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Genèse 10.30 La montagne d’Orient . Ces mots désignent vraisemblablement le plateau qui occupe le sud-est de l’Arabie.
Mésa est probablement la même localité que Méséné , située au nord du golfe Persique.
Séphar , ancienne ville des Sabéens, à l’angle sud-ouest. de l’Arabie. Ainsi, les Joktanides occupaient toute la portion de l’Arabie située au sud-est d’une ligne allant de l’extrémité septentrionale du golfe Persique au détroit de Bab-el-Mandeb. D’autres interprètes, M. Segond, par exemple, traduisent : Ils habitèrent depuis Mésa du côté de Séphar jusqu’à la montagne de l’Orient . Dans ce sens, il faut identifier Mésa avec une localité du nom de Mouza , située sur le détroit de Bab-el-Mandeb, et Séphar avec Saphar , ancien port de mer sur la côte méridionale de l’Arabie. La montagne de l’Orient serait une montagne située au-delà de cette ville et connue des anciens sous le nom de montagne de l’encens .
Mais de cette manière, les Joktanides n’auraient occupé qu’une ligne de côtes au sud de l’Arabie ; or nous avons trouvé des traces de plusieurs de leurs tribus dans l’intérieur, de sorte que notre traduction nous semble préférable.
Conclusions Résumons brièvement les résultats auxquels nous a conduits l’étude de ce chapitre.
Le domaine de Japheth comprend, de l’est à l’ouest, la Perse septentrionale (Madaï), l’Arménie, l’Asie-Mineure, la Grèce, l’Italie, l’Espagne, puis probablement tout le nord de l’Asie et de l’Europe. Le domaine de Cham comprend la Babylonie, l’Arabie (en partie), la Palestine, l’Égypte, l’Abyssinie, la Libye, et probablement tout le reste du continent africain. Dans le domaine de Sem rentrent la Perse méridionale (Elam), l’Assyrie, la Syrie et l’Arabie (en partie). Par leur position centrale, les Sémites semblent destinés à devenir un jour le lien entre les deux autres branches de l’humanité, comme le fait entendre la prophétie de Noé (Genèse 9.25-27 ). Il nous reste à traiter quelques questions relatives à ce chapitre dans son ensemble.
1. Le nombre soixante-dix En comptant les noms de tous les descendants des fils de Noé mentionnés dans ce chapitre, on arrive au nombre soixante-et-onze, qui se réduit à soixante-dix, si l’on retranche Nimrod, dont l’histoire ne rentre évidemment pas dans le cadre primitif de ce morceau et ne se rapporte point à l’origine d’un peuple particulier. Les rabbins juifs, comme nous le voyons dans le Talmud, avaient tiré de là l’idée que l’humanité se composait de soixante-dix nations parlant soixante-dix langues diverses et protégées par soixante-dix anges. Plusieurs commentateurs modernes, d’autre part, s’appuyant sur le caractère symbolique du nombre soixante-dix, ont prêté à l’auteur l’intention arrêtée d’arriver à ce nombre et mis en doute, par cette raison, la valeur historique de ce morceau. Mais nulle part l’auteur ne fait remarquer que les noms indiqués forment cette somme. Et d’ailleurs, s’il y a soixante-dix noms, il est arbitraire de compter soixante-dix peuples.
En effet, les quatre noms des descendants d’Arpacsad mentionnés dans les versets 24 et 25 représentent des chaînons d’une même famille et non des familles différentes ; de plus, Schéba et Havila, mentionnés à la fois parmi les Chamites et parmi les Sémites, forment en réalité chacun un seul peuple, tandis que, dans la liste de Genèse 10 ils comptent chacun pour deux.
Enfin, il est évident que dans les énumérations détaillées, telles que celles des Cananéens, des Égyptiens et des Joktanides, nous avons affaire non à des peuples entiers, mais à des fractions de peuples ; il n’est pas possible, en effet, de mettre une de ces petites tribus sur la même ligne qu’Assur ou Elam. Nous voyons, d’après cela, que l’auteur n’a pas pu songer à donner au nombre soixante-dix une valeur symbolique ; ce sont les rabbins qui lui ont prêté cette intention.
2. Principe de classification Nous avons admis plus haut que ce chapitre présente l’arbre généalogique réel des peuples descendus de Noé. Mais plusieurs commentateurs ont pensé que l’auteur avait obéi dans cette énumération à un tout autre principe que celui de la filiation. Selon les uns, il classerait les peuples d’après le type physique , en particulier d’après la couleur de la peau. Mais il serait fort difficile de constater une différence de couleur entre Sémites et Japhéthites, de même qu’entre Sémites et Chamites en Arabie, où les deux races sont mélangées. De plus, il est établi par l’histoire et par les monuments que, si une partie des Chamites étaient de couleur foncée, d’autres, tels que les Phéniciens, avaient le teint blanc.
D’autres commentateurs pensent que les peuples sont classés d’après les affinités de langage . Sans doute, dans les temps qui suivirent la dispersion, les peuples se groupèrent selon leurs langues, et l’auteur l’indique lui-même dans les versets 5, 20 et 31 : Dans leurs divers pays, chacun selon sa langue . Mais cet état ne fut pas assez stable pour fournir à l’auteur son principe de classification. Il est reconnu, en effet, que, parmi les caractères distinctifs d’un peuple, la langue est l’un des plus fugitifs. Combien, en effet, ne voit-on pas de peuples adopter la langue de leurs conquérants, ou plus souvent encore celle des pays qu’ils envahissent ? Pour nous en tenir aux peuples mentionnés dans ce chapitre, il est reconnu aujourd’hui que les Cananéens et les Phéniciens parlaient une langue sémitique, tout en étant d’origine chamitique.
On pourrait supposer aussi, avec plusieurs interprètes, que l’auteur s’est placé au point de vue géographique . C’est ce que semblent indiquer ces mêmes versets 5, 20 et 31. Si l’on prend les choses en grand, cette opinion peut être soutenue : d’une manière générale, les Japhéthites occupent la zone septentrionale, les Sémites une zone moyenne et les Chamites la zone méridionale. Mais si nous entrons dans les détails, nous trouvons en Asie-Mineure des Japhéthites et des Sémites côte à côte, et en Arabie, les Sémites et les Chamites sont tellement mêlés que sur plusieurs points ils se sont fusionnés.
Toutes ces tentatives de classification étant démontrées infructueuses, nous sommes ramenés au principe énoncé en commençant : l’auteur a été guidé par une tradition solide sur la parenté réelle des peuples. C’est le principe énoncé au verset 5 : selon leurs familles, en leurs nations . Mais si le mode général de classification est historique , cela n’empêche pas qu’en dedans de chaque groupe l’auteur n’ait suivi un ordre géographique.
3. Les sources de Genèse 10 On a cru longtemps que ce morceau formait un tout unique, écrit d’un jet par son auteur. Une étude plus attentive a montré que l’auteur avait eu devant lui au moins deux sources. En effet, dans les versets 24 et 25, sont énumérées quatre générations de descendants de Sem. Les mêmes indications se retrouvent chapitre 11 versets 12 à 19. Or, le passage du chapitre 11 porte avec évidence les caractères du document élohiste, tandis que les termes de l’autre, Genèse 10.24-25 , rappellent le mode de narration du document jéhoviste. Cette observation nous porte à attribuer aussi à ce dernier document les passages suivants : versets 8, 13, 15 et 21, qui présentent la même forme : Un tel engendra un tel , au lieu de la forme : Les fils d’un tel furent… , qui se trouve versets 2, 3, 4, 6, 7, 22, 23. De là il paraît résulter que la notice sur Nimrod (Genèse 10.8-12 ) et les listes des descendants de Mitsraïm (Genèse 10.13-14 ), de Canaan (Genèse 10.15-19 ) et de Joktan (Genèse 10.26-30 ) appartenaient au document jéhoviste. Si maintenant nous enlevons ces morceaux intercalés dans le cadre formé par les morceaux de l’autre série, il reste un tout bien ordonné et bien proportionné, une généalogie qui, sauf un seul cas (Schéba et Dédan), ne dépasse nulle part la seconde génération. C’est là la partie élohiste du chapitre, qui comprend versets 1 à 7, 20, 22, 23, 31, 32. Il suffira de relire séparément ces deux séries de morceaux pour être frappé de la différence qui existe entre eux.
Le rédacteur de la Genèse a donc eu ici, comme pour les chapitres précédents, deux sources à sa disposition : le document élohiste et le document jéhoviste. Mais les auteurs de ces documents doivent avoir employé des sources spéciales dont plusieurs indices trahissent la haute antiquité. Ainsi les Perses ne sont pas nommés, ce qui serait incompréhensible si, comme quelques-uns le pensent, ce tableau avait été dressé d’après les données d’Ézéchiel, au temps de l’exil.
Un autre trait nous fait reculer plus haut encore, avant le 7e siècle avant Jésus-Christ. C’est le fait que le nom de Ninive n’est donné qu’à l’un des quartiers de la grande ville et ne comprend pas encore, comme plus tard, l’ensemble des agglomérations dont elle s’est formée. L’absence du nom de Tyr nous transporte également dans les temps antérieurs à David (11e siècle avant Jésus-Christ), puisque, sous le règne de ce roi, les Tyriens étaient un peuple puissant qui entretenait des rapports suivis avec les Israélites. La ville de Tyr existait même longtemps avant David, dès l’époque de la conquête de Canaan par les Israélites (Josué 19.29 ). Nous devons donc conclure du silence total de ce chapitre à l’égard de Tyr que les renseignements qu’il renferme sur les tribus phéniciennes sont antérieurs à ce moment-là ; car, si Tyr avait existé, cette ville aurait certainement été mentionnée avec Sidon à côté des Arkiens, des Siniens et des Tsémariens, populations bien moins importantes que celle de Tyr.
Les limites assignées aux Cananéens (verset 19) prouvent également que, au moment où nous transporte notre chapitre les Philistins n’occupaient encore que le district de Guérar ; par conséquent, la seconde immigration de ce peuple n’avait pas encore eu lieu (comparez verset 14). Enfin, l’ordre dans lequel sont mentionnées les tribus cananéennes montre que l’auteur qui a dressé cette liste connaissait exactement leur situation au temps de la conquête (comparez versets 15-16).
Il résulte du caractère spécial de certaines listes que l’auteur devait posséder des renseignements très sûrs et très détaillés sur les habitants de l’Égypte, de l’Arabie et du pays de Canaan, trois pays avec lesquels le peuple d’Israël a eu des relations toutes particulières dans les premiers siècles de son existence. Dans tous les cas, quels que soient le caractère et l’âge des sources auxquelles a puisé le rédacteur de la Genèse, son but a certainement été, de nous présenter dans ce tableau l’ensemble des nations au sujet desquelles l’Éternel va parler à Abraham en lui disant : Toutes les familles de la terre seront bénies en toi (Genèse 12.3 ).
Cette intention ressort des deux faits suivants : la place assignée à ce tableau précisément au moment où l’auteur va passer de l’histoire générale de l’humanité primitive à l’histoire particulière du peuple élu, puis la circonstance significative qu’aucun des chaînons indiqués dans ces généalogies ne descend plus bas qu’Abraham.
4. Comparaison de notre tableau avec les essais analogues des autres peuples D’autres peuples anciens ont essayé, comme les descendants d’Abraham, de dresser le tableau des nations qu’ils connaissaient. Chez plusieurs, tels que les Égyptiens, les Iraniens et les Babyloniens, on trouve une division de l’humanité en trois branches qui correspondent aux familles issues de Sem, de Cham et de Japheth. Les Égyptiens divisaient, il est vrai, l’humanité en quatre branches, mais comme ils prétendaient former à eux seuls la première branche, leur division se ramène à trois.
Mais ces peuples ne se préoccupent guère des étrangers : ils se considèrent chacun comme le centre du monde, et les nations qu’ils jugent dignes de figurer dans leurs listes sont celles qui entretiennent avec eux des relations commerciales ou celles qui leur sont soumises. Le plus souvent, les étrangers ne sont à leurs yeux que des barbares méprisables.
Un tout autre esprit règne dans notre chapitre : aucun peuple n’y occupe une position centrale ; l’humanité primitive tout entière nous y est présentée sur le même plan. Tous les hommes, tous les peuples ont une commune origine, sont égaux en dignité et marchent vers une même destination : c’est pour eux tous que va être préparé le salut dont l’histoire commence au chapitre 12 avec la vocation d’Abraham.
Remarquons même que, tandis que tous les autres peuples se considèrent comme nés sur leur propre sol et comme la première nation constituée, le peuple d’Israël, au sein duquel ce document a vu le jour, reconnaît la haute antiquité des autres nations qui l’entourent et se présente modestement comme le plus jeune d’entre les peuples.
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