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Genèse 2.4 Nous croyons devoir rattacher au morceau précédent le verset 4 , comme sommaire de tout le récit de la création. Beaucoup d’interprètes en agissent autrement.
Les uns y voient le titre du morceau suivant : Voici ce qui arriva des cieux et de la terre une fois qu’ils eurent été créés, au jour où l’Éternel Dieu eut fait la terre et les cieux.
Cette traduction se heurte d’abord au mot les cieux , car dans ce qui suit, il n’est plus question que de la terre ; il serait bien peu naturel d’expliquer ce mot : les cieux, par l’intervention de Satan au chapitre 3, ou par celle des fils de Dieu au chapitre 6 ; de plus, on est obligé de donner aux deux verbes le sens de parfaits antérieurs : eurent été créés, eut fait, ce qui ne peut se justifier grammaticalement.
Une autre construction consiste à séparer les deux phrases de ce verset en ponctuant après qu’il les eut créés , et en rapportant la seconde proposition à ce qui suit : Au jour où l’Éternel Dieu fit une terre et des cieux, toutes les plantes des champs n’étaient pas encore , ce qui exprimerait solennellement une chose qui s’entend d’elle-même, à moins que l’on ne suppose, avec quelques anciens interprètes juifs, qu’il y avait bien quelques plantes, mais non pas toutes, sens qui renferme une absurdité, puisque évidemment avant que Dieu créât il n’existait aucune plante.
Ou bien on pourrait dans cette construction faire aller la proposition subordonnée jusqu’au verset 7 , où se trouverait la principale dans ces mots : l’Éternel forma : Au jour où l’Éternel Dieu fit une terre et des cieux et où … car l’Éternel Dieu n’avait pas fait pleuvoir…, toute la face du sol … l’Éternel Dieu forma … Mais il est impossible d’admettre dans un récit dont le style est constamment clair et simple, une construction aussi compliquée.
Un interprète moderne a supposé que cette première proposition était primitivement en tête du chapitre 1 ; ce serait le rédacteur définitif du Pentateuque qui aurait transposé cette formule du commencement du récit à la fin. C’est là une hypothèse arbitraire.
Nous pensons plutôt que l’auteur n’a pas voulu ôter à cette entrée sublime : Au commencement Dieu créa , son caractère unique en y mettant un titre comme au commencement des autres récits et qu’il a préféré le placer comme sommaire à la fin du récit.
Ce qui est procédé , Le mot tholedot littéralement : ce qui est engendré s’applique ici a tous les êtres qui furent tirés, par le travail des six jours, de la matière des cieux et de la terre primitivement créée.
Les mots suivants : au jour où l’Éternel fit une terre et des cieux , résument tout le tableau de la semaine créatrice on affirmant encore une fois, en opposition à toutes les fictions polythéistes, ce fait capital que rien de ce qui existe n’existe en dehors de la volonté et de la puissance divines.
L’Éternel Dieu . Sur le mot Dieu (Elohim ) voir à Genèse 1.1, note . L’Éternel , en hébreu Jéhova ou plus exactement Jahvé . Ce mot appartient au verbe hava , ancienne forme de haja , être ; c’est proprement la troisième personne du temps imparfait, qui correspond d’ordinaire en hébreu à notre futur.
Dieu donne lui-même le sens de ce nom quand il s’appelle (Exode 3.14 ) Ehejé , Je serai , par où il indique qu’il a et aura l’être pour essence. Il se désigne ainsi comme le moi identique avec l’être, c’est-à-dire comme la personnalité absolue.
C’est comme tel qu’il est en rapport particulier avec l’homme, le seul être terrestre qui partage avec lui le caractère de la personnalité, qu’il dirige son développement, et qu’il devient dans l’histoire le Dieu du peuple qui sera son agent pour la réalisation de son règne.
Le nom composé l’Éternel Dieu ne se retrouve qu’une fois dans le Pentateuque (Exode 9.30 ) en dehors des chapitres 2 et 1 de la Genèse, et assez rarement dans les autres livres de l’Ancien Testament. Il est destiné à faire ressortir l’identité personnelle du Dieu de la nature, qui vient d’agir comme créateur du monde, et du Dieu qui va se manifester désormais comme dirigeant les destinées de l’humanité et spécialement celles du peuple d’Israël.
Il importait à Israël de savoir que Jéhova, son Dieu national, n’était pas seulement l’une d’entre les divinités adorées sur la terre, mais le Dieu unique, créateur et maître de l’univers (Elohim).
Ce n’était qu’à cette condition qu’il pouvait lui vouer une foi absolue et compter sur lui dans toutes ses luttes avec les hommes et avec les choses. C’est dans le même sens que dans le Nouveau Testament Jésus, le chef de l’Église, est présenté en même temps à celle-ci comme le souverain universel : Chef de l’Église qui est son corps, sur toutes choses (Éphésiens 1.22 ).
Il est manifeste que, par cette union entre les deux noms de Dieu, Elohim et Jéhova, comme en un seul nom, le rédacteur a voulu faire la transition entre le récit qui précède et celui qui suit ; et si, comme cela nous parait vraisemblable. le récit suivant est tiré d’un nouveau document dans lequel Dieu était habituellement. désigné sous le nom de Jéhova, nous comprenons aisément ce qui a porté le rédacteur à joindre dans ce passage, qui est comme le trait d’union entre ses deux sources, ces deux noms de Dieu, de manière à faire bien ressortir qu’il ne s’agit que d’un seul et même être divin.
Une terre et des cieux . Cette forme sert à fermer le récit ouvert par Genèse 1.1 : Au commencement Dieu créa les cieux et la terre .
Conclusion sur le début de Genèse (de 1.1 à 2.4) Nous commencerons par étudier rapidement les récits des autres peuples anciens qui se rapportent au même sujet que le premier chapitre de la Genèse. Nous rechercherons ensuite quelle a pu être l’origine de ce dernier récit.
D’après le livre des lois de Manou , l’un des monuments les plus anciens de la littérature hindoue , le point de départ de toutes choses est une obscurité sans commencement. Tout à coup l’esprit infini et éternel s’éveille et pénètre cette nuit de ses rayons. Il produit les eaux, dans lesquelles il dépose un germe ; ce germe devient un œuf resplendissant dans lequel naît le dieu Brahma, le premier des êtres. Il y demeure enfermé trois trillions d’années, puis par la puissance de sa pensée, il fend l’œuf en deux moitiés, le ciel et la terre, entre lesquels apparaissent l’atmosphère, les huit sphères célestes et l’intarissable réservoir des eaux. Dès ce moment, il crée incessamment tous les êtres particuliers, dieux, génies, vertus, vices, pêle-mêle avec tous les êtres et objets terrestres.
Dans cette conception, la matière est éternelle aussi bien que l’esprit, et Dieu naît de cette matière avant de tirer de soi tous les êtres.
Les Persans , d’après une tradition conservée dans le Bundehesch l’une des parties les plus modernes de leur livre sacré, ne croyaient pas à l’existence d’un chaos primitif. La terre, créée par le dieu bon, Ahura-Mazda, fait d’abord partie du ciel, puis elle tombe dans l’espace. Le dieu bon crée en six périodes le ciel (terrestre), l’eau, la terre, les arbres, le bétail et les hommes. Ces six époques correspondent non aux jours de la semaine, mais aux six saisons de l’année persane. Après chacune de ces œuvres, le dieu bon et ses anges, les Amschaspands, célèbrent un temps de fête et de repos, origine des six fêtes annuelles des Persans. À cette œuvre du dieu bon est mêlée l’œuvre du dieu mauvais. Toute la vie de l’univers doit durer douze mille ans, et chacun de ces milliers est sous la domination d’un des douze signes du zodiaque.
On est frappé du rapport entre les six périodes créatrices suivies chacune d’un jour de repos et les six jours de la Genèse aboutissant à un jour de repos final. Mais ce récit diffère de celui de la Bible en ce qu’il oppose l’un à l’autre deux dieux dont les œuvres se contrarient. Cette conception est probablement influencée d’un côté par l’astrologie babylonienne et de l’autre par la tradition sabbatique juive.
La conception grecque nous est présentée sous sa forme la plus ancienne par Hésiode (environ 900 ans avant J. C).. Le premier des êtres est le Chaos, qui produit la Terre, le Tartare (les profondeurs de la terre) et l’Amour, puis les deux êtres appelés Erèbe et Nuit. Ces deux derniers enfantent à leur tour l’Ether et le Jour. La Terre produit d’elle-même Uranus, le ciel étoilé, demeure des dieux, puis les montagnes et la mer. Fécondée par Uranus, elle enfante le fleuve Océan qui entoure la terre et qui est la source de tous les autres fleuves, et les Titans, dont sont procédés Jupiter, les dieux de l’Olympe et les hommes.
Ce récit expose l’origine des dieux en même temps que celle du monde. Nous voyons naître d’abord les forces naturelles divinisées, puis de ces dieux primitifs naissent à leur tour les dieux de l’Olympe adorés par la Grèce. La terre et les hommes ne jouent qu’un rôle secondaire.
Chez les Etrusques , d’après un rapport de Suidas, on pensait que Dieu avait créé le monde en six périodes de mille ans chacune : dans la première, le ciel et la terre ; dans la seconde, le firmament ; dans la troisième, la mer et toutes les eaux de la terre ; dans la quatrième, le soleil, la lune et les étoiles ; dans la cinquième : les animaux de l’air, de l’eau et de la terre ; dans la sixième, les hommes. Les six mille ans que le monde doit subsister encore sont consacrés au développement de la race humaine.
On remarque ici des analogies frappantes avec le premier chapitre de la Genèse ; mais Suidas, qui vivait au dixième siècle après Jésus-Christ, a pu facilement modifier les anciennes traditions étrusques sous une influence juive ou chrétienne.
Des conceptions des peuples aryens , passons à celles des peuples chamitiques .
Les Égyptiens croyaient à l’existence d’une matière éternelle, les eaux primitives, comme principe universel. Le dieu Atum existait seul à côté de ce principe chaotique ; il créa le firmament, réservoir des eaux célestes. Des eaux inférieures sortit un œuf, d’où procéda sous la forme d’un petit enfant le dieu Ra (dieu du soleil). Celui-ci amena dans le monde la lumière et la vie ; c’est de lui que furent formés tous les autres dieux, puis par sa chaleur il fit naître de la terre les animaux de l’air, de la terre et de l’eau.
Nous retrouvons ici, comme chez les Hindous, l’existence éternelle de la matière à côté de l’esprit et l’explication de la naissance des dieux en même temps que de celle du monde. Seulement on est frappé de voir la matière dont ont été formés les astres désignée par le nom d’eaux célestes.
Les traditions des Phéniciens sur le sujet qui nous occupe se sont fixées sous des formes diverses ; l’une des plus anciennes est celle qui nous a été conservée par leur écrivain Sanchoniaton qui, selon toute probabilité, vivait vers le dixième siècle avant Jésus-Christ. D’après cette tradition, les Phéniciens se représentaient deux principes premiers, éternels et illimités, l’esprit ou le souffle et le sombre chaos (Bahou , le Bohou des Hébreux). De leur union naquit la matière animée, une boue renfermant les semences de toutes choses. Celle-ci prit la forme d’un œuf qui se fendit de manière à former le ciel et la terre. Dans le ciel d’abord, la matière première engendra le soleil, la lune, les étoiles et les constellations, qui devinrent bientôt des êtres conscients et prirent le nom de gardiens du ciel. À la suite l’air mis en mouvement et la terre réchauffée par l’action du soleil donnèrent naissance aux vents, aux nuages, aux pluies abondantes d’eaux célestes, au tonnerre et aux éclairs. Les éclats du tonnerre réveillèrent les êtres animés mâles et femelles dont les germes se trouvaient dans le sol et dans la mer.
À côté d’une tendance dualiste et émanatiste bien caractérisée, on reconnaît dans cette conception quelques traits qui rappellent le tableau de la Genèse.
Mais de toutes ces conceptions des peuples anciens, c’est celle des Chaldéens qui a le plus de titres à notre attention ; car les Chaldéens, comme les Israélites, appartenaient à la race sémitique , et c’est même de leur sein qu’est sorti le père de la famille élue. Nous en avons une première recension bien imparfaite dans quelques fragments de Bérose, historien chaldéen de la fin du quatrième siècle avant Jésus-Christ. D’après lui, l’univers était primitivement une masse liquide et ténébreuse, habitée par des êtres monstrueux sur lesquels dominait une femme, Homorka, en chaldéen Thalatt, la Thalassa (mer) des Grecs. À un moment donné, Bel, le dieu suprême, intervint et coupa la femme en deux parties, dont il forma le ciel et la terre, tandis que les monstres primitifs disparaissaient devant la lumière, qu’ils ne pouvaient supporter. Il fit ensuite le soleil, la lune et les cinq planètes, puis voyant le sol inhabité et cependant fertile, il se fit couper la tète par les dieux inférieurs qui, de son sang mêlé à la terre, formèrent les hommes et les animaux capables de supporter la lumière.
Pendant longtemps on n’a connu la tradition chaldéenne que sous cette forme, mais des découvertes récentes ont jeté un jour tout nouveau sur ce sujet. Il y a quelques années, on a retrouvé dans les ruines de Ninive toute une bibliothèque ayant appartenu au roi Assurbanipal, le Sardanapale des Grecs (670 environ avant Jésus-Christ). Parmi ces dix mille briques couvertes d’inscriptions cunéiformes se trouvaient quelques tablettes racontant la création ; or ces tablettes ne sont que la copie d’une rédaction plus ancienne faite à Babylone et que les savants croient pouvoir faire remonter à une époque contemporaine d’Abraham. Trois seulement d’entre elles sont assez bien conservées pour qu’on puisse en comprendre le sens : ce sont la première, la cinquième et probablement la septième. Voici les passages essentiels des morceaux qui ont pu être déchiffrés.
Première tablette :
Au temps où en-haut le ciel n’annonçait pas encore et où en-bas la terre ne nommait pas encore un nom, car l’abîme sans limites fut leur premier générateur et la mer agitée celle qui enfanta leur ensemble, alors leurs eaux s’embrassèrent et s’unirent. Mais l’obscurité n’était pas encore enlevée ; aucun rejeton n’avait poussé. Au temps où aucun des dieux n’avait encore surgi, où ils n’étaient pas encore désignés par un nom et n’avaient pas encore fixé les destinées, alors les grands dieux furent formés ; les dieux Lachmou et Lachamou apparurent et grandirent… ; puis furent formés les dieux Sar et Kisar. Les jours s’étendirent… Cinquième tablette , correspondant au quatrième jour de la Genèse hébraïque :
Il arrangea magnifiquement les demeures des grands dieux (soleil et planètes) ; il fit également apparaître les étoiles. Il régla l’année et institua pour elle les décades ; il assigna trois étoiles à chaque mois (sans doute une pour chaque décade). Il détermina les mansions des planètes… Il fit briller Nannar (la lune) pour régner sur la nuit. Septième (?) tablette :
Quand les dieux tous ensemble créèrent… ils formèrent excellemment les arbres puissants, ils firent surgir des êtres vivants…, le bétail des champs, les grands animaux des champs et les reptiles des champs… Le dieu à l’œil clairvoyant les associa en un couple… L’ensemble des bêtes rampantes se mit en mouvement. C’est évidemment ce dernier récit qui présente les analogies les plus frappantes avec le tableau de la Genèse biblique ; chaque lecteur les aura remarquées sans peine. Mais les différences qui les distinguent n’en sont que plus manifestes dans le récit chaldéen, le principe de toutes choses est la matière éternelle ; elle est le principe de l’existence même des dieux, qui en naissent spontanément par paires ; après cela il est naturel que le polythéisme le plus complet domine tout le récit.
Après cette revue, la question qui se pose quant au récit de la Genèse biblique est de savoir s’il est simplement le produit de l’observation et de la réflexion humaines, ou s’il est dû à une révélation divine.
On allègue en faveur de la première explication, d’abord, les erreurs que l’on croit trouver dans ce récit, puis la corrélation réfléchie qui paraît exister entre les deux parties de la semaine créatrice (voir notes sur Genèse 1.14-19 ). Mais, comme nous l’avons vu, il n’y aurait d’erreur formelle que si l’auteur prétendait nous donner un cours scientifique de géologie et de paléontologie ; au lieu de cela, ce ne sont que les phases saillantes qui ont trouvé place dans ce tableau. À ce point de vue, le récit nous paraît inattaquable. La correspondance entre la première et la seconde moitié de la semaine n’est pas un argument valable contre la vérité historique du récit, puisqu’elle peut être l’expression du plan réellement suivi dans l’œuvre elle-même.
Il nous paraît d’autre part que la grandeur et la fermeté de l’intuition monothéiste qui pénètre tout ce récit lui impriment le caractère d’une révélation divine. Il suffit pour le sentir de le comparer avec les légendes analogues des autres peuples que nous venons d’exposer.
Aucun lecteur moderne ne pourrait prendre au sérieux les fantasmagories mythiques dont elles sont remplies, tandis que le récit de la Genèse laisse chez tout lecteur, laïque ou savant, une impression d’admiration et de respect. Il repose évidemment sur la même révélation monothéiste qui est à la base de toute l’histoire israélite. Aux trois traits particuliers que nous avons déjà fait ressortir (Dieu a tout créé, il a tout créé conformément à sa volonté, il a tout créé en vue de l’homme) nous ajoutons encore l’institution divine du sabbat.
Faut-il en rester là, et n’appliquer l’action révélatrice qu’aux vérités religieuses, sans l’étendre au cadre extérieur du récit ? C’est là l’opinion qui parait devenir aujourd’hui de plus en plus dominante.
Cependant nous nous demandons si les vérités religieuses contenues dans ce tableau ont pu être révélées d’une manière purement abstraite et si, pour pénétrer dans la conscience de ceux à qui elles étaient communiquées, elles n’ont pas dû revêtir une forme plastique et saisissable précisément telle que celle que nous trouvons dans ce récit.
Puis nous doutons qu’un auteur animé d’un sentiment d’adoration aussi profond se fût permis d’attribuer à Dieu un rôle de sa propre invention dans une scène de nature historique.
De plus, le ton d’autorité, avec lequel il raconte chaque ordre divin et son résultat, nous parait impliquer une certitude dont nous ne pouvons nous rendre compte si tout ce récit n’est qu’une simple supposition de sa part.
Ajoutons que la supériorité de notre récit sur les légendes des peuples anciens ne porte pas seulement sur le côté religieux, mais aussi sur les détails extérieurs de la narration. Le tableau de la Genèse est le seul qui ait été pris en considération par les hommes de science et qui puisse sérieusement affronter l’examen ; nous rappelons seulement ici l’apparition de la lumière et de la végétation avant celle du soleil, faits auxquels la science rend hommage à cette heure. Ces faits nous paraissent conduire à faire porter la communication divine sur la totalité du tableau.
Si nous nous représentons un père au courant de toutes les découvertes scientifiques actuelles et cherchant à les résumer pour son enfant dans le but de conduire son âme à l’adoration, nous ne nous figurerons pas son récit très différent de celui que nous venons d’étudier.
Quand et comment a pu avoir lieu cette communication d’en-haut ? En cherchant à répondre à cette question, nous déclarons dès l’abord que nous sommes ici en face d’un fait sur lequel nous ne pouvons présenter que des suppositions.
Plusieurs pensent que la révélation contenue dans ce chapitre a été accordée à Adam lorsque Dieu s’approchait de lui et s’entretenait avec lui dans le paradis comme un père avec son enfant. Cette supposition s’accorderait bien avec le caractère simple et sobre du récit. On a objecté qu’Adam, au premier moment de son existence, était trop peu développé pour se poser des questions de ce genre. Nous ne sommes pas en état d’en juger. Quoi qu’il en soit, si l’on nie que Dieu se soit révélé à Adam, il faut nier la réalité du commandement qui a été l’occasion de la chute, ainsi que celle des sentences prononcées à la suite de la désobéissance.
Du reste, lorsque plus tard Dieu se communique à Noé et à Abraham, c’est comme un être déjà connu, ce qui suppose une révélation antérieure et primitive. Si l’on croit qu’une telle révélation ne pouvait répondre qu’aux besoins d’une humanité déjà plus développée rien n’empêche de penser que l’un des patriarches entre Adam et le déluge aurait été jugé digne d’une pareille communication, celui en particulier qui vécut avec Dieu dans une intime communion et qui fut élevé de cette vie dans celle du ciel sans passer par la mort.
Cette révélation, accordée soit à Adam, soit à l’un des patriarches antérieurs au déluge, aura été transmise par les fils de Noé à tous les peuples, chez qui elle s’est conservée partiellement, mais troublée par l’influence du polythéisme.
Telle serait l’origine des éléments de vérité qui se rencontrent dans les récits que nous avons cités. Cette tradition, conservée oralement dans la famille de Sem et d’Abraham, aura pu se charger, en passant de bouche en bouche, d’éléments humains, quoique dans une moindre mesure que chez les peuples polythéistes, et Dieu, au moment où il accordait à Moïse la grande révélation du Sinaï, qui devait servir de base à l’histoire de son peuple, lui aura rendu la connaissance de l’œuvre créatrice dans sa pureté. Peut-être aura-t-il employé pour cela le mode de la vision prophétique, qui peut s’appliquer au passé comme à l’avenir.
Une révélation de ce genre se comprend mieux en effet sous la forme de tableaux successifs que sous celle d’une inspiration purement spirituelle. S’il en est ainsi, ce serait Moïse qui le premier aurait mis ce récit par écrit. Dans tous les cas, ce chapitre a un caractère tout spécial, et l’on peut aisément penser qu’il existait comme document particulier avant d’être placé en tête d’une histoire plus générale.
II) 2.5 à 3.24 Le séjour dans le paradis et la chute
Le morceau dont nous abordons maintenant l’étude est l’un des plus importants de l’Écriture sainte. De la manière dont nous le comprenons résulte pour une grande part l’idée que nous nous faisons de plusieurs des points qui sont à la base de la doctrine chrétienne, l’origine et la nature du péché, le degré de sa culpabilité et la rédemption qu’il nécessite.
Bon nombre de philosophes et même de théologiens ont prétendu que le tableau de l’état primitif de l’humanité, tel qu’il ressort de notre récit, est incompatible avec les faits et les lois de l’histoire ; ils n’y ont vu qu’un mythe analogue à ceux des autres peuples anciens, un essai tout humain d’expliquer l’introduction dans le monde du mal physique et moral. Selon eux, le développement de l’humanité suit une marche constamment ascendante de l’état d’animalité au degré le plus élevé de la religion et de la civilisation, et ce que la Bible présente comme une chute ne peut avoir été qu’un progrès. Nous aurons à examiner si les faits confirment cette théorie et si l’état barbare et fétichiste des peuples sauvages, que l’on identifie avec l’état primitif de l’humanité, n’est pas réellement, comme le fait comprendre l’Écriture, le résultat d’une décadence, de la perte d’un état primitif tel que celui que décrit le récit que nous allons étudier.
Le séjour dans le paradis (2.5-25) Avec ce morceau nous entrons dans le domaine de la tradition ; car l’homme est dès ce moment témoin et acteur d’une partie des faits racontés. L’histoire commence et se superpose à la nature, maintenant achevée ; voilà pourquoi le récit de la création de l’homme est repris à nouveau.
Au chapitre 1, l’homme avait été considéré comme appartenant à l’ensemble de la nature dont il forme le couronnement ; ici il apparaît comme sujet de l’histoire, dans laquelle sa propre activité se combine incessamment avec l’action divine. Aussi le fait de sa création n’avait-il été raconté que sommairement au chapitre 1, tandis qu’il est maintenant repris en détail, soit quant à la formation de l’homme lui-même, soit quant à celle de la femme ; car c’est de cette distinction des sexes que dépend le développement de la race et par conséquent celui de l’histoire.
Tout semble prouver que le récit qui va suivre a été emprunté à une autre source que le précédent ; le terme d’Elohim pour désigner Dieu fait place à celui de Jéhova (sur l’expression Jéhova-Elohim, voir précédemment) ; le récit prend un caractère moins solennel et plus simplement narratif et les mêmes idées sont exprimées par d’autres expressions et d’autres tournures de phrase.
On peut donc se demander si son contenu n’est point parallèle à celui du chapitre 1, en d’autres termes si nous n’avons pas ici un second récit du fait de la création. S’il en était ainsi, il faudrait reconnaître une contradiction flagrante entre les deux narrations : là, une création graduée qui va des plantes aux animaux et des animaux à l’homme ; ici, absence totale de plantes avant l’homme, et la création des végétaux et des animaux succédant à celle de l’homme. Mais si c’est bien là le sens de ces deux récits, comment s’expliquer le procédé du rédacteur de la Genèse, qui les reproduit successivement tous les deux malgré cette contradiction qu’il ne pouvait manquer de discerner aussi bien que nous ?
Si nous ne voulons pas faire une injure gratuite à son intelligence, nous devons supposer qu’il entrevoyait une solution de cette contradiction apparente, et nous ne serons que justes en la cherchant.
Elle ne nous parait pas si difficile à trouver : le chapitre 1 avait en vue le monde dans son ensemble ; le chapitre 2 s’occupe spécialement de l’homme et nous place par conséquent dans la contrée particulière où il habita dès le commencement et où se trouvait le jardin appelé paradis. Il nous fait connaître l’état des choses tel qu’il existait au moment et dans le lieu où l’homme ouvrit pour la première fois les yeux à la lumière : c’était une contrée privée de végétation, avec un ciel sans nuages et sans pluie ; seulement une vapeur répandue sur la terre humectait le sol. Le paradis seul, un jardin rempli d’arbres, et arrosé par un fleuve, faisait exception.
Tel fut le milieu dans lequel l’homme arriva à l’existence et prit connaissance de lui-même et du monde. C’est le souvenir qu’il a transmis à ses descendants par une tradition dont nous avons ici la rédaction.
S’il en est ainsi, ce récit nous place au sixième jour du chapitre 1, immédiatement avant la création de l’homme ; et nous devons supposer que le document d’où il a été tiré possédait aussi un récit de la création parallèle à celui du chapitre 1, mais que le rédacteur de la Genèse aura supprimé pour ne pas faire double emploi, tout en rappelant dans ce qui suit quelques traits.
Il est bien évident, en effet, que la narration ne pouvait commencer dans ce récit par notre verset 5 . Pour la création des animaux, voir au verset 19 .
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