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Ce dictionnaire a été mis sous presse en 1849, cela fait presque 170 ans. Son auteur, Jean-Augustin Bôst, était un enfant de Dieu, possédant une très grande connaissance biblique. Il déploie en effet une grande érudition dans chacun des articles qu’il a traités. Il faut, néanmoins, reconnaître que certains articles manifestent un manque de connaissance des révélations apportées par de récentes découvertes dans le cadre biblique ; que ce soit par de nouveaux parchemins, ou par des explications linguistiques. Malgré ce décalage dû à l’époque dans laquelle ce dictionnaire a été composé, celui-ci demeure d’une grande utilité et même parfois d’une grande actualité et valeur.
Ce grand travail a eu comme base d’étude la version MARTIN. Nous avons travaillé pour changer, autant que possible, tous les noms, pour les adapter à la version J.N. DARBY. Il est possible que quelques-uns d’entre ceux-ci aient échappé à cette correction. Nous demandons au lecteur attentif de bien vouloir les signaler à l’éditeur de ce logiciel. Nous rendons grâce à Dieu qui a pourvu au besoin des âmes, en donnant des serviteurs comme Jean-Augustin Bôst. Que le Seigneur de l’Assemblée bénisse ce bon travail de son serviteur, afin qu’il puisse être en bénédiction à beaucoup de lecteurs.
V.V. Toledano
Si le penchant à détruire est peut-être le caractère dominant de notre siècle, si la destructibilité est le caractère de toutes les puissances qui cherchent sur la terre un point d’appui ; s’il n’y a plus rien ici-bas qui soit aujourd’hui respecté, si tout est ébranlé, si les royaumes se dissolvent, si la propriété est menacée d’une transformation, si par quelques-uns la famille est niée au point de vue humanitaire ; si la tiare pontificale, vulgairement appelée religion, est elle-même compromise, si les États de l’Église sont menacés dans leur existence comme les églises de l’État, si les puissances les mieux établies semblent être à la merci du premier vent qui souffle, il reste encore une puissance que rien n’a jamais pu renverser, ni ébranler ; une puissance qui n’a pu être détruite ni par les révolutionnaires français du dix-huitième siècle, ni par les révolutionnaires romains du douzième et du seizième ; une puissance contre laquelle ont échoué les dragonnades de Louis XIV, et les flammes du clergé ; une puissance qui a résisté à la force plus délétère encore de l’oubli, de l’indifférence, de l’ignorance, du mépris ; une puissance que n’ont pu compromettre ni les moines oisifs des couvents, ni les moines furieux de l’inquisition, ni ceux qui élevaient leurs bâtards sur le trône des papes, ni ceux qui brûlaient Jean Huss ; une puissance qui s’est montrée plus forte que les supplices, plus forte aussi que la corruption ; une puissance enfin qui depuis dix-huit siècles toujours la même, toujours sereine et pure, préside à la chute de tous ses ennemis, offre à tous les malheureux d’ineffables consolations, et reste seule debout, seule forte, au milieu des débris nombreux qui jonchent la terre autour d’elle. Cette puissance, c’est :
Sa force, c’est de ne renfermer aucun alliage humain. Elle est esprit et vie. Insensible à toute action terrestre, elle grandit par ses revers comme par ses succès, à l’inverse de tous les pouvoirs matériels, ecclésiastiques ou civils, qui, souillés de terre, tombent par leurs succès non moins que par leurs revers.
Il semble que la société moderne commence à le comprendre ; elle se détache toujours plus, et surtout en religion, de ces autorités sans force morale qui pendant longtemps ont voulu s’imposer à elle. Assez longtemps on lui a dit : Occupez-vous du matériel, je m’occuperai du spirituel. Et maintenant ce matériel lui pèse ; elle s’en effraye ; elle veut, elle aussi, s’occuper du spirituel ; elle le cherche, mais où le trouvera-t-elle ? Dans l’énervante et fade lecture des romans et des livres d’imagination ? elle l’a essayé, et n’en veut plus. Dans les préoccupations politiques ? elle l’a essayé, elle a espéré, elle n’a trouvé que déceptions. Dans la religion ? mais laquelle ? À laquelle donnera-t-on ce nom ? Dieu a permis que celle que Voltaire appelait l’infâme, et que la main des hommes ne saurait détruire, se détruisît elle-même, qu’elle tombât de son propre poids, qu’elle arrachât elle-même le bandeau à ses prétendus sectateurs, et qu’elle leur dît : Je ne suis pas une puissance spirituelle, je ne suis qu’une puissance matérielle ; je ne succomberai point ; j’ai 300000 baïonnettes pour me soutenir. Il a fallu (Dieu l’a permis) qu’elle se montrât non point la colonne et l’appui de la vérité, mais la fille des armes et du mensonge. Depuis longtemps on le soupçonnait, on le sait aujourd’hui. Qui recueillera son héritage ?
Il n’y a plus que deux prétendants en présence, la Parole de Dieu, et l’incrédulité. Le grand nombre sans doute se rangeront dans les rangs de ce dernier, l’incrédulité, qui peut s’accommoder de toutes les formes religieuses, parce qu’elle a la conscience qu’elle les détruira toutes dès qu’elle le voudra. Le petit nombre se grouperont autour de la Parole de Dieu, et ils s’y grouperont tous, parce que l’idole que quelques-uns adoraient encore par habitude ou par préjugé, se décompose de jour en jour, et perd jusqu’à son prestige extérieur. Les âmes pieuses en communion avec Dieu sentent le besoin impérieux de s’unir entre elles et de se séparer du monde. L’unité factice, dont le pesant niveau a si longtemps écrasé les peuples et l’Église, ne suffit plus aujourd’hui, pas plus en religion qu’en politique ; le temps des fictions est passé, parce que l’âge de majorité est venu.
Une lutte sourde, un travail souterrain s’accomplit au sein de toutes les dénominations de la chrétienté ; le protestantisme n’est pas moins divisé que le catholicisme, quoique par sa nature plus spirituelle, il ait moins à souffrir à l’extérieur ; dans aucun pays protestant on n’aurait songé à faire venir de la troupe pour imposer un pasteur à ses paroissiens. Mais si, chez nous, la lutte est plus théologique, plus ecclésiastique, moins mondaine, elle n’en existe pas moins ; si le principe de la liberté, qui est la base de notre constitution, est lui-même notre sauvegarde contre les excès de la liberté, et ne nous protège pas contre l’incrédulité ; sous ce rapport même, parce qu’on n’a pas l’habitude de se repaître de chimères, de se payer de mots, les déchirements intérieurs sont plus visibles, plus sensibles, plus apparents, et l’on peut compter et classer nos divers rassemblements.
Mais ce travail de décomposition, ce travail qui se fait partout, n’est que le prélude nécessaire de la recomposition ; la déformation annonce non seulement une réformation, mais une transformation. L’énigme est posée, mais elle n’est pas encore résolue, le mot n’en est pas encore trouvé. Ce que l’on peut affirmer seulement, c’est que c’est autour de la Parole de Dieu que l’Église chrétienne se constituera, des fragments de tous ces corps qui auront été brisés entre les deux écueils de la superstition et de l’irréligion, du fanatisme et de l’incrédulité : la Parole de Dieu sera la seule autorité de l’Église nouvelle, parce que seule elle est infaillible et spirituelle, parce que son autorité a déjà subi toutes les épreuves sans ployer et sans rompre sous aucune.
C’est même une chose assez remarquable déjà, quoiqu’on ne puisse pas en conclure tout ce que les prémices feraient attendre, que la Bible se soit créé un public en dehors du monde religieux qui fait reposer sur elle ses espérances et sa foi. Les sciences profanes, la philosophie, la philologie, l’histoire naturelle, étudient cet antique document d’un vieux monde passé, et viennent tour à tour lui rendre hommage ; nos grands historiens cherchent dans la divinité la clef, le secret de l’histoire ; c’est dans la religion que les littérateurs vont puiser leurs plus belles inspirations ; les politiques, les économistes en appellent à la Bible, et les journalistes même, dans l’examen des questions sociales, empruntent à la législation hébraïque, aux discours de Jésus, aux enseignements des apôtres des arguments dont le point de départ, du moins, aurait bien étonné les encyclopédistes, et les désorienterait tout à fait s’ils n’avaient pas, pour se retrouver en chemin, le point commun d’arrivée et de but.
La Bible a rompu les digues que les hommes avaient élevées pour la contenir, elle est entrée dans le domaine public, le principe de la réforme a triomphé comme triomphe toujours tout principe véritable ; il reste maintenant à le développer, à l’appliquer. C’est le moment de la crise. Tous les partis ont fait cette expérience qu’il est plus aisé de remporter une victoire que d’en profiter, et que l’organisation définitive est bien rarement accomplie par les mêmes mains qui ont fait la conquête.
Quels que soient les hommes nouveaux de cette œuvre nouvelle, et quels que soient leurs devoirs, ce n’est que dans la Bible qu’ils pourront trouver et leur raison d’être et leurs moyens d’action. Ils ne seront pas appelés à créer ou à inventer ; leur but peut être immense, mais leur tâche continuera d’être modeste ; ils auront à comprendre la théologie, à l’appliquer, mais ils ne pourront pas en faire une nouvelle. Ils devront autant se garder de faire quelque chose de moderne, que d’évoquer les traditions de l’ancienne scolastique.
La simple, mais consciencieuse et savante, étude de la Bible doit toujours plus devenir à cet égard le grand juge des controverses, la règle de la foi, le mobile de la vie ; et cette étude n’est autre que la théologie. Qu’il y ait encore bien des choses à comprendre, et même à apprendre, c’est ce qui est évident pour tous ceux qui n’auront pas un parti pris d’avance de ne rien apprendre, et de ne rien oublier. L’étude des prophéties et plusieurs points de la dogmatique renferment des obscurités qui ne doivent point être éternelles, et l’on ne saurait avoir tout dit, quand on a dit : C’est un mystère.
Dans la pratique le degré du renoncement à soi-même, le degré de l’amour que l’on doit avoir pour son prochain (degré est un triste mot pour des choses qu’on aime à se représenter comme devant être sans limites), les rapports des hommes les uns avec les autres, des riches avec les pauvres, les droits et les devoirs d’un État chrétien, le point où la désobéissance à l’État devient un devoir pour le chrétien (dans la question du service militaire par exemple), les divertissements légitimes, etc., sont autant de sujets sur lesquels il faut réfléchir encore, autant de points sur lesquels la théologie prononcera plus sûrement encore quand elle sera débarrassée des préoccupations personnelles, des langes du passé, et de l’ignorance accidentelle ou systématique de ceux que l’on pourrait quelquefois croire ses représentants.
La théologie ! ce mot ne sera guère bien vu de tout le monde. On l’a condamné pour l’abus qu’on en a fait. Aux uns il rappelle la scolastique du Moyen Âge ; pour les autres il est le synonyme d’idéologie ; c’est pour plusieurs une vaine théorie, une science faussement ainsi nommée, la foi sans les œuvres, ou une pédantesque érudition. C’est une chose assez ordinaire de faire porter aux systèmes la peine des fautes de leurs partisans ; le christianisme a été attaqué souvent à cause de la conduite des chrétiens ; la théologie, au même titre, a dû pâtir des fautes des théologiens ; mais l’imputation n’est pas plus juste dans un cas que dans l’autre. La théologie ne diffère pas plus du christianisme que la foi ne diffère des œuvres ; la théologie c’est le christianisme acquérant la conscience de lui-même ; la théologie c’est l’étude des saintes lettres, la contemplation de Dieu en Jésus-Christ.
Sans doute on pourra dire encore qu’en définitive la théologie n’est que de la théorie ; mais ce que l’on ne dira pas, c’est le mal qu’un semblable indifférentisme a fait à l’Église. Ce dédain pour la science théologique est tout aussi légitime que le serait le mépris du voyageur pour celui dont les rêves ont imaginé l’application de la vapeur à la mécanique. On peut se passer de la science théologique comme on peut se passer des élucubrations astronomiques de tous ceux qui ont tracé et calculé la marche des astres ; ils ont travaillé dans le ciel, et les praticiens sont sur la terre.
Comme science, la théologie n’est sans doute pas le christianisme, mais elle en est à la fois l’avant-garde, et la sauvegarde. La théologie a souvent fait fausse route, mais qui nous dira combien de fois l’ignorance s’est jetée dans les travers du mysticisme ou de l’incrédulité ? Qui nous dira les écueils contre lesquels sont venues se heurter des âmes simples et sérieuses naviguant sans la connaissance des eaux ? Qui nous dira combien de fois, en marchant sur cette terre inconnue, à tâtons au milieu de précipices dont rien n’indiquait la présence, des âmes pieuses et des églises entières ont versé pour ne se relever qu’avec peine, ou ne point se relever, et compromirent ainsi une cause qu’elles voulaient servir avec zèle, mais sans connaissance ?
Qui nous dira jusqu’à quel point cette ignorance n’a pas, de nos jours encore, fatalement influé sur la durée, la profondeur et la réalité du réveil religieux, dont on avait pu concevoir tant et de si belles espérances ! Pourquoi si peu de fruits après tant de fleurs ? Ah ! sans doute, lorsque la foi est ce qu’elle doit être, vive, enfantine et pure, elle peut suppléer à la connaissance, parce qu’elle est elle-même la démonstration des choses qu’on ne voit pas. Mais elle ne le peut qu’à la condition d’être entière et sans tache ni défaut. Elle ne le peut aussi que parce qu’il est dans sa nature même de ne point rester incomplète, mais de s’agréger la connaissance, de s’approprier la science, de croître en s’assimilant tous les éléments de la révélation. Elle ne veut perdre aucune des paroles qui lui ont été données comme « propres à enseigner, à instruire, à convaincre, pour que l’homme de Dieu soit accompli, et parfaitement instruit pour toute bonne œuvre ». Elle ne se contente pas de connaître en partie, elle aspire à connaître parfaitement.
Du jour où l’ignorance cesse de lui peser, c’est que l’indifférence a commencé ; c’est que la foi languit ; alors cette plénitude de vie et de force qui la soutenait au milieu des difficultés de la route l’abandonne ; alors aussi cette connaissance qui était pour elle un besoin intérieur, devient pour elle, bon gré mal gré, un besoin extérieur. La force qui lui manque au-dedans, il faut qu’elle la retrouve au dehors ; après comme avant, à la foi il faut ajouter la science. C’est une nécessité pour l’individu comme pour l’Église.
Il suffirait d’ailleurs pour s’en convaincre de consulter l’état de nos paroisses, ou de lire quelques-uns de ces pâles sermons, maigres, éthiques, sans substance, dont on les repaît si habituellement en tant de lieux. De la morale, de la dogmatique, délayée en trois points filandreux, de bons vœux, sans doute, parfois des descriptions pathétiques, de touchants tableaux, mais le retour invincible aux lieux communs, au cadre tout fait, au moule convenu, enfin l’horreur des questions élevées et précises, scientifiques et complètes ; voilà ce qui leur a valu depuis un certain nombre d’années cette réputation de somnolence dont ils auront de la peine à se débarrasser.
Et pour peu que cela continue quelque temps encore, nous n’aurons bientôt plus grand-chose à envier sous ce rapport aux prônes des curés de village ; nous aurons même le pittoresque de moins. Les paroisses de leur côté, ou plutôt les paroissiens, ne cessant d’entendre les mêmes choses sous toutes les formes, et ne distinguant plus les sermons que par les textes, ne tardent pas à s’imaginer qu’ils en savent aussi long que leurs conducteurs, et partant ils cessent d’étudier l’Écriture ; bientôt ils cessent même de la lire ; ils ne fréquentent plus le culte, ou s’ils le fréquentent encore, ce n’est que par accident.
On a des anciens qui ne connaissent plus, même les éléments de la vérité religieuse, et des catéchumènes dont l’unique préoccupation, puisqu’ils en savent autant que leurs pères, est d’avoir vite expédié la formalité de l’instruction religieuse. Il en est sans doute autrement dans les grands centres, où, sur le nombre, il s’est conservé un noyau vivant de ces chrétiens de la vieille roche qui veulent encore que la Bible soit étudiée comme elle doit l’être, sérieusement et à fond ; et ce qui prouve le mieux en faveur de l’idée sur laquelle nous croyons devoir insister, c’est ce double fait que, partout, ceux qui ont la foi cherchent à la nourrir et à la fortifier par l’étude de l’Écriture, partout aussi, ceux qui n’ont pas la foi négligent jusqu’à la simple lecture de la Parole de Dieu.
Et qu’on ne dise pas que cette étude suffise à elle seule et sans aucune espèce de secours. L’Écriture a beau être simple et claire comme le jour, pour tout ce qui concerne les points essentiels de la morale et de la foi, elle n’en renferme pas moins des difficultés de fait, matérielles, résultant pour nous des temps et des lieux où elle a été écrite. On dira sans doute, pour pouvoir continuer de dormir, que les détails importent peu lorsqu’on est sûr de l’ensemble, et que, pourvu que les points fondamentaux soient solidement acquis, et clairs à entendre, on peut se passer de l’intelligence de tout ce qui n’est que matériel, lettre, et non esprit.
Avec ce faux spiritualisme, invoqué déjà par les doctes, avec cette spirituelle paresse, avec ce dédain pour les faits et pour les détails, on ira, et l’on a été déjà plus loin qu’on ne voulait. Le Verbe éternel du Père a été mis dans un corps humain. La Parole divine a été incarnée dans un livre : ceux qui le brûlent ne brûlent que la matière, du papier. On reconnaît la divinité du Saint-Esprit, mais on nie sa personnalité ; on garde l’esprit, on ne repousse que la forme ; on n’a plus qu’un pas à faire pour prétendre, conserver l’esprit du christianisme et rejeter le Christ historique, le mythe, la forme, la matière.
Mais, comme en général on est trop faible, trop inconséquent pour pousser jusqu’au bout les principes, on taxera d’exagération ces déductions, car la pratique habituelle ne les justifie pas. Eh bien ! l’on aura autre chose. Vous aurez un bon frère du Béarn qui lira, dans une assemblée chrétienne, la parole de Jacques : « L’homme est justifié par les œuvres et non par la foi seulement », et qui, pour tout commentaire de la doctrine de l’apôtre, vous dira simplement « qu’il y a là sans doute une faute d’impression ». Vous aurez tel autre bon frère de la Suisse française, qui fera un commentaire de dix minutes sur la chrétienne naïveté de Paul qui nous dit : « Il vaut mieux se marier que de se brûler ». Vous aurez surtout cette foule de petits docteurs qui ont le bonheur de ne douter de rien, qui, non seulement, ne diront pas avec Socrate : Je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien ; mais qui ne diront pas même avec Paul : Je ne veux savoir autre chose que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié.
Docteurs irréfragables, mais non pas angéliques, ils savent tout, affirment tout, et n’admettent pas même qu’on puisse avoir un autre sentiment que le leur. Si vous leur faites quelque objection, ils vous citeront, avec plus de mémoire et de piété que d’intelligence et de sens, une foule de passages qu’ils comprendront peu, mais dont ils refuseront de discuter la signification réelle ; genre de controverse facile, et dont on trouve des exemples ailleurs que chez ceux qui sont simples de langage, de fortune, de titres ou de position.
Et si c’est à l’orthodoxie qu’on peut surtout adresser ce reproche, c’est que, seule aussi, elle risque de tomber dans cet excès ; l’indifférence religieuse a tout l’aplomb de la sagesse et les plus parfaits dehors de la langueur et du marasme. Les uns ont un zèle sans connaissance, on le leur reproche souvent ; les autres n’ont ni zèle ni connaissance, et c’est ainsi qu’ils se maintiennent en équilibre. Les premiers lisent la Bible, mais ils ne l’étudient pas ; les autres ne lisent rien, ou bien ils lisent des romans ou des journaux. Il serait instructif, sous ce rapport, de comparer le nombre des protestants de langue française, avec l’écoulement moyen des publications qui leur sont adressées, en ne prenant même que les publications hors ligne par le talent, et qui s’adressent à toutes les intelligences, à toutes les consciences, à toutes les convictions.
Quoi qu’il en soit, on lit peu ; on ne se nourrit pas, il semble que chacun tienne à ne se plus nourrir que de sa propre substance, et l’on aura beau dire, ce ne sera jamais une nourriture fort substantielle ; les individus languissent, et l’Église ! l’Église elle-même, elle a fait ses preuves, et le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle languit aussi, c’est qu’elle est affaiblie, c’est que ces temps généreux et forts des Dubosc, des Jurieu, des Basnage, des Dumoulin, des Drelincourt, des Duplessis-Mornay, sont passés et n’ont laissé aux siècles qui devaient suivre qu’un souvenir toujours vénéré, mais qu’on n’a ni le courage, ni parfois même le désir d’imiter.
Nous possédons d’excellents ouvrages de controverse, de dogmatique, d’histoire, d’excellents recueils de sermons ; notre littérature religieuse a des richesses de circonstance ; elle possède aussi quelques travaux d’un intérêt général, mais il y en a peu dans le nombre qu’aient directement pour objet l’étude et l’explication de l’Écriture sainte.
Cette lacune, j’ai essayé de la combler, du moins en partie. L’empressement avec lequel l’annonce de cette publication a été reçue presque généralement, prouve qu’un travail de ce genre était désiré, et que le Dictionnaire de la Bible répond à un besoin réel et senti. L’ouvrage est maintenant entre les mains du public ; je n’ai plus à en expliquer la nature, et chacun pourra voir si j’ai réalisé les promesses de mon prospectus. « Le Dictionnaire, disais-je, traite de tout ce qui est matériellement et naturellement obscur dans la Bible, des mœurs, des lieux, des hommes, des noms de plantes, d’animaux, de minéraux, etc. J’explique par un mot la signification des noms hébreux conservés dans les traductions, je rapporte les étymologies, les divisions, les opinions diverses ; j’ai cherché à donner des définitions claires et précises, et à éviter tout ensemble les répétitions inutiles et la confusion qui résulterait d’une trop grande concision.
J’ai conservé la chronologie d’Ussérius. J’ai cherché à mettre à profit la plupart des ouvrages de notre littérature religieuse, et comme mon travail a pour but l’instruction plus que l’édification proprement dite, ou plutôt, comme il se propose l’édification de l’Église par son développement intellectuel, je suis sobre de réflexions, mais je cite habituellement les ouvrages, dissertations, sermons, commentaires, etc., qui peuvent suppléer à ce que je suis forcé d’omettre ou d’abréger. Je n’ai pas consacré d’articles spéciaux aux noms de villes ou d’hommes qui ne se rencontrent que dans les listes généalogiques ou dans les tables géographiques, sans aucun détail qui les caractérise, parce qu’il n’y avait rien à en dire.
Sans doute ce travail, présentera des imperfections ; je suis bien loin de me le dissimuler, mais je ne veux pas anticiper sur la critique, et surtout je ne veux pas me critiquer moi-même. Assez d’autres se chargeront de ce soin ; et je ne doute pas qu’ils ne soient plus indulgents que je ne pourrais l’être et que je ne le suis réellement. Ils trouveront peut-être aussi que malgré ses imperfections, ce livre occupera une place utile dans toutes les maisons chrétiennes, et qu’il est de nature à rendre de vrais services aux familles et aux églises.
Quoique j’aie évité les articles de dogmatique proprement dits, on s’apercevra aisément, et je ne m’en suis point caché, que mes convictions sont celles qu’on connaît généralement sous le nom d’orthodoxes, ou évangéliques. J’en bénis Dieu. Mais je ne le bénirais pas si, sous un rapport quelconque, j’étais un homme de parti ; c’est là une première réserve. Je n’aime pas les partis, et je n’ai jamais su m’affilier à aucun ; ils sont presque toujours faux, et les partisans risquent d’aliéner, entre les mains de leurs chefs, leurs doctrines, leur responsabilité, et leur spontanéité.
Les partis creusent la tombe de l’Église, parce que l’Église ne vit que d’amour, les partis que de haine. Je suis orthodoxe, mais je ne le suis que sous bénéfice d’inventaire ; c’est ma seconde réserve ; on la trouvera très simple, parce qu’elle ressort de l’idée même du protestantisme, mais aujourd’hui ce qui est simple et logique n’est guère à l’ordre du jour. Toutes les fois donc que, dans les 1200 pages de ce livre, je suivrai la route (d’autres diraient la routine) orthodoxe, je le ferai non point par devoir, ou comme un parti pris d’avance, mais par conviction personnelle et réfléchie, qu’il s’agisse d’une question d’authenticité, d’un miracle, ou d’une interprétation. Enfin, et c’est ma troisième réserve, si pour moi l’orthodoxie est essentielle à la vie, elle n’est cependant point la vie. C’est sur ce point surtout que J’abonde dans le sens de cette vieille et vraie brochure de mon père : Christianisme et Théologie, dont l’apparition a fait tant de bruit et suscité tant de clameurs.
J’ai eu le temps de contracter bien des obligations depuis que j’ai mis la main à l’œuvre, et je saisis avec joie l’occasion de remercier ici collectivement les nombreux amis, connus et inconnus, qui m’ont aidé, les uns de leur collaboration, les autres par l’appui chaleureux et sympathique de lettres affectueuses auxquelles je n’ai pu répondre toujours, mais que je conserve comme un des plus doux souvenirs qui me restent de mon travail. Je dois en particulier des remerciements à mon collègue et ami M. le pasteur Bastie, qui a bien voulu se charger de revoir la plus grande partie de mon manuscrit ; à M. Marc Ducloux dont le désintéressement a assuré la publication de cet ouvrage, et dont l’intelligente activité a su tenir plus encore qu’il n’avait promis ; à M. Juste Olivier, enfin, l’ancien professeur de l’académie de Lausanne, le poète populaire qui, lorsqu’il chantait :
Il est doux, il est doux d’avoir une patrie,
Des montagnes, des bois, un lac, un fleuve à soi,
Vignes, vergers, champs d’or, fraîche et verte prairie,
Un cimetière en fleur, un autel pour sa foi !
Ô qu’il est donc amer d’errer à l’aventure,
Privé de tous ces biens !....
Ne se doutait pas et ne pouvait guère se douter, qu’un jour ces paroles de l’exilé seraient les siennes, et qu’il ne pourrait plus chanter que de loin cette belle patrie où Dieu l’avait fait naître, et où ses compatriotes s’étaient habitués à voir en lui le chantre et l’historien naturel de leur nationalité.
Les circonstances, en le portant ailleurs, m’ont favorisé d’une collaboration qui m’a été d’autant plus précieuse qu’elle avait pour objet un travail minutieux et pénible, la surveillance et la vérification de détails que l’auteur est, moins que personne, à même de faire d’une manière convenable, et qui n’en exige pas moins tous les efforts d’une intelligence attentive et clairvoyante. M. Olivier a ainsi contrôlé, la Bible sous les yeux, toute cette multitude de chiffres qui y renvoient, afin de s’assurer que sur ce point capital, où, avec mon système de notation abrégée, le moindre faux trait de lettre ou de plume pouvait entraîner aisément et bientôt multiplier de graves erreurs, les épreuves n’en laisseraient pas subsister. Le lecteur peut donc avoir à cet égard une sécurité qui, surtout dans les ouvrages du genre du mien, est une chose assez rare en typographie, pour qu’il soit juste de la mentionner ici. Deux ou trois passages, sur lesquels il y avait eu un malentendu, ont été rétablis dans le supplément.
Je m’arrête. Cependant encore un mot, un mot pour moi plus que pour le lecteur. Après dix années d’un travail pénible que n’encourageait pas même la perspective d’un heureux dénouement, il m’est permis d’être ému lorsque je vois enfin tous les obstacles aplanis, et cette entreprise, peu considérable pour d’autres, mais très importante pour moi, bien grande en comparaison de mes faibles forces, se réaliser au gré de mes désirs et au-delà de tout ce que j’eusse pu espérer. Pour la première fois depuis dix ans, je puis respirer à pleins poumons l’air pur de la campagne, et voir une amie dans cette reine des nuits qui s’incline à l’horizon, saluer avec joie ces premiers feux du jour qui tant de fois m’ont surpris dans un travail angoissé, qui me trouvent aujourd’hui traçant ces dernières lignes, le cœur plein de joie et de reconnaissance pour ce Dieu fidèle et bon qui seul m’a soutenu et conduit. J’ai fait une fois de plus la douce expérience de sa fidélité ; j’ai compris une fois de plus qu’il vaut mieux se reposer sur l’Éternel que sur les principaux d’entre les hommes. C’est pour Lui que j’ai travaillé ; c’est entre ses mains aussi que je remets avec confiance l’avenir de ce travail, le suppliant de le bénir pour l’Église comme il l’a béni pour moi-même.
Templeux-le-Guérard, le 3 juillet 1849, au matin.
J.-Aug. Bôst