Comme les Psaumes sont dans la Bible le monument principal de la poésie lyrique, les Proverbes sont celui de la poésie didactique. La première ne veut qu’exprimer une émotion pour la faire partager ; la seconde veut instruire et rendre sage et bon. Et pour atteindre mieux son but, elle a recours aussi au langage poétique. Chez les Grecs également, l’enseignement de la sagesse a primitivement revêtu une forme rythmée : Parménide, Xénophane ont publié leurs systèmes sous forme de poèmes.
Le règne paisible de Salomon a été éminemment favorable à l’épanouissement de la poésie didactique en Israël. La vie de David avait été semblable à une traversée agitée ; celle de Salomon est une promenade sur un lac paisible. Dans la première situation on prie ; dans la seconde on contemple, on observe et on devise. Le psaume fut naturellement la langue de David, le proverbe celle de Salomon.
La méditation du sage devait avoir une double tâche : Premièrement, développer les applications pratiques du monothéisme et de la Loi à la vie de tous les jours, privée, domestique ou publique ; deuxièmement, remonter jusqu’aux fondements humains, jusqu’aux principes universels sur lesquels reposait la religion israélite, pour retrouver le terrain commun sur lequel nous placent naturellement la conscience et la raison, et où l’Israélite peut s’entendre avec tous les autres hommes. L’excès de cette tendance produit les esprits forts, les moqueurs de Psaumes 1.1 et de Proverbes 21.24, qui commençaient à poindre en Israël ; mais elle est en elle-même fort légitime. La sagesse remonte aux idées générales renfermées dans les faits théocratiques, à la moralité générale qui est à la base de la légalité mosaïque, à ce fond humain auquel est venu se superposer la religion israélite. Le nom d’Israël n’est pas mentionné une fois dans les livres de la sagesse juive. La Loi n’est prise que dans son sens le plus spirituel. Les sages s’efforcent de s’élever, par une sorte d’universalisme rationnel et anticipé, au-dessus du mosaïsme, pour retrouver l’humain qui sert inévitablement de fondement au code national. Cette relation est très remarquable : elle prouve que la Loi est antérieure à la sagesse.
L’idolâtrie n’est pas combattue et les sacrifices ne sont point mis en saillie. Ce qui est recommandé, ce sont les vertus domestiques, le support, la débonnaireté, l’humilité, la bienfaisance, la pureté. Volontiers on remonte aux temps primitifs (arbre de vie, paradis), antérieurs au particularisme théocratique ; on observe la nature entière, plantes, animaux, etc. ; on s’attache aux manifestations de la sagesse de Dieu dans l’ordre naturel aussi bien que dans l’ordre révélé.
Non pas que la sagesse hébraïque soit une sorte de morale indépendante ou de rationalisme. La crainte de l’Éternel y est et y reste le commencement de toute sagesse. La prophétie elle-même y est pleinement reconnue (Proverbes 29.18). Ainsi, non pas révolte contre la révélation, mais recherche du sol primordial qui lui sert de base, et exposé des bienfaits qui découlent de l’observation de la Loi. Disons seulement que lorsque cette espèce d’humanisme et d’eudémonisme en viendra, plus tard, à abandonner sa base théocratique, le sadducéisme sera né ; absolument comme le pharisaïsme est l’excès de la légalité pure.
Cette sagesse ne fut pas cultivée seulement par Salomon. Comme David avait autour de lui une pléiade de chantres, Salomon fut entouré, d’une société de sages (1 Rois 4.31). Il eut même des relations avec des cours étrangères en vue de la culture de la sagesse, et en particulier avec Hiram de Tyr. Josèphe rapporte, sur la foi des historiens phéniciens, que les deux rois voisins s’envoyaient mutuellement des énigmes. « Hiram n’ayant pu expliquer celles que lui avait proposées Salomon, il lui paya une somme très considérable. Mais ayant depuis envoyé à Salomon un Tyrien nommé Abdémon qui les lui expliqua et lui en proposa d’autres qu’il ne put lui expliquer, Salomon lui renvoya son argent » (Antiquités judaïques VIII, 5, 3). Voir aussi la reine de Séba (2 Rois 10.1-3). Nous trouvons dans Proverbes 25.1, les traces de la continuation de ces travaux en Israël. Et pourquoi cela nous étonnerait-il ? N’a-t-on pas retrouvé dans les papyrus égyptiens la preuve qu’il y avait de pareilles académies de sages et de poètes à la cour de Ramsès II, bien des siècles avant Salomon ?
Le titre de notre livre dans les Bibles hébraïques est Mischlé Schelomo (Proverbes de Salomon). Le mot de maschal, dont mischlé est le pluriel, et qu’on a rendu par celui de proverbe, signifie proprement une comparaison, un discours figuré (voir Ésaïe 14.4, note). Le verbe maschal a deux sens, comparer et dominer, dont on ne voit pas au premier abord la parenté. Peut-être réside-t-elle en ceci, que pour comparer deux choses, il faut être placé au-dessus d’elles, les dominer. Un jugement est un acte de souveraineté. Les Pères de l’Église appellent notre livre la Sagesse ou la Sagesse très vertueuse, nom qui est appliqué également au livre de Jésus Sirach et à celui de la Sapience.
On trouve dans le Nouveau Testament plusieurs citations des Proverbes, mais sans que le nom du livre soit jamais indiqué :
Il n’y en a pas d’une seule ligne ; les plus simples se composent de deux vers. Ces deux vers sont synonymes (11.25), ou présentent une opposition (10.1), ou bien une comparaison. Cette comparaison, ce rapprochement peut être exprimé par un verbe (27.15), ou bien par un comme au début du premier vers, auquel répond au début du second un ainsi exprimé (26.1) ou sous-entendu (25.13). Quelquefois les particules de comparaison sont entièrement supprimées et il y a simple juxtaposition avec (27.20) ou sans et (25.11).
Mais les maximes de notre recueil débordent parfois le cadre du distique simple et s’étendent sur un nombre plus considérable de membres de phrase. Les exemples de tristiques ne sont pas rares : 22.29 ; 25.8-20 ; 27.10 ; 28.10, etc. Les doubles distiques sont assez fréquents dans certaines parties du livre : 22.24-25, 26-27 ; 23.15-16 ; 24.3-4, 28-29. On rencontre aussi des groupes de cinq membres 23.4-5 ; 24.13-14 ; de six : 23.1-3, 19-21, 26-28, et un seul de sept : 23.6-8. Plus considérables que cela, les groupes de versets traitant un seul et même sujet ne peuvent plus être regardés comme des proverbes proprement dits ; ce sont de véritables petits poèmes, des discours sentencieux, des paraboles, des descriptions, telles que celles des suites de l’ivrognerie (23.29-35) ou de la paresse (24.30-34), et des exhortations, comme l’encouragement au travail des champs (27.23-27) ou les recommandations que la mère de Lémuel adresse à son fils (31.1-9).
Citons encore comme une spécialité de notre livre ce que les Juifs postérieurs ont appelé les proverbes à nombre (midda), dont on ne trouve qu’un seul exemple dans les vingt-neuf premiers chapitres (6.16-19), tandis que le chapitre 30 en contient toute une série. Le proverbe à nombre a ceci de particulier que le chiffre mentionné dans la première ligne est augmenté d’une unité dans la seconde, et qu’il groupe des êtres ou des choses qui sont rapprochés par un caractère commun. Ainsi au 30.18. Ceci rappelle Job 5.19 et Amos chapitres 1 et 2.
Enfin, il faut signaler dans 20.10 ; 25.3 et peut-être aussi 30.10-14 des rudiments de priamèle, forme sentencieuse très cultivée chez les anciens Hindous et qui consiste à énumérer, après ou avant une sentence qu’ils servent à préparer ou à prouver, une série plus ou moins longue de faits :
Les cieux en hauteur et la terre en profondeur
Et le cœur des rois, on ne les peut sonder (25.3).
En présence des formes si variées que revêtent les maximes et les exhortations contenues dans le livre des Proverbes et de la variété non moins grande des sujets traités, on s’est demandé si les auteurs et les collecteurs de cet ouvrage avaient été guidés dans leur travail par un principe de groupement bien déterminé. Si nous faisons abstraction des neuf premiers chapitres, qui développent un seul et même thème jusqu’à ce que tous les aspects du sujet aient été complètement étudiés, il faut reconnaître que, dans tout le reste du livre, composé de maximes plus ou moins isolées, un principe de groupement est très difficile à trouver. Il semble que, en général, ce soient des rapprochements tout extérieurs de mots qui aient amené le compilateur à juxtaposer tel ou tel proverbe. Ainsi, au chapitre 10, les versets 6 et 7 renferment tous deux les mots de juste et de méchants ; les versets 11 et 12, le verbe couvrir ; les versets 14 et 15, le mot ruine. Dans le chapitre 25, les versets 8 et 9 présentent l’un et l’autre le verbe plaider, les versets 10 et 11 le mot or. Les versets 9 à 12 du chapitre 11 commencent tous quatre par la même lettre. Voir encore 20.24-26 ; 22.2-4. Ailleurs des essais de groupement sont basés sur des critères moins extérieurs. Ainsi, dans la seconde collection attribuée à Salomon, on trouve, 25.1-7, une série de sentences concernant les rois ; au chapitre 26, chacun des versets 3 à 12 envisage un caractère particulier des insensés ; les versets 23 à 26 et 28 traitent tous de la bouche trompeuse. Mais ces groupements par sujets traités sont rares et ne se rencontrent pas également dans toutes les parties du livre. Les auteurs du recueil, en employant le procédé indiqué en premier lieu, semblent avoir éprouvé le besoin d’offrir aux lecteurs un moyen mnémotechnique commode, qui leur permît de graver sans peine dans leur mémoire les maximes qu’ils offraient à leur méditation.
Le livre des Proverbes ne forme pas un tout compact et d’un seul jet : il ne se donne pas lui-même pour être l’œuvre d’un auteur unique. On discerne en effet, à première vue, diverses parties qui se distinguent par leur forme littéraire, comme par leur provenance, et qui, par leur juxtaposition, ont constitué notre livre actuel. Ces parties sont :
En résumé :
En dépit de la suscription des morceaux 3, 4, 6 et 7, on a longtemps prétendu, à cause du titre général (1.1), que Salomon était l’auteur du livre entier, et il n’y a pas de tours de force auxquels on ne se soit livré pour retrouver dans les noms d’Agur et de Lémuel la désignation allégorique et voilée du monarque auquel on avait jugé bon d’attribuer le monopole exclusif des productions sentencieuses de l’Ancien Testament. Pour étayer cette opinion, on citait 1 Rois 4.29 et 32 : « Dieu donna à Salomon de la sagesse et une très grande intelligence et une étendue d’esprit comme le sable qui est sur le bord de la mer… Et il prononça trois mille maximes ».
Mais est-il admissible que la sagesse israélite, qui a produit des œuvres aussi remarquables que Job et nombre de Psaumes, n’ait inspiré, dans le domaine de la poésie sentencieuse, qu’un seul auteur, alors que le même passage que nous venons de citer (verset 31) indique les noms de plusieurs sages célèbres de l’époque salomonienne ? La façon, d’ailleurs, dont il est souvent parlé de la royauté comme pouvant être une cause de ruine pour un peuple, et les avertissements réitérés adressés au lecteur pour le mettre en garde contre les ruses de la femme pécheresse, ne se comprennent guère sous la plume d’un Salomon. Depuis qu’une critique impartiale a été appliquée aux écrits de l’Ancien Testament, cette opinion a été abandonnée. Cherchons à déterminer, si possible, quelle est la partie qui, dans l’ensemble, revient à Salomon, et quelles sont les parties qu’il faut attribuer à d’autres sages.
Ces chapitres renferment, depuis 1.7, une série d’exhortations où l’apostrophe : mon fils ou mes fils, revient quinze fois, tandis qu’elle ne paraît qu’une fois dans les treize suivants. Le jeune homme est exhorté à rechercher la sagesse comme le bien suprême ; on lui montre les dangers et les tentations auxquels il sera exposé s’il se laisse conduire par les désirs de son cœur. On y constate une certaine uniformité de ton, et ils produisent l’impression d’être l’œuvre d’un auteur unique qui aura voulu donner, à tout ou partie de ce que nous appelons le recueil des Proverbes proprement dit, une introduction d’une portée générale. Cette introduction est écrite en un style qui forme le contraste le plus frappant avec celui des écrivains auxquels nous devons le reste du livre. Ici ce n’est pas la maxime sous sa forme brève et un peu sèche, réduite à un seul, ou à deux, trois on quatre versets au plus ; c’est le discours exhortatif, avec son ampleur d’allure et son abondance de développements, traitant un thème bien précis, énoncé dès le début (1.7-8) et qui apparaît répété encore à la fin (9.10), d’un bout à l’autre on voit revenir les mêmes exhortations : le devoir de rechercher la sagesse (1.20 et suivants ; chapitres 8 et 9), celui d’éviter la femme perverse (2.16-19 ; 5.3 et suivants ; 6.24 et suivants ; 7.5-23 ; 9.13 et suivants).
Si l’on cherche, au point de vue des termes employés, avec quelles autres parties de l’ensemble ce groupe de chapitres a le plus de rapports, on reconnaîtra sans peine que c’est avec la première collection salomonienne. Cependant il existe dans cette collection bon nombre d’expressions caractéristiques, qui ne se rencontrent pas dans les chapitres 1 à 9, et vice-versa. L’apostrophe « mon fils », fréquente dans chapitres 1 à 9, est absente dans les chapitres 10 à 22. La sagesse est dans les neuf premiers chapitres une personne divine, dans les suivants une connaissance solide basée sur la crainte de Dieu. Comment expliquer ces faits, si ces deux groupes de chapitres ont un seul et même auteur ?
Première collection de maximes incontestablement attribuées à Salomon. Nous sommes ici transportés dans le genre sentencieux proprement dit. Ce ne sont plus des discours, mais de véritables maximes, indépendantes les unes des autres, présentant une très grande régularité de forme (4 mots dans la première moitié du verset, et 3 dans la seconde) et appartenant presque exclusivement au genre antithétique. Les proverbes synonymiques et synthétiques sont très rares ici (11.7 ; 12.9 ; 14.19 ; 15.16 ; 16.26), deux seulement reposent sur une comparaison (10.26 ; 11.22). La pensée ne s’y étend jamais au-delà du distique. Pour 19.7, voir à ce passage. Cette collection, si l’on admet la scission en deux de 19.7, présente 376 maximes.
Elles renferment des pensées très belles et très élevées au point de vue moral et religieux. Elles accentuent les bénédictions qui résultent, pour l’homme, de la crainte de Dieu, la toute-science et la souveraineté absolue de l’Éternel ; elles indiquent les choses que l’Éternel a en abomination ; elles insistent sur le respect dû aux parents et mettent en un fort relief les caractères qui distinguent le sage de l’insensé. La théorie de la rétribution dès ici-bas des bons et des méchants est partout admise dans cette collection ; aucun doute ne s’élève à son sujet dans l’esprit de l’auteur. Il est parlé de la royauté en des termes flatteurs qui font supposer qu’à l’époque où furent composées ces maximes, on n’avait pas encore fait les dures expériences qu’on fit sous tel des successeurs de Salomon. Le roi est loué pour son amour de la justice, pour sa sagesse et sa miséricorde. Dans la seconde collection salomonienne, la personne et l’activité royales seront appréciées tout autrement.
Mais il est un fait qui frappe dans ce groupe de chapitres : c’est le nombre assez grand de maximes qui y figurent deux fois, telles quelles ou avec des variantes plus ou moins légères. La maxime 14.12 se retrouve identique dans 16.25. Dans les suivantes, l’identité est presque complète :
Dans 19.5 et 9 identité, sauf le dernier mot. Dans 10.15 et 18.11, la première ligne est identique ; dans 10.6 et 11 ; 10.8 et 10 ; 15.33 et 18.12, c’est la seconde ligne. Dans les maximes suivantes, on trouve une ligne à peu près identique :
De cet état des choses, il est permis de conclure que l’auteur des maximes qui composent cette collection, n’en a pas été le rédacteur, car il n’eût pas laissé s’introduire dans son œuvre tant de doubles emplois. Il est inadmissible que cet auteur se soit copié lui-même et parfois à quelques lignes de distance. Que, sur les trois mille maximes que 1 Rois 4.32 attribue à Salomon, ce dernier se fût quelquefois répété, cela n’aurait rien d’étonnant. Mais que sur les 376 sentences qui composent la première collection salomonienne, le roi sage par excellence se soit laissé aller à de si fréquentes et frappantes redites, c’est ce que l’on ne saurait admettre sans porter atteinte à la haute réputation de bon sens et de bon goût dont jouissait ce monarque. On s’explique au contraire assez facilement qu’un compilateur de maximes, recueillant de ci et de là les matériaux de sa collection, se soit laissé aller à y insérer des pensées qui n’étaient que la répétition plus ou moins textuelle de sentences déjà mises par écrit.
Ce petit recueil ne renferme plus, comme son titre l’indique clairement, des maximes de Salomon, mais des « Paroles de divers sages » dont les noms sont restés inconnus. Il appartient à une époque plus récente que la collection précédente, car il présente des formes gnomiques beaucoup plus variées. Le distique n’y paraît plus que rarement. La pensée s’étend en général sur plusieurs membres de versets, et, même sur plusieurs versets. On constate la présence d’un tristique (22.29), de nombreux tétrastiques (22.22-23 ; 24-25 ; 26-27 ; 23.10-11), de pentastiques, et même de groupes de trois, quatre et cinq versets (23.1-3 ; 24.13-14 ; 22.17-21). Enfin dans 23.29-35 nous avons, sur les dangers de l’ivrognerie, tout un petit poème. Le genre parénétique des chapitres 1 à 9 est aussi représenté ici : les versets 23.29-35 sont un préambule destiné à faire saisir le but que poursuit le compilateur ou l’auteur de cette courte collection. Il semble s’adresser, non pas à un ou plusieurs auditeurs imaginaires, comme c’était le cas dans les chapitres 1 à 9, mais à un être réel qu’il appelle « mon fils ». L’exhortation revêt volontiers la forme négative et dix-sept versets commencent par la particule négative : Ne… pas ! Ces maximes sont en général d’un caractère pratique et ont pour but de prémunir l’auditeur contre le danger des cautionnements, de la poursuite des richesses, de la gourmandise, de l’ivrognerie. Ici encore, comme dans les chapitres 10 à 22, il est parlé de la personne du roi en des termes élogieux (24.21) ; la royauté devait être encore dans tout son éclat.
Il existe, entre ce premier petit recueil de maximes des sages et la première collection salomonienne, des répétitions et quelques analogies de sens et d’expression assez frappantes : 22.14 et 23.27 ; 13.9 et 24.20. Dans le recueil même, la répétition des parties de versets indique que ces maximes sont l’œuvre de plusieurs sages et non d’un seul ; comparez :
Bien que présentant des formes gnomiques très analogues à celles du groupe précédent, cette courte collection se donne elle-même pour un petit tout distinct. Elle présente en effet une nouvelle suscription : « Cela aussi vient des sages ». Ce terme aussi (ou encore) se retrouvera dans 25.1, et peut faire penser que ces deux collections ont les mêmes éditeurs. Sur la répétition de 6.10 dans 24.33-34, voir à ces passages.
Ceci est un supplément au morceau 10.1-22.16. La suscription : « Voici encore des proverbes de Salomon, recueillis par les gens d’Ézéchias », n’a rien que de fort naturel. Le règne d’Ézéchias a été illustré par le ministère d’un Ésaïe et d’un Michée, dont les écrits comptent parmi les produits littéraires les plus remarquables de l’Ancien Testament. Pourquoi sous ce roi pieux un groupe de lettrés ne se serait-il pas appliqué à recueillir les fragments épars des productions didactiques des temps passés ?
Le mot encore de la suscription ne veut pas dire que les mêmes hommes qui avaient réuni les chapitres 1 à 24 continuent leur œuvre en y ajoutant une nouvelle série de maximes salomoniennes. Il signifie plus naturellement que les lettrés de l’époque d’Ézéchias, ayant recueilli une nouvelle collection de ces proverbes, les ajoutent à la suite du recueil qu’ils ont trouvé déjà constitué. Autrement la mention des « gens d’Ézéchias » aurait dû figurer déjà dans la première suscription 1.1 .
La collection chapitres 25 à 29 se distingue à divers points de vue des chapitres 10 à 22. La forme du distique est différente ; le genre antithétique n’est guère représenté que dans les chapitres 28 et 29. Ce qui domine, ce sont les proverbes paraboliques, ayant à leur base une comparaison tirée de la nature ou du spectacle de la vie humaine (chapitres 25 à 27). Dès le début du chapitre 25 on trouve représentés les divers genres de maximes : au verset 2 un distique antithétique ; au verset 3 une priamèle à trois sujets ; aux versets 4 et 5 une maxime à quatre membres, de forme parabolique ; aux versets 6 et 7 une maxime à cinq membres ; au verset 8 un tristique, etc. Et, pour le fond, les maximes de cette seconde collection salomonienne semblent dénoter un état social assez différent de celles de la première. La royauté n’est plus présentée sous un jour aussi favorable (25.6 ; 28.15-16 ; 29.26). Des expériences fâcheuses semblent avoir été faites. Le cœur des rois est un abîme insondable (25.3) ; il faut à tout prix écarter du trône les mauvais conseillers (versets 4 et 5) ; l’État est menacé par les compétitions des partis (28.2). Voir encore versets 12, 15, 16, 28 ; 29.2, 4, 16, d’autre part, les maximes ayant une portée religieuse sont rares dans cette seconde collection, qui renferme plutôt des préceptes moraux, des maximes satyriques sur le sot (26.3-12), sur le paresseux (26.13-16), et qui recommande la pratique assidue du travail des champs (27.23-27).
Mais, à côté de ces différences, qui étonnent dans les produits d’une même plume, ces deux collections présentent des rapports qui doivent être signalés également ; maximes presque identiques :
Maximes exprimant une même pensée, mais sous une forme un peu modifiée :
Maximes ayant une ligne identique :
Dans la plupart des cas il est malaisé de dire à quelle collection appartient la priorité. Mais parfois on peut constater que la forme originale est la deuxième ; par exemple : 26.13 et 22.13. Observons au reste qu’il n’y a que quatre maximes vraiment identiques, et que, pour la plupart, la différence est assez sensible pour que les gens d’Ézéchias se crussent en droit de les insérer sans hésitation dans leur nouvelle collection. Comparez :
Il est probable que les auteurs de la seconde collection ont connu la première, et même la supposent connue de leurs lecteurs ; sans cela, ils auraient inséré dans la leur un nombre beaucoup plus considérable de maximes de la première. Puis, le but poursuivi par les compilateurs de la seconde collection n’était pas de compléter la précédente. Le rédacteur des chapitres 10 à 22 avait voulu composer une anthologie didactique à l’usage de la jeunesse, et le proverbe placé en tête du chapitre 10 l’indique assez clairement. C’est d’ailleurs ce qu’il annonce dans la suscription générale de son recueil, 1.1-6. Les rédacteurs de la seconde collection ont poursuivi un but tout autre : ils voulaient former un ouvrage d’une utilité plus générale, d’une portée plus populaire, s’adressant à tous ; et c’est ce qu’indique déjà la première maxime de leur recueil (25.2).
Nous avons ici un premier appendice, d’une nature assez spéciale et dont le titre suscite bien des difficultés (voir notes). Il renferme surtout de ces proverbes à nombres, dont les vingt-neuf premiers chapitres n’offrent qu’un exemple unique (6.16-19). Certains termes qui ne se rencontrent pas ailleurs ont fait songer pour ce chapitre à une origine étrangère à Israël.
Courte exhortation adressée par une reine-mère à son jeune fils, pour le prémunir contre la sensualité et la boisson et lui recommander la sollicitude pour les pauvres. Ce bref discours renferme aussi, comme nous le verrons, diverses expressions inusitées, qui paraissent à plusieurs dénoter une influence étrangère.
Pourquoi cette poésie à la suite du livre des Proverbes ? Peut-être pour former une antithèse naturelle aux passages consacrés à la femme impudique, contre laquelle vient encore d’être mis en garde Lémuel (verset 3). Ou bien cette femme ne serait-elle pas comme l’incarnation de la sagesse divine dans les relations de la vie terrestre, un type visible de la sagesse du chapitre 8 ? Nous aurions là le digne couronnement de tout l’ouvrage. On ne peut rien déterminer sur la date de la composition et sur l’origine de ce morceau.
Il est tout particulièrement difficile de formuler des conclusions certaines quant à la date de la composition de notre livre. Les points de repère historiques font défaut. Aussi, de l’époque de Salomon, regardée par la tradition comme celle de la rédaction du livre, dans son entier, est-on descendu jusqu’à l’époque grecque, considérée comme seule capable d’expliquer des termes étrangers et des manières de penser qui paraissent n’avoir pas été habituelles aux Hébreux. Nulle mention de l’idolâtrie, laquelle ne disparut du sein du peuple qu’après l’exil. Cet argument tiré du silence n’a pas la portée qu’on lui attribue. Les auteurs du livre des Proverbes ne destinaient pas leurs maximes à des gens vivant en dehors de la foi théocratique. C’est sur le terrain de la religion israélite qu’ils se placent. Ils s’adressent à ceux qui, appartenant à la communauté de l’Éternel, ont besoin d’être instruits par de sages avis, pour arriver à un niveau moral toujours plus élevé. Les nombreuses maximes qui ont trait à la personne royale ne se comprendraient pas à l’époque où Israël n’avait plus de roi.
Prenant pour point de départ le fait que la collection chapitres 10 à 22 ne peut pas avoir été rédigée par Salomon lui-même, pour les raisons énoncées plus haut, nous pensons que, avant d’avoir été recueillis par le ou les compilateurs de cette première collection, les proverbes sortis de la bouche du grand roi avaient circulé un certain temps parmi le peuple et avaient pu subir de ce fait diverses déformations ou altérations dont on retrouve les traces dans les maximes plus ou moins analogues qui existent dans ces treize chapitres. Mais cette première collection a dû prendre naissance à une époque assez rapprochée de Salomon, alors que la royauté était encore en honneur et que l’on cherchait à maintenir au sein de la nation la pureté des mœurs, la vie religieuse, le respect des lois. Or le règne de Josaphat, séparé par un intervalle de 70 ans de celui de Salomon, fournit précisément un milieu historique présentant les conditions que nous venons d’indiquer. Le passage 2 Chroniques 17.7-9 parle des efforts de ce pieux monarque pour répandre au sein de son peuple la connaissance de la loi : il envoya par tout son royaume des prêtres et des lévites « pour enseigner dans toutes les villes de Juda ». Ce détail ne révèle-t-il pas le prix que l’on attachait alors à la connaissance des saintes lettres ? La sollicitude que ce même Josaphat voua, d’après 2 Chroniques 19.5, à l’exercice de la justice ; les recommandations qu’il fit aux juges établis par lui dans diverses villes : « Que la frayeur de l’Éternel soit sur vous, prenez garde à ce que vous ferez, car il n’y a chez l’Éternel, notre Dieu, ni iniquité, ni égard à l’apparence des personnes, ni acceptation de présents ! » ; tout cela ne rappelle-t-il pas l’importance exceptionnelle que le rédacteur de Proverbes chapitres 10 à 22 attache à la justice et à l’incorruptibilité des juges ? Il y a donc, semble-t-il, des présomptions sérieuses (il ne peut y avoir que cela en l’absence de toute donnée historique précise) en faveur de la compilation de la première collection salomonienne à l’époque de Josaphat. Un auteur, lettré lui-même, appartenant, lui aussi, à l’école de la Sagesse israélite, animé du désir de réunir, en vue des jeunes générations, un ensemble de sentences utiles, aura recueilli un choix de maximes provenant du grand roi. Parmi ces sentences, conservées jusqu’alors dans la mémoire du peuple, ont pu s’en glisser un certain nombre d’autres sages anonymes. Ainsi peut s’expliquer aussi la présence, dans la collection chapitre 10 à 22.16, des doublets signalés plus haut. Quoi qu’il en soit de ce point, le compilateur s’est appliqué à ne grouper que des proverbes exprimant une antithèse marquée et se gravant d’autant plus facilement dans la mémoire. De là l’énorme prédominance des distiques antithétiques dans cette première collection. Il dut, pour cette raison, laisser de côté bien des sentences non moins remarquables, mais dont plus tard profitèrent les auteurs de la seconde collection qui porte le nom de Salomon.
Son travail de compilation accompli, le même personnage aura composé de sa propre main les chapitres 1 à 9, qui devaient, dans sa pensée, introduire dignement le recueil salomonien qu’il venait de constituer. Cette sagesse qui, d’après plusieurs passages de Proverbes chapitres 1 à 9, fait entendre sa voix dans les places publiques, ne rappelle-t-elle pas, elle aussi, ce qui se passait sous Josaphat, quand les envoyés du roi allaient de ville en ville pour « enseigner le peuple » ? Les chapitres 1 à 9 auraient donc eu pour but de faire ressortir la haute portée morale et religieuse des maximes groupées à la suite, et d’en recommander l’étude et la mise en pratique. En tête de ces discours exhortatifs, l’auteur a placé un titre assez long, où il expose nettement le but auquel il tend. Et dans cette suscription, il semble annoncer, non pas seulement des « maximes de Salomon », mais peut-être aussi des « paroles des sages. » Il paraît donc assez naturel d’attribuer au même personnage l’insertion, à la suite de la collection chapitre 10 à 22.16, du premier petit recueil de « maximes des sages, », 22.17 à 24.22. Mais a-t-il été lui-même le compilateur des maximes qui composent ce recueil, ou bien l’a-t-il trouvé tout fait et s’est-il borné à l’adjoindre au groupe chapitre 10 à 22.16 ? C’est cette dernière supposition qui nous parait la plus probable, car, bien que le ton exhortatif de chapitres 1 à 9 se retrouve dans 22.17-24.22, cependant la forme gnomique et le style sont différents, et la suscription 22.17-21 produit l’impression d’être d’une autre main que celle de 1.1-6.
Ainsi :
Nous serions, à l’époque de Josaphat, en présence d’un premier groupement qui aurait compris 1.1 à 24.22 de notre livre actuel.
Deux siècles plus tard, sous Ézéchias, une société de lettrés se serait mise à l’œuvre et aurait eu pour objet de réunir, en vue d’un cercle plus étendu de lecteurs, une nouvelle collection de maximes anciennes. Le résultat de leurs recherches serait consigné dans la seconde collection de maximes attribuées à Salomon (chapitres 25 à 29), collection qui aura été ajoutée au premier recueil. Mais on aura aussi intercalé entre les deux un groupe de maximes des sages en le faisant précéder d’une suscription nouvelle : « Cela encore vient des sages » (24.23-34). En effet, il n’est guère probable que ce soit le compilateur du morceau 1.1 à 24.22, qui ait joint à ce grand groupe la seconde collection de maximes des sages, car dans ce cas une suscription nouvelle n’eût pas été nécessaire ; celle de 22.17 suffisait. Ainsi, ce second travail de groupement nous a amenés jusqu’à la fin du chapitre 29. Restent les deux derniers chapitres, qui renferment divers indices d’une origine plus tardive et qui ont été ajoutés au grand ensemble déjà existant, à une époque qu’il n’est pas possible de préciser et que plusieurs croient même postérieure à la captivité. Alors, après avoir parcouru au moins trois étapes successives, notre livre en vint à revêtir la forme et l’étendue sous lesquelles nous le possédons aujourd’hui.