« La Bible ? Bien sûr que je la connais ! L’école du dimanche, le catéchisme, les leçons de religion à l’école, les cultes, j’ai suivi tout cela ! Et depuis quelques années, je la lis avec un intérêt tout neuf, ayant découvert en elle Celui qui a donné à ma vie une orientation nouvelle. »
C’est ce que je pensais lorsque, brutalement, ma vie a été bouleversée, mes sécurités et mes racines ébranlées par la guerre. Et voilà que je me retrouve en Suisse, dans un camp de réfugiés avec des hommes de différents pays d’Europe qui avaient, comme moi, réussi à sauver leur vie. Pour la plupart d’entre eux, la seule question était : « Comment tuer le temps ? ». Avant d’être interné dans ce camp, j’avais pu passer à l’Institut Emmaüs où le directeur m’avait remis une Bible et le commentaire du Dr Pierre de Benoit sur les prophètes. Je pris cela comme une directive divine et me plongeai dans l’étude et la méditation du prophète Ésaïe. Quelle découverte ! Je ne voyais pas le temps passer : huit, dix heures par jour n’étaient pas de trop. Et je me rendis compte de mon ignorance : une partie importante de la Bible m’était presque totalement inconnue, le contenu des livres prophétiques était scellé pour moi. Or, la prophétie occupe le tiers des Écritures ! Plus j’avançais dans mon étude et mon approfondissement de ces livres, plus je reconnaissais la vérité de la première phrase de P. de Benoit dans sa préface : « Ceux qui ignorent et négligent les trésors inestimables de la littérature prophétique de l’Ancien Testament ne se doutent pas de tout ce qu’ils perdent ».
L’année suivante, après avoir étudié les autres prophètes, je découvris la Bible annotée. Je me remis à l’étude d’Ésaïe qui me révéla de nouveaux trésors. Ma reconnaissance fut grande envers ces frères aînés qui me guidaient dans la compréhension de ces textes parfois difficiles. C’est en lisant un livre prophétique que le ministre éthiopien dit à Philippe : « Comment pourrais-je comprendre ce que je lis si je n’ai personne pour me guider et me l’expliquer ? » (Actes 8 : 31). Cependant, c’est le texte lui-même qui touchait mon esprit et mon cœur, m’amenant parfois au bord des larmes. Car ces écrits nous font découvrir, mieux que tout autre, le cœur même de Dieu : son indignation devant les infidélités de l’homme, ses appels passionnés au repentir, sa tendresse pour ses enfants égarés, ses promesses de pardon et de rétablissement malgré l’indignité présente.
Les livres prophétiques contiennent certains des plus beaux textes de la littérature mondiale. Il n’existe aucun parallèle à la description du commerce de Tyr (42 ; 53 ; Amos 3 : 7), un « conseil » (Ésaïe 19 : 12) auquel les hommes ont à se soumettre. C’est pourquoi la formule qui revient le plus souvent dans leurs écrits est : « Voici ce que déclare l’Éternel ».
Les prophètes ne sont que ses porte-parole. Le mot « prophétiser » vient de prophanai qui signifie : « parler pour (un autre) ». Le mot hébreu nabi a une signification analogue. Ainsi, Aaron était le « prophète » de Moïse, c.-à-d. son porte-parole (Exode 7 : 1-2). Ils sont des « hommes de Dieu » (1 Rois 13 : 1) vivant dans une relation constante avec lui. Ils ont été appelés par lui, souvent dans des circonstances particulières (Éz. 1 : 1 à 3 : 21), à transmettre le message qu’il leur a communiqué de bien des manières : par des visions ou par l’illumination de leur intelligence. C’est pourquoi ils sont aussi appelés parfois des « voyants » (1 Sam. 9 : 9 ; 1 Chr. 9 : 22 ; Ésaïe 30 : 10). Ils sont les « sentinelles » de Dieu (Hab. 2 : 1 ; Ésaïe 21 : 8 ; Jér. 6 : 17), chargés de scruter l’avenir et d’avertir le peuple dont ils sont aussi les gardiens et les bergers (11 : 3, Éz. 34 : 2).
Une grande partie de leur message est centrée sur l’avenir, parce qu’ils disent ce qui arrivera - ou risque d’arriver - si le peuple ne se repent pas. Et de ce fait, il concerne déjà le présent. Leurs prédictions servent avant tout à stimuler la volonté de leurs auditeurs en vue de produire en eux un changement de vie. La plupart des prophéties sont conditionnelles. Lorsque Jonas proclame : « Dans 40 jours, Ninive sera détruite », l’accomplissement de cette menace était subordonné à la réaction des Ninivites. En fait, ils se sont repentis… et Dieu n’a pas détruit Ninive. À plus forte raison aurait-il révoqué les châtiments prédits à Israël et à Juda si ces peuples avaient changé de conduite.
Les prophètes sont donc avant tout des hommes d’action, travaillant avec Dieu à la réalisation de son dessein parmi les hommes, dans la vie religieuse, morale, sociale et politique.
Solidement ancrés dans le passé, ils jugent le présent et préparent l’avenir. L’œuvre passée de Dieu en faveur de son peuple sert de référence constante : ce qu’il a fait lors de la sortie d’Égypte et de l’entrée en Canaan est le gage de sa puissance et de sa sollicitude envers les siens. La loi donnée au Sinaï trace la direction dans laquelle le peuple devra marcher : en se fondant sur elle, les prophètes combattront l’idolâtrie, l’injustice sociale et le formalisme religieux. C’est à la lumière de cette révélation de Dieu - dans l’histoire et dans la législation mosaïque - qu’ils jugent le présent, non de l’extérieur, mais en étant intimement mêlés aux événements contemporains.
S’ils contemplent l’avenir, c’est pour y puiser les normes divines qu’ils s’efforceront d’appliquer à la vie du peuple : « Le but de la révélation prophétique n’est pas de satisfaire la curiosité humaine relative à l’avenir ; c’est de remuer la conscience au sujet des péchés actuels, et de convertir les cœurs au Dieu saint et toujours vivant […]. La prophétie est autre chose et beaucoup mieux qu’une histoire anticipée. C’est la pensée de Dieu par rapport à la fin des choses tombant comme un rayon révélateur sur l’état présent du monde et de chaque individu. Car chaque moment de la vie humaine n’est appréciable que par son rapport avec la fin » (Bible annotée, vol. 7, p. 17-18).
Dans cet avenir se détachent quatre moments significatifs qui constituent le thème essentiel de toute prophétie :
Ces différents événements sont présentés selon la perspective prophétique, différente de la perspective historique. On a souvent comparé cette vue particulière de l’avenir à la vision lointaine d’une chaîne de montagnes: « Les événements de l’avenir immédiat s’associent, dans l’optique du prophète, aux événements les plus éloignés comme les sommets se fondent en une seule chaîne aux yeux du promeneur. Ainsi liera-t-il le retour de Juda arraché à Babylone au rassemblement d’Israël à la fin des temps (Luc 12 : 30) c.-à-d. qui ne vivent qu’en vue de ce monde. Égyptiens, Assyriens, Babyloniens, Romains, tous semblent dire à leur tour : "L’humanité, c’est moi. Les autres peuples ne sont là que pour me servir de marchepied”. […]
Ce qui est sans exemple, c’est qu’un peuple, obscur entre tous, se sente appelé à la mission sublime d’être l’instrument du salut de tous les autres, et porte en lui, à travers toutes les catastrophes, la conscience indestructible d’un tel mandat ; c’est qu’au sein de ce peuple apparaisse pendant huit à dix siècles successifs une chaîne d’hommes qui, tous, se sentent appelés d’en haut à travailler à cette même œuvre divine, et à préparer ce grand avenir ; c’est qu’une religion, qui se reconnaît et se proclame elle-même d’origine divine, se déclare en même temps, par la bouche de ses organes les plus éminents, destinée à disparaître devant une forme d’adoration supérieure (Amos 7 : 14 ; 2 : 13 ; 6 : 28), Ézéchiel et Zacharie étaient prêtres, Ésaïe, archiviste royal. Leurs messages portent l’empreinte de leur éducation, de leur tempérament et de leur situation. Rien de commun entre le style vif et percutant d’un Amos ou d’un Ésaïe et la poésie mélancolique d’Osée ou de Jérémie, ou encore la psalmodie de l’artiste Habaquq. Rien, sauf leur amour pour Dieu et pour leur peuple.
« Dans l’inspiration divine, l’écrivain sacré ressemble, non à un canal où passerait un courant indifférent à la nature du conduit qui le véhicule, mais bien plutôt à un instrument à vent, flûte, cor ou trompette donnant son timbre propre à la mélodie. […] Le ton et la force de la voix diffèrent selon l’individu qui sert d’instrument. Mais le chœur entier forme une merveilleuse harmonie, car le compositeur est le même 7 ».
Le message des prophètes est parfois difficile à comprendre. Il était destiné en premier lieu au peuple d’Israël inséré à cette époque dans un contexte historique, géographique, religieux, social et culturel précis. Dieu a demandé aux prophètes de lui parler pour le réveiller, le reprendre et l’encourager. Si nous essayons de connaître ce contexte, nous comprendrons mieux leur message.
Nous serons aussi gardés d’en faire des interprétations fantaisistes ou tendancieuses. Ne cherchons pas à couler à tout prix ces paroles prophétiques dans le moule de nos idées sur le monde actuel et son avenir proche. Une bonne connaissance de quelques notions de base préserve des contresens fâcheux et aide à pénétrer l’intention des auteurs. Mais il va sans dire que la parole de Dieu - donc aussi les livres prophétiques - garde une portée universelle et peut apporter à chacun de nous, aujourd’hui encore, sa lumière et son réconfort : à côté des passages obscurs, il y en a qui nous servent de guides et nous réchauffent le cœur.
Tous les textes des prophètes contiennent de nombreuses allusions à des localités ou des pays d’alors. Le plus souvent, les noms de lieux ont changé au cours des siècles (Javan : la Grèce ; Poul et Loud : la Somalie et l’Éthiopie). Il peut être intéressant de vérifier sur une carte où se trouvent les endroits cités pour se rendre compte, par exemple, de la proximité du danger et de la progression des armées ennemies. Les Syriens étaient à une journée de marche des tribus du nord, Babylone, par contre, était à plus de 1 000 km de Jérusalem, l’Égypte à quelque 500 km. Les notes indiqueront si possible où se trouvent les lieux cités et donneront les précisions géographiques nécessaires à la compréhension du texte (conditions climatiques, régime des pluies, fertilité du sol, ressources naturelles, origine des produits cités, importance des villes, etc.). Certaines expressions demandent à être expliquées pour éviter des contresens : lorsqu’il est question des eaux de la mer en Égypte, il s’agit de celles du Nil qui couvrent le pays comme une mer à l’époque de l’inondation (Jér. 7 : 31 ; 17 : 3 ; Éz. 6 : 3 ; Osée 10 : 8 ; Amos 7 : 9) qui étaient souvent de simples survivances des cultes idolâtres pratiqués dans les sanctuaires cananéens que les Israélites n’avaient pas détruits lors de leur entrée en Canaan (Nombres 33 : 52 ; Deutéronome 33 : 29). Généralement, ces cultes étaient accompagnés de prostitution sacrée (Jér. 3 : 2 ; cf. 1 Chr. 21 : 11). C’était surtout le culte d’Astarté (ou Achéra), déesse de la fécondité, qui était marqué par des scènes de débauche censées honorer et favoriser les forces génératrices de la nature (Juges 2 : 13 ; 10 : 6 ; 1 Rois 11 : 5, 33 ; 2 Rois 23 : 13). Au temps de Jérémie, des femmes juives cuisaient des gâteaux portant l’effigie de la « reine du ciel » (Jér. 7 : 18 ; 14 : 19 ; cf. Osée 3 : 1).
Le dieu Baal (« maître, seigneur »), dieu suprême des Cananéens, et le dieu Molok (« roi » ; appelé aussi Milcom ou Malcom ; cf. 2 Rois 11 : 5, 33 ; Jér. 32 : 35) gardaient des fidèles attachés à leurs cultes (2 Rois 17 : 17 ; 1 Chr. 28 : 3 ; 33 : 6), bien qu’ils fussent défendus sous peine de mort en Israël (Lév. 18 : 21 ; 20 : 1-5). Molok réclamait des sacrifices d’enfants et l’on a effectivement trouvé en Palestine des sanctuaires entourés de squelettes d’enfants calcinés. Aussi n’est-il pas étonnant de voir les prophètes s’élever avec vigueur contre les cultes cruels rendus à Baal (Jér. 7 : 9 ; 11 : 13, 17 ; 12 : 16 ; 19 : 5 ; 23 : 13, 27 ; 32 : 29, 35 ; Osée 2 : 10 ; 13 : 1 ; Soph. 1 : 41) et à Molok (Jér. 32 : 35).
De plus, chaque famille et chaque cité adoraient leurs idoles domestiques ou collectives. Ésaïe et Jérémie en décrivent la fabrication dans des termes d’une ironie mordante (Jér. 10 : 9). « Tout le pays, s’écrie Ésaïe, est rempli d’idoles ; on se prosterne devant l’ouvrage de ses mains, devant ce que ses doigts ont fabriqué » (Ésaïe 2 : 8). Dans les quatre grands prophètes et dans la moitié des « petits » prophètes, on trouve de nombreux avertissements contre ce culte d’idoles qui ravit à l’Éternel la place unique que lui réserve le premier commandement. L’idolâtrie - avec l’immoralité qui l’accompagnait - fut la cause principale de la déportation d’Israël et de Juda. Après l’exil, la prophétie d’Ésaïe 2 : 18, prédisant que toutes les idoles disparaîtraient, s’est accomplie à la lettre.
Les prophètes étaient « des hommes suscités par Dieu pour rappeler au peuple les voies de Dieu » (A. Motyer). La religion était devenue un ritualisme vide, sans effet sur la vie morale, sociale ou politique. Les sacrifices étaient considérés comme remplaçant l’obéissance aux lois divines. C’est pourquoi les prophètes semblent parfois les mettre en cause (Ésaïe 1 : 11s ; Jér. 7 : 21s ; Osée 6 : 6 ; Amos 5 : 25 ; Michée 6 : 12 ; 7 : 3). Ces paroles n’ont rien perdu de leur actualité.
La culture d’un peuple comprend l’ensemble de ses traditions ethniques, artistiques et littéraires, ses lois, ses mœurs et ses coutumes transmises de génération en génération. Les écrits bibliques sont imprégnés d’allusions à ces éléments culturels, profondément incarnés dans la vie du peuple. La plupart de ces allusions ont besoin d’être expliquées. Nous vivons dans une civilisation si différente ! La loi donnée par Moïse est le fondement de la vie d’Israël, elle régissait tous les aspects de la vie quotidienne. Celui qui connaît bien les cinq livres de Moise aura déjà une clé pour accéder à la compréhension de bien des passages. Dans ces cas, il suffira souvent d’une référence biblique pour éclairer l’allusion. Par exemple, la phrase d’Amos 2 : 8 : « festoyer sur des habits reçus en gage » est aisément comprise lorsqu’on sait que la loi interdisait de se servir d’un objet reçu en gage ou de le garder après le coucher du soleil (Exode 22 : 25-26 ; Deut. 24 : 10-13).
D’autres détails trouvent leur explication dans les coutumes de l’époque : les maisons étaient construites en argile (Job 4 : 19), en briques (Ésaïe 9 : 9) ou en pierres (1 Rois 7 : 9). Comme les rois, les riches avaient des résidences d’été et d’autres pour l’hiver (Jér. 22 : 14 ; Amos 3 : 15). Ces dernières étaient chauffées par des sortes de braseros (Jér. 36 : 22). Tous les jours, on moulait le grain (Jér. 25 : 10) et l’on cuisait le pain sur ses deux côtés (Ésaïe 44 : 15). Dans les villes, les boulangers, regroupés par rues (Jér. 37 : 21), faisaient le pain dans de grands fours (Jér. 37 : 21 ; Osée 7 : 4). Les profiteurs, enrichis par le malheur des autres, vivaient dans le luxe, festoyant sur des lits incrustés d’ivoire aux sons de la harpe et des tambourins (Amos 6 : 4s ; Éz. 16 : 10) ornées de clochettes qui rythmaient leurs pas (Michée 1 : 7 ; Ésaïe 22 : 12 ; Nahoum 2 : 8), se couvrir la barbe ou la moustache, un geste exprimant la honte ou la tristesse (Éz. 24 : 17, 22 ; Michée 3 : 7), prendre le sac, c.-à-d. se couvrir d’étoffes grossières, se raser la tête étaient des marques de deuil ou de consternation (Amos 8 : 10), siffler ou agiter les mains étaient des gestes de moquerie, d’étonnement ou d’horreur (Jér. 19 : 8 ; 50 : 13 ; Lam. 2 : 15 ; Soph. 2 : 15).
Beaucoup d’expressions se rapportent à l’art militaire antique : les « terrasses » étaient des amoncellements de terre contre les remparts afin de pouvoir donner l’assaut à la ville assiégée (Éz. 26 : 8 ; Hab. 1 : 10), les « béliers », des instruments pour enfoncer les portes des villes, la « tortue » était l’avance de l’infanterie contre l’ennemi sous la protection des boucliers tenus bord à bord au-dessus des têtes. Après la bataille, le butin était tiré au sort entre les vainqueurs (Ésaïe 34 : 17 ; Joël 4 : 3 ; Nahoum 3 : 10 ; Abdias 11), le filet enfermait les prisonniers (Éz. 32 : 3 ; Osée 7 : 12 ; Hab. 1 : 15).
Le langage, avec ses idiotismes et ses particularités, fait aussi partie de la culture d’un peuple. Nous trouvons dans les livres prophétiques un certain nombre d’expressions proverbiales : « habiter sous sa vigne et sous son figuier » est un indice de paix, de prospérité et de sécurité (Amos 9 : 14 ; Michée 4 : 4) ; « élargir l’espace de sa tente » (Ésaïe 54 : 2) est signe d’agrandissement de la famille ; « sucer le lait des nations » signifie profiter de ce qu’elles ont de meilleur (Ésaïe 60 : 16) et « la racine des montagnes » désigne le fond de la mer (Jonas 2 : 7). Tarsis (Jonas 1 : 3 ; Jér. 10 : 9 ; Ésaïe 23 : 6 ; 66 : 19) a parfois le même sens que pour nous que « le bout du monde ». Pour comprendre le dicton « comme des moissonneurs en été » (Michée 7 : 1), il faut se rappeler qu’en Palestine, la moisson est terminée à la Pentecôte. En été, il n’y a donc plus rien à moissonner.
Les notes essaieront d’expliquer ces différentes allusions et de les mettre à jour.
La vie quotidienne des Hébreux était influencée à la fois par la politique interne, par les relations avec l’état voisin (Israël ou Juda), avec les autres peuples environnants et avec les grandes puissances dont la volonté d’hégémonie dominait tout le destin des nations du Croissant fertile.
Depuis le règne de Roboam, le fils de Salomon, le peuple hébreu était divisé en deux royaumes : celui d’Israël au nord et celui de Juda au sud. Le royaume du nord comprenait 10 tribus. La principale d’entre elles était Éphraïm (l’un des fils de Joseph). C’est pourquoi les prophètes désignent parfois tout le royaume par le nom d’Éphraïm ou de Samarie, sa capitale. Il fut plus puissant que le royaume du sud composé seulement des tribus de Juda et de Benjamin, mais l’autorité y avait moins de stabilité : en deux siècles, neuf dynasties se sont succédé alors qu’en Juda on resta fidèle à celle de David (avec une seule éclipse : l’interrègne d’Athalie : 2 Rois 11).
Dans chacun des deux royaumes, il y eut de bons et de mauvais rois. Les livres des Rois et des Chroniques nous livrent pour chacun d’eux le verdict final : « Il fit ce qui est bon - ou ce qui est mal - aux yeux de l’Éternel ». Ce jugement est avant tout motivé par l’attitude du roi à l’égard de la religion. Par exemple, les bons rois respectèrent les prescriptions établies par Moïse, luttèrent contre les cultes des hauts-lieux, favorisèrent le clergé lévitique. En revanche, les mauvais rois firent des alliances avec les peuples étrangers, alliances qui entraînèrent automatiquement l’adoption de leurs divinités et l’introduction des cultes idolâtres dans le pays, avec toutes leurs conséquences sur le plan moral. Pour chaque prophète, il sera bon de consulter le tableau des rois correspondants pour connaître le contexte de la vie intérieure du pays où il a prophétisé.
Prophètes en Juda | Rois de Juda | Prophètes en Juda et Israël | Rois d'Israël | Prophètes en Israël |
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(–) Roboam 931–913 (–) Abiyam 913–910 (+) Asa 910–869 | (–) Jéroboam Ier 931–910 (–) Nadab 909–908 (–) Baécha 908–886 (–) Éla 886–885 (–) Zimri 885 | |||
Abdias vers 887 ? | (+) Josaphat Corégence : 872–869 Règne personnel : 869–848 (–) Yoram 853–841 (–) Ahazia 841 (–) Athalie 841–835 | (–) Omri 885–874 (–) Achab 874–853 (–) Ahazia 853–852 (+ –) Jéhu 841–814 | ||
Joël 835–830 ? | (+) Joas 835–796 (+) Amatsia 796–767 | (–) Yoahaz 814–798 (–) Joas 798–782 | Jonas 793–753 ? | |
(+) Azaria (Ozias) 792–740 En partie avec Amatsia | Michée 745–715 | (–) Jéroboam II 793–753 Avec corégence | ||
Ésaie 739–680 | (–) Zacharie 753 (–) Challoum 752 | Amos 765–750 | ||
(+) Yotam 750–732 Avec corégences | (–) Menahem 752–742 (–) Péqah 752–732 (–) Péqahya 742–740 Avec corégences | Osée 746–724 | ||
(–) Ahaz 735–715 Avec corégences | (–) Osée 732–722 | |||
(+) Ézéchias 715–686 | Fin du royaume du nord Déportation des Israélites | |||
(–) Manassé 697–642 Avec corégence | ||||
Nahoum 650–612 | (–) Amon 642–640 | |||
Sophonie 626–625 | (+) Josias 640–609 | |||
Jérémie 626–585 | (–) Yoahaz 609 | |||
Habaquq 609–608 | (–) Yéhoyaqim 609–598 | |||
Daniel 600–530 | (–) Yéhoyakin 598–597 | |||
Ézéchiel 592–570 | (–) Sédécias 597–586 Exil à Babylone | |||
Aggée 520 | ||||
Zacharie 520 | ||||
Malachie 460–450 |
(+) verdict positif (–) verdict négatif en Rois et Chroniques
En Juda, il y eut 8 bons rois et 12 mauvais. En Israël, par contre, un seul roi sur 20 reçoit un témoignage mitigé : Jéhu. Il « exécuta ce qui était droit aux yeux de l’Éternel » mais « ne prit point garde à marcher de tout son cœur dans la loi de l’Éternel et ne se détourna pas des péchés de Jéroboam » (2 Rois 10 : 30-31). Tous les autres firent « ce qui est mal aux yeux de l’Éternel ».
La chronologie des rois est difficile à établir. La date de la mort de Salomon n’est pas connue, d’où un flottement dès le départ et une différence entre les dates proposées. Nous donnons ci-dessous, à titre indicatif, un tableau chronologique tel que le propose Thiele dans A Chronology of Hebrew Kings (1977, p. 75) suivi par un grand nombre de spécialistes.
Thiele élabora sa proposition d’après des documents assyriens, égyptiens et babyloniens corroborés par des données astronomiques de ces pays. Il admet l’existence de plusieurs corégences. Lorsque David était vieux, il s’empressa de faire proclamer Salomon roi pour éviter qu’un usurpateur s’empare du trône (1 Rois 1 : 11-53). Quand Azaria-Ozias fut devenu lépreux, Yotam régna à sa place (2 Rois 15 : 5). Ce système semble avoir été courant au Moyen-Orient dans l’Antiquité.
Les relations des royaumes d’Israël et de Juda sont passées par trois phases :
La Palestine fut depuis toujours un lieu de passage entre la Mésopotamie et l’Égypte ; elle tenait la clé des échanges entre l’Afrique et l’Asie, alors que son littoral méditerranéen invitait aux relations avec les îles grecques et l’ensemble des pays bordant la mer. C’est dire l’importance stratégique de ce petit pays et la raison des convoitises territoriales qui se sont concentrées sur lui de différents côtés.
D’autre part, cette région d’Asie occidentale est, par suite de son relief et de son climat, un pays typique de nomadisme mettant chaque année des centaines de milliers de Bédouins en mouvement. Dans l’Antiquité, ces déplacements saisonniers se transformaient facilement en migrations et en guerres de conquête. L’histoire d’Israël jusqu’à l’établissement en Canaan s’insère dans ce contexte. L’Égypte et la Chaldée, terres de sédentaires, regorgent de céréales, mais manquent de bois et de métaux. La Syrie en a et possède, en plus, des ports permettant des échanges commerciaux avec des pays possédant tout ce que l’on peut convoiter lorsqu’on s’est enrichi. Ces raisons économiques expliquent une bonne partie de l’histoire troublée du « pays promis » qui, sous ce rapport, ne ressemble guère aux peuples heureux qui « n’ont pas d’histoire ».
Durant toute la période d’activité des prophètes, l’histoire d’Israël et de Juda fut dominée par les conflits d’influence des grandes puissances : Égypte, Assyrie, Babylonie, et les velléités d’hégémonie locale des voisins immédiats : Syrie, Philistie, Ammon, Moab, Édom. Les prophètes font souvent allusion à ces divers peuples. Pour comprendre leurs discours dirigés tantôt contre les uns, tantôt contre les autres, leurs avertissements et leurs menaces, il faut connaître grosso modo l’histoire de ces nations et les répercussions de leur politique sur celle du peuple de Dieu.
Nous commencerons par une vue générale de l’histoire des grandes puissances, puis nous examinerons celle des petits états voisins, enfin nous essaierons de faire une brève synthèse pour les siècles jalonnés par l’activité des prophètes.
L’Égypte représentait pour Israël à la fois le pays de l’esclavage dont Dieu l’avait délivré « à main forte et à bras étendu » et la grande puissance dont l’aide pouvait assurer la victoire contre les ennemis d’alentour. Cette dernière idée tenait plus au souvenir d’une gloire passée qu’à la réalité présente. En effet, depuis le XIIe siècle av. J.-C., l’Égypte avait subi un déclin constant de sa puissance, entrecoupé de quelques redressements spectaculaires rappelant les gloires d’antan. Cependant, sa renommée au-delà de ses frontières restait grande, au point qu’Israël et Juda se sont, à maintes reprises, adressés à elle pour avoir du secours contre leurs puissants voisins. Les prophètes ont régulièrement dénoncé cette politique proégyptienne comme contraire à la foi en Dieu. Les pharaons sont plus d’une fois intervenus dans l’histoire d’Israël, soit de leur propre initiative 8, soit parce qu’ils avaient été appelés à l’aide 9, soit parce qu’ils voulaient lutter contre l’influence croissante des grandes puissances mésopotamiennes et que la Palestine se trouvait sur leur chemin 10.
Pendant que l’influence égyptienne décline, celle de l’Assyrie et de la Syrie ne font que croître. La Syrie, bien plus petite et moins puissante que l’Assyrie, a cependant joué un rôle important dans l’histoire des deux royaumes israélites, car elle était beaucoup plus proche que l’Assyrie. Pendant plus d’un siècle, Israël sera en butte à ses attaques (1 Rois 20).
Le nom « Syrie » est parfois utilisé comme synonyme du mot hébreu Aram. Il désigne la plaine s’étendant du Liban jusqu’au-delà de l’Euphrate. Le pays fut longtemps divisé en une série de petits royaumes. David et Salomon établirent leur domination sur eux, mais après le schisme, les rois syriens de Damas attaquèrent souvent le royaume du nord 11. Au milieu du VIIIe s., la Syrie eut un sursaut d’indépendance sous Retsin (740–732). Sous le règne d’Ahaz, Retsin s’unit à Pékah, roi d’Israël, pour attaquer Jérusalem. Ahaz appela le roi d’Assyrie à l’aide. Tiglath-Piléser III vint attaquer Damas, déporta ses habitants et tua Retsin (2 Rois 16 : 5-9). La destruction de Damas, prophétisée par Ésaïe (17 : 1) et Amos (1 : 4-5), fut citée comme avertissement à Juda (Ésaïe 8 : 4 ; 10 : 9s).
À partir de là, la Syrie tomba définitivement au pouvoir des Assyriens. Elle passa ensuite sous la domination des Babyloniens, puis des Perses et perdit toute influence politique.
L’Assyrie fut pendant longtemps la puissance païenne la plus redoutable pour Israël et Juda. Une part importante des écrits des prophètes lui est consacrée.
Au XIIe s., elle connut une expansion considérable, puis elle déclina. Les tribus araméennes échappèrent à son pouvoir et fondèrent le royaume de Damas (Syrie). L’Assyrie ne regagna sa puissance qu’à partir du IXe s. sous la conduite de rois entreprenants 12. Au cours du VIIIe s., elle établit un vaste empire comprenant l’ensemble des peuples du Moyen-Orient. Les deux royaumes hébreux n’échappèrent pas à son empire et durent lui payer un tribut 13. Mais au VIIe s., des révoltes éclatèrent un peu partout 14. Unis aux Mèdes, les Chaldéens prirent les villes d’Assur et de Ninive, comme Nahoum (1 : 8) et Sophonie l’avaient prédit. En 609, l’empire assyrien cessa d’exister. Son territoire fut occupé par les Chaldéens.
La Chaldée était primitivement la partie sud de la Babylonie, mais le nom s’appliqua finalement à toute la Babylonie (surtout au VIe s). après que Nabopolassar, un gouverneur chaldéen fut devenu roi de Babylone (626).
Selon Gen. 10 : 10, c’est Nimrod qui fonda la ville de Babylone. Celle-ci connut des fortunes diverses au cours des siècles, mais lutta toujours pour son indépendance. Au VIIIe s., un gouverneur chaldéen envoya une ambassade au roi de Juda pour demander son aide contre les Assyriens (2 Rois 20 : 12-18 ; Jér. 37 : 1). En 587, lorsque Sédécias, le roi qu’il avait établi en Juda se révolta (Jér. 52 : 3s ; cf. 2 Rois 25 : 7), il revint, détruisit la ville, pilla le temple et emporta les ustensiles sacrés à Babylone (2 Chr. 36 : 7). Une nouvelle déportation eut lieu en 571 (2 Rois 25 : 8-21).
Mais la gloire de l’empire babylonien devait être de courte durée. Ésaïe 13 : 14 ; 44 : 28), tua Belchatsar (Dan. 5 : 30) et permit aux Juifs de rentrer dans leur pays (Esd. 1 : 1-11 ; cf. 45 : 13 ; Ésaïe 23 : 12 ; Hérodote 2 : 44). Pour se garantir contre les assiégeants, la ville principale s’établit sur un îlot rocheux au milieu de la mer (27 : 32). Au VIIIe s., les relations entre Israël et Tyr furent amicales : Hiram, roi de Tyr, fournit à David et à Salomon des matériaux de construction pour le palais royal et le temple (1 Rois 5 : 1 ; 9 : 10-14). Plus tard, elles se gâtèrent. La fille d’un roi de Tyr, Jézabel, femme du roi d’Israël Achab, tenta d’introduire le culte païen en Israël (1 Rois 16 : 31-33 ; 18 : 4, 19). Les Tyriens livrèrent des Israélites aux Édomites (Amos 1 : 9), volèrent leurs biens et vendirent des prisonniers hébreux aux Grecs (Joël 4 : 5-6). Éz. 26 : 29, note).
Les Philistins vinrent de l’île de Crète au XIIe s. av. J.-C. et s’installèrent sur la bande côtière de la Méditerranée à l’ouest de la Judée. Ils donnèrent passablement de fil à retordre aux Israélites jusqu’au temps de David. Ensuite, ils apparaissent moins souvent dans l’histoire d’Israël. Par deux fois, ils envahirent le territoire de Juda : sous Yoram (2 Chr. 21 : 16) et sous Ahaz (28 : 18 ; Ésaïe 11 : 14 ; Jér. 25 : 20 ; Abdias 1 : 19 ; Ps. 137 : 7) et s’emparèrent du territoire vidé de ses habitants.
À cause de cette hostilité séculaire qui se manifestait à chaque occasion, les prophètes ont annoncé le châtiment d’Édom (Lam. 4 : 21 ; 35 ; Jean 4 : 19, Mal. 1 : 4) mais ils ont aussi annoncé qu’à la fin des temps, les Édomites seraient intégrés au royaume de Dieu (passages précédemment cités, ainsi qu’Amos 9 : 12).
Les Moabites furent, comme les Ammonites, des descendants de Lot (Gen. 19 : 37-38) installés à l’est de la mer Morte, au sud d’Ammon. Ils manifestèrent à diverses reprises leur hostilité à l’égard d’Israël (Nomb. 22 à 25 ; Juges 3 : 12-30 ; 1 Chr. 20 : 1-30 ; 2 Rois 13 : 20 ; 24 : 2). Les prophètes les ont stigmatisés comme les ennemis-types du royaume de Dieu (25 : 10 ; Jér. 9 : 26 ; 25 : 21 ; 27 : 3 ; 48 ; Éz. 21 : 25, 33 ; Ésaïe 21 : 16). Ils eurent de fréquents contacts avec les Israélites (Gen. 37 : 28, 36 ; Juges 6 à 8 ; 2 Chr. 9 : 14 ; 17 : 11). Salomon reçut la visite de la reine de Saba (à l’extrémité sud de la péninsule ; 1 Rois 9 : 26-28) et perçut des tributs de rois arabes (1 Chr. 9 : 14). Sous le règne de Yoram (849-842), les Arabes saccagèrent Jérusalem, emportèrent ses richesses et déportèrent femmes et enfants (2 Chr. 21 : 16-17). Ils furent vaincus plus tard par Ozias (26 : 7). Les prophètes ont annoncé le jugement des Arabes (Jér. 25 : 24). Jérémie a prédit que Néboukadnetsar les soumettrait à sa domination (49 : 28-29), ce que des tablettes babyloniennes, récemment découvertes, ont confirmé.
Au Xe s., du temps de David et de Salomon, l’Égypte et l’Assyrie, toutes deux affaiblies, équilibrent leurs puissances respectives dans une tension constante. Israël utilise leur rivalité pour consolider sa puissance et étendre ses frontières. David et Salomon jugulent les Philistins et font alliance avec les Phéniciens pour se lancer dans de vastes entreprises commerciales. Le schisme (931) compromet cette prospérité : la guerre entre les deux royaumes les affaiblit tous deux, le pharaon Chichaq en profite pour envahir la Palestine.
Le IXe s., voit grandir la puissance assyrienne et celle de la Syrie. C’est l’époque où Salmanassar III d’Assyrie assure la suprématie de son pays sur tout le Moyen-Orient. En 853, il bat la coalition des rois araméens (Syrie, Israël, etc). à Qarqar. C’est le début de l’activité des prophètes : Élie, Élisée, Abdias, Joël.
Au début du VIIIe s., l’Assyrie et la Syrie se combattent mutuellement. Les rois d’Israël en profitent pour étendre leur pouvoir : Jéhu bat les Syriens (2 Rois 13 : 10-25), Jéroboam II étend sa suzeraineté sur les deux royaumes araméens (Damas et Hamath à 200 km plus au nord : 2 Rois 14 : 25-28). Avec l’aide du roi Joas de Juda, il chasse les Syriens du territoire transjordanien de Galaad (2 Rois 13 : 25 ; 14 : 25).
L’Assyrie, bien que minée par des luttes intestines, consolide peu à peu sa puissance extérieure. C’est l’époque où Jonas est envoyé à Ninive pour l’avertir du jugement suspendu au-dessus de sa tête.
Dans la seconde moitié du VIIIe s., il y a une concentration d’événements et d’interventions prophétiques. Dans le royaume du nord, après le long règne prospère de Jéroboam II (793–753), six rois se succèdent en une trentaine d’années : Zacharie et Challoum n’occupent le trône que quelques mois, Menahem et Peqahya règnent en même temps que Péqah. Après le règne d’Osée (732–722), le roi d’Assyrie met fin à l’existence nationale du royaume du nord.
Dans le royaume de Juda à la même époque, Ozias (Azaria) devenu lépreux doit laisser le trône à son fils Yotam qui, de son côté, régnera plus tard avec Ahaz. Au point de vue extérieur, c’est l’apogée du roi assyrien Tiglath-Pilézer III (743–727) et de Retsin de Damas (750–732).
Dans ces temps troublés, Dieu envoie ses prophètes : après Amos (entre 765 et 750) et Osée (286–724) dans le royaume du nord, Ésaïe (à partir de 739), en Juda et Michée (745–715) dans les deux royaumes.
Dans la première moitié du VIIe s., peu d’événements marquants : l’Assyrie consolide sa puissance avec des rois comme Sennachérib, Esar Haddon et Assourbanipal. Elle affirme sa prépondérance sur tous les peuples du Croissant fertile - y compris l’Égypte. En Juda, c’est le long et néfaste règne de Manassé (en corégence de 695 à 686 avec Ézéchias, puis tout seul jusqu’en 642). La voix des prophètes est muette.
À partir de la seconde moitié du VIIe s., par contre, nous assistons de nouveau à une concentration de l’activité prophétique en même temps qu’à une ébullition sur le plan politique. Sous le bon roi Josias, nous trouvons simultanément Nahoum (650–612), Sophonie (626–625), Habaquq (609–608) et Jérémie (à partir de 627). C’est l’époque qui précède immédiatement la grande catastrophe qui va fondre sur le peuple de Juda : Dieu voulait avertir les siens et s’efforcer une dernière fois de les détourner de leur destinée fatale. Lorsque la ville et le temple de Jérusalem sont détruits, Jérémie, Ézéchiel et Daniel sont là pour consoler le peuple par la perspective du redressement futur.
Sur le plan international, de profonds bouleversements changent la face du monde : la Babylonie raie l’Assyrie du nombre des états indépendants, l’Égypte fait une dernière tentative pour affirmer son pouvoir, mais elle aussi sera réduite à la soumission, puis au silence.
Au VIe s., les événements se précipitent : l’empire néobabylonien de Néboukadnetsar, colosse aux pieds d’argile, tombera après moins d’un siècle de gloire (539), comme les prophètes l’avaient prédit. Les Juifs rentrent dans leur pays (538, 536) et se mettent à reconstruire le temple de Jérusalem, encouragés par les prophètes Zacharie et Aggée (520).
Dans la seconde moitié du Ve s., Esdras et Néhémie font reconstruire les murailles de la ville. Malachie (460–450 ou après 433) secoue le formalisme du peuple et des prêtres et l’appelle à se repentir dans la perspective de la venue du Messie. Puis, pendant quatre siècles, la voix prophétique se tait. Il faudra attendre l’arrivée du Précurseur prédit par le dernier prophète, pour que cette voix puissante se fasse réentendre.
Tout au long des trois siècles et demi d’histoire qui s’écoulent entre le schisme et la chute de Jérusalem, on note certaines constantes sur le plan politique comme sur le plan spirituel.
Du point de vue politique, l’histoire d’Israël et de Juda fut tranquille et prospère lorsque les voisins se querellaient et que leurs forces s’équilibraient. Ce fut le cas, par exemple, sous le règne de Jéroboam II lorsqu’il put s’emparer des royaumes araméens de Damas et de Hamath affaiblis par les Assyriens, mais que ces derniers eurent suffisamment maille à partir avec les Ourartou (Arméniens), les Scythes et les Élamites qui les pressaient sur leurs frontières.
Lorsque l’un des « grands » devenait trop puissant, il mangeait tous ses voisins, les opprimait et les asservissait, suscitant parmi les peuples soumis des réactions d’hostilité qui, à la longue, minaient son pouvoir et préparaient sa ruine. Ce fut le cas de l’Assyrie puis de la Babylonie. Dieu a utilisé successivement ces deux peuples pour exécuter ses châtiments, mais comme ils ont outrepassé leurs droits, il les a châtiés à leur tour.
Dès que l’hégémonie des grandes puissances se relâchait, la virulence des petits peuples contre leurs voisins s’accentuait. Israël et Juda eurent plus d’une fois à pâtir de ces interventions cruelles des nations environnantes : Ammonites, Moabites, Édomites, etc.
En bref, le centre de gravité du danger extérieur s’est déplacé en arc de cercle du sudouest au nord-est : Égypte, Philistie, Syrie, Assyrie, Babylonie, Perse.
D’un point de vue spirituel, la situation était beaucoup plus simple : lorsque le peuple était fidèle à l’alliance, Dieu s’occupait lui-même de ses voisins, qu’ils soient puissants ou simplement audacieux. Il en donna un exemple frappant lors du siège de Jérusalem par l’armée du puissant roi d’Assyrie Sennachérib. Ézéchias mit sa confiance en l’Éternel qui « frappa 185 000 hommes » durant la nuit, de sorte que Sennachérib dut lever le camp.
Lorsque, par contre, le roi et le peuple se confiaient dans « le bras de la chair » c.-à-d. dans les forces militaires ou les alliances étrangères, Dieu leur apprenait par des leçons douloureuses que l’aide des hommes est illusoire.
Lorsque les Israélites ou les Judéens abandonnaient l’Éternel et s’enfonçaient dans l’idolâtrie, l’injustice et l’immoralité, les prophètes les appelaient à la repentance sous la menace de durs châtiments. Lorsque le châtiment était là, ils les réconfortaient par la perspective du rétablissement futur et l’assurance de la présence actuelle de Dieu avec eux. Ces deux messages gardent toute leur actualité.
Au fond, à travers toutes ces péripéties et tous ces événements, Dieu, par l’intermédiaire des prophètes, apprenait à son peuple une seule et même leçon : la confiance en lui, se traduisant par la fidélité à son alliance. Et cette leçon reste pleinement valable aujourd’hui.
Moïse avait présenté Dieu non seulement comme l’Être suprême, mais aussi comme l’Être unique, absolu, et, par conséquent, sa volonté parfaite comme étant la loi qui devait finir par triompher de toutes les velléités et de toutes les résistances de la créature. C’est sur cette certitude sainte que repose le prophétisme en Israël. Les « Tu feras » ou « Tu ne feras pas » de la loi sont des promesses en même temps que des ordres.
Tous les peuples ont eu des oracles ou des devins : Israël seul a eu des prophètes. Il y a entre la divination et la prophétie deux différences principales. Voici la première : la divination se rapporte uniquement au moment présent ; la prophétie s’élance jusqu’au terme de l’histoire, jusqu’à la fin des jours, selon l’expression employée par les prophètes hébreux. Chaque prophète israélite, norme de la loi en main, apprécie et juge le présent à la lumière de la fin, c’est-à-dire de la parfaite et éternelle réalisation de la loi. Par là même, il présente aussi la fin sous l’angle particulier qui convient au moment présent. C’est là le lien moral, la pensée commune, qui fait de toutes les prophéties un seul faisceau. Les oracles païens ne sont qu’une série de déclarations isolées les unes des autres ; ils ressemblent aux mots qui se suivent sans relation logique dans les colonnes d’un vocabulaire. Les prophéties israélites convergent toutes vers un terme unique : le triomphe de la sainte volonté de l’Éternel. Elles s’enchaînent et se complètent comme les termes d’une même proposition.
De cette première différence en résulte une seconde. Les oracles païens n’ont trait qu’à des circonstances de la vie privée ou nationale. La prophétie israélite révèle, dès son premier mot, une portée humanitaire, « La postérité de la femme (cette expression, dans le sens du texte, désigne proprement l’humanité tout entière) écrasera la tête du serpent ». Plus tard, sans doute, au moment de la vocation d’Abraham, l’horizon prophétique semble se resserrer : la prophétie se nationalise pour ainsi dire. Mais précisément, alors elle a soin d’affirmer et de maintenir expressément sa tendance universelle : « Toutes les familles de la terre, dit Dieu à Abraham, seront bénies en ta postérité ». La postérité d’Abraham (dans le sens du texte, le peuple d’Israël) n’est que le moyen ; le but, ce sont toutes les familles de la terre. Et lorsqu’enfin la prophétie se renferme dans une sphère plus étroite encore et se concentre sur un seul individu, le personnage extraordinaire en qui se réaliseront toutes les promesses antérieures, le Messie, voici le langage que Dieu lui tient : « Je t’ai donné pour héritage les bouts de la terre ». Rome n’a vu dans les nations étrangères que la matière de ses triomphes ; Israël, dès le commencement, s’est connu lui-même comme l’agent du salut du monde, comme l’instrument du bonheur des peuples. Ce fait étrange mériterait de la part de la philosophie de l’histoire une attention plus sérieuse que celle qu’elle lui a accordée jusqu’à présent, d’autant plus que ce trait n’est pas isolé et qu’il se rattache à un fait plus général. Tandis que tous les autres peuples marchent penchés vers la terre et préoccupés uniquement de leur puissance et de leur prospérité temporelle, Israël s’avance dans l’histoire, les mains étendues vers un bien à venir, distinctement contemplé, dont il fait hardiment le principe et le point d’appui de son existence. Les Gentils sont les peuples du présent, les nations de la terre, selon l’expression de Jésus ; Israël ne cesse, même au milieu de ses désastres, de se sentir comme étant le peuple de l’avenir.
C’est la prophétie qui a surtout contribué à entretenir chez le peuple israélite cette merveilleuse aspiration, qu’aucune catastrophe nationale n’a eu le pouvoir d’étouffer. Vivante application de la loi divine, de ses promesses et de ses menaces, au moment présent, tableau à la fois austère et brillant du triomphe final de cette loi, la prophétie fut dans tous les temps pour Israël comme le pont entre son présent et son avenir. Aussi, à aucune période importante, la grande voix prophétique n’a-t-elle fait défaut à ce peuple élu. À l’époque de la fondation de la monarchie, David et ses chantres annoncèrent, dans des hymnes que nous possédons encore, la propagation sur toute la terre de la connaissance de l’Éternel. Un ou deux siècles plus tard, au moment critique où le petit État israélite se trouva en contact avec les colossales monarchies qui l’avoisinaient au sud et à l’est, un groupe de prophètes - Joël, Amos, Michée, Ésaïe - éclaira sa voie toute semée d’écueils. Deux siècles après, lorsque le royaume de Juda succombait sous les coups du conquérant chaldéen, Jérémie, Habaquq et Sophonie le soutinrent dans cette effroyable catastrophe. Durant la captivité, Ézéchiel et Daniel préparèrent le relèvement. Et lorsque s’accomplit la restauration inespérée, Aggée, Zacharie et Malachie reçurent la mission de présider à ce rétablissement.
Après Malachie, la chaîne prophétique se brise pour un temps. Pendant les quatre siècles qui suivent, Israël se reconnaît lui-même destitué du souffle prophétique 15, mais en la personne de Jean-Baptiste se renoue la chaîne mystérieuse et apparaît celui qui est à la fois le dernier des prophètes et plus qu’un prophète. Puis le moment décisif arrive avec la venue de Jésus et des apôtres ; l’esprit prophétique se retire d’Israël et passe à un nouveau peuple de Dieu.
Ces quatre prophètes sont les quatre principaux d’entre ces hommes extraordinaires, envoyés au peuple choisi, qui vont nous occuper. Je ne me propose ni de retracer en détail leur histoire, ni de me livrer à l’étude critique des écrits que la tradition juive leur attribue. Mon désir est uniquement de signaler le rapport qui existe entre la pensée dominante de leur ministère, telle qu’elle ressort en général des livres qui portent leurs noms, et la situation morale du peuple à l’époque où ils ont vécu.
Ces hommes de Dieu, en traçant pour leur temps les grandes lignes du plan de Dieu, ont déterminé pour toujours la direction normale que doit suivre la pensée humaine. L’exécution de ce plan, esquissé par eux à grands traits, nous emporte encore à cette heure. Nous avons donc aussi quelque chose à apprendre d’eux. Ésaïe, Jérémie, Ézéchiel, Daniel ne sont pas seulement des prophètes ; ils sont et restent nos prophètes.
Lorsqu’Israël commençait à s’endormir dans sa prospérité, Ésaïe lui dit : « Ton Dieu est saint : prends garde ! Réveille-toi ! Le jugement plane sur ta tête ». Israël, négligeant cet avertissement, céda à l’assoupissement du péché. Un peu plus tard, quand l’heure fatale du châtiment allait sonner, Jérémie lui cria : « Donne gloire à Dieu ! l’Éternel est juste ! Tu as péché ! Accepte sans résister le coup dont Dieu va te frapper ! ». Les réchappés du jugement national, ceux que les premières déportations avaient mis à l’abri sur la terre étrangère, se résignèrent, mais non sans tomber dans un morne découragement. Il n’y a plus d’espérance, se disaient-ils l’un à l’autre en face du jugement divin consommé. À ces derniers, Ézéchiel vint dire : « Dieu est puissant : prenez courage ! Vous revivrez ! ». Bientôt Cyrus parut. Miraculeusement affranchi, Israël put rentrer dans sa patrie. Mais à ce moment-là, son imagination s’exalte. Le jour de la gloire est arrivé ; le Christ va paraître ! Daniel calme alors cette effervescence charnelle. « Non, dit-il, l’heure de la gloire est encore éloignée. Il s’agit de persévérer et de demeurer fidèles longtemps encore, pendant des siècles ; mais le jour viendra où les paroles du Dieu éternel trouveront leur accomplissement ».
Sanctifie-toi ! Soumets-toi ! Espère ! Prends patience ! Voilà les quatre messages. Ils répondent bien aux quatre situations morales que nous avons rappelées.
On peut comparer Ésaïe à un chêne majestueux ombrageant de ses rameaux touffus le palais des rois de Juda au temps de sa splendeur. Jérémie ressemble à un saule pleureur dont les branches pendent sur le sol au milieu des ruines de ce château désolé. Ézéchiel fait l’effet d’une de ces plantes aromatiques de l’Orient, dont les vivifiantes senteurs embaument la contrée et raniment le cœur du voyageur défaillant. Daniel est comme un arbre qui s’élève au milieu d’une vaste plaine et que l’on discerne de toutes parts ; c’est le signal au moyen duquel la caravane peut s’orienter dans sa marche.
Voilà comment, en tout temps, Dieu s’est approché de son peuple, et, avec une paternelle fidélité, a répondu à ses besoins. À chaque moment grave et, pour ainsi dire, à chaque bifurcation du chemin, il s’est trouvé là, se levant matin, selon la belle expression de Jér. 29 : 19, et prodiguant ses conseils salutaires par ses prophètes. Et toutes ces voix diverses se réunissent en une seule pour proclamer en commun la loi maîtresse, la norme suprême de l’histoire : tout ce qui s’élève sera abaissé. C’est sous cette loi qu’ont dû successivement courber leur tête orgueilleuse tous les pouvoirs de l’ancien monde, les monarchies babylonienne, médoperse, grecque et romaine. La petitesse d’Israël ne l’a point mis à l’abri de l’application de ce grand principe. Dès qu’il a prétendu faire de sa divine élection le principe d’un monopole, dès que, de simple moyen qu’il était dans la pensée de Dieu, il a prétendu se faire but, l’éclair qui foudroie tout ce qui s’élève a frappé sa petitesse. Car, souvenons-nous-en bien, l’orgueil des petits n’est pas plus tolérable aux yeux du Très-Haut que celui des grands.
Cette loi, en effet, qui a jugé le monde ancien, règne aussi sur le monde moderne. Voilà pourquoi les paroles des prophètes nous concernent encore. Elles tombaient de trop haut pour n’être que d’une application restreinte ou momentanée. Jusqu’à la fin des jours, elles rappelleront aux hommes enivrés d’eux-mêmes ce qu’ils sont et ce qu’est Dieu. Individus, familles, peuples, tout y est et y reste à jamais soumis.
Une nation, petite ou grande, a-t-elle atteint le faîte de la prospérité, se flatte-t-elle d’être, par ses lumières, par son organisation politique et militaire ou par son développement moral, à la tête de la civilisation ? L’Esprit saint lui dit par la bouche d’Ésaïe : « Les yeux hautains seront abaissés ; l’Éternel seul sera haut élevé en ce jour-là […] Sanctifiez l’Éternel, et que seul il soit votre crainte et votre frayeur » (Ésaïe 2 : 11 ; 8 : 13).
Une nation, après avoir fermé l’oreille aux avertissements divins, succombe-t-elle au jugement inopiné qui la frappe et ressemble-t-elle à un blessé gisant sur le sol, dont le sang coule à flots ? Jérémie s’approche et lui parle ainsi : « Malheur à l’homme qui a fait de la chair son bras, dont le cœur s’est retiré de l’Éternel ! […] Pourquoi l’homme vivant murmurerait-il, l’homme, dis-je, qui souffre pour ses péchés ? » (Jér. 17 : 5 ; Lam. 3 : 39).
Un peuple brisé par les coups du Tout-Puissant rend-il hommage à son céleste juge et, au lieu de s’arrêter follement à maudire la verge qui s’est abaissée sur lui, glorifie-t-il la main qui l’a maniée ? C’est le moment pour Ézéchiel de lui crier : « Tu revivras ! […] Tu connaîtras que je suis l’Éternel, quand je ne cacherai plus ma face de toi et que j’aurai répandu mon Esprit sur toi » (Éz. 37 : 14 ; 39 : 22, 29).
Un peuple enfin, après avoir vu briller l’aurore du relèvement, se livre-t-il de nouveau à des espérances ambitieuses et à de terrestres aspirations ? Daniel se lève et lui rappelle que la réalisation de l’âge d’or des derniers jours n’est pas l’œuvre de l’homme, mais celle du Christ ; que l’abolition des misères sociales ne peut résulter que de la suppression du péché ; que l’ère du bien ne datera pour l’humanité que du jour où se lèvera sur elle le soleil de justice ; que la gloire enfin n’est, dans l’ordre divin, que le corollaire de la sainteté.
Il n’y a plus d’apôtres, pourquoi ? Parce que Pierre, Matthieu, Paul, Jean sont encore nos apôtres. Dieu ne suscite plus de prophètes, pourquoi ? Parce qu’Ésaïe, Jérémie, Ézéchiel, Daniel doivent encore être nos prophètes. Étudions donc leurs paroles, non pour chercher curieusement à déchirer le voile qui couvre l’avenir, mais pour apprendre à employer constamment le présent en vue de la fin ; et que, chaque fois que nous nous préparons à méditer ces paroles, ce soit avec la disposition d’un Ésaïe, au moment où il prêtait l’oreille pour recueillir la révélation divine : « Éternel, je t’ai attendu sur le sentier de tes jugements. Vers ton nom et ton souvenir se porte le désir de notre âme. Mon âme te désire la nuit, et mon esprit au-dedans de moi te cherche au matin. Car lorsque tes jugements sont sur la terre, les habitants de la terre apprennent la justice » (Ésaïe 37 : 9). L’Égypte fut défaite et envahie par deux fois par les Assyriens, en 671 et 666–665. L’empereur assyrien Assourbanipal, exaspéré par les Égyptiens finit par saccager Thèbes, la capitale de la Haute-Égypte : un événement qui se raconta longtemps dans le monde antique et fournit à Nahoum (3 : 8-10) l’exemple de ce que Dieu ferait à Ninive. En fin de compte, les pharaons n’avaient été pour Israël et Juda que des « roseaux cassés blessant la main de ceux qui s’appuient sur eux » (2 Rois 18 : 21 ; Ésaïe 36 : 6).
Assourbanipal avait établi un certain Psammétique gouverneur de la Basse-Égypte pour le compte des Assyriens. Celui-ci profita du retrait des troupes assyriennes, rappelées en Mésopotamie pour juguler une révolte locale, pour se faire reconnaître roi par toute l’Égypte. ll unifia son pays et fonda la 26e dynastie sous laquelle l’Égypte regagna un certain lustre d’antan. Lui et son successeur Néko II (ou Nékao II) s’allièrent à l’Assyrie contre Babylone dont la puissance grandissante menaçait l’équilibre du MoyenOrient. Lorsqu’en 609, Néko II marcha au secours de l’Assyrie, Josias, le roi de Juda, lui barra la route. Il le retint suffisamment à Méguiddo pour consommer la perte de l’Assyrie vaincue par les Babyloniens, mais il paya cette intervention de sa vie (2 Rois 23 : 29). L’Égypte tenta de remplacer l’Assyrie comme suzeraine de la Palestine, mais cet essai ne dura que quatre ans et se solda par la défaite retentissante de Karkémich (605) où ses armées furent écrasées par le roi de Babylone Néboukadnetsar. Malgré tous les efforts des pharaons qui succédèrent à Néko II, tout le Moyen-Orient fut soumis à Babylone (Jér. 46 : 2). Le roi de Juda Yéhoyaqim tenta de se soulever contre le joug babylonien espérant en l’aide de l’Égypte (2 Rois 24 : 1s), mais Néko II resta tranquillement chez lui et Néboukadnetsar prit Jérusalem en 597. L’Égypte fit une dernière tentative pour juguler le pouvoir babylonien : le pharaon Hophra encouragea le roi de Juda Sédécias à se révolter contre Babylone (Jér. 37 : 5), mais lorsque Néboukadnetsar vint pour la seconde fois assiéger Jérusalem en 587, il rentra vite en Égypte, comme Jérémie l’avait prévu (46 : 13s). En 525, l’Égypte tomba aux mains des Perses qui mirent fin à son indépendance politique.
Les Syriens surent habilement exploiter les rivalités entre lsraël et Juda. Ben-Hadad II de Damas réussit à absorber divers royaumes araméens et à les regrouper en un seul sous sa domination. Après deux campagnes infructueuses contre Israël, il réussit à entraîner Achab dans une coalition anti-assyrienne de dix rois de la région, mais lorsque le danger assyrien s’éloigna, Israël se retira de la coalition. Ben-Hadad l’attaqua et lui infligea une défaite cuisante à Ramoth en Galaad (1 Rois 22 : 1-25). Au cours du IXe siècle, les rois assyriens attaquèrent la Syrie à maintes reprises. En 802, Damas fut assiégée et devint tributaire de l’Assyrie. Dès lors, sa force déclina et Jéroboam II put s’en emparer.
Assour-Nasirpal II (883–859) soumit les tribus araméennes de Mésopotamie et étendit son pouvoir sur le Liban et vers la Philistie. Sa poussée vers l’ouest l’amena jusqu’aux frontières d’Israël. Son fils Salmanassar III (858–824) s’assura la domination de tous les pays situés entre l’Arménie (Ourartou) et le golfe Persique, entre la Médie et la côte syrienne. En 857, il s’empara de Karkémich, la capitale de l’antique empire hittite et en 853, il affronta la coalition des dix rois à Qarqar. Selon des tablettes assyriennes, le roi d’Israël Achab aurait engagé 2 000 chars et 14 000 hommes dans cette bataille. Plus tard, Jéhu lui aurait payé un tribut.
Son fils Samsi-Adad V (823–811) fut obligé de lutter contre des ennemis internes et externes. Il mourut jeune. Sa veuve Sémiramis assura la régence jusqu’à ce que son fils Adad-Nirari III eut l’âge de régner. En 804, le jeune roi attaque Damas, ce qui enlève une sérieuse épine du pied d’Israël (2 Rois 12 : 17 ; 2 Chr. 24 : 23s) et permet à Joas de recouvrer certaines villes prises par Hazaël de Syrie (2 Rois 13 : 25). Jéroboam II profitera de l’affaiblissement de la Syrie pour étendre les frontières d’Israël « jusqu’aux portes de Hamath » (2 Rois 14 : 25-28) sans que l’Assyrie, minée par des luttes internes, l’arrête.
En 745, Tiglath-Piléser lI s’empara du pouvoir (2 Rois 15 : 29 ; 16 : 7-10) et régna durant 18 ans. Il établit un empire encore plus vaste que celui de Salmanassar III. Il soumit les Araméens de la Babylonie, le chef chaldéen Mérodak-Baladan et les villes syriennes et phéniciennes. Il obligea le roi d’Israël Menahem à lui payer un tribut (2 Rois 15 : 19-20). Ses armées ne s’arrêtèrent qu’au « torrent d’Égypte » et tous les rois de la Palestine devinrent ses tributaires (Retsin de Damas, Ammon, Édom, Moab et Ahaz de Juda, 2 Chr. 28 : 19-21). Ahaz, roi de Juda, acheta le secours de Tiglath-Piléser, contrairement aux avertissements d’Ésaïe (2 Rois 16 : 7-8). Mais le roi assyrien ne lui fut d’aucune aide. Il prit quelques villes d’Israël, la Galilée et le pays de Nephtali et en déporta les habitants (2 Rois 15 : 29) ainsi que d’autres Juifs (1 Chr. 5 : 26).
Damas tomba en 732, Tyr capitula et Tiglath-Piléser remplaça Pékah par Osée à la tête d’Israël (2 Rois 15 : 30). Lorsque Samarie refusa de payer le tribut à l’Assyrie, Sargon II (722-705) vint assiéger la ville pendant 3 ans (2 Rois 17 : 1-6 ; 18 : 9-10) et après l’avoir prise, en 722, il en déporta les habitants (27 270, selon ses tablettes). Les années suivantes, il étendit son pouvoir dans toutes les directions. Il reprit Karkémich et guerroya en Arménie et en Médie. Son fils Sennachérib (704–681) continua sa politique. Il prit Tarse en Cilicie, assiégea la ville phénicienne de Sidon, Lakich en Juda (2 Rois 18 : 13-14), et battit les Égyptiens. Le roi de Juda Ézéchias qui s’était révolté contre lui dut lui payer un tribut (v. 14-16). Il assiégea Jérusalem (2 Rois 18 : 17 à 19 : 9), mais dut lever le siège (19 : 35-36, confirmé par Hérodote 2 : 141). Ses fils l’assassinèrent (Ésaïe 37 : 38 ; 2 Rois 19 : 37).
Son fils Esar-Haddon lui succéda (680–669) après avoir été vice-roi à Babylone. Lorsque les Babyloniens se révoltèrent, il lui suffit d’une expédition militaire pour les soumettre, mais il eut plus de mal à contenir les Élamites et les Cimmériens (Arménie). Tous les royaumes du Moyen-Orient (y compris Israël) lui payèrent régulièrement leur tribut. En 672, il installa des gouverneurs assyriens à Thèbes et à Memphis en Égypte. Il mourut au moment où l’Égypte se révolta. Son fils Assourbanipal (668–627) entreprit de châtier les rebelles. Il mit Thèbes à sac (Nahoum 3 : 8-10) et donna à l’empire assyrien sa plus grande extension (Égypte, Palestine, Chaldée, Elam, Médie, Arménie, Cilicie).
Les Scythes donnèrent le Moyen-Euphrate, les Mèdes assiégèrent Ninive. En 625, sous Nabopolassar, les Chaldéens chassèrent les Assyriens de Babylone.
Cf. les livres des Macchabées où ce sentiment est fréquemment exprimé.
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