait été égaré sous des rois impies, et l’on comprend que sa découverte, surtout dans les circonstances où se trouvait le royaume, ait dû faire une profonde impression.
Sous le rapport littéraire, nous nous bornerons à citer ici les paroles d’un écrivain qui, sans négliger peut-être le fond, s’attache davantage à la forme, et dont le témoignage, en pareille matière, est intéressant, quoiqu’il ne soit pas neuf : « Il n’est pas nécessaire, dit-il dans sa Bibliothèque sacrée, d’insister sur l’excellence du Pentateuque, à le considérer seulement sous le rapport littéraire. On sait que tous les peuples se sont accordés à y chercher les modèles du sublime, et que l’histoire de Joseph, qui termine la Genèse, est un chef-d’œuvre de naïveté, d’éloquence et de sentiment, auquel rien ne peut être comparé dans l’ancienne littérature. » (Nodier).
Grandpierre, dans ses Éssais sur le Pentateuque (que leur titre ne caractérise pas d’une manière très exacte), a examiné la plupart des questions qui, dans les livres de Moïse, soulèvent des difficultés morales, historiques ou naturelles. Son travail, sur les points qu’il traite, est bon à consulter comme commentaire ; c’est même à peu près le seul ouvrage que nous possédions dans ce genre.