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C’est par ce mot que nos versions ont traduit l’hébreu reétn ; les Septante, monocéros. La première question qui se présente regarde l’existence même de cet animal ; les anciens l’ont admise sans hésitation, mais paraissent avoir plus d’une fois confondu dans leurs descriptions la licorne et le rhinocéros (Pline 8.30 ; Ælian. Anim. 16.20) ; un bon nombre de voyageurs plus modernes semblent avoir commis une méprise du même genre ; d’autres, distinguant bien ces deux espèces de mammifères, ont cru pouvoir établir l’existence de l’un et de l’autre, mais varient dans la description qu’ils font de la licorne, que la plupart d’entre eux avouent n’avoir pas vue de leurs propres yeux et ne connaître que par ce que leur ont dit les naturels des pays qu’ils ont visités. Le portugais Jean Gabriel raconte pour sa part qu’il a vu dans le royaume de Damor une licorne qui avait une belle corne blanche au front, longue d’un pied et demi, poil de la queue et du cou noir et court, forme et grandeur d’un cheval bai. Vincent le Blanc en a vu une autre dans le sérail du roi de Pégu, elle avait la tête plutôt d’un cerf que d’un cheval ; et Louis Barthémo (XVI siècle), dit qu’il en a vu, chez le sultan de la Mecque, deux qui lui avaient été envoyées par un roi d’Éthiopie ; la plus grande des deux avait sur le front une corne de trois aunes ( ? !) de long, la tête ressemblait à celle d’un cerf, la peau était brun foncé, le pied fendu et l’ongle d’une chèvre. Ne seraient-ce pas là de véritables antilopes qui auraient perdu une corne par accident ? Enfin, pour ne pas tout citer, Hodgson, président de la Compagnie des Indes à Népal, reçut de la ménagerie du raja un animal qu’on lui dit habiter les parties méridionales du Thibet, qu’il reçut comme licorne et dont il envoya la peau au musée de Calcutta ; la peau était fauve et blanche sous le ventre ; au milieu du front s’élevait une longue corne pointue, noire, formant trois légers coudes, avec des anneaux circulaires à la base ; l’animal avait en outre deux petites touffes de poils aux narines, passablement de soies autour du nez et de la bouche, et la chevelure épaisse comme ne formant qu’une seule masse, autant de caractères qui donnaient à la tête quelque chose de lourd et de repoussant ; cette peau serait un témoignage décisif, s’il était prouvé que l’animal était une licorne et non point une antilope monstre. Dans cette incertitude, plusieurs hésitent, pendant que d’autres ont embrassé plus ou moins chaudement, soit l’affirmative (lîochart, Ludolf, Meyer, Rosenmuller), d’autres la négative (Cuvier). Disons seulement que l’existence d’une licorne ne serait nullement impossible, qu’elle pourrait se justifier en anatomie, et que si l’animal que l’on dit avoir habité l’Égypte et l’Éthiopie ne s’y trouve plus, cela provient peut-être de ce qu’il a été refoulé dans les déserts plus intérieurs de l’Afrique, comme cela est arrivé pour d’autres espèces d’animaux. Quoi qu’il en soit, les voyageurs et les naturalistes qui croient encore à l’existence de la licorne, lui assignent pour séjour les montagnes du Thibet où elle marche par grandes bandes, et l’Afrique, depuis le grand désert jusqu’aux confins de la Cafrerie ; elle ressemble au cheval, a 48-52 pouces de hauteur, sur le front une longue corne un peu recourbée vers le milieu ; son caractère est sauvage et indomptable.
Après cette question préalable, et dont la solution n’est pas sans importance, on doit se demander si, en admettant même l’existence de la licorne, c’est bien de cet animal qu’ont voulu parler les auteurs sacrés sous le nom de reém. Pour cela, voyons les caractères qu’ils lui donnent, et examinons brièvement chacun des passages où il en est parlé :
1° Nombres 23.22 et 24.8, il n’est question que des forces du reém ;
2° Deutéronome 33.17, les forces de Joseph sont comme les cornes d’un reém. ou plutôt comme des cornes de reém, sans que rien soit préjugé sur le nombre qu’en porte chaque individu (de même Psaumes 22.21) ; le reém est mis en parallélisme avec le taureau, probablement sous le rapport de la force et de la puissance (cf. aussi Psaumes 29.6) ;
3° Job 39.12-13, le reém ne se laisse pas attacher à la charrue comme fait l’âne et le bœuf, il rompt ses liens ; on ne peut ni l’apprivoiser, ni le dompter ;
4° Psaumes 22.21, le reém est dangereux, sa corne ou ses cornes lui servent d’armes ;
5° Psaumes 29.6, le petit du reém est nommé à côté du veau, comme animal aux ébats joyeux et légers ;
6° Psaumes 92.10, la corne du reém est élevée, ce qui implique tout ensemble une certaine longueur, sa position à peu près perpendiculaire sur la tête, sa direction vers le ciel, et sa force ; le singulier ne prouve rien, pas plus que lorsque nous disons : « la corne du taureau est plus courte que celle du bœuf » ;
7° Ésaïe 34.7, (grande hécatombe offerte en l’honneur du Seigneur), les reéms descendront avec les béliers (v. 6), et les veaux avec les taureaux, c’est-à-dire les forts et les sauvages avec les faibles et les inoffensifs ; le caractère du reém est ici d’une manière générale la force, peut-être la férocité.
Il résulte de ces sept ou huit passages que le reém est sauvage, cornu, vif, indépendant et dangereux ; cela peut s’appliquer à la licorne si elle existe (ainsi font Meyer, Schmidt, et presque Rosenmuller), mais cela peut aussi se rapporter à beaucoup d’autres animaux ; c’est ainsi, que suivant les traces d’Aquila et de Saadias, Michaélis, Bruce et Harris pensent qu’il s’agit du rhinocéros ; Schultens, Bridel, Gesenius, De Wette, Hitzig, du buffle ; Bochart, Rosenmuller ( ?), Winer, de l’oryx des anciens, opinion peut-être appuyée par la tradition juive, et qui se justifierait aussi par le nom de réim que les arabes donnent encore, d’après Niebuhr, à cette espèce de gazelle. L’oryx, appelé par Linnée antilope leucoryx, ou gazelle blanche, est représenté par Oppien comme sauvage et indomptable, par Pline comme n’ayant souvent qu’une corne, par Hérodote comme atteignant à peu près la taille du bœuf ; il habite particulièrement l’intérieur de l’Afrique, mais il se trouvait aussi anciennement en Égypte où les auteurs sacrés auront pu en avoir connaissance. S’il faut se décider, nous nous rangerons volontiers à cette opinion tout en reconnaissant qu’elle n’est pas sûre, et en avouant que plusieurs considérations recommanderaient aussi l’opinion de Harris, car d’après Good, le rhinocéros porte encore en Arabie le nom de reém, et il serait étonnant qu’un animal aussi remarquable et aussi connu de l’Égypte et des côtes de la mer Rouge n’eût été mentionné en aucune manière dans l’Ancien Testament. Quant au buffle, la raison principale qui soutient cette traduction, c’est que le reém paraît être plusieurs fois mis en comparaison du bœuf et du taureau (Deutéronome 33.17 ; Psaumes 29.6) ; en suivant le même principe on pourrait aussi chercher cet animal dans la famille du lion (Psaumes 22.21), ou dans celle du bélier (Ésaïe 34.7-8), et l’on mettrait le léviathan avec les oiseaux comme un gros parmi les petits (Job 40.24).
Chacun décidera dans cette question suivant que l’un ou l’autre argument lui paraîtra le plus fort ; disons seulement que l’objection tirée de ce que les poètes hébreux ne pouvaient avoir connaissance de l’existence de la licorne, si elle existait, parce qu’elle ne vivait certainement pas en Palestine, ressemble à l’assertion d’Eichhorn, qu’Ésaïe ne pouvait connaître l’Égypte puisqu’il n’y avait pas encore d’itinéraires à cette époque.