A B
C D
E F
G H
I J
K L
M N
O P
Q R
S T
U V
W X
Y Z
Le judaïsme est essentiellement une loi, et le Nouveau Testament qualifie souvent de cette manière, soit l’économie elle-même, soit les livres qui en sont les documents (Jean 7.49 ; 10.34 ; 12.34 ; 13.25 ; 1 Corinthiens 14.21 ; Hébreux 7.12 ; 10.1). Tout, en effet, se résume en lois chez les Juifs, à tel point que le nom même de la Thorah (la loi) était révéré chez eux presque à l’égal du nom de Jéhovah lui-même.
En groupant autour du nom d’Abraham une portion déterminée de la famille de ce patriarche, en faisant de cette famille un peuple, et de ce peuple le dépositaire de la vérité, en leur accordant ainsi des privilèges inappréciables. Dieu leur imposait des devoirs adéquats aux droits qu’il leur concédait. La loi était, en quelque sorte, le prix de leur privilège ; bénédictions d’une part, obéissance de l’autre, tels étaient les termes de ce contrat, de cette alliance. De la part des Juifs, tout devait donc aboutir à Dieu ; Dieu était leur chef, leur maître, un maître absolu ; Dieu était comme la base même de leur nationalité ; leur législation devait porter l’empreinte de cette situation exceptionnelle. Israël ne pouvait être ni monarchie, ni république, ni aristocratie ; c’était en principe, ce devait être en fait, une théocratie. Le Dieu d’Israël se proclamait l’auteur des institutions politiques, comme celui des institutions religieuses. La charte du pays était le décalogue ; toutes les autres lois n’en étaient que le développement. Il n’y avait point là d’Église à côté de l’État, l’État n’était point juxtaposé à l’Église, au-dessus, ou au dedans ; l’État et l’Église n’étaient qu’un ; rien ne les distinguait. Il n’y avait pas un domaine religieux et un domaine politique ; on ne pouvait pas plus faire abstraction de l’un que de l’autre. Dieu était roi et souverain sacrificateur ; tout se réunissait en lui, comme ces deux ordres d’idées et de choses ne peuvent, en effet, se réunir qu’en lui, sous peine de se compromettre l’un l’autre.
Le monothéisme n’était point une abstraction pour Israël ; il se révélait d’une manière patente, visible, extérieure ; il portait ses fruits, et se manifestait par des conséquences ; il donnait des lois, lui seul, toujours, partout. Quoique les lois mosaïques puissent se diviser en catégories, elles tendaient toutes également vers le même but, comme elles partaient du même principe. Elles avaient pour but de constater le mal, d’opposer à ses progrès une barrière, de le condamner toujours, et de préparer les esprits à l’attente du Messie, qui devait le vaincre, et en détruire les funestes effets.
Le mot loi est pris dans des sens très divers. Il semble désigner d’une manière spéciale le décalogue (Romains 7.7 ; cf. Matthieu 19.17 ; Marc 10.19 ; Luc 18.20). Il désigne les cinq livres de Moïse (Luc 24.44 ; Jean 7.19 ; etc.). Il se rapporte à l’Ancien Testament, comme livre (Luc 4.20 ; 16.17 ; Actes 24.14 ; Romains 2.23) ; et comme économie, dans presque toutes les épîtres, par opposition à l’économie de la grâce. Ailleurs, il est pris dans un sens spécial pour désigner une loi particulière (Jean 19.7), ou bien encore, il signifie la loi morale, la loi de la conscience gravée dans le cœur, la loi de la morale universelle (Romains 13.8-10). Le péché originel, cette inclination au mal qui est dans nos membres, est appelée une loi (Romains 7.23), la loi du péché. L’économie nouvelle est appelée la loi de la liberté, loi parfaite, loi royale (Jacques 1.25 ; 2.8-12).
Le décalogue (mot grec qui signifie les dix paroles, cf. Exode 34.28 ; Deutéronome 10.4) se divise, conformément à la signification de son nom, en dix parties séparées qui, d’après la manière habituelle de les distinguer, portent le nom de commandements, et sont précédées d’une préface ou prologue : « Écoute, Israël, je suis l’Éternel, ton Dieu », etc. (Exode 20.2 ; Deutéronome 5.6). Dans ce cas, le décalogue proprement dit ne commence qu’au verset suivant. Cependant, comme ces tables sont quelquefois appelées « paroles de l’alliance » (Exode 34.28 ; cf. Deutéronome 4.13 ; etc.), et qu’une loi pure et simple qui ne lie qu’une partie, ne saurait être appelée de ce nom, il paraît plus convenable de faire, de ce qu’on appelle ordinairement la préface, la première des dix paroles ; elle est, en effet, d’une importance particulière ; ce n’est point une simple introduction, ni un simple exposé des motifs, mais une partie intégrante de ce traité d’alliance que Dieu contracta avec son peuple. Supprimez cet article, ou laissez-le dehors, le reste perd toute sa signification. La seconde parole, ou le premier commandement, se composerait alors de ces deux commandements qu’on a si mal à propos séparés, et qui n’en font absolument qu’un seul, relatif à l’adoration de ce Dieu qui est jaloux, et qui a droit de l’être. Depuis la troisième parole, ou second commandement, il n’y a plus de difficultés. L’église romaine, seulement, pour supprimer, sans que ce fût trop sensible, la défense relative aux images taillées, a partagé en deux la dixième et dernière parole.
On peut diviser le code entier des lois hébraïques, outre le décalogue, en cinq classes ou catégories. Il en est parlé ailleurs en détail ; nous ne ferons que les indiquer ici :
1°. Lois relatives au culte et aux cérémonies, comprenant tout ce qui concernait la hiérarchie sacerdotale, les fonctions, le pouvoir, les revenus des prêtres, sacrificateurs et lévites ; le lieu de la célébration du culte, les prescriptions relatives aux sacrifices, leur nombre, la valeur des offrandes, l’espèce des victimes, le mode particulier, les cas dans lesquels ils devaient être offerts ; enfin, la fixation des fêtes qui devaient être célébrées, et leur organisation.
2°. Lois politiques, militaires et civiles. L’autorité de Moïse, celle de Josué, et celle des juges qui lui succédèrent, étaient dictatoriales ; il y avait peu de politique à faire sous un souverain absolu. Mais Moïse, dans le conseil d’anciens dont il s’entoura, jetait déjà le germe du libéralisme, et cette assemblée, d’abord modeste, devint plus tard le grand sanhédrin. La loi prévoyait la royauté. Elle renfermait quelques dispositions fiscales touchant l’impôt, les amendes, les rachats pécuniaires et la capitation ; il n’est pas probable qu’il y eût, pour le culte et pour l’État, deux trésors séparés. Tout Israélite de vingt ans était soldat, sauf les exceptions prévues par la loi. La guerre était supposée, parfois ordonnée ; mais elle est toujours considérée comme souillant l’homme ; le soldat ne peut rentrer dans ses foyers avant de s’être purifié. Les prescriptions de Moïse offrent, sous ce rapport, un singulier mélange ; on y voit, à côté de l’ancien droit des gens, barbare et reculé, l’esprit d’humanité et de douceur que devait apporter sur la terre la religion divine. Souvent tous les ennemis doivent être passés au fil de l’épée ; d’autres fois, Moïse s’occupe avec sollicitude du sort des captives, et défend qu’on touche aux arbres fruitiers des villes assiégées. Les lois civiles sont, avant tout, des lois agraires dans le vrai sens du mot. Moïse veut changer une horde, une tribu nomade, en un peuple sédentaire et agricole ; tout converge vers ce but ; il n’y aura pas de pauvres dans le pays (Deutéronome 15.4) ; les terres sont distribuées par le sort entre les familles, proportionnellement au nombre de leurs membres, et cela d’une manière définitive que ne modifieront point les ventes temporaires qu’en pourraient faire leurs premiers possesseurs (Nombres 26.53 ; Lévitique 25.23). De là l’institution du jubilé ; de là encore la loi du lévirat, la loi sur les héritages, les lois sur les dettes, la difficulté pour les étrangers d’obtenir le droit de cité, etc. Les mariages mixtes (avec des païens) et les mariages incestueux étaient sévèrement interdits ; la polygamie est tolérée, mais réglée et gênée ; le divorce est toléré, mais dans des conditions qui le rendent difficile. Il est pourvu au sort des étrangers ; ils ne font point partie de l’assemblée de l’Éternel, mais ils seront traités humainement ; des distinctions sont faites entre les uns et les autres (Deutéronome 23.3ss ; 25.17). La loi règle encore les rapports des maîtres avec les esclaves, et proclame d’une manière absolue l’autorité des pères sur les enfants, ne réservant à la justice que le droit de vie et de mort.
3°. Lois morales. Elles forment le code le plus parfait qui ait jamais été donné à aucun peuple ; il suffit de lire Exode 21-23, Lévitique 19 et Deutéronome 15, 24, 25. Il est pourvu au sort de la veuve, de l’orphelin, du lévite, du pauvre, de l’étranger, de l’esclave ; (tu ne livreras point l’esclave échappé, mais tu le traiteras avec bonté). Moïse se préoccupe même des animaux, des nids d’oiseaux, etc.
4°. Lois sanitaires. Elles sont présentées comme des lois de pureté, et tendaient indirectement à rappeler la pureté morale intérieure que Dieu exige de ceux qui le servent. Mais elles sont réellement toutes calculées sur l’ardeur du climat de l’Orient, sur la nécessité d’une propreté constante, sur le danger de certains aliments, sur la fréquence des maladies de la peau, et surtout de la lèpre, sur le vif et dangereux penchant des Orientaux pour la volupté, etc. On comprend, dans cette classe : a) les lois relatives à la distinction des animaux purs et impurs, lois alimentaires ; b) celles qui tendaient à préserver les Hébreux de la lèpre, à constater le mal, etc. ; c) toutes celles qui traitaient des ablutions, purifications et autres cérémonies destinées à effacer les souillures, physiques ou légales, que pouvaient avoir contractées, volontairement ou involontairement, hommes et femmes, telles que le contact d’un cadavre, etc. La propreté était une religion.
5°. Lois judiciaires et pénales. Elles étaient remarquables par leur grande douceur. Les législations antiques n’ont jamais approché d’une perfection semblable ; les modernes n’ont pas fait mieux. L’accusé était entouré de toutes les garanties désirables. Un témoin ne suffisait pas pour une condamnation à mort ; les faux témoins étaient épouvantés ; les témoins véritables étaient même retenus par la crainte de devoir servir de bourreaux si leur témoignage entraînait la peine de mort. Les jugements étaient publics et oraux, habituellement sommaires, toujours sans frais. Les villes de refuge offraient un sûr asile aux meurtriers involontaires. La question, la torture, ces raffinements de la justice sacerdotale du Moyen Âge, étaient inconnues ; les épreuves (le sacrifice de jalousie) étaient innocentes en elles-mêmes. Les peines étaient à la fois modérées et proportionnées aux délits ; le talion pouvait être prononcé par le juge. Les crimes commis contre Dieu, contre la religion, l’idolâtrie, le blasphème, la violation du sabbat, étaient punis de mort, et cette sévérité n’étonne que lorsqu’on oublie que le Dieu des Juifs n’était pas un être de convention, mais la vérité même, et le roi souverain auquel tout le peuple devait rendre une obéissance absolue. Les crimes contre les mœurs étaient aussi sévèrement punis.
Ce rapide aperçu, cette aride nomenclature, suffit cependant à rappeler d’une manière générale les détails qu’on a lus ailleurs, il est impossible de n’être pas frappé de deux choses : d’un côté Moïse fait des concessions à l’esprit de son temps, de l’autre il lui résiste et le fronde avec une énergie surprenante. Cette apparente contradiction dans le système provient de ce que, si Moïse veut isoler les Hébreux des nations voisines, il sait qu’il ne pourra pas les isoler d’eux-mêmes. Il commence d’abord par couper les communications avec l’ennemi, puis il le combat à l’intérieur, et il compte pour cela non sur une destruction immédiate, mais sur le temps, sur ces moyens dilatoires, sur ces réserves nombreuses, sur ces gênes cachées qu’il introduit partout, et qui d’abord ne paraissent pas avoir une grande portée. Cependant le père ne tuera pas son enfant, parce qu’il faut que ce soit la mère de l’enfant qui l’accuse, les voisins qui le tuent ; le divorce demandé n’aura pas lieu, parce que le mari ne sait pas écrire ; le meurtrier involontaire est livré au vengeur du sang, mais il ne mourra point, les villes de refuge sont là, et bientôt il se sera mis à couvert.
On a été trop loin dans les deux sens, les uns en prétendant que la législation hébraïque avait été calquée d’après les autres législations alors existantes, que Moïse pouvait avoir étudiées ; les autres en niant d’une manière absolue toute influence des lois de l’Égypte, sanitaires et autres, sur telle ou telle partie des prescriptions mosaïques. Tout ce recueil est divinement inspiré, mais la personnalité de Moïse se montre partout, ses souvenirs, ses expériences, ses impressions. Il importe peu, d’ailleurs, que Moïse ait ramené d’Égypte ses prescriptions contre la lèpre, et l’interdiction de la viande de porc, si l’Esprit lui a révélé ces mesures comme bonnes à conserver. Il importe peu que des lois agraires, qu’une caste sacerdotale, aient été établies à l’imitation de l’Égypte, si Dieu a montré à Moïse que c’était provisoirement ce qu’il y avait de mieux à faire pour la formation et le développement de la nationalité juive. Moïse a suffisamment montré (cf. Lévitique 18.3), qu’il n’entendait point faire une copie du paganisme, et l’esprit de sa législation porte assez le caractère de l’indépendance, pour qu’à cet égard il ne soit pas suspect, même lorsqu’il paraît emprunter. Les absurdités de Bolingbroke et de Voltaire sous ce rapport, se réfutent d’elles-mêmes. Ce qu’ils ont dit de plus sérieux se rapporte à cet isolement national que Moïse établit, à ce cordon sanitaire dont il entoure son jeune peuple, à ce particularisme étroit qu’il prêche et qu’il commande. En théorie, le reproche est fondé ; Dieu a fait d’un même sang tout le genre humain, qui comprend l’humanité ; elle perd peu à peu l’idée de la nationalité ; mais en pratique le peuple juif était non seulement un peuple à part, mais un peuple mis à part, choisi, élu de Dieu dans un but spécial, une exception dans le monde, et son histoire n’a que trop bien montré combien les barrières de la loi étaient même insuffisantes pour le préserver du mal. Le reproche d’ailleurs aurait une plus grande portée si, en lui imposant le particularisme, Dieu avait aussi imposé à son peuple l’égoïsme ; mais bien loin de là, les étrangers peuvent s’établir sur ce territoire d’Israël, partout ils sont recommandés à la bienveillance publique, et lorsqu’ils jouissent de tous les avantages, ils n’ont pas même à supporter toutes les charges.
Le Nouveau Testament nous apprend à considérer la loi sous un double point de vue. Elle était caduque et périssable, dans ce qu’elle avait de particulier, de spécial, de local ; elle était faite pour un temps, pour un peuple, pour un pays. D’un autre côté elle est éternelle dans ce qui en fait l’idée fondamentale, et Jésus n’est point venu pour l’abolir, mais pour l’accomplir. Avant Jésus, elle servait d’instituteur, de pédagogue, pour conduire les hommes, par le sentiment de leurs péchés, au Messie qui devait apporter le salut. Depuis Jésus, elle subsiste, mais gravée sur les tables charnelles du cœur. On peut la considérer, soit comme le fondement caché en terre sur lequel s’élève l’édifice de l’Église chrétienne, soit comme l’échafaudage qui a servi à son élévation, échafaudage qui n’a plus maintenant aucune valeur. On peut la considérer comme le commencement de l’œuvre que Jésus est venu unir, ou comme un système provisoire qui n’était là qu’en attendant, occupant et préparant le lieu pour le Sauveur. Les deux points de vue ont leurs défenseurs ; les uns et les autres ont raison ; la loi est tout ensemble un fondement et un échafaudage ; cette double idée se rencontre partout dans le Nouveau Testament. On ne saurait en dire autant de ceux qui voient un antagonisme réel entre la loi et la grâce ; c’est aller trop loin, au moins dans la forme de l’expression. Le chrétien n’est sans doute plus sous la loi, mais c’est qu’il est devenu loi à lui-même. Rien ne lui est plus défendu, mais l’Esprit qui est au-dedans de lui, et qui ne parle pas deux langages, lui sert de règle et de loi. Quant à celui qui n’est pas converti, comme il n’a pas l’Esprit, comme il n’est pas sous la grâce, il reste sous la loi, et les difficultés pratiques qu’on a soulevées sur cette question, sont d’une solution facile dès qu’on se place à ce point de vue. Ces questions, du reste, appartiennent à la dogmatique.