Cette épître s’annonce comme étant écrite par le même apôtre (1.1) et aux mêmes églises (3.1) que la précédente, mais plus tard et peu avant la mort de l’auteur (1.14). La première lettre devait affermir leur foi à l’approche des terribles épreuves qui les menaçaient du dehors ; la seconde était destinée à les mettre en garde contre les ennemis du dedans, bien plus dangereux encore. Lettre d’adieu, dernière exhortation d’un mourant à ses frères (1.12 et suivants), d’un apôtre du Seigneur à l’Église pour la supplier une fois encore de fuir la corruption qui règne dans le monde par la convoitise (1.4), et de mettre tous ses soins à la sainteté de la vie ; confirmation énergique et suprême de la vérité de l’Évangile, prophétie à la fois douloureuse et menaçante touchant les doctrines de mensonge, les souillures abominables qui allaient infester l’Église (2.1 et suivants) ; annonce solennelle du jour de Christ qui viendra certainement, malgré ses retards (3.3 et suivants) : cri d’alarme à toute l’Église, afin qu’elle se tienne prête dans une sainte conduite, qu’elle ne soit pas consumée par le feu avec le monde, mais qu’elle puisse à l’avance se réjouir des nouveaux cieux et de la nouvelle terre que nous attendons selon la promesse du Seigneur (3.10 et suivants).
Les faux docteurs, contre lesquels l’apôtre met en garde ses lecteurs, se reconnaissent à des traits déjà tracés en partie par la plume de saint Paul dans les épîtres pastorales ; seulement les doctrines de mensonge ont déjà produit davantage ici de leurs fruits amers : les égarements de la chair, qui commencent à s’introduire parmi les chrétiens. Toutefois, il s’en faut bien que la corruption prévue par l’apôtre soit arrivée à son comble, et qu’elle ait atteint toutes les églises. De même que Jean voyait les premières manifestations de l’antéchrist, et pourtant l’annonçait pour l’avenir ; de même que Paul décrivait les premiers mouvements de l’homme de péché, et pourtant le fait attendre pour la fin des temps, ainsi Pierre porte en avant un regard prophétique en même temps qu’il décrit le mal à son origine. Il sait ce dont l’Église aura besoin après son départ (1.15) ; dès les premiers mots de cette partie de sa lettre, il emploie tous ses verbes au futur (2.1-3), et ce futur peut s’étendre, non seulement jusqu’aux phénomènes analogues dont l’Église a été le témoin à toutes les époques de son histoire, mais aussi, et surtout peut-être, jusqu’aux temps d’infidélité et de corruption qui doivent, selon l’Écriture, précéder le retour glorieux du Seigneur. Ici déjà, les erreurs de doctrine ont fait place à la corruption morale. Or ne sont-ils pas de tous les temps ces hommes qui obéissent à leurs convoitises, à l’avarice, à d’autres vices encore (2.3, 10, 14) ; qui nient le retour de Christ pour le jugement et en font un sujet de moquerie (3.3-4 et suivants) ; qui, par des discours enflés de vanité, promettent à d’autres la liberté, tandis qu’ils sont eux-mêmes esclaves de la corruption ? (2.18-19)
À toutes ces aberrations dont la semence pouvait corrompre les églises, l’apôtre oppose avec énergie la vérité historique du christianisme (1.16 et suivants) et la sainteté de la vie (3.11). Qui pourrait méconnaître, d’une part, l’opportunité historique, et de l’autre, l’actualité de tels enseignements ?
Sans doute, la question se présente tout autrement pour les critiques qui n’admettent pas l’authenticité de notre épître, surtout pour ceux qui en font l’œuvre d’un pseudonyme, fabriquée à la fin du second siècle.
Si notre épître n’est pas authentique, on doit se hâter d’en purger le Nouveau Testament, car alors, c’est une œuvre d’imposture et de mensonge. Cela est-il moralement possible ? On en jugera quand nous aurons exposé l’état de la question, et la force ou la faiblesse des arguments pour et contre l’authenticité.
Pour commencer par les témoignages historiques, les adversaires de l’épître prétendent qu’il n’en existe aucun durant les deux premiers siècles et que personne ne l’a mentionnée avant Origène. Les défenseurs, au contraire, trouvent des allusions et des citations en grand nombre dès les Pères apostoliques, dans Clément de Rome, Hermas, Barnabas, Justin, Irénée, Théophile. Il faut avouer que les textes allégués, quoique rendant très probable que ces Pères connaissaient notre épître, ne sont pourtant pas de nature à commander la conviction. Il est donc évident que cette lettre fut moins promptement répandue dans les églises que d’autres livres du Nouveau Testament. Elle manque aussi dans l’antique version syriaque la Peschito. Mais comment faire descendre la composition de cet écrit jusqu’à la fin du second siècle, quand on entend un Origène, né lui-même quinze ans avant la fin de ce même siècle, Origène, ce critique savant et consciencieux, parler des deux épîtres de Pierre, citer la seconde littéralement huit à dix fois, la citer en nommant l’auteur, la citer en ces termes : comme dit, en un certain endroit, l’Écriture, la citer enfin en disant : Je sais qu’il est écrit ? (Voir Homélie VII sur Josué ; Homélie IV sur le Lévitique ; Homélie VIII sur les Nombres ; Commentaire, sur Romains 8.7). Origène, il est vrai, rappelle quelque part les doutes dont cette épître était l’objet ; mais il les rappelle sans les partager, et d’ailleurs ce passage n’est pas dans ses œuvres, mais rapporté par Eusèbe. Ce dernier admet notre lettre parmi les épîtres catholiques, au rang des antilégomènes et en rappelant, comme Origène, les doutes de plusieurs. Jérôme reçoit la seconde de Pierre dans son catalogue comme authentique, et remarque aussi que plusieurs la renient à cause de la différence du style avec la première épître, argument relevé aussi par des critiques modernes, mais qu’un examen sérieux et non prévenu des deux épîtres réduit à peu de valeur. Raison faible s’il en fut jamais, dit le savant Beausobre. Premièrement elle n’est pas vraie, puisque, si l’on confronte la seconde épître de Pierre avec la première, on y trouvera plutôt de la conformité que de la différence par rapport à la force, à la brièveté et même au tour de la phrase, d’ailleurs, il n’y a rien de plus équivoque et de plus incertain que ces jugements sur le style, un même auteur pouvant écrire différemment en des temps différents et sur des matières différentes. À dater du troisième siècle, l’épître est universellement reconnue et définitivement reçue au rang des livres canoniques par le concile de Laodicée.
Mais soit à cause de ce qu’il y a d’incomplet dans les témoignages historiques, soit par quelques considérations de la critique interne auxquelles nous allons revenir, l’époque de la réformation vit se renouveler quelques doutes sur l’authenticité de cet écrit. Calvin, en particulier, est frappé de la remarque de Jérôme sur la différence de style entre notre épître et la première de Pierre. Mais, d’un autre côté, on aperçoit, dit-il, la vertu, véhémence et grâce de l’Esprit duquel les apôtres ont été doués… Et puisqu’en toutes les parties de l’épître la majesté de l’Esprit de Christ se manifeste clairement, je me ferais conscience de la rejeter entièrement. Et il arrive à la supposition que les pensées seraient de l’apôtre, tandis que la composition serait d’un autre qui aurait tenu la plume.
La critique moderne, à dater de Semler, n’a pas été si modérée. Un grand nombre de théologiens éminents, parmi lesquels il se trouve des hommes de foi, refusent nettement à Pierre cette lettre. Indépendamment de l’école de Tubingue, on voit se ranger ici, pour ne nommer que les principaux, les noms de Eichhorn, de Wette, Néander, Credner, Reuss, Huther, Edmond de Pressensé, Godet. Ce sont presque exclusivement des raisons de critique interne qui déterminent ces conclusions négatives. Il vaut la peine de les examiner avec attention.
Voici donc les principaux de ces arguments :
Voici l’ordre des principaux sujets traités dans cette épître :