La bonne nouvelle de l’Évangile n’était point encore parvenue à notre Europe. Dieu, qui avait de si grands desseins pour l’avenir de cette partie du monde, y appela l’apôtre des nations par une vision. La voix du Macédonien que Paul entendit durant la nuit : Passe en Macédoine et viens nous secourir (Actes 16.9), fut comme le cri de détresse du présent et une prophétie de l’avenir. Paul, occupé de son second voyage de mission en Asie, n’hésita pas ; il traversa la mer, et s’arrêta d’abord à Philippes, colonie romaine considérable de la Macédoine ; elle portait ce nom en l’honneur de Philippe, fils d’Amyntas et roi de Macédoine, qui l’avait rebâtie et fortifiée. Cette ville était célèbre par la bataille d’Antoine et d’Octave contre Brutus et Cassius. Sur son emplacement il ne reste plus aujourd’hui qu’un village appelé Filiba. Bien que Philippes fût appelée première ville de la Macédoine (16.12), les Juifs, à qui Paul s’adressait toujours en premier lieu, n’y étaient pas assez nombreux pour avoir une synagogue ; ils s’assemblaient pour leur culte hors de la ville, au bord d’une rivière, et ce fut là que l’apôtre de Jésus-Christ fit entendre l’Évangile de la paix, dans les lieux où, moins d’un siècle auparavant, s’était décidé le sort de la république romaine par un affreux carnage. Sa prédication ne resta pas sans effet : ce fut d’abord Lydie, la marchande de pourpre, à qui le Seigneur ouvrit le cœur pour la rendre attentive aux choses que Paul disait (16.14) ; puis ce fut le geôlier de l’apôtre qui, ayant cru au Seigneur, reçut son prisonnier dans sa maison et lui témoigna la charité d’un frère (16.28-34). Lorsque Paul et Silas, son compagnon d’œuvre, quittèrent la ville, ils firent leurs adieux, chez Lydie, à un petit troupeau de frères qu’ils consolèrent avant de partir (Verset 40). Plus tard, l’apôtre visita une seconde fois cette Église (20.6).
Telle fut l’origine de l’Église de Philippes, qui, à ce qu’il paraît, s’agrandit rapidement. Les rapports formés entre l’apôtre et ces nouveaux croyants dans les jours du premier amour et au sein d’afflictions qui unissaient les cœurs, restèrent toujours particulièrement intimes et tendres. Les chrétiens de Philippes accompagnèrent partout le messager de l’Évangile de leur vif intérêt et des marques libérales de leur affection. Paul les a quittés à peine, que déjà ses frères de Philippes lui envoient par deux fois à Thessalonique de quoi pourvoir à ses besoins (Philippiens 4.16) ; à Corinthe, ils répètent leurs dons (2 Corinthiens 11.9) ; apprenant plus tard qu’il est prisonnier à Rome, ils lui envoient un des leurs, Epaphrodite, avec de nouveaux secours (Philippiens 2.25 ; 4.10). Et Paul, de son côté, qui le plus souvent refusait toute subvention de la part des Églises, au point de les affliger par cette délicate réserve (1 Corinthiens 9.15-18 ; 2 Corinthiens 11.7-12 ; Philippiens 4.15), Paul accepte les offrandes des Philippiens, il les en loue et leur témoigne sa reconnaissance et sa joie (4.10-14). Tels étaient leurs rapports de mutuel attachement. Aussi la lettre qui va nous occuper est-elle une touchante effusion de cœur ; l’apôtre lui a donné une forme plus épistolaire, plus personnelle, plus intime, qu’à aucune autre de ses épîtres.
L’occasion de l’adresser à ses bien-aimés Philippiens se présenta tout naturellement à lui. Il avait reçu par Epaphrodite tous les détails désirables sur leur état spirituel ; il les sait fidèles dans leur attachement à l’Évangile comme au premier jour (1.5), il a la plus joyeuse assurance pour leur avenir (Verset 6). Et toutefois, parmi eux aussi se sont glissés ces mauvais ouvriers (3.2) qui allaient partout sur les pas de l’apôtre semer leurs doctrines d’erreur, d’après les termes dans lesquels Paul en parle (3.2-3), il s’agissait encore de ces Juifs qui dénaturaient le christianisme qu’ils avaient embrassé, en y mêlant la propre justice d’un judaïsme légal auquel ils ne pouvaient renoncer (Comparez encore 1.27-28 ; 3.18). D ces enseignements pernicieux, et peut-être d’autres causes encore (3.18-19), résultait le danger de quelques divisions parmi les Philippiens : Paul éprouve le besoin de les ramener à une pleine union (2.1 et suivants ; 3.15-16 ; 4.2).
Epaphrodite tomba dangereusement malade pendant son séjour à Rome ; il désira retourner auprès des siens qui s’affligeaient à son sujet (2.26-30). Paul le leur renvoie avec les témoignages de la plus vive affection, et il lui remet notre épître, écrite, selon toute apparence, vers la fin de sa première captivité, en l’an 63 ou 64, et assez longtemps après les deux épîtres aux Éphésiens et aux Colossiens (2.17). Il fallait, en effet, qu’il eût séjourné longtemps à Rome, pour y avoir obtenu les succès que mentionne cette lettre même (1.12-18 ; 4.22).
Quant à l’authenticité de l’épître, de Wette disait qu’elle était élevée au-dessus de tout doute. Elle a pour elle les preuves les plus convaincantes fournies par la critique interne comme par la critique externe. Chaque ligne de cet écrit porte le cachet de l’apôtre des gentils. Les nombreux rapports personnels indiqués entre l’auteur et les lecteurs ne peuvent être que ceux de Paul et de l’Église de Philippes. En vain l’école de Tubingue avait-elle contesté l’authenticité de notre épître ; un disciple de Baur, Hilgenfeld, a reconnu le peu de fondement des objections de son maître. Mais il n’est question si bien résolue sur laquelle la critique ne trouve bon de revenir de temps en temps. S’appuyant sur les caractères particuliers de la doctrine et du style de l’épître, sur l’absence du titre d’apôtre dans la suscription, sur la constitution des évêques et des diacres, Holsten a cru pouvoir conclure que l’épître n’était pas de Paul, mais d’un de ses disciples qui l’aurait composée vers 70 ou 80. Cette opinion invraisemblable a été réfutée par des théologiens du même bord que Holsten. La seule chose à concéder, c’est qu’on peut observer une légère différence entre le style de cette épître et celui des épîtres plus anciennes. Mais cette différence provient de ce que l’apôtre avait eu des rapports intimes et multipliés avec ses lecteurs et pouvait leur écrire plus familièrement, et aussi de ce qu’il était plus avancé dans la carrière. Notre épître fait transition entre les épîtres antérieures et les Pastorales, dans lesquelles ces différences de style et de pensée sont beaucoup plus marquées.
Bien que l’ordre de cette lettre soit moins rigoureux que celui des autres écrits du même apôtre, ce qui est fort naturel puisqu’il s’agit, non d’un enseignement en forme, mais d’une simple effusion de cœur et des rapports personnels de Paul avec une Église, on peut la résumer dans les pensées qui suivent :