Les deux lettres à Timothée et celle à Tite ont été nommées épîtres pastorales, parce qu’elles renferment surtout des instructions et des directions sur le gouvernement des Églises (1 Timothée 3.15) et sur l’œuvre d’un évangéliste (2 Timothée 4.5). Nous devons examiner d’abord, dans une Introduction générale, les questions critiques qui les concernent toutes trois ensemble.
Les deux premières de ces lettres pastorales sont adressées à Timothée, l’un des disciples de Paul, qui fut durant de longues années son compagnon d’œuvre, et pour lequel l’apôtre avait toute la tendresse d’un père (1 Timothée 1.2 ; 2 Timothée 1.2). Timothée était né vraisemblablement en Lycaonie, dans l’Asie Mineure, d’un père grec, mais d’une mère israélite (Actes 16.1). Celle-ci, Eunice, femme pieuse, comme l’avait été sa propre mère (2 Timothée 1.5), avait élevé son fils dans des sentiments religieux, le nourrissant, dès ses plus tendres années, de la vérité qu’elle trouvait dans les saintes lettres (2 Timothée 3.15). Ainsi préparé à recevoir l’Évangile, ce fut probablement de la bouche même de Paul qu’il l’entendit prêcher pour la première fois et dans son propre pays (Actes 14.6-7 ; comparez 2 Timothée 3.10-14). Aussi l’apôtre l’appelle-t-il fréquemment son enfant bien-aimé (1 Corinthiens 4.17 ; 2 Timothée 1.2), son légitime enfant en la foi (1 Timothée 1.2-18). Paul le retrouva lors de son second voyage missionnaire dans les mêmes contrées, converti au christianisme et ayant un bon témoignage des frères qui étaient à Lystre et à Iconie (Actes 16.1-2). Il voulut se l’attacher comme compagnon d’œuvre, et il le prit en effet avec lui après l’avoir fait circoncire, afin qu’il n’eût pas contre lui les préventions des Juifs (Actes 16.3, note). Ce fut sans doute alors aussi que Timothée, ayant fait profession de sa foi (1 Timothée 6.12), reçut l’imposition des mains par les anciens de l’Église (1 Timothée 4.14 ; 2 Timothée 1.6), bien qu’il fût encore très jeune (1 Timothée 4.12).
Dès ce moment, nous le trouvons presque constamment auprès de l’apôtre ou faisant sous sa direction des voyages pour le bien des Églises. Il l’accompagne dans sa première mission en Europe, évangélise avec lui les villes de Philippes, de Thessalonique, de Bérée (Actes 16.4-7 ; 17.14) ; il reste quelque temps dans cette dernière ville avec Silas, mais bientôt il rejoint Paul à Athènes, d’où celui-ci le renvoie à Thessalonique pour y affermir l’Église et lui en rapporter des nouvelles (Actes 17.14-15 ; comparez 1 Thessaloniciens 3.1-5). Il revient, en effet, auprès de l’apôtre à Corinthe, où ce dernier s’était rendu (Actes 18.1-5) et où l’un et l’autre étaient encore, lorsque Paul écrit, à peu d’intervalle, les deux épîtres aux Thessaloniciens (1 Thessaloniciens 1.1 ; 2 Thessaloniciens 1.1 ; comparez 2 Corinthiens 1.19). Plus tard, durant le long séjour que Paul fit à Éphèse, Timothée est auprès de lui et il l’envoie de là en Macédoine (Actes 19.22), où les deux serviteurs de Dieu se trouvent réunis quand Paul adresse aux Corinthiens sa seconde épître (2 Corinthiens 1.1), aussi bien que lorsqu’il écrit de Corinthe aux Romains (Romains 16.21). Paul partit peu après pour son cinquième et dernier voyage à Jérusalem. Timothée est mentionné parmi ceux qui l’accompagnèrent jusqu’en Asie (Actes 20.4). Il n’est pas sûr qu’il l’ait suivi jusqu’à Jérusalem, mais nous le retrouvons à Rome, partageant la captivité du grand apôtre, comme on le voit par les lettres écrites à cette époque (Philippiens 1.1 ; Colossiens 1.1 ; Philémon 1.1). Vers la fin de cette captivité, Paul exprime aux Philippiens l’intention de leur envoyer bientôt Timothée (Philippiens 2.19 et suivants).
Dès lors le Nouveau Testament garde le silence sur ce disciple, et il ne reste plus à son sujet que les données renfermées dans nos deux épîtres et la mention qu’on trouve dans Hébreux 13.23. Selon la tradition ecclésiastique, il fut le premier évêque d’Éphèse (Eusèbe, Histoire Ecclésiastique III, 4), où il souffrit le martyre.
Quant à Tite, auquel est adressée l’une des trois pastorales, voir l’Introduction spéciale à cette épître.
Depuis le moment où Paul écrit aux Philippiens et leur fait espérer l’envoi de Timothée, faute de données historiques positives, tout est incertitude quant à la vie de ces deux serviteurs de Christ, quant à leurs rapports et, par conséquent, aux circonstances de temps et de lieux où furent écrites les deux lettres à Timothée et l’épître à Tite. Les théologiens qui admettent l’authenticité de ces lettres se divisent en deux classes, selon qu’ils repoussent ou admettent la tradition ecclésiastique de deux emprisonnements de Paul à Rome. Nous ne pouvons qu’indiquer les résultats actuels de la critique dans l’une et l’autre de ces suppositions.
1°) Une lecture attentive de ces trois écrits nous révèle dès l’abord certains caractères qu’ils ont en commun, qui nous font reconnaître un seul et même auteur, aussi bien qu’une seule et même époque pour leur composition. Pour ce qui concerne l’auteur, c’est une similarité frappante de pensée, de style et même d’expressions, qui leur sont exclusivement propres et qui ne se retrouvent pas dans les épîtres de Paul, au point qu’on tire de ce fait un argument contre leur authenticité. Pour ce qui concerne le temps où ces écrits furent composés, même similarité : c’est le même état des Églises, tant à l’égard de leur développement intérieur, que sous le rapport des hérésies que l’auteur signale et combat. Or, cet état de choses révèle avec évidence une époque beaucoup plus avancée que celle où Paul écrivait ses premières lettres. Les Églises se sont constituées ; elles ont leurs conducteurs spirituels, anciens et diacres ; et les trois épîtres renferment les mêmes instructions relatives au gouvernement de l’Église. Les hérésies que Paul, à la fin de son ministère actif, annonçait comme un malheur futur (Actes 20.29-30), sont maintenant en plein développement dans les troupeaux (Voir plus loin paragraphe 4).
Cependant la critique qui n’admet qu’une seule captivité de Paul à Rome cherche, à grand renfort de combinaisons et d’hypothèses, dans la vie antérieure de l’apôtre, une place où elle puisse intercaler la première épître à Timothée et l’épître à Tite. Ainsi, pour rendre compte du moment où Paul, quittant Éphèse, y laisse son disciple (1 Timothée 1.3), elle admet qu’il s’agit de son départ d’Éphèse pour Corinthe (Actes 20.1), et c’est vers ce temps qu’elle place la première épître à Timothée, c’est-à-dire à l’époque de la seconde aux Corinthiens. Ainsi encore pour l’épître à Tite, écrite après un séjour de l’apôtre dans l’île de Crète, dont le livre des Actes ne dit rien (Tite 1.5), cette même critique en est réduite à inventer un voyage missionnaire de Paul dans cette île pendant son séjour prolongé à Éphèse. Mais ces combinaisons sont tellement en contradiction avec les faits et les textes, qu’elles ne parviennent pas à créer la conviction. Et en outre, elles viennent toutes se heurter à une grave difficulté : elles ne peuvent rendre compte de la différence entre l’état des Églises à l’époque plus ancienne des écrits reconnus de Paul, et celui que révèlent nos épîtres.
Quant à la seconde épître à Timothée, que les mêmes critiques placent à la fin de la captivité unique de l’apôtre, les contradictions abondent bien plus encore entre cette épître et celles qu’il écrivait à la même époque. Ainsi, à l’époque des premières épîtres, Timothée était auprès de lui (Philippiens 1.1 ; 2.19 ; Colossiens 1.1 ; Philémon 1.1) : quand l’apôtre écrit 2 Timothée, Timothée est absent et Paul l’invite à venir promptement (2 Timothée 4.9) ; alors l’apôtre était entouré de plusieurs disciples (Colosssiens 4.10-14 ; Philémon 1.23-24) : maintenant, tous l’ont abandonné (2 Timothée 1.15 ; 4.16) ; alors Démas était près de Paul qui salue les frères de sa part (Colossiens 4.14 ; Philémon 1.24) : maintenant, Démas l’a abandonné, ayant aimé le présent siècle (2 Timothée 4.10) ; alors, Paul, bien que préparé à toute la volonté de Dieu, exprimait la persuasion qu’il serait rendu à la liberté (Philippiens 1.25), il demandait même à Philémon de lui préparer un logement (1.22) : maintenant, il parle comme ayant devant lui la couronne du martyre (2 Timothée 4.6-8).
Il est vrai que pour ceux qui font dater les lettres aux Éphésiens, aux Colossiens et à Philémon de l’époque de la captivité de Paul à Césarée, ces contradictions disparaissent en partie. Mais leur thèse, dans la question qui nous occupe, n’en devient pas meilleure. Il suffit, pour le prouver, de citer une seule des impossibilités historiques auxquelles ils viennent se heurter. Paul apprend à son disciple que, durant son voyage à Rome, Eraste est resté à Corinthe, et qu’il a laissé Trophime malade à Milet (2 Timothée 4.20) ; or, dans la navigation racontée par Luc (Actes 27 et 28), l’apôtre ne toucha ni à Milet ni à Corinthe ; il s’agit donc d’un autre voyage. Les hypothèses par lesquelles les partisans d’une captivité unique cherchent à résoudre cette seule difficulté sont de véritables défaites.
Enfin, les combinaisons qui nous occupent ont toujours le tort de mettre un intervalle de cinq ou six années au moins entre 1 Timothée et Tite d’une part, et 2 Timothée d’autre part ; or, tout dans ces écrits indique qu’ils appartiennent à la même époque.
2°) En admettant que Paul fut délivré de sa première captivité et subit un second emprisonnement, c’est sans doute aussi par des hypothèses qu’on cherche à rendre compte de l’origine de nos trois écrits ; mais ces hypothèses, loin d’être en contradiction avec le contenu de ces trois épîtres et avec les autres données du Nouveau Testament, en rendent compte d’une manière satisfaisante.
Dans cette supposition, la combinaison la plus probable des faits serait celle-ci : Paul, conduit prisonnier à Rome en 61, y resta deux ans (Actes 28.30). Selon son attente (Philippiens 1.25 ; Philémon 1.22), il fut mis en liberté à la fin de 63 ou au commencement de 64, avant la grande persécution qui suivit l’incendie de Rome sous Néron. Il exécuta alors son dessein de retourner en Orient ; il prêcha l’Évangile dans l’île de Crète, où il laissa Tite pour continuer son œuvre (Tite 1.5). De là il se rendit à Éphèse, où il laissa Timothée en partant lui-même pour la Macédoine (1 Timothée 1.3). C’est pendant ce voyage qu’il écrivit la première épître à Timothée, puis l’épître à Tite, auquel il annonce dessein de passer l’hiver à Nicopolis en Epire (Tite 3.12). L’année suivante il retourna à Éphèse en passant par Troas (2 Timothée 4.13), puis il se rendit par Milet, où il laissa Trophime malade (2 Timothée 4.20), à Corinthe, où resta Eraste qui l’accompagnait. C’est de là qu’il serait parti pour un dernier voyage en Occident. Put-il alors exécuter son ancien projet de porter l’Évangile jusqu’en Espagne (Romains 15.24) ? Ou bien, est-ce pendant ce voyage même qu’il fut arrêté et reconduit à Rome ? Cela est incertain. Il subit à Rome une seconde captivité dont on ne peut déterminer la durée et, près de souffrir le martyre, il écrivit sa seconde, épître à Timothée (2 Timothée 2.9 ; 4.7), dans laquelle il appelle auprès de lui comme dernière consolation, ce disciple bien-aimé (2 Timothée 4.9). Ce fait est du reste en harmonie avec la tradition ecclésiastique, qui nous apprend que Paul fut mis à mort, à Rome, vers la fin du règne de Néron, .
Mais cette seconde captivité de Paul, que nous venons d’admettre par hypothèse, a-t-elle quelque fondement historique, ou du moins quelque vraisemblance ? Elle est révoquée en doute par des critiques éminents, dont plusieurs admettent, malgré cela, l’authenticité de nos trois épîtres. Et pourtant il n’existe aucune preuve, ni historique ni exégétique, qui s’oppose d’une manière péremptoire à la supposition d’une seconde captivité. Au contraire, l’authenticité des pastorales admise, on est très naturellement conduit à cette pensée, parce que toutes les données historiques et tout le contenu des lettres pastorales nous placent en présence d’une époque postérieure à celle qu’il faut leur assigner dans l’hypothèse opposée. Et d’autre part, conçoit-on l’auteur du livre des Actes, conduisant le grand apôtre jusqu’au terme de ses deux ans de captivité à Rome, c’est-à-dire jusqu’au moment de sa mort, sans dire un mot de cette mort ? Qui n’en conclurait qu’elle n’eut lieu que plus tard ?
Or la seconde captivité que le Nouveau Testament fait conjecturer comme probable, est positivement affirmée par la tradition ecclésiastique des premiers siècles. Le voyage de Paul en Occident (aux limites de l’Occident), qui ne peut avoir eu lieu qu’après sa première captivité, est affirmé par Clément de Rome (peut-être un disciple de Paul, Philippiens 4.3), dès la fin du premier siècle ou le commencement du second, dans son Epître aux Corinthiens 5. Le même fait se retrouve dans un fragment du canon de Muratori, datant milieu du second siècle (observons pourtant, pour être tout à fait impartial, que les témoignages de Clément de Rome et du canon de Muratori sont contestés par quelques-uns. Les termes de Clément, marqués d’une certaine emphase, n’impliquent pas nécessairement le voyage de Paul en Espagne ; ils pourraient désigner simplement l’arrivée de Paul à Rome, que Clément appellerait les limites de l’Occident). Quant au canon de Muratori, il ne saurait être invoqué non plus comme une preuve certaine, puisqu’il y a une lacune dans le texte et que, suivant le mot qu’on supplée, la signification du passage change du tout au tout). La tradition d’une délivrance et d’une seconde captivité devient générale dès le quatrième siècle : Eusèbe, Jérôme, Chrysostome, Théodore de Mopsueste la rapportent comme un fait admis en leur temps. On rapporte, dit Eusèbe, que s’étant alors justifié, l’apôtre partit de Rome pour prêcher l’Évangile ailleurs, qu’il y revint une seconde fois et y souffrit le martyre. Ce fut alors qu’étant dans les liens il écrivit sa seconde épître à Timothée. Puis, après avoir cité un passage de cette épître, l’historien ajoute cette réflexion qui ne laisse aucun doute sur sa conviction personnelle : J’ai dit ceci pour montrer que Paul ne souffrit pas le martyre la première fois qu’il alla à Rome, selon le récit de Luc. Car il paraît que Néron, qui était alors d’un caractère moins cruel, se contenta des raisons que Paul lui proposa pour la défense de notre religion, mais que, s’étant abandonné depuis à toutes sortes de violences, il en fit sentir les effets aux apôtres aussi bien qu’aux autres. (Eusèbe, Histoire Ecclésiastique II, 22).
Il faut ajouter que cette tradition est seule en harmonie avec le fait, non moins universellement admis dans les premiers siècles, de la mort de Paul et de Pierre vers la fin du règne de Néron. Aussi la critique tend-elle aujourd’hui à revenir à l’opinion que nous venons d’exposer sur les épîtres pastorales, opinion défendue d’une manière si convaincante par Néander dans son Histoire du siècle apostolique (Tome 1, page 389 et suivantes de la première édition allemande ; traduction de Fontanfes, Tome I, page 242 et suivantes).
Ces questions difficiles ont été traitées à fond et résolues dans le même sens par Huther : Épîtres à Timothée et à Tite (introduction), faisant partie du Commentaire critique et exégétique de Meyer. Voir aussi l’art. Paulus, de J.-P. Lange, dans l’Encyclopédie de Herzog, le Siècle apostolique, du même auteur, un travail de M. L. Ruffet : Saint Paul, sa double captivité à Rome (Paris, Meyrueis, 1860), et une étude récente de M. Bertrand : Essai critique sur l’authenticité des épîtres pastorales (1887).
Pour l’opinion opposée, voir entre autres : Reuss, Geschichte der heil. Schriften Neue Testament Dans les premières éditions de cet ouvrage Reuss admettait l’authenticité des trois pastorales. Il se montre très hésitant dans la 5e édition (1874), et enfin dans sa Bible, Épîtres Pauliniennes. II, page 245 et suivantes, 309 et suivantes, il n’admet plus que 2 Timothée, qu’il place avant les Philippiens.
Voir aussi M. A. Sabatier, articles Pastorales et Paul dans l’Encyclopédie des Sciences Religieuses.
Du reste, l’état spirituel des Églises d’Asie, tel qu’il ressort des épîtres pastorales, est en parfaite harmonie avec ce que nous en connaissons par d’autres lettres de l’apôtre Paul, sauf qu’il suppose une époque beaucoup plus avancée. En usant sans prévention les recommandations Paul adresse à ses disciples, on demeure convaincu qu’elles conviennent entièrement à cette phase postérieure du développement des Églises. Il n’est pas dit, Néander, en parlant de la première épître à Timothée, il n’est pas, dans l’histoire de saint Paul, d’époque antérieure où il eût pu écrire ce qu’il lui dit sur la congrégation d’Éphèse à la tête de laquelle il l’avait laissé. Cette lettre suppose une Église depuis longtemps établie, où des troubles survenus nécessitaient une nouvelle organisation, et dont il fallait déposer quelques chefs pour en nommer d’autres. Les nouveaux docteurs, qui s’étaient répandus en Asie Mineure pendant la captivité de Paul, avaient acquis une grande influence dans l’Église d’Éphèse. Comme Paul l’avait craint d’avance, plusieurs chefs des troupeaux s’étaient laissé entraîner par l’esprit de la fausse doctrine. Les docteurs dont il est ici question ont les mêmes traits caractéristiques que ceux qui s’introduisirent à Colosses, pendant la détention de Paul : c’étaient des judaïsants (Voir l’introduction à l’épître aux Colossiens et 1 Timothée 1.7 et suivants ; comparez Tite 1.10-14). Ils soutenaient, comme les autres judaïsants, la nécessité d’observer la loi mosaïque, mais ils se distinguaient par une tendance théosophique et ascétique. Ils enseignaient l’abstention de certains aliments, ils prescrivaient le célibat comme une partie essentielle de la profession chrétienne (1 Timothée 4.3-5) : préceptes qui se liaient à leurs théories. Ils prétendaient avoir une science supérieure (gnose, la philosophie de Colossiens 2.8), et c’est elle qui les avait fait dévier de la simplicité de la foi (1 Timothée 6.20-21 ; 2 Timothée 2.14-16, 18, 23 ; comparez Tite 1.10 ; 3.9). Comme les faux docteurs de Colosses, ils enseignaient des fables sur l’origine et la propagation des esprits (1 Timothée 1.4 ; 2 Timothée 4.4 ; comparez Tite 3.9). La lutte contre cette fausse gnose dut occuper beaucoup les Églises de ces contrées… Quant à l’état moral des faux docteurs et de ceux qu’ils séduisaient, Paul porte sur eux des jugements très sévères, qui montrent que l’erreur avait eu le temps de produire tous ses mauvais fruits. Ayant abandonné la foi et la bonne conscience (1 Timothée 1.5-6 ; 2 Timothée 2.18), ils étaient étrangers à la vérité, s’en montrant les adversaires (1 Timothée 6.5 ; 2 Timothée 2.18 ; 3.8 ; Tite 1.14) ; corrompus dans leur conscience et dans leur vie (1 Timothée 4.2 ; 6.5 ; Tite 1.16 ; 3.11 ; 2 Timothée 3.13), ils exerçaient sur d’autres une pernicieuse influence (Tite 1.10-11), et cela dans des vues intéressées (1 Timothée 6.5 ; Tite 1.11) ou parce qu’ils étaient enflés d’orgueil (1 Timothée 6.4).
Sans doute les enseignements que Paul expose dans ces lettres n’étaient pas nouveaux pour ses compagnons d’œuvre ; mais ils acquéraient une valeur spéciale par le fait que l’apôtre les avait fixés par écrit à leur intention. En même temps ces épîtres leur servaient, auprès des Églises, comme de lettres de créance et augmentaient leur autorité morale. Ainsi sont nées, sous la direction de l’Esprit de Dieu, ces épîtres pastorales qui nous ouvrent des perspectives si variées sur la vie et le gouvernement des Églises au siècle apostolique, qui renferment pour tous les âges de si importantes vérités, qui surtout fournissent au ministère évangélique des directions et des lumières dont l’absence laisserait un vide sensible dans les écrits du Nouveau Testament.
Jusqu’ici nous avons parlé de ces trois écrits dans la supposition qu’ils ont l’apôtre Paul pour auteur. Y a-t-il des raisons suffisantes pour justifier cette supposition ? Il faut consulter sur cette question, qui n’est pas non plus sans difficultés, les témoignages externes, concernant ces épîtres, et leurs caractères internes.
1°) Les témoignages historiques sont aussi concluants en faveur de l’authenticité des pastorales que pour aucun autre livre du Nouveau Testament. Eusèbe enregistre ces épîtres au nombre des homologoumena (livres reconnus), n’ayant pas trouvé dans l’Église le moindre doute sur leur authenticité. Elles paraissent comme épîtres de Paul dans le canon de Muratori et dans les versions les plus anciennes, en particulier dans la Peschitho (version syriaque). Irénée, Tertullien, Clément d’Alexandrie, Jérôme, Origène, les citent fréquemment comme écrits de l’apôtre. En remontant jusqu’aux Pères apostoliques, Clément de Rome, Ignace, Polycarpe, Justin, on retrouve nos épîtres dont ils citent des passages entiers ou des expressions qui leur sont exclusivement propres. Il en est de même de Théophile d’Antioche et de divers autres documents de l’antiquité (Voir ces citations dans Huther, introduction, page 44 et suivantes, et dans Kirchhofer, page 220). Quelques sectes hérétiques (Marcion) ne les recevaient pas ; mais il est clair que ce témoignage négatif n’a aucune importance en présence de l’unanimité de l’Église. Aussi les épîtres pastorales ont-elles été universellement reçues jusqu’à notre siècle. Schleiermacher commença à élever des doutes sur la première à Timothée ; il fut suivi par d’autres critiques qui, par les mêmes procédés, dirigèrent leurs attaques contre les deux autres épîtres. En effet, la ressemblance et les rapports essentiels de nos trois épîtres ne permettent guère, en rejetant l’une, de conserver les autres.
2°) Parmi les raisons de critique interne, arrivant à une conclusion négative, il faut noter en première ligne la difficulté de trouver dans la vie de Paul une époque à laquelle on puisse placer chacune de ces trois lettres. Or, cette objection n’a de valeur que pour ceux qui nient une seconde captivité. Et encore faut-il ajouter (nous l’avons fait observer déjà) que plusieurs théologiens tout en rejetant le second emprisonnement admettent l’authenticité de nos épîtres malgré cette difficulté. Mais on a vu combien cette thèse est périlleuse.
Un second ordre de considérations, invoqué contre ces écrits, est emprunté à certaines idées et à plusieurs expressions de nos épîtres qui diffèrent essentiellement de la manière habituelle de l’apôtre. Ainsi :
Il faut reconnaître ces différences de pensée et de style. Mais si l’on considère qu’elles sont communes à nos trois épîtres et prouvent que celles-ci ont été écrites à la même époque, que cette époque est postérieure de plusieurs années aux autres lettres de Paul, qu’il s’adresse ici, non à des Églises, mais à ses compagnons d’œuvre, que les sujets qu’il traite sont d’une nature spéciale et ressortent de circonstances très différentes et de besoins nouveaux, on comprendra qu’il serait au moins très hasardé d’en rien conclure contre l’authenticité de ces écrits. Il n’est aucun auteur, écrivant à des années d’intervalle, chez lequel on ne puisse signaler des différences de style beaucoup plus marquées.
La critique a opposé à l’authenticité des épîtres pastorales un troisième ordre d’objections tirées du développement avancé qu’elles supposent, soit dans la constitution des Églises, soit dans les hérésies signalées et combattues par l’auteur.
La constitution des Églises, a-t-on dit, est tellement réglée, les charges d’évêques, d’anciens, de diacres tellement ordonnées, qu’elles forment une hiérarchie comme il ne s’en développa qu’après le siècle apostolique. Bien plus, on trouve une institution qui ne parut que plus tard, celle des veuves, enregistrées comme telles dans l’Église (1 Timothée 5.9). Sur ce dernier point, nous pouvons renvoyer à l’explication du passage. Quant aux emplois dans l’Église, il est difficile de voir dans l’objection qu’on en tire autre chose qu’un malentendu. Les diacres, on le sait, furent établis dès les premiers temps de l’Église de Jérusalem, et le même besoin dut en provoquer partout l’institution. Pour ce qui est des anciens, ils existaient dès les premiers temps dans les Églises de Judée (Actes 11.30). Paul en établissait dans les Églises qu’il fondait (Actes 14.23). Ils jugeaient avec les apôtres et les frères les questions de doctrine (Actes 15). Et quant à leur identité avec les évêques ou surveillants, elle est évidente avant la première captivité de l’apôtre (Actes 20.17 ; comparez verset 28) ; elle se retrouve non moins évidente dans nos épîtres (Tite 1.5 ; comparez verset 7). Où est la hiérarchie ?
Quant aux hérésies, telles qu’elles apparaissent dans les pastorales, il faut un haut degré de bonne volonté pour y reconnaître les systèmes gnostiques qui parurent plus tard. Si l’on se souvient que Paul avait découvert les premiers germes de ces erreurs dans les Églises d’Asie avant son dernier voyage à Jérusalem (Actes 20.29-30) ; si l’on considère la manière dont, quatre ans plus tard, il en combattait le développement dans son épître aux Colossiens, n’est-il pas tout naturel que, quelques années après, ces erreurs fussent parvenues au point où nous les trouvons ici ?
Enfin, on a objecté contre les épîtres à Timothée la jeunesse qu’elles attribuent à ce disciple (1 Timothée 4.12 ; 2 Timothée 2.22) et certaines exhortations qui supposeraient qu’il était encore peu affermi. Or, dit-on, depuis de longues années, Timothée accompagnait l’apôtre dans ses voyages, il avait rempli d’importantes missions dans les Églises, il avait fait ses preuves, et il n’était plus dans la première jeunesse. Ces remarques ont certainement leur importance, et les passages signalés ne laissent pas que d’étonner au premier abord. Il faut, pour les comprendre, se bien représenter la situation de ces deux hommes et la nature de leurs rapports, d’après la chronologie la plus probable, il y avait environ douze ans que l’apôtre avait pour la première fois rencontré Timothée (Actes 16.1). Tout porte à croire que ce dernier était encore très jeune alors. Supposons-lui dix-huit ou vingt ans, il aurait eu à l’époque de nos lettres trente ou trente-deux ans. Si maintenant on considère l’âge de Paul, sa grande autorité, sa paternelle affection, la responsabilité qu’il imposait à son disciple en lui confiant, à sa place, la direction d’Églises troublées par les partis et les hérésies, on avouera qu’il n’y a rien dans le langage de l’apôtre qui soit hors de la situation. Paul pouvait parler ainsi à celui qu’il appelait son fils, son enfant (1 Timothée 1.1 ; 2 Timothée 1.1). Comprendrait-on mieux qu’un faussaire du second siècle eût attribué à ces deux hommes de tels rapports ? Avec la haute estime dont jouissait Timothée, il n’eût pas manqué d’en faire un saint.
On le voit, ces objections contre l’authenticité des épîtres pastorales ne sauraient contre-balancer l’unanimité des témoignages historiques en leur faveur, ni surtout le cachet apostolique et paulinien que ces écrits présentent à chaque page. La signature de l’apôtre des gentils que porte chacune de ces épîtres est bien authentique. Telle est du reste la conviction scientifique de la plupart des théologiens éminents de notre époque. Voici en quels termes B. Weiss conclut sa savante étude du problème des pastorales (Einleitung in das Neue Testament, 1886, pages 283-322) :
Comme la délivrance de Paul de sa captivité à Rome n’est prouvée par aucun autre témoignage historique que par ces lettres, si elles sont authentiques, et comme leur authenticité ne peut être prouvée que si l’on admet cette délivrance, il faut avouer que la démonstration tourne dans un cercle et ne saurait aboutir à un jugement scientifique absolument concluant. Il faut concéder de plus que l’existence des erreurs combattues dans nos épîtres ne peut être historiquement établie, qu’on ne saurait fixer le moment où fut précisée l’organisation de l’Église et où la charge de l’enseignement fut unie à celle du gouvernement, et qu’on ne peut prouver, par conséquent, que les pastorales, qui supposent un tel état de choses, aient été écrites dans les années 65 et suivantes. Il faut concéder enfin qu’on ne saurait trancher d’une manière péremptoire la question de savoir si les différences de pensée et de style peuvent être expliquées par la différence des temps et la transformation qui s’est opérée dans l’esprit même de l’apôtre.
Mais il faut reconnaître également que, dans les circonstances qu’elles présupposent, nos lettres s’expliquent parfaitement, et que les difficultés qu’elles présentent sont levées par une exégèse impartiale. Ceux qui nient leur authenticité n’ont pu encore éclaircir le problème de leur origine et s’embarrassent dans des difficultés bien plus inextricables. Nos épîtres sont donc ce qu’elles prétendent être, des lettres de Paul datées de la dernière période de sa vie, période qui ne nous est pas autrement connue.