Le nom de Michée (en hébreu Mica, abrégé de Micaja ou, plus complètement, Micajahou) signifie : « qui est comme Jéhova ? » C’est l’antique profession monothéiste d’Israël (Exode 15.11 ; Deutéronome 6.4), devenue nom propre. Il a donc la même valeur que le nom de Micaël (Daniel 10.13, note). Michée semble lui-même, dans un passage de son livre (7.8), faire allusion à cette signification de son nom, comme Ésaïe le fait pour le sien propre (Ésaïe 8.18).
Nous savons peu de chose des circonstances extérieures de notre prophète. Il était, d’après 1.1 (comparez verset 14 et Jérémie 26.18), originaire de la bourgade judéenne de Moréseth, voisine de la frontière des Philistins et de Gath, l’une de leurs cinq villes. Cette localité, que Jérôme connaissait encore, se trouvait non loin d’Eleuthéropolis (aujourd’hui Beit-Jibrin), au sud-ouest du pays de Juda ; c’est là que la tradition fait mourir le prophète et place son tombeau ; une église chrétienne y existait au IVe siècle.
D’après le titre de son livre (1.1), Michée a exercé, son ministère sous les trois rois de Juda Jotham, Achaz et Ézéchias (758-698 avant J-C). Il est ainsi le contemporain d’Osée et d’Ésaïe, mais sans doute un contemporain plus jeune de ces deux prophètes, qui étaient entrés dans la carrière déjà sous le prédécesseur de Jotham, Ozias (Osée 1.1 ; Ésaïe 1.1), d’après le livre de Jérémie (31.18), c’est au temps d’Ézéchias que Michée aurait prophétisé. Jérémie, accusé d’être traître à sa patrie et se trouvant en danger de mort, pour avoir annoncé publiquement la destruction de Jérusalem, les anciens de Juda prennent sa défense en rappelant que Michée avait prédit la même chose à Ézéchias et à tout son peuple, sans que ni le roi ni le peuple eussent songé à l’en punir ; et ils citent textuellement la prophétie qui se trouve Michée 3.12. Nous ne voyons pas qu’il y ait, comme certains critiques l’ont prétendu, contradiction entre ces deux données, celle de Michée 1.1 et celle de Jérémie 26.18. Il se pourrait parfaitement que Michée eût en effet prononcé la menace rappelée dans Jérémie, ainsi que tout le morceau qui s’y rattache (chapitres 3 à 5), à l’époque d’Ézéchias et qu’il n’en eût, pas moins prophétisé déjà sous les rois précédents, comme l’affirme la suscription de son livre. Certains traits mentionnés dans ses prophéties, comme la grande extension de l’idolâtrie en Juda ou l’immoralité des chefs politiques et religieux (voir, par exemple, 6.16 ; 5.13-14 ; 3.1-3, 9-11), paraissent convenir tout particulièrement à l’époque d’Achaz. Cependant ils peuvent bien aussi se rapporter à celle d’Ézéchias, et surtout à ces premiers temps où l’idolâtrie et la mauvaise administration favorisées par le règne précédent n’avaient pu encore être abolies. La réforme religieuse entreprise par Ézéchias se rattacha, comme on sait, à la grande Pâque à laquelle furent conviés les restes des dix tribus et qui ne fut célébrée qu’après la chute de Samarie (2 Chroniques 30.6 ; 31.1) ; et quant à la corruption des grands, le livre d’Ésaïe fournit, précisément pour les premières années du règne d’Ézéchias, des traits absolument concordants avec le tableau tracé par Michée (par exemple 28.7, 14). On trouve, d’ailleurs, dans ce même livre, des témoignages datant de la dernière période de ce règne, qui prouvent que, ni dans l’un ni dans l’autre domaine, la réforme n’avait produit tous les fruits attendus (voir, par exemple, pour l’idolâtrie, 30.22 ; 31.7, et pour l’injustice des grands, 29.20-21 ; 32.1, 5-7 ; comparez 1.23, 26).
Le discours Michée chapitre 1, qui annonce la ruine de Samarie, ne semble pas pouvoir dater d’une époque de beaucoup antérieure à cet événement et se place ainsi assez naturellement dans les premières années du règne d’Ézéchias. Or, comme le dit M. Reuss, les différents morceaux dont se compose le livre de Michée « ne paraissent pas être séparés par de longs intervalles, ni avoir été conçus en face de situations grandement changées. » Ce livre fait l’effet d’un tout composé d’un seul jet ; il est par conséquent difficile d’en attribuer les diverses parties à des époques différentes et déterminées. À supposer donc que quelques-uns de ces oracles (fût-ce même 3.12, que Jérémie 26.18 rapporte au temps d’Ézéchias), eussent été prononcés à une époque antérieure, il resterait probable que le livre dans son ensemble a été rédigé sous ce roi, vers la fin de la vie du prophète, comme résumé de son ministère. Le passage de Jérémie pourrait se rapporter en ce cas à une lecture publique de cet écrit, pareille à celle que Jérémie fit faire du sien dans le temple (Jérémie 36.5 et suivants), et par laquelle Michée aurait clos son activité.
Il n’est pas probable que la carrière de Michée se soit prolongée au-delà des commencements du règne d’Ézéchias. Son livre, qui annonce la chute de Samarie (1.6), ne présente nulle part cet événement comme un fait accompli. Nous croyons donc devoir en placer la composition entre les années 727 (avènement d’Ézéchias) et 722 (prise de Samarie).
Originaire, comme Amos, de la campagne de Juda, il est naturel que Michée trahisse un intérêt particulier pour des localités d’ailleurs insignifiantes de cette contrée, à laquelle appartenait son lieu natal, Moréseth. Aussi est-ce sur elles qu’il voit avant tout fondre le jugement de l’invasion assyrienne (1.10-15). Il est certain cependant, par le contenu même de son livre, que c’est à Jérusalem qu’il a, comme Ésaïe et par conséquent à côté de celui-ci, vécu et prophétisé. C’est de cette ville qu’il est constamment occupé ; c’est aux classes riches de la capitale qu’il s’adresse ; ce sont leurs vices qu’il peint en témoin oculaire ; il a évidemment sous les yeux le même tableau moral et social et il censure les mêmes désordres que son grand contemporain.
La notice Jérémie 26.18, dont il n’y a aucune raison de contester l’exactitude, conduit au même résultat : ce n’est qu’à Jérusalem que Michée a pu prophétiser en présence « du roi et de tout le peuple de Juda ».
Il résulte de ce qui vient d’être dit que l’activité de Michée a été vouée aussi bien que celle d’Ésaïe, au royaume de Juda. Celui des dix tribus ne l’occupe qu’en passant, au début de son livre. Dès 1.8, il n’y revient plus.
La situation morale et politique de Juda dans la dernière moitié du VIIIe siècle nous est déjà connue (voir l’introduction à Ésaïe). Deux traits la caractérisent : au dedans, les progrès de la corruption et de l’impiété, rendant toujours plus évidente la nécessité d’un jugement purificateur ; au dehors, l’extension croissante de la puissance assyrienne, prête à se faire l’instrument de ce jugement de Dieu sur Israël et sur les autres peuples de l’Asie occidentale. C’est le moment, décisif dans l’histoire du peuple élu et du monde ancien, où l’empire de Ninive, parvenu à l’apogée de sa force et sur le point de réaliser le rêve de monarchie universelle conçu par ses souverains, entre positivement en conflit avec le règne de Dieu concentré dans le petit peuple d’Israël. Samarie va tomber, Jérusalem sera bientôt menacée.
On sait ce que fut, après les règnes relativement bons et heureux d’Ozias et, de Jotham, celui d’Achaz. Les exemples d’idolâtrie et de licence donnés d’en-haut, par le roi et les chefs, agissant comme un poison sur tout le corps de la nation, firent enfin éclater an grand jour la dissolution morale dont les progrès étaient jusqu’alors restés plus ou moins cachés. Sous un roi incapable et impie, les grands n’observèrent plus aucun frein et se livrèrent sans scrupules à leur avidité et à leurs débauches, soutenus dans la poursuite de leurs projets criminels par des prophètes de mensonge et des magistrats vendus, toujours prêts à les flatter et à les appuyer. L’injustice et l’impiété régnèrent dans toutes les sphères de la nation. Telle était la situation lorsqu’Ézéchias monta sur le trône, et l’on comprend que ses intentions réformatrices, bien que secondées par des hommes tels qu’Ésaïe et Michée, ne pouvaient avoir pour résultat de la transformer d’un seul coup.
Les rapports de fond et de forme sont nombreux et étroits entre les deux serviteurs de Dieu, aussi rapprochés l’un de l’autre spirituellement qu’ils l’étaient extérieurement1. Leur jugement sur l’état moral et religieux de leur peuple, la peinture qu’ils font de ses vices et particulièrement de ceux des classes dominantes ; la vénalité des juges et des prophètes, la corruption des prêtres, l’oppression que les riches font peser sur les pauvres, l’idolâtrie partout répandue, l’influence prépondérante des faux prophètes, tandis que les vrais sont exposés à la moquerie et à la haine ; tout cela est absolument concordant. Michée ne le cède en rien à Ésaïe pour la verdeur avec laquelle il démasque ces vices ; mais il se distingue de lui en ce qu’il borne son attention à Juda et reste strictement, sur le terrain moral et religieux, n’intervenant pas dans la sphère politique et ne s’occupant pas des relations d’Israël avec l’Égypte et l’Assyrie, qui tiennent une si grande place dans le livre d’Ésaïe. L’horizon de ce dernier est bien plus vaste : il embrasse l’ensemble du monde païen ; Ésaïe voit le jugement de Dieu se promener successivement sur les différentes nations, tandis que le regard de Michée demeure fixé sur Israël.
Uns dans leur jugement sur le présent, les deux prophètes ne le sont pas moins dans leurs vues sur l’avenir. L’un et l’autre annoncent le jugement très prochain de Samarie, plus lointain de Jérusalem. Pas plus qu’Ésaïe, Michée ne conçoit la réalisation de l’espérance messianique autrement que sur les ruines de l’état de choses présent, lequel n’est plus susceptible d’amendement ; une nouvelle ère ne peut luire que par-delà le jugement. Jérusalem s’est rendue semblable à Samarie ; leur sort à toutes deux sera pareil (6.16). Le trait caractéristique par lequel la prophétie de Michée se distingue en ce point de celle d’Ésaïe et des prophètes antérieurs, c’est qu’il prédit la destruction non seulement de Jérusalem, mais tout spécialement du temple (3.12). Ce trait avait déjà été remarqué par l’antiquité, comme on peut le voir par le récit Jérémie chapitre 31, qui nous apprend combien profonde avait été l’impression produite sur l’esprit du peuple par cette prédiction.
Ésaïe et Michée annoncent tous deux la captivité. Mais, quoique pour l’un comme pour l’autre l’Assyrie représente la puissance de ce monde hostile à Dieu, c’est, chose digne de remarque, à Babylone, dont aucun prophète antérieur n’avait parlé, qu’ils placent le lieu de l’exil (Ésaïe 39.6 ; Michée 4.10). Remarquons que Michée se trouve être encore ici plus explicite qu’Ésaïe2.
Tous deux proclament le futur relèvement d’Israël par un roi Davidide, sortant de la race royale profondément humiliée, presque anéantie, et cependant surhumain, divin même (Ésaïe 9.5-6 ; et suivants ; Michée 5.1-2). Un trait est ici exclusivement propre à Michée : le Christ non seulement descendra de David, il sortira de Bethléem même, comme son ancêtre (5.2).
L’un et l’autre prophète enfin voient Sion, restaurée après le jugement, devenir le centre religieux du monde, vers lequel affluent tous les peuples (Ésaïe 2.2-4 ; Michée 4.1-3) 3.
En dépit de ces rapprochements, qui ne s’arrêtent pas à la pensée, mais descendent parfois jusqu’aux mots eux-mêmes, les deux écrivains conservent chacun son indépendance. Vivant dans le même temps et dans la même ville, ils n’ont pu ignorer sans doute leurs prophéties respectives, dont la plupart ont été prononcées en public avant d’être écrites ; chacun d’eux n’en a pas moins ses vues à lui et ses traits originaux. Ceci est vrai en particulier, nous venons de le voir, de la promesse messianique, dont les traits fondamentaux sont d’ailleurs identiques chez les deux prophètes, et qui leur fait une place à part et capitale dans le développement de la prophétie. Leurs oracles ont fourni aux croyances et à la théologie juives des siècles qui ont précédé Jésus-Christ des éléments essentiels et ont par là même une importance spéciale pour la christologie du Nouveau Testament.
Nous avons indiqué l’époque probable de la composition de cet écrit. Il nous reste à en analyser le contenu et les caractères littéraires.
On divise ordinairement le livre de Michée en trois parties, dont on fixe les limites diversement, selon que l’on se préoccupe plutôt du fond ou de la forme.
À ce dernier point de vue, les sections suivantes semblent se détacher, le début de chacune étant indiqué par un « Écoutez ! » qui en marquerait l’ouverture (1.2 ; 3.4 ; 6.1) :
C’est ainsi que divisent la plupart des interprètes. Toutefois, même sous le rapport formel, on pourrait faire quelques objections (par exemple le « Écoutez » de 6.9). Mais surtout, au point de vue du contenu, il paraît peu naturel de séparer le chapitre 3 des chapitres 1 et 2, dont il ne fait que développer les menaces avec plus de précision et de sévérité. Nous distinguerons donc plutôt les trois groupes suivants :
Sous le rapport littéraire, Michée n’a avec aucun autre prophète des analogies aussi frappantes qu’avec Ésaïe. Leur langue à tous deux est pure, très travaillée, très imagée, riche en belles comparaisons ; tous deux aussi, selon le goût de l’époque, affectionnent les jeux de mots. Ce sont à tous égards des esprits proches parents, mais d’une trempe inégale. Michée est inférieur à Ésaïe comme écrivain. Ses images, ses tableaux, énergiques ou gracieux, sont loin de s’élever à la majestueuse beauté de ceux d’Ésaïe. Son style a moins d’ampleur, il est plus prosaïque et plus saccadé que celui de son collègue ; par la brusquerie des transitions et des changements de personne, il rappelle celui d’Osée.
Ésaïe et Michée appartiennent à la même époque littéraire ; avec eux se ferme la période classique, l’âge d’or de la littérature hébraïque, comme avec leur ministère se clôt l’ère la plus brillante du prophétisme israélite.