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Ce mot, et l’adjectif immortel, qui se rencontrent huit fois dans le Nouveau Testament (Romains 2.7 ; 1 Corinthiens 15.42-50, 53, 54 ; Éphésiens 6.24 ; 2 Timothée 1.10 ; Tite 2.7), ne se trouvent nulle part dans l’Ancien Testament. Est-ce à dire que l’idée n’y soit pas ? Plusieurs, à commencer par les sadducéens, l’ont prétendu. Les sadducéens (voir cet article) qui reconnaissaient certainement, non seulement le Pentateuque, ainsi qu’on l’affirme souvent, mais encore l’Ancien Testament tout entier, niaient l’immortalité de l’âme et la résurrection ; s’appuyaient-ils réellement sur l’Écriture inspirée pour défendre leur matérialisme et leur incrédulité ? Peut-être, mais le rationalisme de leur interprétation pouvait les aveugler, et notre Seigneur a fait justice de leurs théories (Matthieu 22.23). Il faut reconnaître cependant que l’Ancien Testament, que les livres de Moïse en particulier, sont très peu explicites sur la doctrine de l’immortalité, de la vie future.
Ce dogme, comme tant d’autres, ne pouvait mûrir que lentement dans la pensée de l’humanité. On a connu le mouvement bien avant d’en formuler l’existence, et il est une foule de faits ou d’idées dont on ne parle pas, qu’on ne raisonne, qu’on ne discute pas, bien qu’on en ait la conscience. La révélation, qui suit une marche presque uniformément progressive, et dont la lumière va croissant (cf. 2 Pierre 1.19), ne proclame jamais l’erreur, mais n’établit la vérité que d’une manière lente et graduée, en attendant que la suite des siècles et le développement moral et intellectuel des Hébreux appelle un développement ultérieur plus complet de la vérité comme doctrine et système. Dans le Pentateuque, on peut dire que la vie humaine est en général restreinte et limitée à cette terre, entre les limites de la naissance et de la mort physiques, et que le bonheur suprême est placé dans le fait d’une longue vie (Genèse 47.9 ; Exode 20.12 ; Deutéronome 4.40 ; 6.2 ; 11.9 ; cf. Éphésiens 6.2-3) ; on n’y trouve aucune allusion claire et positive à une existence quelconque de l’âme après la mort. Pourquoi ? Deux opinions contraires, et cependant toutes les deux justes, cherchent à expliquer ce matérialisme de la révélation mosaïque.
« Ainsi, dit M. de Rougemont, tandis que les Égyptiens et les Grecs, les Perses et les Indiens, et tous les peuples païens et polythéistes de l’antiquité admettaient, non seulement la vague possibilité d’une existence des âmes après la mort, mais un lieu de châtiments et de souffrances, et un lieu de récompenses et de bonheur qu’ils décrivaient comme d’incontestables réalités, les Hébreux, la seule nation monothéiste, la seule qui rapportait au Dieu vivant toutes ses actions et toutes ses pensées, auraient cru qu’il en est de l’homme comme de la bête, et que tout finit pour lui avec cette terre.
Nous confessons ici l’absolue incapacité où nous sommes, de concevoir l’état d’une âme qui se saurait mortelle et qui croirait néanmoins fermement en Dieu ; et Moïse, écrivant le commandement sublime d’aimer Dieu de tout son cœur, et ne croyant pas à une vie après la mort, nous paraît un bien autre miracle que tous ceux qu’il a faits. La foi à l’immortalité est une partie intégrante de notre être, nous pouvons aussi peu nous en séparer que de notre volonté ou de nos sens ; elle se retrouve jusque chez les peuples les plus sauvages ; il n’est pas un tombeau qui ne la proclame, car sans elle nous devrions jeter à la voirie les corps de nos femmes et de nos enfants avec ceux de nos bœufs et de nos chiens. L’immortalité n’a jamais été révélée aux Hébreux, parce que nul d’entre eux ne la mettait en doute, et si leurs législateurs ainsi que les prophètes ont cherché à diriger leur attention sur la venue du Messie plutôt que sur la vie future, c’est que l’homme pécheur est un naufragé qui va périr, à qui l’on ne parle du ciel que sur le rivage et après l’avoir sauvé d’une mort imminente ». (Explic. de l’Ecclésiaste, p. 22ss).
Olshausen pense au contraire que l’idée de l’immortalité manquait en effet, non point sans doute chez Moïse ni chez les hommes les plus spirituels et les plus développés de la nation, mais chez ceux qui formaient la masse du peuple, et que Moïse a dû ainsi rattacher toute ses idées de peines et de récompenses à la vie présente, qui seule apparaissait comme réelle à leurs intelligences encore charnelles et grossières.
L’un et l’autre de ces points de vue peut se justifier et se défendre ; mais il est évident aussi que si la notion de l’immortalité de l’âme n’est point enseignée explicitement dans les écrits de Moïse, elle s’y trouve d’une manière implicite et latente. Ainsi, lorsqu’il est dit (Genèse 5.24), qu’Énoch ne parut plus parce que Dieu le prit ; ainsi, l’expression « être recueilli vers ses peuples, ou vers ses pères » (Genèse 15.13 ; 25.8 ; 49.29-33 ; cf. 37.35 ; Nombres 20.24 ; Deutéronome 31.16 ; 32.50), (qui, d’après Gesénius lui-même, n’implique pas seulement l’idée de sépulture, mais encore celle de réunion) ; ainsi, le mot shéol (Genèse 37.35 ; 42.38 ; 44.29 ; Nombres 10.30), qui emporte l’idée d’un état quelconque des âmes après la mort, et suffirait à prouver que les Juifs du temps de Moïse avaient déjà la conscience ou la conviction que l’âme ne mourait point avec le corps, mais continuait de vivre d’une vie indépendante.
Ainsi le vœu de Balaam (Nombres 23.10), qui n’aurait guère de sens s’il n’avait connu que la mort physique ; ainsi les promesses d’avenir faites à la nation (Deutéronome 26.19 ; 28.1ss ; etc.), qui semblent supposer une vie s’étendant au-delà des limites d’une génération, et une âme capable de jouir après la dissolution du corps ; ainsi encore, la confiance avec laquelle Abraham offre son Isaac en sacrifice (Genèse 22), ayant estimé que Dieu le pouvait même ressusciter d’entre les morts (Hébreux 11.19). (Le chap. 11 de l’Épître aux Hébreux, qu’on ne cite ici que comme renseignement et non comme argument, renferme d’ailleurs, même sous ce dernier rapport, la preuve que, en dehors de la foi à l’immortalité, la plupart des actes des patriarches ne sauraient être compris, le sacrifice d’Abel, etc.). Enfin notre Seigneur lui-même, dans une de ses luttes avec les sadducéens, va chercher dans le Pentateuque un des arguments les plus puissants en faveur de la doctrine de l’immortalité de l’âme (Matthieu 22.31-32 ; cf. Exode 3.6).
« Quant à la résurrection des morts, dit-il, n’avez-vous pas lu ce que Dieu vous a déclaré en disant : Je suis le Dieu d’Abraham, et le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob. Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants ». Il est facile de voir que, dans ce passage, le nom de Dieu n’emporte pas seulement l’idée de Providence, dans le sens général du mot ; Dieu n’est pas appelé le Dieu d’Adam, ni le Dieu de Moïse, ni dans le Nouveau Testament, le Dieu de Pierre ou de Paul, comme aussi nous ne pourrions pas dire dans un sens spécial le Dieu de Luther et de Calvin ; il est à remarquer que, dans le Nouveau Testament, Dieu est appelé le Dieu (et père) de Jésus-Christ (Romains 15.6 ; Éphésiens 1.3), et que, dans l’Ancien, cette expression n’est employée qu’en parlant de Sem (Genèse 9.26).
Si Dieu est le Dieu de tous les hommes, comme leur Créateur et Providence, il ne l’est plus, dans un sens particulier, que de ceux qui lui appartiennent par le lien de la vie nouvelle, il eût pu être appelé Dieu de Noé, puisque Noé était le prédicateur de la justice, mais Noé représentait plus l’humanité tout entière, bonne et mauvaise, que la portion sainte de l’humanité, et Sem son fils, comme chef de la branche bénie, a seul pu voir son nom uni à celui de Dieu. Cette locution renferme donc l’idée de rapports plus intimes, et en se proclamant le Dieu d’Abraham et celui de sa postérité par Isaac et Jacob, le Dieu de l’Ancien Testament établissait une alliance entre lui et le chef de l’Israël selon la chair, alliance éternelle qui devait survivre à Abraham lui-même, et qui, en conservant son nom, même après sa mort, aux jours de Moïse, devait rappeler qu’Abraham n’était point tout entier descendu dans la tombe, car Dieu n’est pas le Dieu des morts.
C’est ainsi beaucoup plus l’idée de l’immortalité des rachetés, que celle de l’immortalité en général, qui est relevée dans ces passages ; mais cela suffisait à l’argumentation du Sauveur, qui voulait seulement établir vis-à-vis des sadducéens, que l’immortalité qu’ils niaient était déjà annoncée dans les livres de leur loi. Le peuple était frappé de sa doctrine, non que cette doctrine fût quelque chose de nouveau, mais parce que le sens que Jésus donnait à ce passage de Moïse, la présentait sous une forme nouvelle à laquelle la sèche scolastique des pharisiens n’avait pas habitué ses auditeurs.
En dehors du Pentateuque, il est facile de multiplier des citations de passages, qui établissent combien le dogme de l’éternité de l’âme était, sinon familier aux Hébreux, du moins inhérent à leur théologie et à leur morale. Déjà l’antique livre de Job, contemporain de Moïse, si même il n’est son ouvrage, renferme cette célèbre parole : « Je sais que mon rédempteur est vivant, et que, le dernier, il sera debout sur la terre ; et après ma peau, ceci sera détruit, et de ma chair je verrai Dieu, que je verrai, moi, pour moi-même ; et mes yeux le verront, et non un autre : – mes reins se consument dans mon sein » (Job 19.25-27).
Dans les Psaumes : « Toi, Éternel ! tu les garderas, tu les préserveras de cette génération, à toujours » (12.7) ; « Car tu n’abandonneras pas mon âme au shéol, tu ne permettras pas que ton saint voie la corruption » (16.10) ; « Moi, je verrai ta face en justice quand je serai réveillé, je serai rassasié de ton image » ; « Oui, la bonté et la gratuité me suivront tous les jours de ma vie, et mon habitation sera dans la maison de l’Éternel pour de longs jours » (23.6) ; « je te célébrerai à toujours » (30.12) ; « Mais Dieu rachètera mon âme de la puissance du shéol, car il me prendra » (49.15) ; « Tu me conduiras par ton conseil, et, après la gloire, tu me recevras. Qui ai-je dans les cieux ? Et je n’ai eu de plaisir sur la terre qu’en toi. Ma chair et mon cœur sont consumés ; Dieu est le rocher de mon cœur, et mon partage pour toujours » (73.24-26 ; 2 Samuel 12.23). L’histoire de la pythonisse et de l’ombre de Samuel (1 Samuel 28.11ss), montre que la croyance à l’immortalité était générale, même aux plus mauvais temps du règne de Saül, et l’ascension d’Élie au ciel (2 Rois 2.11ss), en fut plus tard une vivante démonstration.
Il importe de noter encore les passages suivants : « Crains Dieu, et garde ses commandements ; car c’est là le tout de l’homme, car Dieu amènera toute œuvre en jugement, avec tout ce qui est caché, soit bien, soit mal » (Ecclésiaste 12.1-14 ; voir v. 7). « Tes morts vivront, mes corps morts se relèveront… leur ver ne mourra pas, et leur feu ne s’éteindra pas » (Ésaïe 26.19 ; 66.24). Aussi toute la vision des os secs (Ézéchiel 37). « Plusieurs qui dorment dans la poussière de la terre se réveilleront, les uns pour la vie éternelle, et les autres pour l’opprobre, pour être un objet d’horreur éternelle » (Daniel 12.2). « Voici, je vous envoie Élie, le prophète, avant que vienne le grand et terrible jour de l’Éternel » (Malachie 4.5).
Ces passages suffisent à prouver que la foi à l’immortalité existait chez les anciens Hébreux ; mais ils ne parlent guère de leurs espérances, et la vie future ne se présentait chez eux que sous des couleurs plus ou moins lugubres. Le Shéol était une puissance béante qui ne disait jamais : C’est assez ! (Proverbes 30.16) ; une espèce de règne des ombres, douloureux, sombre et silencieux (Genèse 37.35 ; 42.38 ; 44.29 ; Nombres 16.30 ; Deutéronome 32.50 ; Job 3.13-14) ; ces versets, le repos dans la mort, sont d’une ironie sublime, qui rappelle l’ordre politique régnant dans l’écrasement des peuples vaincus (Job 10.21ss ; 30.23 ; Psaumes 6.5 ; 18.4ss ; Ésaïe 14.9ss ; etc.).
Ce n’est point là le point de vue de l’Évangile (Jean 11.28-26 ; Philémon 1.21ss) ; mais celte différence tient à la nature même des deux économies. Jésus, en effet, la véritable lumière, était annoncé aux Juifs ; mais il n’était pas encore venu briller dans les ténèbres, et éclairer les sombres profondeurs de la mort. Qu’il y ait eu, ou non, une victoire immédiate de Jésus sur le Shéol, sur le sépulcre ; que sa mort ait été, ou non, immédiatement suivie d’un changement, d’un bouleversement dans l’ordre des dispositions du Shéol ; qu’elle ait été un signal de délivrance pour les âmes des justes, et comme la réalisation des anciennes promesses non encore accomplies (et nous croyons qu’il en a été ainsi) ; que le lieu obscur ait tressailli, ou que toutes choses soient restées comme elles étaient auparavant, le point de vue a, dans tous les cas, dû changer pour ceux qui, vivants, ont pu connaître que la mort et le sépulcre avaient été vaincus, et cette connaissance aura exercé sur leur foi une toute autre influence que les simples pressentiments, à bien des égards obscurs, de ceux qui se bornaient à attendre.
Avant Christ, l’Israël selon la chair était sous tutelle et encore mineure, presque dans l’enfance, et par conséquent ignorante de bien des choses ; la mort ne pouvait pas lui paraître désirable, et le Saint-Esprit envoyé par Jésus a seul pu illuminer la dissolution du corps et l’émancipation de l’âme comme le seul moyen de réunir la créature à son Créateur, le pécheur à son Sauveur, et de préparer en même temps la restauration complète de l’homme tombé, mais régénéré. Pour les Israélites, l’âme seule continuait de vivre après la mort, et cet état, nécessairement incomplet, ne pouvait leur apparaître que comme une immortalité tronquée, et nous-mêmes ne saurions davantage comprendre cette existence incorporelle que comme un état de transition, relativement heureux peut-être, mais qui ne saurait être définitif.
Les sadducéens niaient la résurrection et l’immortalité. Les esséniens croyaient à l’immortalité sans résurrection. Les pharisiens admettaient l’une et l’autre. Calvin, après avoir combattu avec plus de rudesse que de force l’opinion de « messieurs les dormeurs », qui estiment que les âmes dorment en attendant le jour de la résurrection, conclut ainsi sur cette question spéciale : « L’esprit est l’image de Dieu, à la similitude duquel il a vigueur et intelligence, et est éternel ; et, tandis qu’il est en ce corps, il montre ses vertus, et, quand il sort de cette prison, il s’en va à Dieu, du sentiment duquel il jouit, cependant qu’il repose en l’espérance de la résurrection bienheureuse, et ce repos lui est un paradis. Mais, quant à l’esprit de l’homme réprouvé, cependant qu’il attend le terrible jugement sur soi, il est tourmenté de cette attente, laquelle l’apôtre, pour cette cause, appelle redoutable. S’enquérir plus outre, c’est se plonger dedans l’abîme des secrets de Dieu, vu que c’est assez d’apprendre ce que le Saint-Esprit, qui est un très bon maître, s’est contenté d’enseigner, lequel dit ainsi : « Écoutez-moi, et votre âme vivra ! »