A B
C D
E F
G H
I J
K L
M N
O P
Q R
S T
U V
W X
Y Z
Cet art, presque aussi ancien que le monde, et qui doit survivre au monde, cet art magique dont la puissance se fait sentir pour le mal comme pour le bien, qui élève les âmes vers l’Éternel, et qui souvent divinise la matière et favorise tant de désordres, qui souffle la guerre, qui inspire la volupté, qui, tour à tour, calme les douleurs ou arrache des larmes aux cœurs joyeux, puissant dans le Ranz des vaches, puissant dans la Marseillaise, puissant dans les Te Deum, bienfaisant et malfaisant, religieux ou impie, cet art, connu des anciens Hébreux, et maintenant encore cultivé avec tant de succès par leurs descendants, depuis Asaph jusqu’à Mendelsohn, a été connu dès avant les jours du déluge, et peut-être que le premier homme a entendu déjà les chants meurtriers des enfants de Caïn.
C’est à cette famille, en effet, que l’Écriture sainte attribue l’invention des instruments de musique ; Jubal, dont le nom rappelle la joie et les jubilations, fut le premier qui découvrit ou qui inventa les sons éclatants des instruments de cuivre (Genèse 4.21). En rapportant cette triste origine, l’Écriture ne paraît pas vouloir jeter de la défaveur sur l’art lui-même, non plus que sur les bergers en général, sur les nomades comme tels ou sur les ouvriers en fer ou en airain, dont les premiers furent aussi Caïnites ; elle ne paraît pas blâmer ces découvertes en elles-mêmes, et cependant la mention qu’elle en fait n’est pas absolument indifférente non plus. L’homme était destiné primitivement à l’agriculture ; c’était le genre de vie le plus facile, le plus agréable, le plus en rapport avec son organisation, celui aussi qui exigeait le moins de soucis, qui était le moins de nature à détourner sa pensée des choses de Dieu ; mais la famille de Caïn s’étant détachée de celui qui a la vie éternelle, et ne vivant plus que pour ce monde, elle a pu diriger toutes les pensées vers les beaux-arts et vers les arts utiles à l’homme ; elle a été mise en mesure de bien mériter de la race humaine, d’autant plus que sa direction était devenue tout humaine ; terrestre, et vivant pour la terre, la famille de Caïn a dû chercher à orner le séjour qu’elle habitait, et moins elle faisait de progrès dans la connaissance des mystères divins, plus elle devait en faire dans la connaissance des arts et des sciences de la terre. Lémec, père de Jubal, chantait sans doute ses crimes (Genèse 4.23), et l’on regrette que les plus anciens souvenirs du chant et de la musique se rattachent à des meurtres et à une famille proscrite de Dieu.
Il est assez probable, que le monde ayant fait invasion dans l’Église, et la famille de Caïn dans celle de Seth, les arts passèrent d’une famille dans l’autre, et que c’est ainsi qu’ils survécurent au déluge, à la race détruite de Caïn. La Bible ne dit pas que la musique ait été une seconde fois inventée, et l’on peut croire que Noé et ses fils, avertis du sort réservé à la terre, profitèrent du terme de 120 ans qui leur était donné, pour recueillir tout ce qui pouvait être conservé d’utile et d’agréable de l’ancien monde. Quoi qu’il en soit, nous voyons la musique généralement en usage aux jours de Laban (Genèse 31.27) ; nous la retrouvons aux jours de Moïse après l’esclavage d’Égypte (Exode 15.1-22 ; Nombres 10.2). David organise de nombreux chœurs de chantres et de musiciens pour le service du temple, et les choisit parmi les Lévites dont les occupations ont diminué depuis l’érection du tabernacle (1 Chroniques 25.1 ; cf. 2 Chroniques 29.23 ; 30.21 ; 35.15) ; voir Chantres. Il paraît que les rois avaient aussi leur musique particulière, comme on peut le conclure de 1 Chroniques 25.2 ; 2 Samueluel 19.35 ; Ecclésiaste 2.8. Chez les Hébreux, la musique était souvent accompagnée de danses.
Quant à sa nature il est difficile d’en rien dire, car elle est perdue, et les conjectures nombreuses que l’on a faites prouvent mieux que tout le reste, qu’on ne doit pas songer à la retrouver. Il est probable cependant qu’elle était simple et sérieuse, peut-être même sans connaissance de l’harmonie, qui est un perfectionnement, ou selon quelques-uns, une détérioration du goût naturel, une corruption, dans tous les cas la civilisation transportée dans la musique, par conséquent l’art dans le sens ordinaire de ce mot. Ils chantaient, à ce qu’on pense, unisono, chacun suivant la force et la portée de sa voix, et l’on sait que J.-J. Rousseau regardait ce chant comme le plus pur et le plus beau, tandis que la musique composée n’était, selon lui, qu’une volupté artificielle réellement inférieure. C’est une affaire de goût sur laquelle on ne peut disputer, mais il est sûr que de grandes masses chantant à l’unisson peuvent produire de grands effets, et que plusieurs airs perdent plutôt qu’ils ne gagnent à un accompagnement. En tout cas, on doit croire que la musique vocale et instrumentale sur laquelle devaient se chanter de si beaux psaumes, était elle-même belle, excellente et parfaite. Qu’on se rappelle l’impression produite par la harpe de David sur la sombre mélancolie de Saül (1 Samuel 16.23), l’impression produite par les prophètes de Samuel sur les hommes envoyés par Saül pour prendre David, et sur Saül lui-même (1 Samuel 19.23-24 ; cf. 10.5), la manière dont le prophète Élisée calma l’émotion qui l’agitait, et se disposa à recevoir les impressions du Saint-Esprit (2 Rois 3.15), et l’on comprendra la puissance mystérieuse de cette musique sacrée, simple, sans recherche, mais profonde.
À côté des chants religieux nous voyons mentionner aussi la musique des festins qui assaisonne la joie des amis, mais nulle part elle n’est rappelée comme innocente (Ésaïe 5.12 ; 14.11 ; 24.8 ; Amos 6.5 ; Lamentations 5.14) ; il paraît que les Israélites pieux se contentaient pour leur intérieur, du chant des saints cantiques, et que les Psaumes fournissaient à leurs joies domestiques tous les textes qu’ils pouvaient penser et désirer. La joie publique se manifestait aussi au son des instruments (1 Rois 1.40), mais rien ne laisse supposer qu’il s’agisse dans ce passage d’une musique étrangère à la joie théocratique ; en voyant couronner son roi légitime, le peuple pouvait célébrer son avènement par des chants religieux qui répondaient à ses besoins intérieurs, et faisaient ressortir le bonheur d’une nation gouvernée par un roi choisi de Dieu.
Un assez grand nombre d’instruments sont nommés dans l’Écriture, d’où l’on peut conclure que l’orchestration était connue des Israélites, mais on ne peut rien affirmer de positif sur leur forme et leur importance ; c’est même là une des parties les plus obscures de l’archéologie des Israélites. On divise ordinairement ces instruments en trois classes, et nous rapportons ici les suppositions les plus généralement adoptées.
1°. Espèces de tambours ou tambourins : a) Le thoph ou tambourin, cercle de bois ou de métal, recouvert d’une peau tendue, de 8 pouces de diamètre ; on le frappait avec le doigt, et il servait surtout à marquer la mesure ; avec l’accompagnement de la cymbale ou des castagnettes il produisait un effet qui n’était point désagréable. C’étaient ordinairement les femmes qui battaient le tambourin en Orient (Exode 15.20 ; Juges 11.34 ; Psaumes 68.23 ; Jérémie 31.4), et c’était dans les réjouissances publiques qu’on en faisait usage (voir aussi Job 21.12 ; 2 Samuel 6.5 ; Ésaïe 5.12 ; 24.8) ; b) Les tseltselim ou cymbales ; c) Les mnahanehim (2 Samuel 6.5), traduits sistres dans nos versions, d’après la Vulgate et les interprètes juifs ; instrument composé de deux verges qui se coupent à angle droit, et dont les deux autres extrémités, se rejoignant, dessinent une figure ovale, ou allongée, en forme de baudrier ; des anneaux de métal attachés à cet instrument produisent, lorsqu’il est secoué, un bruit qui rappelle de loin les tintements du chapeau chinois. Le sistre était autrefois fort commun en Égypte, où l’on s’en servait surtout pour le culte d’Isis ; d) Shalishim (1 Samuel 18.6), probablement, comme l’indique son étymologie, l’instrument encore connu sous le nom de triangle, soit qu’on en frappe les trois côtés avec une baguette de fer, soit que ces côtés portent des anneaux métalliques qui rendent, lorsqu’ils sont agités, le même son aigu que les anneaux du sistre. Le triangle est, d’après Athénée, une invention syrienne.
2°. Instruments à vent : a) Le hougab, que nos versions traduisent orgues (Genèse 4.21 ; Job 21.12), et qui d’après saint Jérôme, appuyé des interprètes juifs et chaldéens, doit plutôt s’entendre de la cornemuse ; b) La soumphonia (Daniel 3.5-10, 18), que nos versions rendent par symphonie. C’est apparemment le même instrument que le hougab, du moins les interprètes juifs le traduisent ainsi ; la cornemuse s’appelle maintenant encore en italien sambuja, et c’est la langue des traditions musicales. La cornemuse est une espèce de flûte dont les deux moitiés sont séparées par une grande vessie, ou sac de cuir, qui reçoit le souffle du joueur, se gonfle, et communique par la pression l’air au tuyau inférieur, ce dernier tuyau est percé de trous comme une flûte ordinaire, et rend des sons suivant le jeu des doigts ; cet instrument a plutôt des tons criards, nasillards, et peu harmonieux. Quelques auteurs, dont Calmet, croient cependant que le hougab désigne la flûte de Pan, ou chalumeau, composé de roseaux d’inégale longueur ; c) Le mashrokhita (Daniel 3.5), serait d’àprès Winer la flûte de Pan ; les bergers de l’Orient s’en servent de nos jours encore, comme ceux de la Suisse et de l’Italie ; c’est le mot que nos versions ont traduit par clairon ; d) Hhalil ou nehhil (Psaumes 5.1 ; etc.). On est généralement d’accord à penser qu’il s’agit ici de la flûte. Cet instrument qui servait à célébrer la joie comme le deuil (1 Rois 1.40 ; Ésaïe 5.12 ; 30.29 ; Matthieu 9.23), était fait de diverses matières ; il y en avait de roseaux, de bois, de corne, et d’os, et l’on en comptait chez les Israélites, comme chez les Grecs et les Romains, différentes espèces, suivant le nombre de trous qu’elles portaient ; elles étaient loin toutefois de pouvoir être mises en comparaison avec nos flûtes modernes, si compliquées et si parfaites ; e) La hhatsotserah, que nos versions ont traduit par trompette (Nombres 10.2 ; cf. 31.6 ; 2 Rois 11.14 ; 12.13 ; Osée 5.8). Moïse avait ordonné que deux de ces instruments, d’argent massif, fussent employés au service du tabernacle, pour convoquer les chefs ou le peuple, et pour annoncer le moment du départ. La forme de ces trompettes, telles du moins qu’elles existaient dans le second temple, a été conservée avec celle de tous les vases du sanctuaire, sur l’arc de triomphe de Titus ; elle rappelle singulièrement celle des Alpenhœrner ; c’est une espèce de long tube qui va en s’évasant vers son extrémité inférieure, et qui paraît avoir dû rendre un son éclatant, mais un seul ; aussi Moïse, en marquant les divers signaux qui devaient être donnés par ces trompettes, n’indique pas qu’elles fussent susceptibles d’aucune modulation ; leur usage devait être celui des cloches ; suivant que l’on sonnait une ou deux fois, suivant que les trompettes sonnaient ensemble ou séparément, l’assemblée devait être avertie, soit de se réunir, soit de prier, soit de partir ; f) Le shophar, traduit par trompette (Lévitique 25.9 ; Job 39.28), par cor (Jérémie 4.5 ; 6.1 ; Ézéchiel 33.6 ; Ésaïe 58.1 ; Exode 19.16-19 ; Osée 5.8 ; Josué 6.4), peut en effet se traduire des deux manières, en réservant l’incertitude où l’on est sur sa signification véritable. On s’en servait pour annoncer l’année du jubilé ; on s’en servait à la guerre, les sentinelles et les gardes s’en servaient pour donner des signaux. Le shophar avait un son fort étendu, auquel Moïse compare le son du tonnerre, lors de la promulgation de la loi sur le Sinaï. Ce qu’il est permis de supposer sur la forme de cet instrument d’après ce qui est dit (Josué 6.4), c’est que c’était peut-être une corne d’animal, comme les pâtres des Alpes s’en servent souvent encore, ou bien que c’était un instrument qui affectait cette forme, et qui par conséquent ne pouvait, non plus que le précédent, donner qu’un seul son, mais clair et bruyant. C’est apparemment le même mot qui se rend en chaldéen par kharna (Daniel 3.5) et que Martin a traduit par cor ; g) Le susan ou sosannim-hédulh (Psaumes 45 ; 60 ; 69 ; 80). Heidegger en fait un instrument à 6 cordes ; c’était plutôt un instrument à vent, semblable à notre trompette ou à la clarinette ; son nom de susan (lys) fait croire qu’il avait quelque ressemblance avec cette fleur. Susan héduth signifierait la trompette du témoignage, ou la trompette destinée aux chants (lyriques).
3°. Instruments à cordes. Leur nom général était neguinoth. a) Kinnor et b) Nebel, voir Harpe. C’était probablement une espèce de lyre ou de guitare plus ou moins grande ; c) Le sabeka (Daniel 3.5), traduit saquebute ; instrument triangulaire semblable à la harpe, avec quatre cordes ou même davantage, qui se pinçaient avec les doigts et rendaient des sons aigus ; les bayadères de l’Orient voyageaient avec la saquebute ; d) Le psanther (Daniel 3.5), traduit psaltérion, était également une espèce de harpe, mais d’une forme qu’on ne peut déterminer ; e) Le kithros (Daniel 3.5), voir Harpe.
Les Hébreux connaissaient-ils une manière quelconque de noter la musique ? C’est fort peu probable ; la simplicité de leur musique non composée ne leur faisait pas sentir le besoin de compositions écrites, et la supposition que les accents ou la ponctuation des Psaumes servaient en même temps de notes, est dénuée de fondement ; les accents ne remontent pas aux beaux jours de l’antiquité israélite, et même si cela était, ils n’auraient pu fournir qu’une notation très incomplète. L’Occident n’a connu les notes de musique qu’au onzième siècle, et l’Orient moderne ne fait pas remonter les siennes au-delà du dix-septième. Qu’il y ait eu quelques expressions destinées à indiquer soit la mesure, soit des changements de ton, c’est possible, mais il ne faut pas en demander davantage. Voir les articles Psaumes, Sélah, Sheminith, Alamoth, Guittith, etc. Quant au chant des psaumes, il ne faut pas le juger par la monotone et souvent nasillarde cantillation qu’on entend dans les synagogues modernes ; ce devait être un chant proprement dit, c’est-à-dire de la musique ; mais si l’on se rappelle que le chant des Grecs même n’a pu être encore déterminé, on comprendra que pour celui des Juifs il ne soit guère possible non plus de généralités.