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Néhémie
Dictionnaire Biblique Bost
Westphal Calmet

Fils de Hacalia, d’une origine du reste incertaine, de la race des prêtres selon les uns, selon d’autres de la tribu de Juda et de la famille royale. Le livre qui porte son nom renferme presque toute son histoire. Il remplissait auprès d’Artaxercès-Longuemain la charge de Thirshatha ou d’échanson, et usa dignement de sa position pour le salut de ses frères. Ayant appris par Hanani et quelques Juifs revenus de Juda, le triste état dans lequel se trouvait sa patrie, et la misère de ses compatriotes, son cœur fut navré de leur récit, ses larmes coulèrent, il mena deuil, il jeûna, et recourut par la prière à celui qui devait bander les plaies de son peuple ; il s’humilia, mais rappela aussi à l’Éternel les promesses qu’il avait faites aux Juifs de les ramener après les avoir dispersés. Il pria Dieu de vouloir toucher le cœur de son roi, et sa prière fut exaucée.

Artaxerxès ayant remarqué la tristesse inaccoutumée de son serviteur, la lui reprocha d’abord, et peut-être assez sévèrement, comme une mauvaise disposition d’esprit inconciliable avec le devoir d’un homme de cour ; Néhémie craignit d’avoir déplu à son maître, mais il lui répondit avec douceur et simplicité : « Pourquoi mon visage ne serait-il pas triste, quand la ville, le lieu des sépulcres de mes pères, est dévastée, et que ses portes sont consumées par le feu ? » Et comme le roi lui demandait ce qu’il pouvait désirer de faire, Néhémie, après avoir invoqué encore le secours et l’assistance de son Dieu, demanda au roi de le renvoyer en Judée pour y rebâtir Jérusalem.

C’était une demande hardie, mais le roi dont Dieu avait disposé le cœur, l’accorda à son échanson ; il lui donna en outre une escorte militaire, des lettres pour les gouverneurs des provinces qu’il devait traverser, le droit de prendre du bois dans les forêts royales, et sa protection pour tout ce qu’il entreprendrait. Néhémie partit donc avec ses pleins pouvoirs, et arriva bientôt à Jérusalem. La main de l’Éternel était bonne pour lui (2.8-19). Il débute par un examen prudent et silencieux de l’état des choses ; les ennemis des Juifs sont trop puissants et trop nombreux pour qu’il puisse rien tenter avant d’avoir sondé le terrain ; le mal est trop grand pour que Néhémie prenne des mesures avant d’en avoir compris toute l’étendue.

Mais lorsque ses plans sont arrêtés, il rassemble les magistrats, les sacrificateurs et les principaux d’entre les Juifs, leur expose le but de sa mission, ses droits et ses desseins. Quelques étrangers, Samballat, Tobija, et Guéshem, essaient en vain de contrecarrer son œuvre par de méchantes moqueries et de perfides insinuations : Néhémie les repousse en leur rappelant qu’ils sont étrangers au peuple juif, et qu’ils n’ont aucune part dans les affaires de la ville et de la maison de Dieu. Le peuple qui a retrouvé un chef dont la voix l’inspire, dont l’exemple l’encourage, se met à l’œuvre ; les murs, les portes, les remparts, sont reconstruits. Jérusalem sort de ses ruines ; la ville sainte se relève malgré les efforts jaloux des peuples voisins, et paraît sur le point de se rendre indépendante et libre.

Mais les Arabes, les Ammonites et les Samaritains se liguent contre les Juifs, et projettent de fondre sur leur métropole avant que les remparts achevés ne rendent toute invasion plus difficile, toute victoire plus incertaine ; Néhémie, à qui les machinations de Samballat et de ses partisans n’ont point échappé, range le peuple en armes le long des murailles, ranime le courage des faibles, et rappelle à tous qu’ils ont à combattre pour Dieu, l’honneur, la patrie et leurs familles. Les ennemis sont déconcertés par cette solennelle manifestation qui leur a montré un chef vigilant, un général habile, et une armée résolue ; les travaux reprennent leur cours, mais depuis ce moment la moitié seulement des jeunes gens s’occupe des constructions, tandis que l’autre moitié se tient toujours prête en cas de surprise ; même les travailleurs gardent encore l’épée au côté.

À côté des ennemis extérieurs, Néhémie doit combattre aussi les ennemis intérieurs, l’usure, et l’abus que les riches avaient fait de leur position aux dépens du pauvre ; le peuple était opprimé, il avait dû mettre en gages ses champs, ses maisons, ses fils et ses filles. Une mesure héroïque devait être prise, et pouvait sauver seule Jérusalem d’une révolution ; Néhémie convoqua les grands, les magistrats, et les sacrificateurs ; il les censura pour le trafic infâme, pour la vente qu’ils avaient faite de leurs frères, et après leur avoir représenté le danger de la situation et l’opprobre dont leur conduite devait couvrir la nation sainte, il leur proposa la restitution complète des héritages, et la remise des dettes, se donnant lui-même à eux, et il en avait le droit, comme un exemple de désintéressement.

Sa voix fut écoutée, l’assemblée dit amen ! à la malédiction que Néhémie prononça contre ceux qui ne tiendraient pas la parole jurée, et Néhémie sauva le peuple d’une crise qui eût pu être terrible, dans un moment où l’étranger ne demandait pas mieux qu’un prétexte pour intervenir. Néhémie qui, depuis douze ans qu’il était gouverneur, avait renoncé à tous les avantages de sa place, engageant sa fortune particulière au service de Jérusalem, à la reconstruction des murs, aux frais de représentation exigés par sa position, Néhémie était bien placé pour demander à ceux pour lesquels il se sacrifiait, de se sacrifier aussi ; personne mieux que lui, ne pouvait s’écrier : « Dieu, souviens-toi de moi en bien, selon tout ce que j’ai fait pour ce peuple ». Le zèle courageux de cet homme sans peur et sans reproche, fut couronné, et malgré les intrigues réitérées de Samballat et des siens, malgré l’épouvante que de faux prophètes cherchaient à répandre parmi le peuple, la ville, ses murailles et ses portes furent achevées ; mais les habitants étaient trop peu nombreux pour l’enceinte immense de l’ancienne Jérusalem ; Néhémie dut songer à peupler ces murs qu’il venait de reconstruire, et à constater les droits des anciens habitants propriétaires.

Pendant les travaux et les recherches occasionnées par le dénombrement, Néhémie trouva un ancien registre des familles, qui lui fut utile pour les reconnaissances généalogiques. Ce registre est inséré dans le chapitre 7.6-73. Il est probable aussi que les trois chapitres qui suivent, 8, 9, et 10, sont hors de la place où ils devraient être ; nous verrons plus bas ce qui en est ; en tout cas ils renferment l’histoire de la lecture publique de la loi par Esdras, la célébration de la fête des tabernacles, la publication d’un jeûne solennel, une magnifique prière d’Esdras, et les serments prononcés en ce jour solennel, recueillis en forme de traité d’alliance.

Après cela nous voyons Néhémie continuer ses travaux de recensement, de classement, et d’organisation ; il ordonne aux principaux du pays de se fixer dans la ville, et jette le sort sur le reste des habitants, afin d’en obliger la dixième partie à s’établir dans Jérusalem ; puis il célèbre avec une grande pompe la fête de la dédicace des murailles ; tous les Lévites des villes de Juda et de Benjamin y sont conviés ; les prêtres purifient le peuple et la ville, les princes et les chefs du peuple s’assemblent sur les murs, et deux chœurs de chantres et d’enfants en font le tour au son des instruments, et aux chant des cantiques sacrés. L’un de ces chœurs est conduit par Esdras ; l’autre est accompagné par Néhémie, suivi des magistrats, des prêtres, et d’une partie du peuple. Ils s’arrêtèrent en face du temple, où de nouveaux chants s’élevèrent en l’honneur de l’Éternel ; de nombreuses victimes furent immolées, le peuple était plongé dans l’allégresse la plus vive, et ses bruyants cris de joie retentirent au loin ; de ce jour datait en effet pour lui la renaissance de sa patrie, sa restauration comme peuple (12.27-47). Une année avait suffi pour tous ces travaux au zèle persévérant et sage du réparateur des brèches d’Israël.

Le premier séjour de Néhémie à Jérusalem dura environ douze ans (1.1 ; 2.1 ; 5.14 ; 13.6), mais il est probable que dans l’intervalle il dut retourner une ou plusieurs fois à la cour de Perse ; on peut croire même que le premier voyage qu’il fit à Jérusalem ne fut guère qu’un voyage d’exploration, et qu’après avoir vu et raconté au roi le triste état de son pays, il obtint une prolongation de congé indéfinie. Mais après cela, il dut retourner auprès de Artaxerxès pour y reprendre ses anciennes fonctions, et quoique l’Écriture ne précise pas la durée de son absence, on suppose qu’elle fut longue, et qu’il ne revint en Judée que sous le règne de Darius Nothus (415 avant Jésus-Christ). Son retour fut nécessité par le retour de l’impiété, par le relâchement dans lequel le peuple et ses chefs étaient tombés ; ses réformes étaient oubliées, les sabbats n’étaient plus observés, on se refusait au paiement des dîmes, des mariages défendus étaient contractés, et le désordre en était venu au point qu’un chef samaritain, Tobija, avait été logé dans les bâtiments mêmes du temple.

Néhémie indigné fit jeter dehors les meubles de cet appartement ainsi profané, rendit aux Lévites les dîmes, rappela les prescriptions de la loi, et contraignit ceux qui avaient épousé des femmes étrangères à les renvoyer ; ceux qui refusèrent furent bannis, et dans leur nombre on compte, au dire de l’historien Josèphe, Manassé, fils du souverain sacrificateur et gendre de Samballat ; les réfractaires ainsi chassés allèrent s’établir en Samarie, où ils fondèrent sur le mont Garizim un culte rival de celui de Jérusalem. Ceux mêmes qui consentirent à rompre leurs alliances étrangères, furent punis et publiquement déshonorés pour les avoir contractées. « Mon Dieu, souviens-toi de moi en bien ! » s’écrie Néhémie en achevant le récit de cette nouvelle réformation.

C’est ici que se termine pour nous l’histoire du gouvernement et de la vie de Néhémie ; on ignore où et comment il mourut. Son nom est grand, et paraît au milieu de l’histoire juive comme celui d’un héros pacifique ; il fit plus que des conquêtes, il releva Jérusalem de ses ruines, et réorganisa un peuple tout entier qui n’avait plus ni rois, ni lois. Il se distingua par ses talents, sa prudence, son zèle, sa force, sa sagesse, son désintéressement et sa persévérance ; il se distingua surtout parce qu’il était animé d’un esprit de prière dont on voit peu d’exemples dans les autres livres de l’Ancien Testament, et si jamais homme fit de l’Éternel son bras et sou appui, ce fut Néhémie ; il agit, mais il agit par la foi et au nom de Dieu. Il est un type de l’amour du Sauveur pour son Église, comme les désordres qui se commettaient au milieu du peuple juif de son temps, étaient un type, triste, mais trop fidèle, de l’Église chrétienne dont l’histoire ne se compose que de chutes et de relèvements.

Le livre qui porte le nom de Néhémie est, en grande partie, son ouvrage ; on pourrait presque dire son journal, ses mémoires ; partout où il parle à la première personne, il est impossible de douter que ce ne soit aussi lui qui raconte. Quelques anciens auteurs et pères de l’Église avaient cru y voir l’œuvre d’Esdras, non celle de Néhémie, attendu que les Hébreux réunissaient en un seul cahier ce qu’ils appelaient, ce que les romains appellent encore les deux livres d’Esdras ; mais il y a, entre ces deux livres, de trop grandes différences de style pour qu’on puisse les attribuer au même auteur ; le style de Néhémie est beaucoup plus facile, plus large, plus abondant, et l’emploi qu’il fait de la première personne ne se comprendrait pas dans toute autre supposition.

Cependant, il ressort de la lecture même de ce livre que tout n’est pas de Néhémie ; mais, si l’on peut dire où le fragment intercalé commence (7.6), il est plus difficile d’établir où il finit ; à cet égard, les interprètes sont aussi divisés que possible. Le fragment le plus généralement reconnu comme étant d’une main étrangère, est 7.6-73 ; quelques auteurs y ajoutent les chapitres 8, 9 et 10 ; d’autres encore le chapitre 11 ; d’autres enfin, comme Eichhorn, en regardant les onze premiers chapitres comme l’ouvrage de Néhémie, attribuent le 12e et les cinq premiers versets du 13e à un chef du peuple, qui aurait fait l’histoire de Jérusalem pendant l’absence de Néhémie. Quelques critiques estiment aussi que des versets ont été intercalés, par ci, par là, dans le corps du livre, et, si on les en croyait, on n’aurait qu’à faire de Néhémie une seconde édition revue et corrigée par leurs soins. Au milieu de toutes ces incertitudes, une chose demeure, c’est que ce livre, tel qu’il existe, appartient au canon juif, et que l’Église chrétienne l’a accepté comme inspiré. Il importe donc peu que Esdras soit l’auteur de plusieurs de ces fragments, ou que ce soit Néhémie ; et, si l’on se rappelle le document que trouva Néhémie (7.5), on ne s’étonnera pas qu’il en ait peut-être joint à ses mémoires quelques extraits généalogiques ou historiques.

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