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Fier, et puissant conquérant, fléau dans la main de Dieu, chargé d’exécuter les vengeances divines et d’accomplir les prophéties ; il était fils, et fut le successeur de Nabopolassar sur le trône de Babylone. Il porte déjà le titre de roi (Jérémie 25.1 ; 46.2 ; appelé dans ces passages : Nebucadretsar), quoiqu’il ne fût encore à cette époque, lors de ses premières expéditions, que l’associé de son père à la couronne ; peut-être aussi les historiens sacrés le nomment-ils ainsi par anticipation. Son nom se rattache presque exclusivement, dans la mémoire de chacun, aux grandes scènes qui sont racontées dans les premiers chapitres de Daniel ; cependant son histoire commence longtemps auparavant, et les détails en sont épars dans les livres des Rois, des Chroniques, de Néhémie, d’Esdras, d’Ester, de Jérémie, d’Ézéchiel, et de Daniel. On peut la composer en considérant tous ces passages (2 Rois 24 ; 25 ; 2 Chroniques 36 ; Néhémie 7 ; Esdras 1 ; 5 ; Esther 2.6 ; Jérémie 21 ; 22 ; 24 ; 25 ; 27 ; 29 ; 34 ; 37 ; 39 ; 43 ; 44 ; 46 ; 49 ; 52 ; Lamentations 4 ; Ézéchiel 17 ; 21 ; 26-32 ; Daniel 1-5).
Sa vie militaire a compté quatre campagnes principales qui l’ont toutes rapproché de la Palestine, si elles n’ont pas toutes eu pour premier but de l’envahir et de la réduire. La première est celle dont il est parlé en Daniel 1.1 ; elle eut lieu la troisième année de Jehoïakim. Pharaon Neco faisait acte de souveraineté sur Circesium ou Carkémis, et Nebucadnetsar, chargé par son père de la disputer au roi d’Égypte, obtint sur ses ennemis un succès facile, et les poursuivit à travers l’Arabie, jusque sur les bords du Nil ; puis, se tournant vers Jehoïakim, le malheureux allié de Neco, il triompha sans peine de la Judée, prit Jérusalem, et se disposait à emmener son roi prisonnier lorsque, changeant de caprice ou d’idée, il lui rendit la liberté, et le fit son vassal tributaire, au lieu de le traiter en esclave ; il emmena seulement quelques otages, au nombre desquels se trouvaient Daniel et ses trois amis. Il poursuivit quelque temps encore ses conquêtes, et acheva d’affaiblir les Égyptiens en leur enlevant toutes leurs possessions comprises entre l’Euphrate et le Nil. C’est pendant ces victoires qu’il apprit la mort de son père ; il retourna précipitamment à Babylone, et monta sur le trône (604 ou 605 avant Jésus-Christ ; 2 Rois 24.1-7 ; 2 Chroniques 36.6-7 ; Daniel 1.1ss ; 5.2 ; Esdras 1.7). L’année suivante, il fit son fameux songe des quatre monarchies, qu’il oublia sans en conserver autre chose qu’une impression de frayeur telle, qu’il voulait faire mettre à mort les mages qui ne pouvaient venir en aide à sa mémoire troublée ; c’est alors qu’il nomma le jeune prophète Israélite chef des mages, et qu’il lui confia le gouvernement de la Babylonie, parce qu’il avait vu que Dieu était avec lui, et que Daniel seul avait les secrets de l’Éternel (Daniel 2.1ss).
Trois ans après sa première conquête de la Judée, Nebucadnetsar dut tourner, pour la seconde fois, ses armes contre ce pays ; Jehoïakim s’était soulevé, et avait refusé le tribut. Nebucadnetsar envoie d’abord contre lui les armées de Syrie, de Moab et de Ammon, qui ravagent la Judée, et font un grand nombre de prisonniers qui sont envoyés à Babylone (Jérémie 52.28). Jérusalem est assiégée, Jehoïakim périt lui-même en se défendant ; Jéchonias le remplace sur le trône, et continue à se défendre ; mais Nebucadnetsar arrive en personne au bout de trois mois ; il se met à la tête des troupes, serre la ville de plus près, et ne tarde pas à s’en rendre maître. Il envoie Jéchonias finir ses jours dans une prison de Babylone, dépouille le temple et le palais, brise les vases sacrés, emmène l’élite des habitants, et part en laissant à Sédécias un trône en ruines, en échange d’un serment de fidélité (2 Rois 24.10 ; 2 Chroniques 36.10 ; Jérémie 22.25 ; 37.1 ; Ézéchiel 17.12-13). Sa puissance va se consolidant, rien ne résiste à ses armes, et les faux prophètes qui annoncent le déclin de son pouvoir sont, frappés et mis à mort (Jérémie 29.21 ; cf. 27.6 ; 28.2).
Cependant Sédécias ne tient pas le serment qu’il a prêté à l’ennemi de son pays, et, au bout de huit ou neuf ans de soumission, la seizième année de Nebucadnetsar, il se révolte et refuse sa soumission ; son exemple gagne les peuples qui l’entourent, et l’Égypte paraît les favoriser. Le roi de Babylone rentre en campagne ; c’est sa troisième expédition. Incertain par quel ennemi il doit commencer, il tire le sort sur les flèches, et se décide bientôt ; c’est Jérusalem qui recevra ses premiers coups (Ézéchiel 21.23-27). En peu de temps, la Judée presque entière est soumise ; Jérusalem, Lakis et Hazéka seules résistent encore (Jérémie 34.7) ; il marche sur Jérusalem qu’il a déjà conquise deux fois, et se prépare à la traiter avec plus de rigueur que jamais. L’approche du roi d’Égypte qui s’avance contre lui, l’oblige à laisser un instant respirer Sédécias ; il envoie ses captifs en Chaldée, et marche sur son nouvel adversaire ; mais celui-ci ne l’attend pas même, et s’enfuit avant d’avoir pu faire sa jonction avec les armées de Juda. Nebucadnetsar revient alors, continue le siège, et reste un an avant de venir à bout de la place ; la famine désole les habitants de Jérusalem, qui n’en persistent pas moins à se défendre ; enfin, pendant une absence du roi de Babylone, qui s’était rendu à Ribla, en Syrie, une brèche est faite à la ville, les principaux officiers des Chaldéens y pénètrent, Sédécias et les siens s’enfuient, mais ne tardent pas à être atteints et faits prisonniers. Nebuzaradan, chargé de la destruction de Jérusalem, s’en acquitte selon les souhaits de son maître, qui fait venir auprès de lui les principaux captifs, fait mettre à mort, sous les yeux de Sédécias, ses fils et ses grands, et l’envoie lui-même à Babylone, après lui avoir fait crever les yeux. Dans l’ivresse de son triomphe, il ménage encore Jérémie, et le recommande à Nebuzaradan (2 Rois 24.20 ; 25.1 ; 2 Chroniques 36.13-17 ; Jérémie 34 ; 37 ; 39 ; etc.). C’est probablement après cette expédition qu’il fit élever, dans la plaine de Dura, cette fameuse statue d’or que l’on suppose avoir été comme l’apothéose de son père, et qui faillit coûter la vie aux jeunes Hébreux qui refusaient de l’adorer. Admirant le prodige que le Dieu de Daniel avait fait en faveur de ses jeunes amis, Nebucadnetsar n’hésita pas à décréter la divinité du Dieu des Hébreux, et ordonna qu’on rendît à Jéhovah les mêmes honneurs qu’il réclamait pour son idole.
C’est après cela, que d’après Josèphe, car l’Écriture n’en parle pas, Nebucadnetsar entreprit le siège de la puissante ville de Tyr, ce siège infructueux de treize laborieuses années si souvent prédit par les prophètes, mais dont toute l’histoire est encore et restera toujours obscure. Les passages qu’il importe le plus de consulter sur ce point, sont : Ésaïe 23 et Ézéchiel 26 à 28.20. Il paraît, d’après ces données, que Nebucadnetsar employa treize ans à ce siège, et qu’il ne fut pas payé de sa peine, soit qu’il n’ait pu venir à bout de son entreprise, soit plutôt que les habitants de la ville, s’étant retirés dans une île voisine avec toutes leurs richesses, il n’ait trouvé que des ruines à offrir en pâture à ses soldats exténués (573 avant Jésus-Christ). Honteux de rentrer à vide dans son royaume et voulant se dédommager de sa triste victoire, il se tourna derechef contre l’Égypte, la ravagea dans toute son étendue, mêla le sang des hommes aux flots du Nil, et put ramener son armée glorieuse et chargée d’un riche butin.
Ce furent là ses dernières victoires et sa dernière expédition. Il n’avait, du reste, plus rien à désirer ; il s’était élevé aussi haut que jamais roi conquérant a pu le faire ; tout ce qui peut se vaincre par des forces humaines, il l’avait vaincu, et ses armes, toujours victorieuses contre Jérusalem, la ville du vrai Dieu, paraissaient l’élever au-dessus de ce Dieu qui inspirait Daniel et qui sauvait ses amis ; la tête tournerait à une moins grande hauteur, et le vieux monarque, au milieu d’une capitale que ses guerres lointaines n’avaient fait qu’enrichir, pouvait être pris de vertige au souvenir de toutes ses gloires. Un songe divin l’avertit de prendre garde ; il vit un arbre immense renversé par terre à la voix d’un ange et couché sans rameaux ni verdure pendant sept années. Le chef des mages, prophète de l’Éternel, lui fit voir dans les détails de ce songe un avertissement et une menace, mais une année d’intervalle que Dieu lui accordait pour s’humilier, ne servit qu’à l’endormir dans l’espérance que la parole divine ne serait pas exécutée, ou peut-être à la lui faire oublier.
Son orgueil s’éleva à la hauteur de sa position terrestre, et comme il se promenait dans le palais royal de sa capitale, il s’écria dans une ivresse frénétique d’exaltation : N’est-ce pas ici Babylone la Grande que j’ai bâtie pour être la demeure royale par le pouvoir de ma force et pour la gloire de ma magnificence ! Alors une voix des cieux lui répondit, lui annonçant que le songe terrible qu’il avait fait, allait recevoir son exécution ; l’orgueilleux monarque fut chassé d’entre les hommes, il mangea l’herbe comme les bœufs, n’ayant d’autre abri que le ciel, exposé à toutes les intempéries de l’air comme à la haine de ses sujets auxquels il n’inspirait plus qu’une horreur mêlée de pitié ; son poil crût comme celui de l’aigle et ses ongles comme ceux des oiseaux. Sept temps se passèrent ainsi, puis le sens lui revint, il bénit le souverain duquel toutes les œuvres sont véritables, dont les voies sont justes et qui peut abaisser ceux qui marchent avec orgueil ; et il remonta sur son trône (Daniel 4). Il vécut encore une année et mourut après avoir régné quarante-trois ans (561 avant Jésus-Christ).
Plusieurs observations sont nécessaires à l’intelligence de son histoire.
Les historiens grecs ne parlent pas de Nebucadnetsar, et ce règne à la fois long et glorieux ne nous est connu que par ce qu’en disent les historiens sacrés, Josèphe et quelques historiens de l’Orient ; de là plusieurs incertitudes chronologiques et des dates peu sûres et difficiles à déterminer, d’autant plus que les historiens sacrés comptent diversement les années de ce prince, suivant qu’ils font commencer son règne à la mort de son père, comme Daniel et les Babyloniens, ou qu’ils datent du moment de son association à l’empire avant la bataille de Circesium, comme Jérémie 25.1, et les autres historiens hébreux. Il y a en outre, dans plusieurs de ces données, un manque de coïncidence dont il n’est pas facile de se rendre compte, et quelques divergences, pour lesquelles il faut consulter les ouvrages spéciaux, notamment Des Vignoles et les commentateurs modernes Dahler sur Jérémie, Haevernick sur Daniel et Ézéchiel. Les traits de la vie de Nebucadnetsar étant épars dans plusieurs livres de la Bible, les uns prédits, les autres racontés, souvent sans suite et sans ordre chronologique, il est arrivé que plusieurs des faits attribués par les uns à l’une de ses expéditions, sont d’après d’autres, attribués à une autre, et que l’on ne peut se faire toujours une idée juste des détails dont chaque cadre doit être rempli ; nous avons suivi l’ordre qui nous a paru le plus probable ; Dahler et Winer arrangent les événements d’une manière différente, et Calmet, par exemple, place l’histoire de la statue d’or ainsi que le supplice des trois jeunes Hébreux, à la fin de la vie de Nebucadnetsar et après son retour à la raison.
Ce qui frappe le plus dans la vie militaire de ce conquérant, ce sont ses attaques sans cesse renouvelées contre le faible royaume de Juda, attaques toujours suivies de victoires et toujours plus douloureuses dans leurs résultats ; la première fois, il fait de Jehoïakim son vassal, et n’emmène avec une partie des trésors du temple que des otages ; la seconde fois, il dépouille le temple, emprisonne le roi infidèle, emmène l’élite des Juifs, mais laisse encore à ceux qui restent un roi de leur nation ; la troisième fois enfin, il exporte les habitants en masse, fait mettre à mort les principaux d’entre eux et charge leur roi de chaînes après l’avoir privé de la vue.
Autant de secousses successives devaient faire comprendre aux Juifs que c’était bien de la part de leur Dieu que Nebucadnetsar ruinait ainsi leurs forces et leur vie nationale ; et véritablement, à lire les écrivains sacrés, il semble que ce roi de Babylone n’ait eu, en effet, d’autre mission que d’accomplir les prophéties et les vengeances divines ; c’est à cela que se réduit sa biographie, et ses coups prolongés pendant une carrière de quarante-trois années devaient faire réfléchir les Juifs plus que n’eussent fait les coups épars de rois qui se seraient succédé sur le même trône ; Nebucadnetsar devait être pour les Juifs l’homme de la fatalité, et l’on pense involontairement à la vieille et glorieuse figure de Louis XIV, qui a été l’épreuve du peuple de Dieu, comme le roi de Babylone en avait été le châtiment.
La conduite de Nebucadnetsar à l’égard des mages, n’est autre que celle d’un autocrate oriental ; la tête de quelques mages n’était rien pour lui ; satisfaire un caprice au prix de plusieurs vies était peu de chose. Le songe qu’il avait oublié, ces hommes devaient le lui dire ; et leur charlatanisme spéculateur devait être la cause de leur propre ruine ; ils étaient punis par où ils avaient péché. Un prophète seul pouvait, après avoir prié son Dieu, connaître ce songe, le rappeler au roi et lui raconter la succession des quatre monarchies ; il est remarquable que Daniel ait eu lui-même, bien des années après, la même vision céleste, le même songe sous d’autres symboles (Daniel 7).
La première puissance était celle de Nebucadnetsar lui-même ; la seconde était celle des Perses qui vinrent sous Cyrus (538 avant Jésus-Christ), renverser l’empire de Babylone ; après eux vinrent les Grecs conduits par le puissant et rapide Alexandre, représenté dans le songe de Daniel sous la figure d’une panthère ailée à quatre têtes, qui signifient les quatre royaumes qui sortirent de la mort d’Alexandre et se divisèrent en restant unis. La quatrième puissance enfin, c’est l’empire de Rome. Il y a, pour ainsi dire, unanimité parmi les interprètes sur la signification de ces deux songes, et l’on peut consulter presque indifféremment les divers travaux ou commentaires qui ont paru sur ce sujet.
Le second songe de Nebucadnetsar, plus clairement encore expliqué et accompli, n’a pas besoin d’être développé davantage. Remarquons seulement que le terme employé pour marquer la durée de sa terrible maladie, est celui de sept temps ; on entend ordinairement par là sept années, mais on peut l’entendre autrement encore, et sept années de folie ne prennent pas facilement place dans la vie si occupée de Nebucadnetsar ; l’année asiatique se divisant en six termes de deux mois chacun, on pourrait entendre les sept temps de sept de ces doubles mois, de sorte que la maladie de Nebucadnetsar n’aurait duré que quatorze mois ; selon d’autres, il aurait été malade trois ans et demi, selon d’autres encore, seulement sept mois. Quant à la nature de cette maladie, on pense généralement qu’il s’agit de l’insania canina ou lupina, la lycanthropie, pendant laquelle l’homme n’a plus de l’homme que les instincts animaux ; se croyant changé en bête, en loup, en chien, en bœuf, il abdique son cœur et sa raison, et cesse d’être lui-même ; c’est un animal. Les absurdes imaginations des rabbins sur la métamorphose physique de Nebucadnetsar en bœuf, sont dès longtemps oubliées ou tombées dans le ridicule, et de grossières illustrations bibliques en conservent seules le souvenir. Lorsque le sens lui revint, il était guéri de sa folie, et l’on ne peut qu’admirer la touchante et noble confession de foi par laquelle commence en lui le retour à la raison ; il s’humilia en adorant la main qui l’avait frappé, et son nom se place à côté de celui des Naaman, des Darius, des Cyrus et de tant d’autres païens pour qui l’Éternel a fait luire au milieu des ténèbres la foi à un seul Dieu. Plusieurs de ces grands conquérants, après avoir été des verges dans la main divine, ont reconnu vers la fin de leurs jours, la main qui les avait conduits et à côté de Nebucadnetsar se place naturellement, et sous ce rapport aussi, le nom de Napoléon le Grand.