Le titre de ce livre, pas plus que ceux des livres de Samuel ou des Rois, ne désigne le nom de l’auteur ; il désigne le principal acteur du grand événement qui y est raconté : l’accomplissement de la promesse faite aux patriarches, la prise de possession de Canaan. Ce récit se rattache par une foule de liens à celui du Pentateuque (le rôle des deux et demie tribus à l’est du Jourdain ; la cérémonie de la publication de la loi dans la vallée de Sichem ; l’héritage de Caleb assigné en Hébron ; l’établissement des villes de refuge et des Lévites, etc.). En général, tout le récit de la conquête n’est que la démonstration de la fidélité de Dieu à l’égard de ses antiques promesses racontées dans le Pentateuque. Aussi l’on a souvent envisagé ce livre comme ayant formé dans le début la clôture d’un grand ouvrage auquel la critique moderne aime à donner pour cette raison le nom d’Hexateuque ou les six livres.
Mais il n’existe pas de preuve historique en faveur de cette opinion. Sans doute nous trouvons dans le livre de Josué les traces des mêmes documents qui ont servi à rédiger le Pentateuque (le Jéhoviste et l’Élohiste) et celles de la main du rédacteur du Deutéronome, et nous pouvons conclure de là que ces documents poursuivaient déjà l’histoire du peuple jusqu’à la conquête de Canaan. Mais la notion de la loi domine trop complètement le Pentateuque et donne à cet ouvrage un caractère trop spécial pour que nous puissions ne pas y reconnaître un tout à part, destiné à conserver tout ce qui concernait Moïse et la loi. On a réuni, d’autre part, par un travail tout à fait distinct, tout ce que renfermaient les mêmes documents concernant la conquête. Le livre de Josué est ainsi à nos yeux le premier de la série des écrits narratifs qui ont suivi. Il est à remarquer que certains archaïsmes qui distinguent le Pentateuque disparaissent dans Josué aussi bien que dans les écrits suivants et qu’en échange il renferme un certain nombre de termes étrangers ou des formes nouvelles que ne présente point le Pentateuque, tels que Jéricho au lieu de Jerécho ; mamlacouth au lieu de mamléketh (royaume) ; kanoa an lieu de kanna (jaloux) ; schoma an lieu de schéma (renom) ; jéro au lieu de jiréa (crainte) ; guibboré hachaïl au lieu de bené chaïl (hommes vaillants). Ce sont bien là des traces d’une rédaction différente.
Il importe de remarquer encore que dans certains passages cet écrit renferme des détails que le Pentateuque semblait rendre superflus et qui prouvent que, dans la pensée de l’auteur, son œuvre devait se suffire à elle-même ; par exemple, la liste des pays conquis du temps de Moïse (Josué 12.1-6 ; Josué 13.15-33).
Ce livre se compose de deux parties bien distinctes, comprenant douze chapitres chacune : le récit de la conquête (chapitres 1 à 12) et celui de la répartition du pays (chapitres 13 à 24). Cette répartition se termine par le renouvellement de l’alliance (chapitre 24), qui est comme le sceau apposé aux deux grands actes qui viennent d’ètre racontés.
Il nous paraît manifeste que de très antiques matériaux, dûs à des contemporains des faits racontés, sont entrés dans la contexture des documents qui ont servi à rédiger le récit définitif. C’est ainsi que s’expliquent naturellement le nous de Josué 5.1-6 ; le jusqu’à ce jour appliqué à la présence de Rahab en Israël au moment du récit ; la liste des trente-et-un rois vaincus (chapitre 12) et le cadastre détaillé des territoires assignés à chaque tribu (dès le chapitre 13). Dans d’autres cas, la formule : jusqu’à ce jour, prouve uniquement que la rédaction du fait est en tout cas antérieure à Salomon (Guézer, Josué 16.10) ou à David (Jébusiens, Josué 15.63) ou à Saül (Gabaonites, Josué 9.27). L’expression Sidon la grande (Josué 11.8 et Josué 19.28) montre également que la rédaction de ces morceaux remonte là une très haute antiquité (voir les notes).
Quant à la rédaction finale du livre, nous en ignorons l’époque ; nous constatons seulement par ce qui vient d’être dit que les auteurs des documents qui ont été employés à cette rédaction ont usé de sources très antiques qu’ils ont exactement reproduites.
La critique moderne a incriminé la narration du livre de Josué aussi bien que celle du Pentateuque. Elle a essayé de reléguer le tout dans le domaine du mythe ou de la légende et de faire commencer l’histoire vraie du peuple avec l’état d’anarchie existant du temps des Juges, espèce de chaos primitif d’où serait peu à peu provenue, par un progrès interne, l’unité nationale du peuple, telle que nous la trouvons établie au temps des premiers rois. Mais ce progrès vers l’unité nationale, qui a eu lieu dès le temps des Juges, n’a été possible que parce qu’une unité antérieure avait précédé cette époque de désagrégation. Autrement Israël se fût de plus en plus désorganisé et amalgamé aux nations voisines, vers lesquelles l’attiraient le penchant commun à l’idolâtrie et la nécessité de chercher dans son état de faiblesse des appuis politiques. Sans les grands souvenirs du passé, qui formaient le lien moral entre les tribus, l’aspiration à l’unité politique et religieuse, d’où est procédée la concentration graduelle, n’aurait pas eu de raison d’être. C’est sur le passé du peuple sous Moïse et Josué que repose le relèvement religieux et politique par lequel Israël est sorti de la décadence du temps des Juges. La reconnaissance générale de l’autorité d’un personnage aussi faible que l’était le juge et sacrificateur Éli, à la fin de cette période, ne s’explique que parce qu’il profitait d’une tradition établie. Rejeter le caractère historique du livre de Josué, c’est rejeter en même temps celui de tout le Pentateuque, qui repose sur les mêmes documents, et rendre par là incompréhensible toute l’histoire d’Israël.
Le livre de Josué nous raconte une histoire réelle. Le personnage principal n’est pas plus idéalisé que ne l’ont été Moise et Aaron. Nous le voyons plongé dans le découragement, se livrant presque au murmure après la prise d’Aï, traitant imprudemment alliance avec les Gabaonites. Quant au peuple, il n’apparaît pas non plus sous un jour bien brillant : l’égoïsme des tribus, le manque d’appui de la part des plus fortes (Éphraïm, Juda) à l’égard des autres plus faibles, dans l’œuvre difficile de la conquête de leurs territoires, ces traits-là et bien d’autres n’appartiennent pas à un portrait flatté et idéalisé, du peuple.
Un document jéhoviste (renfermant le second Élohiste) a surtout fourni les matériaux de la première partie du livre ; l’écrit élohiste, ceux de la seconde ; un certain nombre de morceaux présentent des caractères identiques à ceux du Deutéronome. On les constate aisément dans les deux parties du livre, comme, par exemple le passage Josué 1.1-9 ou le chapitre 24.