Ces deux courtes lettres présentent des ressemblances si grandes, qu’elles doivent avoir été écrites par le même auteur et à la même époque. Cet auteur se nomme dans toutes deux l’ancien, et désigne les destinataires par les mots : ceux que j’aime en vérité (2 Jean 1.1 ; 3 Jean 1.1). Il se réjouit de ce que ses enfants marchent dans la vérité (2 Jean 1.4 ; 3 Jean 1.4). Il exprime à la fin des deux lettres, et en termes presque identiques, l’espérance d’aller voir bientôt ceux auxquels il écrit (2 Jean 1.12 ; 3 Jean 1.13-14).
La première lettre est adressée à une Église que l’ancien appelle la Dame élue. Les critiques sont généralement d’accord aujourd’hui pour entendre cette expression d’une communauté, et non d’une mère de famille. Jean ne pourrait pas dire à une mère de famille que ses enfants sont aimés de tous ceux qui connaissent la vérité (verset 1) ; il ne pourrait lui adresser l’exhortation contenue au verset 5 et qui est fondée sur la constatation (verset 4) que quelques-uns de ses enfants marchent dans la vérité. Dès le verset 6 les destinataires sont apostrophés au pluriel et mis en garde contre ceux qui ne confessent pas Jésus-Christ venu en chair. Dans sa teneur générale, cet avertissement s’applique mieux à une Église qu’à une famille. Enfin, l’auteur termine en saluant la Dame élue de la part des enfants de sa sœur, l’élue. S’il s’agissait de personnes concrètes, on pourrait se demander pourquoi les salutations ne sont pas exprimées au nom de la sœur elle-même.
La seconde lettre est écrite à un chrétien du nom de Gaïus. L’ancien lui exprime le vœu que toutes ses affaires prospèrent autant que son âme. Il a eu beaucoup de joie du bon témoignage que des frères venus d’auprès de Gaïus lui ont rendu en racontant devant l’Église l’accueil plein d’amour qu’il fait aux évangélistes itinérants. L’ancien a écrit à la communauté dont Gaïus est membre. Mais son autorité n’est pas reconnue par Diotrèphe, probablement évêque de cette Église. Quand il s’y rendra, il lui reprochera les méchants propos qu’il répand sur son compte, son refus de recevoir les frères du dehors, la pression qu’il exerce, par l’excommunication, sur les membres de l’Église pour les empêcher de leur donner hospitalité. Démétrius, par contre, un autre membre de la même Église, reçoit un bon témoignage, formulé en termes pressants.
On s’est demandé si la lettre écrite à l’Église de Gaïus, et mentionnée 3 Jean 1.9, était l’épître à la Dame élue (2 Jean). C’est l’opinion de Holtzmann, Weiss, Zahn, combattue par Lutliardt et Harnack. Ce dernier objecte à leur identification que la situation de l’Église n’est pas la même dans les deux lettres : 2 Jean met en garde contre une grave hérésie et contre des missionnaires qui la propagent. Il n’en est pas question dans 3 Jean, où l’ancien recommande, sans restriction, d’accueillir les évangélistes itinérants, et où Diotrèphe s’oppose à lui, non par des enseignements divergents, mais parce qu’il méconnaît son autorité et repousse son ingérence dans le gouvernement de l’Église.
Le style, le choix des mots, la construction des phrases, les pensées exprimées, tout révèle l’auteur de 1 Jean et du quatrième Évangile. La tradition confirme cette supposition. Clément d’Alexandrie déjà cite 1 Jean comme la plus grande lettre de Jean. L’ouvrage d’Irénée contient des passages de 2 Jean. Le canon de Muratori mentionne les lettres de Jean. 3 Jean n’est expressément nommée que par Origène, qui fait allusion aux doutes dont les deux épîtres sont l’objet (Eusèbe, Histoire Ecclésiastique, VI, 25). Eusèbe les range parmi les écrits contestés (Histoire Ecclésiastique, III, 24, 25). Jérôme explique l’origine de ces doutes : l’auteur ne s’est pas donné le titre d’apôtre, mais celui d’ancien, en grec presbytre ; c’est pourquoi plusieurs voyaient en lui le presbytre Jean, dont parle Papias.
Un petit nombre de critiques modernes (Erasme, Credner, Wieseler, Ebrard) ont suivi cette opinion de quelques anciens ; nous ne parlons pas de ceux qui attribuent l’ensemble de la littérature johannique au presbytre Jean. Aux premiers, on peut objecter que 2 et 3 Jean ressemblent trop par le style et les principaux caractères à 1 Jean pour qu’on puisse les attribuer à un autre auteur ; et que le presbytre Jean, dont parle Papias, n’était sans doute qu’un presbytre entre plusieurs, qu’il n’avait donc pas le droit de s’arroger ce titre d’une manière exclusive et de se présenter comme le presbytre par excellence (Comparez Frédéric Godet, Commentaire sur l’Évangile de Jean). N’est-il pas plus naturel de supposer que c’est l’apôtre qui se désigne ainsi par humilité (1 Pierre 5.1), ou qui avait reçu ce surnom dans lequel s’exprimait le respect que son grand âge inspirait aux Églises ? (Comparez 2 Jean 1.1, première note).
Tout dans ces deux courts billets montre la position exceptionnelle qu’occupait celui qui les a écrits. Harnack la caractérise en relevant les traits suivants :
Voilà un homme qui non seulement jouit de la considération en dehors de son Église, mais est habitué à exercer l’autorité et à juger en dernier ressort dans un grand nombre d’Églises. Il s’intitule simplement l’ancien. Demeurant à Éphèse, il a des enfants en d’autres localités et il dirige ces adultes comme un père. La prospérité des Églises est son œuvre, et il les avertit en disant : Prenez garde, afin que vous ne perdiez pas le fruit de notre travail. (2 Jean 1.8) Il parle avec l’accent d’un homme qui connaît les voies de la vérité et est qualifié pour décider si quelqu’un marche dans la vérité et a le témoignage de la vérité. (3 Jean 1.2-3 ; 2 Jean 1.1-4 ; 12) Il place son propre témoignage à côté de celui de la vérité et le met au-dessus de toute discussion par cette déclaration pleine d’assurance : Tu sais que notre témoignage est vrai. (3 Jean 1.12) Dans ses visites aux Églises, il n’apparaît pas seulement comme un pasteur ou un prédicateur qui édifie et apporte de la joie (2 Jean 1.12), mais comme un juge qui menace et punit, et qui mettra sûrement fin aux désordres dans l’Église… (3 Jean 1.10) Ce tableau est identique à celui que des lettres de Paul nous tracent de ses rapports avec les Églises qu’il avait fondées. Il est seulement étrange que, en Asie, trente ans après Paul, un particulier ait réussi une fois encore à occuper une telle position.
Cela est étrange, en effet, si ce particulier est, comme le veut Harnack, cet énigmatique presbytre Jean, connu seulement par un passage obscur de Papias, et dont l’existence même est mise en doute aujourd’hui encore par des critiques de tendances fort diverses. La situation unique occupée par l’auteur de nos lettres nous paraît, au contraire, toute naturelle, si elles émanent de l’apôtre Jean. Ces lettres, qui ne renferment aucun enseignement important, auraient-elles d’ailleurs été conservées, et finalement reçues dans le canon, si une tradition très sûre ne les avait désignées comme l’œuvre d’un apôtre ? Leur présence dans le recueil sacré vient ainsi confirmer l’opinion de ceux qui admettent le ministère de Jean, l’apôtre, en Asie-Mineure, et le considèrent comme l’auteur des épîtres et de l’Évangile, que la tradition lui attribue.